Cette baisse résulte de nombreux facteurs. L'engagement
politique en faveur de l'aide dans les pays donateurs se heurte
à des contraintes budgétaires chroniques, encore
aggravées dans nombre de pays par un chômage massif.
La fin de la guerre froide a fait disparaître les motivations
sécuritaires et idéologiques de l'aide. La prise
de conscience d'une certaine dépendance des pays les plus
pauvres vis-à-vis de l'aide et un scepticisme grandissant
quant à l'efficacité de l'aide en matière
de développement et de lutte contre la pauvreté
ont encore accentué la désaffection constatée.
L'évolution des conceptions fondamentales du développement
a également eu des incidences. L'abandon progressif de
la notion de développement assimilant ce dernier à
une croissance tirée par le secteur public en faveur de
conceptions multiformes et plus élaborées privilégiant
un développement humain, participatif et axé sur
le marché a suscité des incertitudes sur le véritable
rôle de l'aide publique au développement. En bref,
une crise de confiance quant à son utilité.
Le déclin de l'APD est très préoccupant.
Elle est une source de financement capitale pour nombre de pays
en développement et, s'agissant du développement
social, elle ne peut pas être remplacée par les flux
financiers privés. Elle est par ailleurs au cur des
engagements pris par les Etats à plusieurs conférences
mondiales tenues sur le développement durable au cours
de cette décennie. Si les Etats ne contestent pas que le
financement de la mise en uvre du programme Action 21
et d'autres engagements internationaux en faveur du développement
durable doivent provenir principalement de sources nationales,
publiques et privées, il faut mobiliser et apporter des
ressources financières nouvelles et additionnelles, suffisantes
et prévisibles pour atteindre les objectifs de lutte contre
la pauvreté, de protection de l'environnement et de croissance
économique.
Au-delà des préoccupations financières, le
déclin de l'APD a aussi des incidences politiques graves
sur la recherche de consensus en matière de développement
durable, eu égard au volet environnemental en particulier.
La session extraordinaire de l'Assemblée générale
des Nations Unies tenue en juin 1997 (Rio+5) a montré que
l'absence de progrès sur la question du financement du
développement durable a eu des incidences négatives
très nettes.
Il est donc urgent de renverser la tendance à la baisse
de l'APD, ce qui nécessite l'adoption de stratégies
visant à donner une plus grande efficacité à
cette aide et à s'assurer de nouveau l'adhésion
des donateurs. Nous proposons que les parlements nationaux lancent
un débat plénier sur la question de la baisse de
l'APD afin de susciter dans l'opinion publique une meilleure compréhension
de ses enjeux, un appui plus large et, partant, une action des
gouvernements. Pareil débat devrait être axé
sur les paramètres ci-après pour l'orientation future
à donner à l'aide :
i) L'objectif de développement de l'APD, implicite mais
souvent occulté par une conception réductrice assimilant
développement et croissance, doit être réaffirmé.
Il nous faut insister sur le fait que le fondement éthique
de l'APD est en dernière analyse qu'elle contribue à
réduire la pauvreté, pour les générations
actuelles et futures. A cette fin, l'APD doit viser le développement
durable conçu comme un immense chantier visant à
réaliser - de façon intégrée et solidaire
- le triple objectif de la croissance économique, du progrès
social et de l'équité, et de la protection de l'environnement.
Par définition, ces objectifs doivent primer sur tous les
impératifs commerciaux ou partisans à court terme.
ii) Il faut, dans le même temps, rendre l'APD globalement
plus efficace. Tant les bailleurs de fonds que les pays bénéficiaires
doivent veiller à ce que le financement de l'APD soit utilisé
de la manière la plus efficace et qu'il contribue à
la croissance économique, au développement social
et à la protection de l'environnement dans le cadre du
développement durable. Une utilisation plus efficace de
l'APD est essentielle en effet pour enrayer la désaffection
actuelle des donateurs et susciter un appui politique à
l'accroissement du volume de l'APD auprès des gouvernements
et de l'opinion des pays donateurs.
iii) Pour atteindre ces objectifs, le développement durable
et, partant, l'utilisation de l'APD, doivent être la résultante
des priorités nationales. Les projets d'aide ont de meilleures
chances de réussir s'ils sont le fruit d'un processus participatif
très large où les dirigeants politiques, les institutions
de l'Etat et la société civile conviennent des changements
de politique souhaitables et les traduisent en normes politiques
et administratives communément admises.
iv) De même, les projets de développement devraient
être mis en uvre dans le cadre de politiques économiques,
sociales et environnementales rationnelles et d'institutions nationales
transparentes, participatives et efficaces. Si la croissance est
effectivement nécessaire pour alléger la pauvreté,
elle ne permet d'atteindre ce résultat que si elle est
écologiquement durable et s'inscrit dans un cadre institutionnel
et politique qui garantisse un partage équitable de ses
fruits.
