Logo de l'UnionUNION INTERPARLEMENTAIRE
PLACE DU PETIT-SACONNEX
1211 GENEVE 19, SUISSE

CAS Nº IDS/10 - SRI BINTANG PAMUNGKAS - INDONESIE

Résolution adoptée sans vote par le Conseil interparlementaire à sa 158e session
(Istanbul, 20 avril 1996)


Le Conseil interparlementaire,

saisi du cas de Sri Bintang Pamungkas, membre de la Chambre des représentants de l'Indonésie, qui a fait l'objet d'une étude et d'un rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires, conformément à la "Procédure d'examen et de traitement, par l'Union interparlementaire, de communications relatives à des violations des droits de l'homme dont sont victimes des parlementaires",

prenant note du rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires (CL/158/13a)-R.1), qui contient un exposé détaillé du cas,

tenant compte de la communication du Président de la Chambre des représentants datée du 26 mars et des renseignements donnés par la délégation de l'Indonésie à l'audition organisée à l'occasion de la 95e Conférence interparlementaire (Istanbul, avril 1996),

prenant en considération les informations communiquées par les sources les 15 février et 5 avril 1996,

considérant que Sri Bintang Pamungkas, membre de la Chambre des représentants de l'Indonésie (Dewan Perwakilan Rakyat, DPR), élu sous l'étiquette du PPP (Parti unité et développement) et connu pour ses prises de position très critiques vis-à-vis du gouvernement, se trouvait en Allemagne, où il donnait des conférences dans diverses universités, au moment où le Président Suharto était en visite dans ce pays; considérant aussi que, pendant le séjour de ce dernier à Hanovre et à Dresde, du 1er au 6 avril 1995, des manifestations ont eu lieu contre la politique de l'Indonésie en matière de droits de l'homme,

considérant que le Président Suharto à son retour en Indonésie le 13 avril 1995 aurait déclaré que son gouvernement sanctionnerait sévèrement les Indonésiens suspectés d'apporter des informations ou un soutien à des individus ou à des groupes établis à l'étranger qui participent à l'organisation de manifestations anti-indonésiennes,

considérant qu'à son retour en Indonésie, M. Pamungkas a été convoqué par la police pour être interrogé comme témoin, les 18 et 19 avril 1995, sur un cas de violation de l'article 134 du Code pénal indonésien, qui réprime "l'outrage ou l'atteinte à la dignité du chef de l'Etat",

considérant que, le 5 mai 1995, il a été convoqué de nouveau pour être interrogé, suspecté cette fois d'avoir enfreint les articles 104 (planification et organisation de l'assassinat du chef de l'Etat ou incitation d'un tiers), 131 (agression du chef de l'Etat à coups de pied ou de poing), 134 (insulte ou atteinte à la dignité du chef de l'Etat) et 137 (diffusion d'images ou d'écrits insultants pour le chef de l'Etat); considérant que les infractions à l'article 104 du Code pénal entraînent la peine capitale,

considérant qu'en juillet 1995 M. Pamungkas s'est vu reprocher non plus d'avoir participé à des manifestations anti-indonésiennes mais d'avoir délibérément insulté le Président Suharto à l'occasion d'une conférence donnée le 9 avril 1995 au Polytechnicum (Technische Hochschule) de Berlin,

considérant que, le 24 octobre 1995, M. Pamungkas a été accusé essentiellement d'avoir, lors de ce séminaire, traité le Président Suharto et l'ancien Président Soekarno de dictateurs violant la Constitution de 1945 et d'avoir déclaré que l'exécutif indonésien avait un pouvoir excessif,

considérant que le procès s'est ouvert le 20 octobre et que les sources s'attendent que le jugement soit rendu au début du mois de mai,

considérant que, selon la source, lorsque l'affaire de M. Pamungkas a commencé d'être instruite, la police n'avait même pas connaissance du séminaire qu'il avait animé à Berlin le 9 avril 1995, date à laquelle le Président Suharto avait déjà quitté l'Allemagne, et que c'est seulement après avoir abandonné, faute de preuves, les chefs d'inculpation au titre des articles 104, 131, 134 et 137 du Code pénal que l'accusation a incriminé des déclarations faites au cours de ce séminaire,

