>>> ENGLISH VERSION | |||
Union interparlementaire | |||
Chemin du Pommier 5, C.P. 330, CH-1218 Le Grand-Saconnex/Genève, Suisse |
Adopté par la 128ème Assemblée de l'UIP
Le développement durable est à la croisée de chemins. Dans un monde aux ressources finies, le cycle toujours recommencé de la consommation et de la production à outrance, qui est au cœur du modèle économique actuel, n’est plus soutenable. Non seulement la croissance ne peut suffire pour relever les défis sociaux, économiques et environnementaux de notre temps, mais elle devient même une partie du problème. Il nous faut adopter une approche différente, axée sur le bien‑vivre dans toutes ses dimensions si nous voulons que la communauté humaine puisse progresser dans le respect des valeurs fondamentales que sont la paix, la solidarité et l’harmonie avec la nature. La croissance est certes un préalable du développement, qui a permis à d’innombrables générations d’échapper à la pauvreté, mais il faut s’intéresser davantage à la nature de cette croissance et à la répartition de ses bienfaits. Une croissance forte ne se traduit pas nécessairement par de meilleurs indices de développement et de bonheur humains. En revanche, avec des politiques sociales avisées, il est possible d’améliorer le bien-être général même dans un contexte de faible croissance économique. La création d’emplois, grâce à laquelle les gens ont la possibilité de gagner décemment leur vie, doit être un souci constant dans les politiques en faveur de la croissance et du bien-vivre. Dans les pays en développement, la croissance est indispensable pour venir à bout de l’extrême pauvreté et donner à chacun la possibilité de subvenir à ses besoins. Mais il faut que la durabilité, environnementale et sociale, soit inscrite dans les politiques économiques dès leur conception. Cet impératif gagnera encore en importance à mesure que la population continuera de croître, se traduisant par une explosion urbaine. En dernière analyse, le bien-vivre dépend de facteurs humains qui ne sont pas nécessairement liés à une consommation et une production effrénées. L’éducation, la santé, la culture, les loisirs, la pratique d’une religion, la jouissance des droits de l’homme, le contentement affectif et le sentiment d’appartenir à une communauté sont autant d’éléments de ce que l’on entend par bonheur que l’on peut améliorer sans coûts démesurés pour l’environnement et avec d’énormes bénéfices pour la société. Un des volets de la réforme du modèle de croissance et de développement doit porter sur l’amélioration de ces aspects. Le secteur privé doit certes rester le moteur de la création d’emplois ; il reste que davantage d’emplois doivent être créés dans le secteur social et pour mettre en place des infrastructures qui profitent à la collectivité sans nuire à l’environnement. Par ailleurs, il faut impérativement trouver les moyens d’enrayer le chômage des jeunes. Pour que les politiques du bien-vivre aboutissent, il faut que disparaissent toutes les inégalités entre les sexes, pour que les femmes puissent réaliser tout leur potentiel en tant que citoyennes et qu’actrices de la vie politique. Les femmes - la moitié des habitants de la planète – demeurent défavorisées dans tous les domaines. Dans bien des pays, les lois discriminatoires et les normes culturelles en vigueur privent les femmes de bien des perspectives économiques, du fait qu’elles n’ont guère accès au crédit et perçoivent des salaires inférieurs à ceux des hommes. Dans la plupart des pays, des obstacles continuent de leur barrer la route vers les hautes fonctions publiques et les conseils d’administration. La violence à l’égard des femmes, encore si répandue, montre bien à quel point elles restent vulnérables dans la plupart des sociétés. Le passage à des politiques du bien-vivre ne se fera pas sans mal car la route n’a pas encore été complètement balisée. Il faudra de l’audace. Il faudra que les décideurs parviennent à réduire les écarts qui persistent au sein des pays comme entre les pays et à réaliser l’égalité des conditions et des chances. Il faudra prévoir des incitations et adapter les réglementations pour que les forces du marché concourent au bien-être des sociétés. Comme l’a montré l’expérience de plusieurs pays ayant des niveaux différents de développement, les gouvernements peuvent mettre au point des indicateurs qui les aident à appliquer des politiques économiques, sociales et environnementales propres à favoriser le bien-être des populations. Pour mesurer le bien-être national, il est essentiel de trouver des moyens autres que le PIB pour définir la croissance, qui ne doit plus s’exprimer uniquement en termes de production et de consommation, mais aussi en termes de progrès sociaux et environnementaux. L’économie verte, qui repose sur l’efficience technologique, les produits respectueux de l’environnement et d’autres pratiques analogues, peut nous montrer la voie mais elle doit nécessairement s’inscrire dans un cadre plus général. Il faudra mettre en place des incitations et des politiques fiscales propres à favoriser une croissance axée sur des modes de production et de consommation moins gourmands en ressources. Un nouveau modèle de croissance sera aussi nécessaire pour mieux répartir les richesses et les chances, ce qui favorisera les économies comme le bien‑vivre. En effet, rien n’est plus préjudiciable au bien-vivre que le sentiment d’exclusion et de privation ressenti au spectacle de la richesse excessive des autres. Les politiques de bien-vivre devront viser un meilleur équilibre entre intérêts privés et intérêt général, entre concurrence