Logo de l'UnionUNION INTERPARLEMENTAIRE
PLACE DU PETIT-SACONNEX
1211 GENEVE 19, SUISSE

RAPPORT DE LA MISSION A ANKARA DU COMITE DES DROITS DE L'HOMME DES PARLEMENTAIRES CONCERNANT LE CAS DE

LEYLA ZANA
SELIM SADAK
SEDAT YURTDAS
HATIP DICLE
MEHMET SINCAR
MAHMUT ALINAK
AHMET TURK
ORHAN DOGAN
SIRRI SAKIK
IBRAHIM AKSOY
ANCIEN DEPUTE DE DIYARBAKIR
ANCIEN DEPUTE DE SIRNAK
ANCIEN DEPUTE DE DIYARBAKIR
ANCIEN DEPUTE DE DIYARBAKIR
ANCIEN DEPUTE DE MARDIN
ANCIEN DEPUTE DE KARS
ANCIEN DEPUTE DE MARDIN
ANCIEN DEPUTE DE SIRNAK
ANCIEN DEPUTE DE MUS
ANCIEN DEPUTE DE MALATYA

(11 ET 12 AVRIL 1996)


A. MANDAT ET DEROULEMENT DE LA MISSION

A sa 72e session, tenue à Genève du 22 au 26 janvier 1996, le Comité des droits de l'homme des parlementaires a exprimé le souhait de poursuivre avec les autorités turques, à l'occasion de sa 73e session qui se tiendrait lors de la 95e Conférence interparlementaire, à Istanbul, le dialogue qu'il avait engagé lors de la mission organisée en Turquie en janvier 1995 concernant les cas des parlementaires précités. Il a souligné l'importance qu'il attachait à l'organisation de rencontres avec les anciens parlementaires eux­mêmes. Il a indiqué que cette mission devrait avoir lieu de préférence avant la session qu'il tiendrait à Istanbul, c'est­à­dire les 11 et 12 avril 1996. Il a décidé que sa délégation se composerait de son Vice­Président, le sénateur Hugo Batalla, et de M. Clyde Holding, qui seraient accompagnés de la Secrétaire du Comité, Mme Schwarz, et de deux interprètes.

Le 6 mars, les autorités turques ont accepté l'envoi de la mission, qui a donc eu lieu les 11 et 12 avril 1995.

La délégation a pu rencontrer le Ministre de la Justice, M. Mehmet Agar. La réunion qui devait avoir lieu avec le Président du Groupe national turc, M. Irfan Köksalan, n'a pas pu être organisée, ce dernier étant retenu par des obligations associées à la tenue de la 95e Conférence interparlementaire à Istanbul; elle s'est déroulée, en définitive, pendant la session que le Comité a tenue à l'occasion de la 95e Conférence. La rencontre souhaitée avec le Ministre ou Secrétaire d'Etat aux droits de l'homme n'a pas eu lieu car le nouveau Gouvernement turc ne compte aucun ministre exerçant des fonctions de cette nature.

La délégation a pu s'entretenir en outre avec les personnalités suivantes :

  • Mme Leyla Zana et MM. Hatip Dicle, Orhan Dogan, Selim Sadak et M. Ibrahim Aksoy à la prison d'Ulunçalar (prison de sûreté de l'Etat à Ankara)
  • MM. Ahmet Türk et Sirri Sakik
  • M. Yusuf Alatas, avocat des anciens députés
  • Mme Cihan Sinçar.

La délégation souhaite remercier les autorités turques de lui avoir permis de mener à bien sa visite. Elle sait gré en particulier au Ministre de la Justice et au Président du Groupe national turc de lui avoir fait part de leurs vues. Elle est particulièrement sensible au fait d'avoir été autorisée à s'entretenir sans témoin, pendant un laps de temps suffisant, avec les anciens députés emprisonnés.

B. RESUME DES ENTRETIENS

1. Ministre de la Justice

La délégation a tout d'abord rappelé les préoccupations de l'Union interparlementaire et du Comité quant à la situation des parlementaires précités, notamment en ce qui concerne leur expulsion du Parlement et la dissolution de leur parti. La délégation a souligné que les inquiétudes de l'Union interparlementaire sont partagées par l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. La Commission européenne des droits de l'homme étant actuellement saisie du cas de quatre anciens députés (Mme Zana et MM. Dicle, Dogan et Sadak), la délégation a demandé s'ils pourraient être libérés dans l'attente de l'issue de la procédure en cours devant cette instance internationale. Elle s'est également informée de l'état de l'enquête sur le meurtre de M. Sinçar, survenu en septembre 1993. Enfin, elle a exprimé le souhait de pouvoir s'entretenir librement avec les anciens députés emprisonnés.