considérant que, selon la source, le principal élément de preuve est la transcription d'un enregistrement de 180 minutes du séminaire, lequel a duré près de sept heures; que les phrases incriminées ont été sorties de leur contexte, qu'elles sont incomplètes et difficilement compréhensibles; qu'en tout état de cause, les enregistrements sonores n'ont pas valeur probante dans le droit pénal indonésien,

considérant qu'à l'audition organisée à l'occasion de la 95e Conférence interparlementaire, la délégation de l'Indonésie a confirmé qu'en droit indonésien, les enregistrements sonores ne sont pas des preuves concluantes,

considérant que, selon la source, les témoins à charge qui avaient été contactés par le Consulat général de l'Indonésie à Berlin et que l'on aurait fait venir d'Allemagne par avion n'ont pas pu expliquer dans quel contexte les déclarations incriminées auraient été faites,

considérant que, pour sa défense, M. Pamungkas a expliqué que, comme il l'avait déjà fait souvent et à l'instar de beaucoup d'autres Indonésiens, il avait en effet critiqué le pouvoir excessif conféré à l'exécutif par la Constitution de 1945 et avait proposé d'en modifier l'article 7 pour limiter le nombre des mandats successifs d'un même Président,

considérant que, le 13 mars 1996, le Procureur général a requis contre M. Pamungkas une peine de quatre ans de prison; que pour sa défense, M. Pamungkas a déclaré notamment que son procès était d'ordre politique, et qu'il visait à faire taire un opposant au gouvernement, dans la perspective notamment des élections législatives de 1997 et des élections présidentielles de 1998,

considérant que, selon la source, M. Pamungkas a été interrogé sans que les conditions prévues dans la loi N° 13 de 1970 sur les mesures de police concernant les parlementaires soient remplies,

considérant qu'en février 1995, le parti de Sri Bintang Pamungkas, le PPP, a décidé de le destituer de son siège parlementaire, décision qui a pris effet le 8 mai 1995, après que le Président Suharto eut signé le décret officiel de destitution; que M. Pamungkas est cependant toujours membre du PPP,

considérant que, selon la source, la procédure de "révocation" du Parlement a été entachée de nombreuses irrégularités, étant donné, en particulier, que l'ordonnance la régissant n'existait pas encore, et que, d'une manière générale, la révocation d'un membre élu du Parlement par un parti est inconstitutionnelle,

considérant que Sri Bintang Pamungkas a porté plainte devant le Tribunal administratif contre le Président Suharto pour n'avoir pas suivi les procédures légales; que le Tribunal s'est déclaré incompétent et qu'un recours contre cette décision est en instance,

considérant qu'à l'audition organisée à l'occasion de la Conférence d'Istanbul, la délégation indonésienne a déclaré que, dans le système électoral indonésien, les gens votent pour l'emblème d'un parti et non pour tel ou tel candidat; que le droit de "révocation" appartient exclusivement au parti qui peut exclure celui de ses membres qui ne se conforme pas à son règlement et à sa politique, et que le décret présidentiel confirmant la décision du parti est une simple formalité,

considérant que, selon un membre de la délégation de l'Indonésie, qui est un des dirigeants du PPP, Sri Bintang Pamungkas a été mis en garde à plusieurs reprises ­ trois fois au cours de la seule année 1994 ­ contre toute déviation par rapport à la ligne du parti et contre la formulation de déclarations sans consultation préalable de celui­ci; qu'il a été invité maintes fois à s'expliquer devant les dirigeants du parti mais que, le plus souvent, il ne s'est pas présenté; que le parti a finalement décidé de l'exclure en février 1995; qu'après consultation du Président de la Chambre des représentants, la procédure de "révocation" a été engagée en mars 1995, avant les incidents survenus en Allemagne,

