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CAS N° CHD/01 - NGARLEJY YORONGAR - TCHAD

Résolution adoptée sans vote par le Conseil interparlementaire
à sa 162e session (Windhoek, 11 avril 1998)


Le Conseil interparlementaire,

saisi du cas de M. Ngarlégy Yorongar (Tchad), qui a fait l'objet d'une étude et d'un rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires conformément à la " Procédure d'examen et de traitement par l'Union interparlementaire des communications concernant les violations des droits de l'homme de parlementaires ",

prenant note du rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires (CL/162/11a)-R.1) qui contient un exposé détaillé de ce cas,

considérant que M. Yorongar, député de l'opposition à l'Assemblée nationale du Tchad, élu en janvier 1997, est l'un des critiques les plus véhéments d'un important projet pétrolier au Tchad dont la réalisation est confiée à un consortium international composé d'Elf, d'Esso et de Shell,

considérant que, selon les sources, M. Yorongar a interpellé le Premier Ministre, le 4 juin 1997 à l'occasion de son investiture, au sujet de ce projet pétrolier, notamment en ce qui concerne l'administration et le financement de la campagne électorale de certains candidats par Elf; que, le 12 juin 1997, il a tenu les mêmes propos à l'occasion d'un séminaire à l'intention des parlementaires et qu'il y avait eu un échange de correspondance avec le Premier Ministre à ce sujet,

considérant que M. Yorongar, en réponse à une lettre du Premier Ministre, a réitéré, le 25 juin 1997, les préoccupations que lui inspire ce projet pétrolier, à savoir notamment que le Président de la République, sa famille et son clan le monopolisent et le gèrent mal,

considérant que, le 5 juillet 1997, il a organisé une conférence de presse sur le projet pétrolier; qu'il aurait affirmé, dans un article publié le 9 juillet sur ce débat dans l'Observateur, que le Président de l'Assemblée aurait encaissé une somme de 1,5 milliard de francs CFA de la part du consortium,

considérant que, le 4 août 1997, se référant à la lettre adressée par M. Yorongar au Premier Ministre en date du 25 juin 1997, le Ministre de la Justice a requis du Procureur général la demande de levée de l'immunité parlementaire de l'intéressé afin de permettre l'engagement de poursuites contre lui pour outrage au chef de l'Etat; que, le 7 août, le Procureur général a saisi l'Assemblée nationale d'une demande de levée de l'immunité parlementaire de M. Yorongar,

considérant que, le 1er août 1997, le Président de l'Assemblée nationale a porté plainte pour diffamation contre le directeur de l'Observateur et son complice, M. Yorongar; que, le 7 août 1997, le Procureur général a requis, sur la base de l'article en question, la levée de l'immunité parlementaire de M. Yorongar afin de permettre l'engagement d'un procès en diffamation,

considérant que, selon les sources, alors que M. Yorongar se trouvait à l'étranger pour traitement médical, le Président de l'Assemblée nationale a convoqué le Bureau de celle­ci en septembre 1997 aux fins de la levée de l'immunité de M. Yorongar; que le Bureau, se fondant sur le règlement de l'Assemblée, a toutefois statué qu'il fallait la présence de M. Yorongar pour ce faire; qu'en octobre 1997, une nouvelle demande a été rejetée pour la même raison; que, depuis le retour de M. Yorongar au Tchad en décembre 1997, l'Assemblée nationale s'est réunie à plusieurs reprises pour se prononcer sur cette affaire, mais qu'elle a dû ajourner à chaque fois les délibérations pour vices de procédure,

considérant que l'Assemblée nationale est appelée à réexaminer cette affaire au cours de sa session de printemps,

considérant que, dans sa lettre du 12 mars 1998, le Secrétaire général de la Présidence de la République fait savoir que le cas de M. Yorongar est une affaire d'abord intraparlementaire et ensuite de justice. Les parlementaires tchadiens auront à statuer sur ce cas lors de leur prochaine session en leur âme et conscience, conformément à leur règlement intérieur et à la loi fondamentale tchadienne ",