En réponse à ces observations, le Ministre a souligné que la magistrature turque est indépendante et qu'aucune autorité, pas même le gouvernement, ne peut contester ses décisions. A cet égard, il a déclaré que les juges turcs sont les "fonctionnaires les plus sûrs". Il regrettait, a­t­il dit, que les anciens députés fussent en prison, mais les parlementaires, qui élaborent les lois, doivent savoir qu'il leur faut respecter le droit. Il a ajouté : "nous souhaiterions que les armes à feu ne servent pas et que les gens cessent de s'écarter du droit chemin". A ce sujet, il a déclaré que les organismes légalement constitués ne posaient aucun problème : "Les gens devraient exprimer leurs vues démocratiquement; la Constitution leur permet de le faire dans le cadre de la vie politique."

Le Ministre a également évoqué l'offensive militaire menée dans le sud­est de la Turquie, indiquant qu'il régnait à ce sujet des idées fausses : il était indispensable de prendre des mesures militaires car un pays démocratique devait protéger ses ressortissants et préserver l'indivisibilité de son territoire. Aucun pays ne pouvait tolérer les attaques armées. Le Ministre a souligné la position géostratégique de la Turquie et l'importance de la paix dans la région pour la paix en Europe. Le gouvernement ne ménageait aucun effort pour résoudre le problème. La Turquie avait choisi : elle voulait être pleinement intégrée à l'Europe en tant qu'Etat démocratique et laïc. Le Ministère de la Justice s'employait à élaborer une nouvelle législation qui réponde aux normes européennes et soit de nature à améliorer la situation.

Ce n'était pas un problème de maintien de l'ordre qui se posait dans le sud­est du pays; c'était un problème de caractère économique et social. Un programme de réformes économiques y avait été entrepris; ainsi, l'un des plus importants projets hydroélectriques du pays y était en voie de réalisation. La croissance économique permettrait à terme de résoudre bon nombre des problèmes qui s'y posaient. Il fallait être patient et lutter avec persévérance pour la réalisation des droits de l'homme. Il fallait trouver une solution à laquelle les habitants de la région soient partie prenante.

En réponse à la question de la délégation concernant l'éventualité d'une libération des anciens députés dans l'attente de l'issue de la procédure en cours à la Commission européenne des droits de l'homme, le Ministre a fait savoir que cette libération était impossible aux termes de la législation en vigueur. Toutefois, les intéressés avaient toute latitude de préparer leur défense.

Au sujet de l'avancement de l'enquête sur le meurtre de M. Sinçar, le Ministre a indiqué que son auteur avait été identifié. Il appartenait au mouvement intégriste du Hezbollah et vivait actuellement en Iran.

Après avoir autorisé la délégation au complet, accompagnée de la Secrétaire du Comité et de l'aide de camp de M. Batalla, à rencontrer les anciens députés dans leur prison, le Ministre a fait savoir qu'elle pourrait s'entretenir librement avec eux. Il a souligné qu'il s'agissait là d'une autorisation spéciale, étant donné que normalement seuls les membres de leur famille sont autorisés à visiter les prisonniers.

2. Entretien avec le Président du Groupe national turc, M. Irfan Köksalan

Pour les raisons indiquées plus haut, la rencontre avec le Président du Groupe national turc s'est déroulée pendant la session que le Comité a tenue à l'occasion de la 95e Conférence interparlementaire (Istanbul).

La délégation a tout d'abord tenu à exprimer clairement son rejet du terrorisme. Elle a ensuite fait valoir que les anciens députés étaient tenus, en vertu de leur mandat, de se faire les porte-parole de leurs électeurs et, en leur qualité de représentants du sud-est de la Turquie, de soulever les problèmes intéressant cette région au sein du Parlement, qu'ils considéraient comme l'enceinte appropriée pour l'élaboration d'une solution politique au conflit. La délégation a également souligné qu'à son avis les nationaux turcs d'origine kurde devraient avoir la pleine jouissance de leurs droits culturels et pouvoir transmettre leur langue et leur culture à leurs enfants. Elle a fait valoir que de telles exigences n'étaient pas assimilables à des revendications séparatistes : une solution politique à la "question kurde" ne pourrait être trouvée qu'à travers des négociations menées avec des parlementaires de souche kurde démocratiquement élus. Cette condition, a fait observer la délégation, serait difficile à remplir si les participants potentiels à de telles négociations étaient la cible d'une répression très sévère.

Le Président du Groupe national turc a indiqué que dix ans auparavant, il n'y avait pas de problème kurde. C'était seulement avec la naissance du PKK que les difficultés avaient commencé à surgir. Il a souligné que, depuis toujours, le tiers environ des membres de la GANT étaient d'origine kurde, qu'aux dernières élections il avait fait campagne aux côtés de personnalités de souche kurde et que 7 des 32 ministres du gouvernement en place étaient d'origine kurde. "Nos nationaux d'origine kurde, a­t­il précisé, ne sont pas une minorité." Il n'y avait aucune différence entre eux et lui. Ils pouvaient exercer leurs droits politiques et économiques et jouissaient de tous leurs droits culturels. Ils pouvaient porter leurs couleurs, mais non au Parlement. Aucun habitant du pays n'était poursuivi s'il parlait le kurde. Les Kurdes pouvaient se marier selon leurs traditions et célébrer la fête du Newroz; en une occasion, l'ancien Premier Ministre, Mme Ciller, l'avait même célébrée en leur compagnie. Il y avait, à propos des notions de minorité et de droits culturels, une confusion d'ordre conceptuel.