v) Les gouvernements, tant ceux des bailleurs de fonds que des
pays bénéficiaires, ainsi que les institutions financières
internationales sont tenus d'assurer une plus grande transparence
en ce qui concerne les objectifs des programmes d'aide et de veiller
à ce que les affectations et l'utilisation des fonds soient
conformes à ces objectifs. Une plus grande transparence
dans la détermination des objectifs et dans l'affectation
des ressources contribuera à amener les bailleurs de fonds
à moins recourir à l'aide conditionnelle et les
bénéficiaires à moins utiliser l'aide à
des fins politiques et économiques à court terme.
vi) L'APD devrait être destinée plus aux pays les
moins avancés et aux secteurs des pays en développement
et des pays en transition qui ne bénéficient pas
d'un financement suffisant de diverses sources privées,
tant locales qu'externes. Il s'agit généralement
des secteurs dont l'objectif premier est de favoriser le développement
humain et qui relèvent du social (éducation, santé,
élimination de la pauvreté, etc.), ainsi que, très
souvent, de la protection de l'environnement.
vii) L'APD peut servir à couvrir les coûts supplémentaires
des actions et politiques conduites par les pays à des
fins environnementales mondiales, notamment les mesures visant
à la mise en uvre de diverses conventions internationales.
Sachant le rôle prépondérant que joue en la
matière le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), les
gouvernements ont la responsabilité de le doter de moyens
suffisants et de définir des solutions propres à
faciliter l'accès à ses ressources. Il faut, en
outre, accorder une attention particulière à l'ensemble
des activités relevant du programme de ce fonds.
viii) Un recours plus systématique au dialogue entre donateurs
et bénéficiaires et une coordination plus efficace
entre les bailleurs de fonds eux-mêmes s'imposent pour que
l'APD réponde aux priorités nationales et facilite
en même temps la réalisation des objectifs précis
convenus à l'échelle internationale. Il semble également
nécessaire d'assurer une plus grande coordination en matière
de politiques et meilleure collaboration entre les institutions
bilatérales et multilatérales de financement, dont
les organismes financiers internationaux, s'agissant aussi des
diverses activités de financement et de coopération
technique menées par les organisations du système
des Nations Unies, ainsi que par des ONG.
ix) Une stratégie de développement durable clairement
définie et axée sur les besoins des bénéficiaires
est un mécanisme susceptible de se révéler
très efficace en matière de coordination entre les
bailleurs de fonds et les bénéficiaires. Les stratégies
de développement durable nationales et sectorielles peuvent
servir de base pour l'établissement des programmes de financement
alimentés par des ressources financières nationales
et internationales, dont l'APD.
x) Il faut aussi étudier et promouvoir de nouvelles approches
en matière d'utilisation de l'APD. On pourrait notamment
étudier la possibilité d'affecter de moins en moins
l'APD au financement de projets individuels au profit d'objectifs
plus vastes de réforme politique nationale visant au développement
durable, y compris la nécessité de faire face aux
éventuelles répercussions sociales à court
terme de pareilles réformes. En outre, le rôle de
catalyseur que peut jouer l'APD dans la mobilisation d'investissements
privés en faveur du développement durable est également
à l'ordre du jour.
xi) Dans le vaste contexte de l'APD, le problème de l'endettement
des pays les plus pauvres et les plus endettés appelle
également une solution. Outre les mécanismes traditionnels
tels que le rachat de dettes par les banques commerciales et d'autres
plus innovateurs comme les échanges dette/nature ou la
conversion de la dette en mesures de développement social,
on soulignera ici le rôle que peut jouer l'Initiative en
faveur des pays pauvres les plus lourdement endettés (HIPC),
initiative conjointe de la Banque mondiale et du FMI actuellement
en cours d'exécution.
xii) Enfin, toute politique globale sur le financement du développement
durable doit aussi traiter la question des subventions et tout
particulièrement celles qui conduisent à un développement
non durable. Les subventions existantes devront être rendues
plus transparentes, examinées au parlement, réformées
et, si besoin est, abolies. Dans le même temps, un soutien
devra être apporté aux groupes les plus vulnérables
qui pourraient en subir le contrecoup.
xiii) L'APD n'est pas une forme de charité. Dans bien des
cas, elle présente un grand intérêt à
long terme pour les contribuables des pays donateurs eux-mêmes.
En répondant aux besoins sociaux urgents, notamment à
la nécessité d'éradiquer la pauvreté,
l'APD peut jouer un rôle important dans la prévention
de crises sociales potentiellement dangereuses qui, à leur
tour, peuvent dégénérer en conflits nationaux
ou régionaux. Par ailleurs, comme cela est indiqué
plus haut, l'APD est à même de jouer un rôle
crucial en amenant tous les pays à s'unir pour lutter contre
les problèmes d'environnement à l'échelle
mondiale qui ne sauraient être réglés par
les seuls pays développés.