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CAS N° CHD/01 - NGARLEJY YORONGAR - TCHAD

Résolution adoptée sans vote par le Conseil interparlementaire
à sa 163e session (Moscou, 12 septembre 1998)


Le Conseil interparlementaire,

se référant à l'exposé du cas qui figure dans le rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires (CL/163/12a)-R.1) et à la résolution qu'il a adoptée à sa 162ème session (avril 1998) concernant M. Ngarléjy Yorongar (Tchad),

prenant en considération les communications du Président de l'Assemblée nationale en date des 2, 22 et 31 juillet et du 5 août 1998, ainsi que les lettres du Ministre de la Justice datées des 29 juillet et 7 août 1998,

prenant également en considération les communications des sources,

rappelant que M. Yorongar, député de l'opposition à l'Assemblée nationale du Tchad et l'un des critiques les plus véhéments d'un projet pétrolier réalisé dans sa région par un consortium international composé d'Elf, d'Esso et de Shell, s'est notamment élevé contre la façon dont ce projet est géré par l'entourage du chef de l'Etat, M. Idriss Déby, et a dénoncé - pour la première fois lors de la campagne présidentielle de juin et juillet 1996 - le financement par Elf de la campagne électorale de MM. Déby et Kamougué, aujourd'hui Président de la République et Président de l'Assemblée nationale, respectivement,

rappelant également que, le 7 août 1997, le Procureur général a saisi l'Assemblée nationale de deux demandes de levée de l'immunité parlementaire de M. Yorongar afin de permettre l'engagement de poursuites contre lui pour outrage au chef de l'Etat et complicité de diffamation envers le Président de l'Assemblée nationale et l'institution qu'il représente,

rappelant enfin que la première plainte a été déclenchée par une lettre en date du 25 juin 1997 adressée par M. Yorongar au Premier Ministre au sujet du projet pétrolier, que la seconde est motivée par un article paru dans le numéro du 9 juillet du journal L'Observateur sur une conférence-débat tenue par M. Yorongar le 5 du même mois; que ce dernier y aurait affirmé que le Président de l'Assemblée aurait reçu d'Elf une somme de 1,5 milliard (1.500.000.000) de francs CFA,

considérant que, après avoir reporté à plusieurs reprises la levée de l'immunité de M. Yorongar, l'Assemblée nationale s'y est finalement résolue par un vote le 26 mai 1998; que, le 2 juin, l'intéressé a été convoqué avec la directrice de L'Observateur et l'auteur de l'article incriminé pour être interrogé et qu'ils ont tous été arrêtés le lendemain, M. Yorongar sous l'inculpation de complicité et de diffamation,

considérant que la première audience du procès a eu lieu le 5 juin 1998; que la défense a alors soulevé plusieurs vices de procédure et notamment récusé le juge, faisant valoir que, le juge étant membre du Parquet au moment de la notification des accusations, il ne pouvait, selon la loi tchadienne, connaître de cette affaire; que cette objection a été rejetée par la Cour d'appel en date du 11 juin 1998 et qu'une deuxième audience s'est déroulée le lendemain,

considérant que, lors de cette audience, la défense a soulevé une autre objection préliminaire, à savoir l'absence de procès-verbal dûment signé et approuvé rapportant la levée de l'immunité de M. Yorongar comme le prévoit l'article 58 du Règlement intérieur de l'Assemblée nationale; que le tribunal a saisi de cette affaire la Chambre constitutionnelle de la Cour d'appel tout en maintenant M. Yorongar en détention et en libérant ses coïnculpés; que le 13 juillet 1998 la Cour constitutionnelle a statué qu'elle n'était pas compétente pour connaître de cette affaire,

considérant que les avocats, estimant que M. Yorongar et les autres personnes avaient été arrêtés arbitrairement, ont introduit en juin 1998 une demande de mise en liberté auprès de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel; que, selon les sources, le juge n'aurait envoyé le dossier à la Cour d'appel qu'après injonction du Président du tribunal en date du 30 juin; que, toutefois, au moment où la Cour s'apprêtait à statuer sur l'affaire le 17 juillet, le Procureur général lui aurait " arraché " le dossier et l'aurait enrôlé pour audience devant le tribunal le 16 juillet 1998,

considérant qu'à l'audience du 16 juillet les avocats ont exigé à nouveau le procès-verbal de la levée de l'immunité parlementaire de M. Yorongar, procès-verbal que, selon les sources, le président du tribunal aurait refusé de leur communiquer, au motif que ce document était secret; que, les avocats quittant la salle au vu de cette attitude, le magistrat a décidé de renvoyer l'audience au 20 juillet pour permettre aux parties de prendre copie de ce procès-verbal; que, cependant, cette copie ne leur a jamais été remise,