et coopération, entre investissements privés et investissements publics, de sorte que chacun puisse profiter des biens produits sans pour autant mettre la planète en péril. En d’autres termes, la poursuite du bien-vivre en tant qu’objectif ultime du développement et du progrès exige un nouveau contrat social, aux termes duquel la planète et ses habitants sont une richesse, un capital dont il faut prendre soin. Il faudrait conjuguer la valeur cardinale du "buen vivir" avec "l’ubuntu", le précepte africain selon lequel le succès de l’individu est fonction du succès de la collectivité. Pour que cette conception du développement puisse s’imposer, il faudra une coopération accrue au niveau planétaire. Les pays développés sont responsables au premier chef de l’avènement du développement durable et de l’élimination de l’extrême pauvreté sur toute la planète. Une action plus volontariste s’impose pour que les pays en développement trouvent la voie du développement durable. Il faudrait redoubler d’efforts pour faciliter les transferts de technologies vertes vers les pays en développement, notamment des technologies permettant d’atténuer les effets des changements climatiques et d’autres aléas environnementaux. La coopération au développement doit s’intensifier et viser plus directement l’objectif du bien-vivre. Parallèlement, il faudra demander des comptes sur l’utilisation de l’aide publique au développement aux pays donateurs comme aux pays bénéficiaires. Repenser le modèle économique axé sur la croissance suppose une mondialisation d’un autre type, où la solidarité et la coopération l’emporteront sur la concurrence sauvage. L’architecture économique, financière et commerciale qui est en place au niveau international tend à privilégier un modèle de croissance dépassé, qui continue de protéger des intérêts âprement défendus. Il faut adopter des politiques visant à réduire le pouvoir excessif, tant économique que politique, des sociétés multinationales et des cartels financiers. En s’intensifiant, la concentration de la propriété foncière entre quelques mains menace les moyens de subsistance des pauvres des zones rurales. Or, on sait que, si les terres sont plus équitablement réparties, la croissance et le développement humain s’en trouvent renforcés. Il faut donc s’attaquer à ce problème et tenter d’y remédier. Par définition, les politiques de bien-vivre supposent que tous les citoyens, et en particulier les groupes vulnérables que sont les femmes, les jeunes, les peuples autochtones et les pauvres, participent aux processus décisionnels. Le simple fait d’avoir son mot à dire dans les décisions qui nous concernent et sur environnement social et environnemental qui nous entoure est un aspect essentiel du bien-vivre. A l’inverse, le bien-être est indispensable à une participation effective des citoyens à la gestion des affaires publiques. La participation citoyenne et ses corollaires ‑ transparence et responsabilité - sont des piliers de la démocratie qui déterminent le fonctionnement démocratique des structures de gouvernance à tous les niveaux – mondial, national et local – et la manière dont elles répondent aux besoins des citoyens. La participation, la transparence et la responsabilité sont donc les éléments constitutifs de la gouvernance démocratique, comme fin en soi et comme vecteur de développement durable. Il ne saurait y avoir de véritable prospérité si les valeurs universelles que sont la démocratie, l’état de droit et les droits de l’homme ne sont pas respectées. La gouvernance démocratique devrait donc être à la fois un objectif de développement durable à part entière et une composante des autres objectifs qui seront adoptés dans le cadre du nouveau programme de développement. C’est ce que confirment les résultats d’un sondage mené auprès de plusieurs centaines de membres pendant l’Assemblée. Pour mettre le développement sur les rails de la durabilité, il faudra rééquilibrer le rôle des marchés et des gouvernements. Parmi les moyens efficaces de concilier les nécessités économiques et les impératifs sociaux, on pourrait citer l’instauration de partenariats public/privé, ainsi que la promotion d’entreprises à base communautaire et d’autres formes de sociétés coopératives. Une intervention des pouvoirs publics sera aussi nécessaire pour préserver les droits des plus démunis et les ressources naturelles. Les défis interdépendants que pose le développement durable exigent une approche concertée dont seuls les gouvernements peuvent prendre l’initiative et piloter la mise en œuvre. A cette fin, il importe plus que jamais que les parlements revendiquent la place qui leur revient légitimement dans les processus décisionnels, aux niveaux national et international. L’institution parlementaire occupe une place centrale dans l’édifice de la gouvernance démocratique et doit être renforcée un peu partout dans le monde; elle doit aussi disposer de moyens de contrôle renforcés et d’une autorité législative accrue. Plus précisément, des parlements forts auront un rôle central à jouer dans la poursuite des objectifs de développement durable. Ils devront notamment veiller à ce que les politiques et plans de développement soient élaborés à la faveur de processus participatifs et inclusifs et demander qu’on leur fasse rapport régulièrement sur l’état de réalisation. Le débat que nous venons d’exposer devra se poursuivre dans les parlements nationaux de manière à ce que les parlementaires puissent contribuer aux consultations mondiales envisagées dans le document issu de la Conférence de Rio, qui porte si bien son nom : "L’avenir que nous voulons".
|