Le Président du Groupe national turc a évoqué ensuite la cérémonie de prestation de serment organisée lors de la première séance du Parlement consécutive aux élections de 1991. Les députés concernés, a­t­il dit, étaient tous arrivés portant sur eux, d'une manière ou d'une autre, les couleurs kurdes; ils avaient prêté serment en kurde et c'est seulement après avoir été mis en garde par le Président, doyen des parlementaires et lui­même d'origine kurde, qu'ils avaient prononcé leur serment en turc. C'était le Parti social­démocrate présidé par M. Inönü qui leur avait permis d'entrer au Parlement. Le Président du Groupe national turc avait pu mesurer la contrariété et l'humiliation éprouvées par M. Inönü ce jour­là. Mais cela ne suffisait pas à justifier que l'on poursuive ou que l'on arrête ces parlementaires.

Le Président du Groupe national turc a déclaré que les membres de la GANT ­ qui étaient 450 à l'époque et 540 aujourd'hui ­ étaient d'abord les représentants de la nation tout entière et ensuite ceux de leur région. Il venait quant à lui des zones rurales de la région d'Ankara et savait que le sud­est recevait une assistance économique bien supérieure à celle accordée à d'autres régions de la Turquie alors que, par suite des activités terroristes du PKK, des machines étaient détruites, des écoles incendiées et des enseignants tués. Dans sa circonscription, chaque jour, un officier ou un soldat perdait la vie dans ce conflit. Aux funérailles, les sympathisants du PKK eux­mêmes criaient à l'intention de ses responsables : "Le PKK est au Parlement."

Les députés concernés étaient le plus souvent absents du Parlement. Le règlement voulait que le parlementaire ayant manqué cinq séances en un mois soit interrogé par le Président; ce dernier n'avait cependant pas exercé ce droit. Une minorité seulement d'entre eux assistaient aux séances, posaient des questions au gouvernement et formulaient des propositions à son intention. Les ministres répondaient et le désordre s'installait, les députés en venaient aux mains, au point qu'il fallait parfois que les ministres eux­mêmes les séparent. Telles étaient les difficultés rencontrées au Parlement.

Puis la justice avait pris l'affaire en mains. Il ne s'agissait pas d'une simple question politique : c'était la survie de la Turquie qui était en jeu, c'était à un séparatisme attisé de l'extérieur que l'on était confronté. La justice s'était prononcée. L'affaire était maintenant devant la Commission européenne des droits de l'homme. Signataire de la Convention européenne des droits de l'homme et des dispositions relatives aux plaintes individuelles, la Turquie était liée par toute décision de la Cour européenne des droits de l'homme et la respecterait : "La Turquie fera tout ce qu'il faudra compte tenu de son appartenance à cette organisation."

Enfin, le Président du Groupe national turc a souligné, en réponse à une question, que le prononcé de peines différentes à l'égard des parlementaires concernés ­ tous poursuivis à l'origine pour trahison et séparatisme, crimes entraînant la peine capitale ­ illustrait de manière patente l'indépendance de la magistrature turque, dont les décisions se fondaient exclusivement sur des preuves solides.

3. Entretiens avec les anciens parlementaires

a) Entretien avec les anciens parlementaires détenus

La délégation a pu s'entretenir sans témoin avec Mme Leyla Zana et MM. Hatip Dicle, Orhan Dogan, Selim Sadak et Ibrahim Aksoy à la prison d'Ulunçalar (prison de sûreté de l'Etat d'Ankara ?) de 11 heures à 14 heures environ. La rencontre s'est déroulée dans une petite cour adjacente à la cuisine que les anciens députés sont autorisés à utiliser. La délégation n'a pas vu les cellules qu'ils partagent. Elle a été informée que Mme Zana est placée dans un autre quartier de la prison.

La délégation s'est enquise en particulier de leurs conditions actuelles de détention et leur a demandé quelle pourrait à leur avis être l'issue des procès encore en instance.

Conditions de détention

Les anciens députés ont déclaré qu'ils n'avaient pas à se plaindre particulièrement de leurs conditions de détention. Ils passaient la majeure partie de la journée à l'intérieur de leur cellule et quelques heures à l'extérieur, dans la cour. Ils étaient autorisés à acheter des denrées alimentaires et à les cuisiner. Ils pouvaient recevoir une visite de leur famille chaque semaine, mais au parloir. Mme Zana a indiqué que son mari avait été libéré en janvier et qu'il vivait maintenant en Angleterre. Ses deux enfants se trouvaient en France. En une occasion, alors que son fils aîné était venu lui rendre visite, il avait été détenu pendant un certain temps sans qu'elle en sût la raison. Elle n'était pas autorisée à téléphoner à ses enfants ni à son mari. Aucun des députés n'avait la permission de téléphoner.