considérant que M. Yorongar a refusé de participer à ce qu'il considérait comme une mascarade de procès, que les deux autres inculpés ont refusé, pour les mêmes raisons, de s'exprimer et que les avocats de la défense ont quitté la salle, n'ayant pas obtenu copie du procès-verbal et se voyant refuser la parole par le président du tribunal; qu'en conséquence les avocats de MM. Déby et Kamougué ont été finalement, selon les sources, les seuls à plaider,

considérant que, selon les sources, le Procureur a requis deux ans de prison ferme et une amende de 500.000 francs CFA contre M. Yorongar et la relaxe pure et simple pour ses coïnculpés; que, cependant, le juge, déclarant M. Yorongar coupable d'avoir diffamé le Président de la République et le Président de l'Assemblée nationale, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement ferme et à une amende de 500.000 francs CFA; que ses coïnculpés ont été condamnés à deux ans d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 1.000.000 de francs CFA chacun,

considérant que, selon les sources, la peine infligée à M. Yorongar est sans rapport avec la peine maximum prévue par la loi pour ces chefs d'accusation, laquelle est de deux ans, et que l'amende maximum prévue pour ce délit est de 500.000 francs CFA; qu'il y a là une irrégularité puisque, selon le Ministre de la Justice, aux termes de l'article 47.2) de la loi relative au régime de la presse, la diffamation est punie d'une peine allant jusqu'à trois ans d'emprisonnement lorsque celle-ci a pour but de susciter la haine ou d'inciter à la violence entre personnes appartenant à une ethnie, à une région ou une religion et que " la lettre adressée par M. Yorongar incriminant le chef de l'Etat, sa famille et son clan tombe bien sous le coup de cette disposition... ",

considérant qu'un appel a été interjeté,

considérant que l'état de santé déjà précaire de M. Yorongar s'est détérioré par suite des très mauvaises conditions carcérales; que, depuis le 8 septembre 1998, M. Yorongar ne serait plus autorisé à recevoir de visites; rappelant également ses craintes pour la sécurité personnelle de M. Yorongar,

notant que, dans sa résolution sur le Tchad, adoptée le 18 juin 1998, le Parlement européen demande la libération immédiate de M. Yorongar et encourage le Gouvernement tchadien au respect du débat démocratique sur la situation du pays et sur le projet pétrolier prévu dans la région de Doba,

considérant enfin que, dans son message du 2 juillet 1998, le Président de l'Assemblée nationale a fait savoir que les sources d'information du Comité lui fournissaient souvent des renseignements faux et tendancieux, ce qui l'avait amené à cesser de coopérer à un moment donné; que, toutefois, soucieux de restaurer une collaboration honnête avec le Comité, il a invité l'Union à envoyer une mission sur place pour qu'elle puisse s'informer de façon objective et impartiale sur cette affaire; qu'il a réitéré cette invitation dans ses lettres du 31 juillet et du 5 août 1998 en s'abstenant de fournir d'autres informations tant que le Comité n'aurait pas effectué sa mission,

  1. remercie le Ministre de la Justice de sa coopération et remercie en particulier le Président de l'Assemblée nationale de son invitation à envoyer une mission sur place;
  2. est convaincu qu'une telle mission lui permettrait en effet de s'informer objectivement des tenants et aboutissants de cette affaire et, à cette fin, charge le Comité des droits de l'homme des parlementaires de s'enquérir directement auprès des autorités parlementaires et autres instances compétentes, du parlementaire en cause et de son avocat ainsi que de toute source susceptible de lui fournir des informations utiles;
  3. a bon espoir qu'une telle mission pourra être reçue au Tchad dans un très proche avenir;
  4. ne peut qu'exprimer entre­temps sa vive inquiétude devant les graves allégations relatives au déroulement de la procédure judiciaire et au jugement rendu concernant M. Yorongar et ses coïnculpés;
  5. est également profondément préoccupé par les conditions de détention de M. Yorongar et par son état de santé qui justifierait à lui seul sa libération immédiate; note avec une inquiétude particulière que, depuis le 8 septembre, toute visite lui serait refusée, et prie instamment les autorités de veiller à ce que sa famille et ses avocats puissent lui rendre visite librement et à ce qu'il reçoive les soins médicaux dont il a besoin;
  6. prie le Secrétaire général de porter cette résolution à la connaissance du Président de l'Assemblée nationale;
  7. prie le Comité des droits de l'homme des parlementaires de poursuivre l'examen du cas et de lui faire rapport à sa prochaine session (avril 1999).


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