considérant que, selon la source, en mai 1992, alors que le parti faisait campagne pour le Président Suharto, candidat unique aux élections de 1993, M. Pamungkas a lancé l'idée de la présentation de plusieurs candidatures à ces élections; qu'en novembre 1993, il a été mis en garde pour avoir contesté l'idée du double rôle de l'armée; qu'il n'y a pas eu d'incident en 1994; qu'en février 1995, lors d'une conférence de presse, il a réagi aux propos du Ministre des Finances qui restreignait la liberté de la presse en mettant en garde certains journalistes contre toute confusion entre opinions et faits; que, moins d'une semaine plus tard, le parti a décidé de l'"exclure",

considérant que, selon la délégation, le parti était tenu de débattre de la "révocation" avec la présidence du Parlement ­ ce qu'il a fait ­, mais non d'entendre M. Pamungkas; que M. Pamungkas est encore membre de sa formation, car l'appartenance à un parti ne prend fin qu'en cas de démission, de décès ou de ralliement à un autre parti,

considérant qu'en vertu d'une décision prise par le Procureur général le 17 avril 1995, il est interdit à M. Pamungkas de voyager à l'étranger; que M. Pamungkas a fait appel de cette décision et qu'il a gagné son recours en première instance,

considérant que M. Pamungkas a également porté plainte contre la présidence de son parti et que cette affaire est en cours,

  1. remercie le Président de la Chambre des représentants et la délégation de l'Indonésie à la 95e Conférence interparlementaire de leurs observations, des informations qu'ils ont communiquées et de leur coopération;

  2. souligne que la révocation d'un parlementaire est une mesure grave qui le prive de la possibilité d'exercer le mandat que lui ont confié ses électeurs et qu'elle ne doit donc être prise que dans le strict respect de la loi et sur la base de motifs très graves;

  3. note avec regret que la loi indonésienne habilite les partis politiques à faire révoquer les représentants du peuple, compte tenu en particulier de la position constante du Conseil qu'une fois élus, tous les parlementaires tiennent leur mandat de la volonté populaire;

  4. considère qu'en prononçant les discours incriminés, tels qu'ils sont rapportés dans l'acte d'accusation, M. Pamungkas n'a fait qu'exercer son droit à la liberté d'expression, qui serait dénué de sens s'il ne comportait pas le droit, en particulier pour un parlementaire, de critiquer le pouvoir exécutif;

  5. note avec inquiétude que M. Pamungkas a été initialement convoqué et interrogé parce qu'il était suspecté d'avoir participé à des manifestations contre le Président Suharto; que lorsqu'aucune preuve de sa participation n'a pu être trouvée, les responsables de l'enquête, au lieu de classer l'affaire, ont incriminé le séminaire qu'il avait animé le 9 avril, et craint que cela dénote la volonté délibérée de le poursuivre;

  6. se déclare profondément préoccupé par le fait que la transcription d'un enregistrement sonore ­ qui, de surcroît, ne reproduit que trois heures d'un débat ayant duré près de sept heures ­ puisse être admise comme preuve contre une personne et relève que la délégation de l'Indonésie à la Conférence d'Istanbul a affirmé qu'en droit indonésien, les enregistrements sonores ne constituaient pas des preuves concluantes;

  7. se déclare préoccupé par les allégations selon lesquelles la convocation de M. Pamungkas comme témoin et suspect n'aurait pas été conforme aux procédures légales pertinentes;

  8. note que les plaintes relatives à ces affaires sont encore en instance devant le Tribunal administratif;

  9. prie le Secrétaire général de faire part de ces préoccupations au Président de la Chambre des représentants, en l'invitant à faire connaître tous faits nouveaux qui interviendraient dans cette affaire;

  10. prie le Comité des droits de l'homme des parlementaires de poursuivre l'examen de ce cas et de lui faire rapport à sa prochaine session (septembre 1996).


Droits de l'homme des parlementaires | Page d'accueil | Principaux domaines d'activités | Structure et fonctionnement