Les anciens parlementaires ont souligné que leurs conditions de détention étaient devenues acceptables et ont rappelé à ce sujet qu'ils avaient été placés, pendant les cinq premiers mois et demi de leur incarcération, dans une cellule de 30 mètres carrés sans aucune des commodités (toilettes et cuisine) dont ils bénéficiaient actuellement. Si leurs conditions de détention avaient changé, cela était dû uniquement aux pressions internationales et en particulier à l'intervention d'un conseiller de M. Clinton.

Observations concernant l'action judiciaire passée et la procédure en cours à la Commission européenne des droits de l'homme

Au sujet de l'issue éventuelle des actions judiciaires encore en instance, les anciens parlementaires ont commencé par évoquer l'atmosphère dans laquelle s'était déroulé leur procès; ils ont souligné que, de leur élection en 1991 à la fin de leur procès et même au­delà, ils avaient été la cible d'une campagne orchestrée par le gouvernement. Ils avaient été qualifiés de terroristes et de meurtriers, et accusés de vouloir la scission de l'Etat. Avant même que leur procès ne s'ouvre, ils étaient déjà jugés.

Cela aurait suffi en soi à rendre leur procès inéquitable. Mais, de surcroît, aucune preuve n'avait été produite à l'appui des allégations énoncées par la Cour, qui ne s'était pas non plus intéressée aux éléments présentés par la défense. Les accusations étaient liées exclusivement à des actions et des déclarations politiques ainsi qu'à des opinions exprimées au Parlement. L'Etat savait parfaitement bien que le DEP et les anciens députés n'avaient aucun lien organique avec le PKK. De plus, le jugement n'avait pas été prononcé par une instance indépendante puisque l'une des trois personnes qui composaient la Cour était un officier de l'armée. Les anciens parlementaires ont précisé à ce sujet que le nouveau Ministre de la Justice avait fait connaître son intention de rétablir 63 tribunaux de cette nature. Ils ont ajouté que la plupart des témoins à charge étaient des membres de forces de garde villageoises, composées de "repentis". L'un d'eux avait tué huit soldats et un procureur. Alors qu'il avait été condamné à la prison à vie, il avait été libéré sur l'intervention du premier ministre de l'époque. En réponse à une question, les anciens parlementaires ont indiqué que la Cour avait refusé de tenir compte des enregistrements d'écoutes téléphoniques qui avaient été produits comme pièces à conviction. Ils ont également souligné que l'arrêt de la Cour de cassation avait été annoncé à la télévision par le chef des forces armées, le général Dures. Ils ont enfin signalé qu'ils avaient été victimes d'un traitement discriminatoire : alors que les meurtriers de 37 personnes tuées à Sivas en juillet 1993, également condamnés à 15 ans de prison, avaient été libérés après 4 années seulement, ils avaient pour leur part encore 9 années de leur peine à purger.

A leur avis, l'Etat, en engageant des poursuites contre eux cherchait à intimider les futurs candidats de la région à la GANT. Il voulait aussi les empêcher de faire connaître à l'opinion nationale et internationale, à travers leurs activités de parlementaires, le comportement antidémocratique de l'Etat.

S'agissant de la procédure devant la Commission européenne des droits de l'homme, les anciens parlementaires ont indiqué que la Commission avait déclaré l'affaire recevable à la fin de février 1996. Le Gouvernement turc était maintenant tenu de communiquer ses observations dans un délai de 90 jours. Ils pensaient que la Commission, dont les décisions ne s'imposaient pas aux parties, suggérerait un accord de gré à gré, que le Gouvernement turc n'accepterait pas cette suggestion et que l'affaire serait donc portée devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Observations générales concernant la "question kurde"

Les anciens parlementaires ont réaffirmé que, depuis 70 ans, l'Etat turc n'était pas parvenu à résoudre la question kurde. Il menait une politique d'assimilation. Si un Kurde de Turquie disait être turc, il ne rencontrait aucune difficulté et pouvait même devenir ministre. En revanche, s'il disait être kurde et voulait se prévaloir des droits découlant de la législation nationale et des normes internationales, il était considéré comme coupable. Les Kurdes n'étaient autorisés ni à utiliser leur langue, ni à avoir leur vie culturelle, ni à revendiquer leur histoire, ni à exercer leurs droits politiques. Ces dernières années, les partis politiques créés par les Kurdes, tels le HEP, le OZDEP, le DEP et DDP, avaient été interdits parce qu'ils soulevaient publiquement la question kurde. Le HADEP, qui avait fait suite au DEP, subissait de fortes pressions et était menacé de dissolution. Plus de 100 dirigeants de tous ces partis avaient été assassinés sans que jamais leurs meurtriers ne fussent identifiés. Les Kurdes n'étaient pas autorisés à créer des associations. Chaque fois qu'ils cherchaient à affirmer leur identité, ils étaient traités de séparatistes. Le PKK était le pur produit de cette politique. S'il y avait eu un dialogue, le PKK n'aurait pas existé. Il n'aurait pas davantage existé s'il n'avait pas bénéficié d'un soutien de la population. Le PKK était la frange la plus extrémiste de la population kurde en lutte pour parvenir à se faire reconnaître.

