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MESURES REQUISES POUR CHANGER LES MODES DE CONSOMMATION ET DE PRODUCTION EN VUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE
Declaration adoptée par la 97e Conférence interparlementaire
Au fil de ses évaluations du suivi de Rio, l'Union interparlementaire a été frappée de constater que le Sommet de la Terre avait engendré une prise de conscience générale des enjeux du développement durable mais que celle-ci ne s'était pas traduite par une amélioration de l'environnement à l'échelle de la planète, par une réorientation en profondeur du modèle dominant de développement ni par un recul des inégalités entre riches et pauvres à l'intérieur des pays et d'une région à l'autre du monde. L'Union interparlementaire met en garde contre un attentisme qui a déjà conduit à l'aggravation du constat fait à Rio et menace d'entraîner l'humanité vers sa destruction. Elle considère que la plus haute priorité doit être accordée à la préservation du partenariat mondial pour le développement durable et que, pour ce faire, les gouvernements, des pays du Nord comme du Sud, n'ont d'autre choix que d'honorer les engagements pris après mûre réflexion à Rio. Dans ce contexte, elle réaffirme avec force que l'octroi aux pays en développement de ressources financières prévisibles, nouvelles et additionnelles demeure l'un des éléments essentiels pour la réalisation d'un développement durable dans le monde. Cependant, considérant que les dimensions économique, sociale et environnementale de la notion de développement durable sont indissociables, elle est parfaitement consciente que l'apport financier ne saurait, à lui seul, être suffisant. Celui-ci doit s'accompagner d'une politique globale de nature à ancrer cette notion dans les comportements des citoyens. En outre, une telle politique présente l'avantage non seulement de mobiliser des ressources supplémentaires, mais également de réaliser des économies, par exemple en réduisant les dépenses consacrées à la réparation des dégâts causés par des modes de production et de consommation non durables. La question des modes de consommation et de production est au coeur de la problématique du développement durable: elle cristallise l'aspiration de tous les habitants de la planète à vivre dans les meilleures conditions et à léguer à leurs descendants un environnement qui leur permette de réaliser, eux aussi, cette légitime aspiration. Elle fait appel à la notion d'interdépendance, d'une part entre les générations et d'autre part entre les différents pays et régions du monde. Cette question fondamentale est au centre des préoccupations qui ont été à l'origine de la CNUED, à savoir:
A Rio, les États ont affirmé:
Sur la base de ce constat, les gouvernements se sont engagés, dans le cadre du principe de "responsabilité commune mais différenciée":
Depuis la CNUED et malgré les difficultés d'application des recommandations d'Action 21, des progrès ont commencé à se faire sentir:
Ces progrès constituent des signes encourageants mais largement insuffisants face à l'augmentation vertigineuse des besoins humains, due à un essor démographique insoutenable et à un modèle de développement fondé sur une exploitation déraisonnable des ressources naturelles. En effet, les plus éminents observateurs considèrent que le monde a atteint les limites des ressources disponibles pour satisfaire ces besoins. L'appauvrissement des sols, la raréfaction des ressources en eau, le déboisement de la planète, l'épuisement des océans, les rejets de gaz dans l'atmosphère, etc. compromettent gravement les chances de survie de l'humanité. Le nombre de zones où la nourriture manque est en augmentation, soit à cause de la baisse de la production, soit à cause de la hausse des prix des denrées alimentaires. La collision avec les limites du développement risque de se traduire par une déstabilisation majeure des sociétés car la crise écologique n'entraîne pas seulement la dégradation de l'environnement; c'est aussi un facteur de déclin économique et de désintégration sociale. Ainsi, dans de plus en plus de pays, les effets économiques de l'épuisement du capital naturel et de la pollution provoquent la diminution de la production, la perte d'emplois et la baisse des exportations. L'Union interparlementaire reconnaît cependant que l'on ne peut s'attendre à une transformation immédiate et radicale des comportements qui sont à l'origine d'une telle situation. Toutefois, repenser la société à la lumière des contraintes et des limites naturelles et revenir sur une conception du bien-être et de la prospérité partant du principe que les ressources naturelles sont gratuites et exploitables à l'infini doit s'inscrire dans un processus accéléré. Elle engage donc tous les acteurs - pouvoirs publics, entreprises, ONG, organisations internationales, universités (en particulier les milieux scientifiques), etc. - à encourager et à accompagner un tel processus. Elle invite instamment les gouvernements et les parlements à redoubler d'efforts pour adopter et mettre en oeuvre des politiques nationales et internationales qui favorisent réellement l'harmonisation des styles de vie avec les principes fondamentaux d'un développement durable, sans pour autant abaisser le niveau et la qualité de la vie. Elle rappelle à ce sujet la nécessité d'intégrer les considérations d'ordre écologique à tous les niveaux de la prise de décision économique en étudiant et en adoptant un train de mesures et d'instruments complémentaires tels que la suppression des subventions qui favorisent des modes de production dommageables pour l'environnement, l'internalisation des coûts écologiques, les éco-taxes, l'application du principe du "pollueur-payeur" ainsi que du principe de la récompense à qui ne pollue pas, la réalisation systématique d'études d'impact sur l'environnement, etc. Elle demande l'adoption au niveau international de mesures dûment coordonnées pour promouvoir une sensibilisation aux questions d'environnement dans le commerce international afin de prévenir les atteintes à l'environnement de même que l'importation et