considérant qu'à la lumière des dispositions de l'article 114 de la Constitution selon lesquelles aucun parlementaire ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou jugé pour des opinions ou votes émis dans l'exercice de ses fonctions, les sources estiment que l'immunité de M. Yorongar ne saurait être levée étant donné qu'il a tenu les propos incriminés dans l'exercice de son mandat parlementaire,

considérant que, selon les sources, le Président de la République aurait procédé, par décret N° 402 en date du 19 septembre 1997, à la nomination de nouveaux magistrats qui auraient été soigneusement choisis dans le but de faire arrêter, de juger et de condamner M. Yorongar; que, dans sa lettre du 20 octobre 1997, le Président de l'Assemblée nationale affirme que " dire que ces nominations ont été faites dans le but de nuire au député Yorongar est une allégation non convaincante, car tous les deux ou trois ans le Ministère de la Justice procède généralement aux affectations des magistrats "; qu'en outre, les magistrats du Tribunal de première instance de N'Djamena qui sont compétents pour connaître de l'affaire n'ont pas été mutés de leur poste,

considérant que, selon les sources, M. Yorongar aurait été plusieurs fois arrêté, dépouillé, humilié et victime de mauvais traitements depuis l'accession de M. Déby au pouvoir en 1990 et son refus d'accepter le poste de Premier Ministre que ce dernier lui a offert; qu'en octobre 1997, alors que M. Yorongar se trouvait en Europe, des hommes armés à bord d'une voiture de police, commandés par un commissaire de police se seraient rendus à plusieurs reprises à son domicile pour savoir s'il était rentré de voyage,

considérant que, dans sa lettre du 9 décembre 1997, le Président de l'Assemblée nationale a indiqué que " les recherches effectuées par mes services ne m'ont pas permis d'infirmer ou de confirmer les allégations portées à votre connaissance ",

considérant que, selon les sources, M. Yorongar, qui se trouvait à Mondou au moment des massacres qui auraient été perpétrés par des forces gouvernementales, a échappé, le 19 février 1998, à une embuscade tendue par ces mêmes forces dans son village aux fins de sa liquidation; qu'en outre, à son retour à N'Djamena, M. Yorongar s'est vu dans l'impossibilité de communiquer avec l'étranger pour avoir été privé d'électricité et a dû emprunter un générateur pour ce faire,

considérant enfin que le Tchad est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et qu'il est tenu, à ce titre, de respecter les droits consacrés par ces instruments, en particulier le droit à la sécurité de la personne,

  1. remercie le Président de la République et le Président de l'Assemblée nationale de leur coopération et des informations fournies;
  2. souligne que le Parlement est essentiellement investi d'une fonction de contrôle et qu'en dénonçant un éventuel dysfonctionnement des organes publics, les parlementaires ne font que remplir leur rôle constitutionnel;
  3. insiste sur l'importance fondamentale de la liberté d'expression qui leur permet de remplir ce rôle;
  4. souligne que l'immunité parlementaire vise à protéger les parlementaires de toutes poursuites ou charges non fondées pouvant être politiquement motivées et que la levée de l'immunité d'un parlementaire constitue de ce fait une mesure grave qui doit être prise par l'organe compétent dans le plein respect des formes légales;
  5. considère que l'action de M. Yorongar relève à priori de l'exercice normal du mandat parlementaire, et espère dès lors que son immunité parlementaire ne sera pas levée;
  6. se déclare profondément préoccupé par les menaces qui pèseraient sur la sécurité de M. Yorongar, et rappelle qu'il est du devoir de l'Etat d'assurer la sécurité de ses citoyens;
  7. engage les autorités, notamment l'Assemblée nationale, à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer en permanence la sécurité de M. Yorongar;
  8. souhaite savoir si une enquête sur la tentative d'attentat à la vie de M. Yorongar en février 1998 a été effectivement ouverte;
  9. prie le Secrétaire général de porter la présente décision à la connaissance du chef de l'Etat et du Président de l'Assemblée nationale;
  10. prie également le Comité des droits de l'homme des parlementaires de poursuivre l'examen de ce cas et de lui faire rapport à sa prochaine session (septembre 1998).


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