Les anciens parlementaires ont indiqué que, lorsqu'ils avaient été élus, les couleurs kurdes (rouge, vert et jaune) avaient été interdites dans la région, un décret spécial ordonnant d'utiliser le bleu au lieu du vert pour les feux de signalisation. Les députés avaient fait entrer les couleurs kurdes au Parlement simplement par le biais de leur tenue vestimentaire et la propagande avait proclamé que des parlementaires turcs avaient porté le drapeau kurde au Parlement.

La politique de l'Etat à l'égard des Kurdes était faite de violence. Depuis cinq ans, 3.000 villages kurdes avaient été incendiés et 4.000 civils avaient été tués. La guerre livrée dans le sud­est du pays absorbait 53 pour cent du budget national.

Le nouveau Premier Ministre, M. Yilmaz, avait déclaré qu'aucun problème ne pourrait être résolu tant que la question kurde ne le serait pas. Des doutes subsistaient toutefois sur ses intentions puisque la politique d'assimilation se poursuivait.

Revendications politiques

S'agissant des revendications politiques des anciens députés, Mme Leyla Zana a indiqué qu'ils ne remettaient pas en cause les frontières de la Turquie : "Au temps de la mondialisation, pourquoi voudrions­nous nous enfermer dans un petit Etat ?" Ce qu'ils souhaitaient, c'était un système fédéral, analogue à celui de la Belgique. La Constitution devait être modifiée de manière qu'à l'intérieur de ce système les Kurdes soient reconnus. Les enfants kurdes devraient avoir le droit d'apprendre leur langue. Leurs droits culturels devraient être reconnus; les Kurdes devraient être représentés comme tels au Parlement. Ils devraient avoir le droit de créer des partis et des associations; les pouvoirs locaux devraient être renforcés; les gouverneurs et les chefs locaux de la sécurité devraient être élus. Il devrait être possible de dire, sans aller pour autant en prison : "Je suis de nationalité turque, mais j'appartiens à un autre groupe ethnique."

Situation de M. Aksoy

M. Aksoy a déclaré qu'il avait été condamné en vertu de l'article 8 de la loi antiterrorisme pour ses propos et ses écrits. Il avait été condamné par les Cours de sûreté de l'Etat de Konya et d'Istanbul. La Cour de Konya l'avait condamné à 20 mois d'emprisonnement et celle d'Istanbul à 24 mois. Le 17 novembre 1995, alors qu'il purgeait sa peine, l'arrêt de la Cour de Konya avait été révisé par suite de la modification de l'article 8, et sa condamnation avait été ramenée à 10 mois. Le 30 novembre 1995, la Cour d'Istanbul avait révisé son premier arrêt : elle avait conclu que cet arrêt n'était plus applicable et que M. Aksoy devait être libéré. Ainsi, deux jugements différents, fondés sur la même loi, avaient été prononcés à son endroit.

M. Aksoy a évoqué l'une des déclarations qui lui étaient reprochées. En sa qualité de secrétaire général du HEP, à l'époque où il était député, il avait dit dans un discours prononcé à Konya, que le HEP était le parti des opprimés. Comme on lui demandait si le HEP était donc le parti des Kurdes, il avait répondu : "Si les Kurdes sont opprimés, notre parti est aussi celui des Kurdes."

b) Entretien avec MM. Türk et Sakik

MM. Türk et Sakik ont tenu des propos analogues à ceux de leurs collègues : ils n'avaient pas l'intention de diviser le pays; ils luttaient pour la reconnaissance de la langue, de la culture et de l'identité kurdes; ils n'appartenaient à aucune organisation armée et avaient toujours condamné la violence.

Ils ont souligné en particulier qu'ils étaient à l'origine huit parlementaires à être tous accusés du même crime de séparatisme et de trahison, et que le ministère public avait requis la peine capitale. Finalement, quatre d'entre eux avaient été condamnés à 15 ans de prison et quatre à 14 mois, bien que leur situation et les éléments retenus contre eux fussent analogues. Ainsi, ils avaient tous signé l'appel adressé au Bureau de l'ONU à Ankara. De l'avis de MM. Türk et Sakik, cela illustrait bien la nature purement politique du jugement.

MM. Türk et Sakik ont souligné que depuis la naissance de l'Etat turc aucune décision politique n'avait été prise sans l'approbation de l'armée. Aucune proposition du Conseil national de haute sécurité n'avait jamais été repoussée.

En dépit des pressions et des menaces dont ils étaient l'objet, MM. Türk et Sakik s'étaient tous deux présentés aux élections de 1995. Bien qu'il eussent été empêchés de faire campagne, ils avaient tous deux recueilli la majorité des voix dans leurs circonscriptions respectives. M. Sakik avait essuyé des coups de feu lors de sa première tournée dans sa circonscription, ce qui l'avait décidé à ne pas y retourner. M. Türk avait décidé de ne pas se rendre dans sa circonscription lorsqu'il avait appris qu'on avait menacé les villageois de mettre le feu aux villages s'ils votaient pour lui. Ils ont tous deux souligné qu'en dépit de ces obstacles, leur parti avait obtenu la majorité dans la région.