l'exportation de biens produits grâce à des technologies non respectueuses de l'environnement, sans introduire des obstacles non tarifaires aux échanges avec les pays en développement. Elle recommande aux gouvernements d'introduire ces mesures et instruments par étapes, après avoir mené une campagne de sensibilisation, et de prévoir une compensation financière pour les groupes vulnérables, les ménages et les petites et moyennes entreprises qui risquent de voir augmenter leurs coûts. Elle invite les responsables des politiques économiques et de l'aménagement du territoire à adopter le concept d'éco-espace afin que le potentiel de consommation des habitants d'une région donnée ne dépasse pas la capacité de charge des écosystèmes de cette région. Elle souligne l'intérêt du principe de l'éco-efficacité qui permet d'optimiser la productivité de l'énergie et des ressources consommées ou utilisées dans la fabrication des produits pour réduire la consommation de ressources ainsi que la pollution et le gaspillage. Elle insiste sur la nécessité de rationaliser les transports de passagers et de marchandises afin d'éviter l'augmentation du coût écologique et social qu'induisent les nouveaux modes de production et de vie. Elle invite les gouvernements à poursuivre leurs efforts dans ce sens en appliquant eux-mêmes systématiquement les critères d'éco-efficacité, entre autres, aux politiques d'achat et d'investissement du secteur public, de même qu'en incitant, par exemple, les ménages à intégrer ces critères à leurs stratégies de consommation et en encourageant les entreprises à les appliquer plus largement de façon à pouvoir "produire plus en polluant moins". Elle estime nécessaire que toutes les mesures et tous les instruments censés agir sur le comportement des consommateurs et des producteurs soient étudiés dans le cadre d'une étroite collaboration entre le secteur public et le secteur privé et que, pour en faciliter la mise en oeuvre, les ONG, les associations de consommateurs, les syndicats, et tous autres acteurs de la société civile soient associés à la réflexion. Elle appelle de ses voeux la mise en place d'un système clair et internationalement compatible d'information des consommateurs. Elle préconise la réalisation d'évaluations permettant de mesurer, d'une part, l'efficacité et, d'autre part, les incidences sur le développement économique de tous les instruments utilisés dans le but de susciter un changement des modes de consommation et de production. Les résultats de telles études devraient être rendus publics aux échelons national et international afin notamment de favoriser la mise en commun des données d'expérience. Elle enjoint aux gouvernements d'introduire la problématique du développement durable dans les programmes de l'ensemble du système éducatif afin, en particulier, de préparer les jeunes à adopter dans leur vie d'adulte des comportements radicalement différents et judicieux en la matière. Elle souligne qu'il appartient aux pays industrialisés de donner l'exemple à l'intérieur de leurs propres pays et régions et de transférer leur expérience aux pays en développement. Elle prie les pays développés de veiller tout particulièrement à ce que les exportations subventionnées à destination des pays en développement n'en compromettent pas l'économie fragile. En particulier, elle enjoint à tous les acteurs des pays industrialisés (entreprises publiques et privées, sociétés transnationales, organismes de développement, etc.) de ne transférer dans les pays en développement que des techniques et procédés industriels (y compris techniques et procédés de gestion et de traitement des déchets) respectueux de l'environnement. Elle insiste sur la nécessité d'instaurer une coopération efficace dans le domaine de la protection de l'environnement et, pour les pays voisins qui constituent un seul espace environnemental et économique, de coordonner les aspects environnementaux de leurs activités économiques, et prie instamment la communauté internationale, en particulier les gouvernements et les parlements, de décourager le transfert de déchets radioactifs dans d'autres pays lorsque la capacité de ces pays de traiter ces déchets nucléaires dans des conditions de sécurité n'a pas encore été vérifiée par des équipes internationales. Elle engage les pays développés à fournir aux pays en développement une assistance technique et financière leur permettant d'utiliser des technologies sans danger pour l'environnement, et exhorte les pays développés à honorer l'engagement qu'ils ont pris de consacrer 0,7 pour cent de leur PNB à l'aide publique au développement d'ici à l'an 2000, compte tenu de la nécessité d'éradiquer la pauvreté. Elle souligne que ces techniques et procédés devraient être axés sur la demande, écologiquement rationnels et adaptés aux besoins de leurs utilisateurs potentiels, compte tenu de la situation sociale, économique et culturelle ainsi que des priorités des pays bénéficiaires, la préférence étant donnée, lorsque cela est possible, aux technologies locales respectueuses de l'environnement qui sont de nature à favoriser un développement durable. Elle prie instamment tous les États, notamment les États industrialisés, de réaffecter les ressources initialement allouées à des objectifs militaires à des fins pacifiques, telles que la coopération au développement qui permettra aux peuples du monde en développement de mieux vivre. Elle appelle tous les parlementaires et tous les États à oeuvrer de concert pour la paix et la sécurité régionales et internationales, conditions indispensables à un développement véritablement durable. Enfin, elle rappelle que le développement durable passe par une amélioration des conditions et des politiques économiques et sociales, en particulier pour les femmes, et demande l'introduction de programmes en faveur des femmes visant à développer chez elles une prise de conscience pour qu'elles participent plus activement aux changements indispensables à l'élimination des modes de consommation et de production qui entravent le développement durable.
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