4. Entretien avec M. Yusuf Alatas, avocat des anciens députés autres que M. Aksoy

M. Alatas a déclaré que, le 17 janvier 1996, tous les recours internes ayant été épuisés, il avait porté les jugements prononcés contre Mme Zana et MM. Dicle, Dogan et Sadak à l'attention de la Commission européenne des droits de l'homme. Sa demande se fondait sur les articles 3 (droit de ne pas être soumis à la torture ni à des mauvais traitements), 5 (droit à la liberté et à la sécurité de la personne), 6 (droit à un procès équitable), 9 (liberté de pensée), 10 (liberté d'expression), 11 (liberté d'association) et 14 (non­discrimination) de la Convention européenne des droits de l'homme. Il a souligné que la Turquie avait adhéré à la procédure relative aux plaintes individuelles et accepté la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme en 1987. Elle était donc tenue de se conformer aux décisions de la Cour, qui s'imposaient aux parties. Mais, abstraction faite des pressions politiques, et notamment de celles des pays du Conseil de l'Europe, aucun mécanisme n'obligeait la Turquie à donner effet à une décision de la Cour. De l'avis de M. Alatas, si les parlementaires concernés étaient libérés par suite d'une décision de la Commission ou de la Cour européennes, cela constituerait un encouragement pour tous ceux qui croyaient à la nécessité d'un changement.

A propos du procès de MM. Türk, Yurtdas, Alinak et Sakik, M. Alatas a fait savoir à la délégation qu'à une audience tenue le 11 avril au matin, la Cour avait prononcé son jugement, condamnant les quatre anciens députés à 14 mois de prison et à une amende, en vertu de l'article 8 de la loi antiterrorisme. Toute condamnation en application de cet article à une peine supérieure à 12 mois de prison entraînait la perte définitive des droits politiques et du droit d'exercer certaines professions, comme celle d'avocat. Il s'ensuivait que les condamnés, privés de leurs droits politiques pour le reste de leur existence, ne pouvaient plus se présenter aux élections, et que MM. Alinak et Yurtdas, qui étaient avocats, ne pourraient plus jamais exercer leur profession. A ce propos, M. Alatas a signalé que la Cour avait le droit de réduire les peines d'un sixième. Si elle avait usé de ce droit, les anciens députés auraient été condamnés à moins de 12 mois et auraient donc conservé leurs droits politiques. M. Alatas compte se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la Cour.

M. Alatas a extrait des comptes­rendus d'audience deux déclarations jugées répréhensibles de MM. Türk et Sakik, dans lesquelles tous deux soulignaient qu'ils acceptaient le principe de l'intégrité et de l'indivisibilité de l'Etat turc. (M. Sakik : "Le pays est pour moi une unité où la coexistence est possible, un pays où chacun peut vivre dans des conditions démocratiques, et nous voulons que ce soit possible pour tout le monde. Je veux vivre dans l'unité et la coexistence pacifique avec les Turcs." M. Türk : "Je crois que le problème kurde peut être débattu dans un contexte démocratique et que nos relations peuvent être pacifiques. Je l'ai dit à maintes reprises dans mes discours : si nous sommes incapables de dialoguer, aucune solution ne sera trouvée et la Turquie est promise à un sombre avenir."

M. Alatas a indiqué également que la Cour avait considéré comme répréhensibles un appel signé en 1992 par de nombreuses personnalités ­ au nombre desquelles figuraient les parlementaires concernés ­ et adressé au Bureau de l'ONU à Ankara pour lui demander de contribuer à mettre un terme à l'état d'urgence dans le sud­est de la Turquie, ainsi qu'un appel lancé à l'OSCE à propos des incendies de villages.

Au sujet de l'administration de la preuve par la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara, M. Alatas a dit à la délégation que, la Cour ayant demandé à entendre deux témoins qui étaient incarcérés, sa demande avait été rejetée par les autorités de la prison, qui avaient déclaré que les deux détenus étaient partis "en mission spéciale".

Il a également évoqué le texte du jugement concernant M. Alinak, dans lequel la Cour affirmait que la langue kurde n'existe pas. "Si l'on retranchait du kurde tous les mots turcs, il ne resterait pas plus de 250 mots."

M. Alatas a également exprimé son inquiétude quant à la nomination de M. Agar comme Ministre de la Justice. M. Agar avait été par le passé directeur de la police et de la sécurité; il était responsable à ce titre de dénis de justice, notamment dans le cas des nombreux assassinats de dirigeants de partis kurdes. M. Alatas a déclaré redouter un durcissement des conditions de détention de Mme Zana et des autres députés et craindre que les anciens parlementaires ne soient séparés et transférés dans des prisons à travers tout le pays.

5. Entretien avec Mme Cihan Sinçar

Mme Sinçar a déclaré que son mari avait été élu député de Mardin en 1991. A l'origine, la population avait demandé au père de M. Sinçar de se présenter aux élections; il avait refusé en raison de son âge et demandé à son fils de se porter candidat. Le mari de Mme Sinçar, qui voulait servir les intérêts de ses électeurs, avait évoqué à la GANT les incendies de villages, les assassinats et les destructions de bétail. Vingt jours avant sa mort, la police était venue à trois reprises au domicile de son père, où Mme Sinçar vivait à l'époque en compagnie de ses trois enfants, et avait fouillé la maison. La troisième fois, les policiers avaient emmené le père de M. Sinçar, qui avait alors 80 ans, au commissariat et lui avaient enjoint de dissuader son fils, alors à Ankara, de revenir dans la région. Ils lui avaient dit que son fils connaîtrait le même sort que ses deux frères, qui avaient adhéré au PKK et avaient tous deux été tués. La police avait relâché le père de M. Sinçar après l'avoir gardé pendant sept jours.

Lorsque deux membres du HEP avaient été abattus à Batman, M. Sinçar avait décidé de se rendre dans cette ville. Il était d'abord allé à Diyarbakir en compagnie d'un ami, qui était le frère de l'une des personnes tuées. Celui­ci avait été emmené par des policiers qui attendaient les deux hommes à leur descente d'avion. Les policiers étaient accompagnés d'un "repenti". M. Sinçar s'était alors rendu au poste de police pour savoir ce qu'il était advenu de son ami. Là il avait vu le même "repenti" en compagnie d'un collègue. Le lendemain matin, il s'était rendu à Batman. Il avait téléphoné à sa femme et lui avait indiqué son propre numéro de téléphone; cela avait été leur dernière conversation. Vers 17 heures, la femme de M. Ahmet Türk avait appelé Mme Sinçar pour l'informer que son mari avait été tué. Mme Sinçar a déclaré que son mari avait reçu dix balles alors qu'il se trouvait dans l'une des principales rues de la ville; il était resté pendant près d'une demi­heure étendu sur le trottoir. Des témoins oculaires avaient rapporté qu'il avait été abattu par quatre hommes masqués dont l'un s'était approché de très près. L'autopsie avait révélé que l'un des coups de feu avait été tiré à une distance de cinq centimètres seulement. Mme Sinçar a souligné que, bien que le meurtre eût été commis au grand jour en un lieu où les policiers sont généralement nombreux en raison de l'état d'exception qui règne dans la région, et bien qu'il y eût un poste de police à 100 mètres du lieu du crime, aucun policier n'était à proximité lorsque son mari avait été tué. Elle­même s'était rendue auparavant à Batman : elle avait été immédiatement entourée de policiers.

Mme Sinçar a déclaré que depuis trois ans elle n'avait eu aucun renseignement sur l'enquête relative au meurtre de son mari. Elle ne pensait pas que l'auteur en fût un membre du Hezbollah; cette organisation avait expressément nié toute participation à l'affaire.

Au sujet des indemnités financières, Mme Sinçar a indiqué que pendant un an, elle n'avait rien reçu. Elle percevait à l'heure actuelle 20 millions de livres turques (275 dollars des Etats­Unis) par mois. Elle n'avait droit à aucune pension de retraite. Le directeur de la Caisse des pensions de la GANT lui avait dit qu'elle n'avait droit à aucune prestation car son mari avait exercé la députation pendant moins de deux ans et qu'aucune dérogation particulière n'avait été accordée par le président de la GANT.

Mme Sinçar a fait savoir qu'elle s'était présentée aux élections de décembre 1995 sous l'étiquette du HADEP, malgré les nombreuses menaces de mort qu'elle avait reçues. Elle avait recueilli la majorité des suffrages à Mardin. Compte tenu, cependant, du seuil de 10 pour cent applicable au niveau national, elle n'avait pas pu entrer au Parlement. Elle exerce maintenant d'importantes fonctions au sein du HADEP.

6. Observations finales de la délégation, approuvées par le Comité des droits de l'homme des parlementaires

1. Le Comité des droits de l'homme des parlementaires apprécie à sa juste valeur le fait que les conditions de détention soient acceptables et que les anciens parlementaires eux­mêmes les considèrent comme satisfaisantes. Il relève néanmoins avec inquiétude que Mme Zana, dont la famille vit maintenant à l'étranger, n'est pas autorisée à téléphoner à ses enfants et qu'en une occasion, un de ses fils qui était venu la voir à la prison, a été brièvement détenu, sans qu'elle sache pourquoi. Le Comité espère vivement que les membres des familles des députés qui exercent leur droit de les visiter ne subiront aucune mesure d'intimidation et que des moyens seront trouvés de permettre à Mme Zana de demeurer en contact avec ses enfants, ne serait­ce que par téléphone.

2. Le Comité a noté avec un vif intérêt que, selon le Ministre de la Justice, les organismes légalement constitués ne posent aucun problème et que : "Les gens devraient exprimer leurs vues démocratiquement; la Constitution leur permet de le faire dans le cadre de la vie politique." A cet égard, il souligne que les anciens députés du DEP ont été élus démocratiquement, que trois d'entre eux qui ont pu se représenter aux élections de décembre 1995 ont recueilli de nombreux suffrages dans leurs circonscriptions respectives, en dépit des nombreux obstacles à leur campagne. Le Comité note que les anciens députés n'appartenaient à aucune organisation séparatiste et reconnaissent leur citoyenneté turque. Le Comité estime que les anciens députés exprimaient démocratiquement leurs vues et celles de leurs électeurs. Il se demande donc quelle pourrait être pour les autorités turques la forme d'expression démocratique à laquelle elles se réfèrent, qui permettrait aux nationaux turcs d'origine kurde de soulever et de débattre les questions relatives à l'affirmation de l'identité culturelle kurde et aux excès auxquels donnent lieu les opérations militaires menées dans le sud­est de la Turquie.

3. Les inquiétudes du Comité quant à l'équité de la procédure, notamment en ce qui concerne le droit de la défense d'exposer ses arguments et l'administration de la preuve, n'ont pas été dissipées. Le Comité relève cependant que la Commission européenne des droits de l'homme est actuellement saisie des cas de Mme Zana et de MM. Dicle, Dogan et Sadak. Il prend acte à cet égard de la position sans équivoque du Président du Groupe national turc concernant l'obligation de la Turquie de se conformer à toute décision de l'instance mise en place au titre de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Comité prend note également de la décision N° 40/1995 du Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme de l'ONU sur les détentions arbitraires, qui a déclaré arbitraire la détention des parlementaires concernés, et du fait que le Groupe de travail a prié le Gouvernement de la Turquie d'adopter les mesures nécessaires pour remédier à la situation, de manière à la rendre conforme aux normes et principes contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Il espère que Mme Zana et MM. Dicle, Dogan et Sadak pourront être libérés dans l'attente de l'issue de la procédure en cours à la Commission européenne des droits de l'homme.

4. Le Comité constate que MM. Türk, Yurtdas, Alinak et Sakik ont été condamnés, le 11 avril 1996, au terme de leur nouveau procès devant la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara, à 14 mois de prison en vertu de l'article 8 de la loi antiterrorisme pour propagande séparatiste. Il note avec une vive préoccupation qu'ayant été condamnés à une peine supérieure à 12 mois de prison, ils sont privés à vie de leurs droits politiques et que MM. Alinak et Yurtdas, tous deux avocats, ne pourront plus jamais exercer leur profession. Il relève également à ce sujet que le juge était habilité à réduire d'un sixième la peine, qui aurait alors été inférieure à 12 mois et n'aurait donc pas eu les mêmes conséquences.

Le Comité considère que leurs conséquences confèrent aux condamnations une sévérité et un caractère oppressif qui lui apparaissent comme l'expression d'une volonté délibérée d'empêcher les anciens députés d'exercer toute activité politique à l'avenir. Il note toutefois qu'ils ont le droit de faire appel de cette décision et qu'ils en useront.

5. Le Comité constate que les huit anciens députés ont tous été condamnés en vertu de l'article 125 du Code pénal turc qui dispose que : "Quiconque commet des actes visant à mettre une partie ou la totalité du territoire de l'Etat turc sous la souveraineté d'un autre Etat ou à soustraire une partie du territoire national à l'autorité de l'Etat turc est passible de la peine de mort." Il note aussi que les faits retenus contre eux dans leurs procès étaient essentiellement de même nature. Néanmoins, quatre d'entre eux ont été déclarés coupables d'appartenance à une organisation terroriste, et quatre, de propagande séparatiste. Il relève que, de l'avis des autorités, cela illustre l'indépendance de la magistrature turque, tandis qu'aux yeux des députés, la qualification des crimes et les condamnations prononcées répondaient à des considérations plus politiques que juridiques.

Le Comité ne peut qu'exprimer sa perplexité devant les différences considérables qui existent entre les peines prononcées à l'égard de chacun des députés pour une inculpation et des faits à charge analogues.

6. Le Comité craint que les parlementaires concernés n'aient été poursuivis pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression, garanti par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il note à ce sujet que le Parlement européen recommande l'abrogation de l'article 8 de la loi antiterrorisme.

7. Enfin, le Comité prend acte de ce que le meurtrier de M. Sinçar a été identifié, mais ne se trouve plus en Turquie. Il déplore une fois de plus les circonstances du meurtre de M. Sinçar, commis au grand jour dans une région où la police est ordinairement très présente, et regrette qu'en dépit des fréquentes affirmations des autorités selon lesquelles la police avait identifié les coupables et même, dans un cas, appréhendé l'homme qui faisait le guet, les forces de l'ordre n'aient pas pu arrêter le meurtrier. Le Comité espère aussi que le Parlement turc pourra faire une exception en faveur de Mme Sinçar en lui assurant des prestations de retraite.


Droits de l'homme des parlementaires | Page d'accueil | Principaux domaines d'activités | Structure et fonctionnement