Logo de l'UnionUNION INTERPARLEMENTAIRE
PLACE DU PETIT-SACONNEX
1211 GENEVE 19, SUISSE
 

CAS N° MAL/11 - LIM GUAN ENG - MALAISIE

Résolution adoptée sans vote par le Conseil interparlementaire
à sa 165ème session (Berlin, 16 octobre 1999)


Le Conseil interparlementaire,

se référant à l'exposé du cas de M. Lim Guan Eng, de Malaisie, qui figure dans le rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires (CL/165/12b)­R.1) et à la résolution qu'il a adoptée à sa 164ème session (avril 1999); se référant aussi au rapport de la mission effectuée sur place par le Comité du 30 novembre au 2 décembre 1998,

considérant les communications du Président du Groupe interparlementaire malaisien et Vice-Ministre des Finances, datées du 26 mai et du 22 septembre 1999, ainsi que les commentaires supplémentaires qu'il a formulés lors de l'audition tenue à l'occasion de la 102ème Conférence (Berlin, octobre 1999),

rappelant les éléments versés au dossier : lorsque le Comité a été saisi de la plainte, M. Lim Guan Eng, parlementaire et Vice­Secrétaire général du Parti de l'action démocratique, parti d'opposition, était accusé, le 28 février 1995, en vertu de la loi relative aux actes séditieux, d'incitation à se défier de l'administration de la justice pour avoir publiquement critiqué la façon dont le Procureur général avait traité une affaire de détournement de mineure concernant une écolière de 15 ans et l'ancien Premier Ministre de Malacca, Tan Sri Rahim Tamby Chik, et la décision du tribunal de placer la victime présumée dans un "centre surveillé". Le 17 mars 1995, il a été accusé également en vertu de la loi sur la presse et les publications d'avoir publié de fausses nouvelles pour avoir qualifié la jeune fille de "victime incarcérée". Le 28 avril 1997, la Cour l'a reconnu coupable des deux chefs d'inculpation et l'a condamné au paiement de 5 000 ringgit, amende maximale prévue par la loi relative aux actes séditieux, et de 10 000 ringgit (le maximum est de 20 000) en application de la loi sur la presse et les publications. Le 1er avril 1998, la Cour d'appel l'a débouté et l'a condamné à une peine confondue de 18 mois d'emprisonnement comme le requérait le Procureur général. Le 25 août 1998, la Cour fédérale confirmait le jugement de la Cour d'appel et, immédiatement après, M. Lim Guan Eng était arrêté et emmené à la prison de Kajang où il a purgé sa peine. Le 21 mars 1999, le Gouverneur de l'Etat de Malacca, qui agit sur la recommandation d'un comité de grâce, a rejeté le recours en grâce de M. Lim Guan Eng et, le 10 avril 1999, le Roi, suivant le conseil du Premier Ministre, a rejeté la requête de M. Lim Guan Eng concernant la levée de la déchéance de son mandat parlementaire. En conséquence, M. Lim Guan Eng a maintenant définitivement perdu son statut de parlementaire et ne pourra pas se présenter aux élections pendant les cinq prochaines années. Il ne pourra donc pas participer aux prochaines élections législatives. Le 25 août 1999, il a été libéré ayant bénéficié d'une remise du tiers de sa peine pour bonne conduite, comme tout prisonnier satisfaisant à cette condition,

rappelant les éléments suivants, recueillis sur place en novembre-décembre 1998 par la mission du Comité auprès de sources indépendantes au sujet de l'affaire de détournement de mineure (assimilé à un viol) : la jeune fille de 15 ans, accompagnée de sa grand­mère, a porté plainte à la police pour avoir été violée par Tan Sri Rahim Tamby Chik, alors Premier Ministre de Malacca. Pendant l'enquête de police, la jeune fille a reconnu avoir eu des relations sexuelles avec Tan Sri Rahim Tamby Chik et 14 autres hommes et la police l'a placée en garde à vue. A ce moment­là, sa famille est restée sans nouvelles d'elle pendant huit jours, ce qui a amené la grand­mère à s'adresser à M. Lim Guan Eng pour lui demander son aide. M. Lim Guan Eng a alors rendu l'affaire publique. Les ONG féminines ont pris le relais lorsque le Procureur général a révélé publiquement les antécédents sexuels de la jeune fille et déclaré que, si l'on n'avait pu trouver aucune preuve contre Tan Sri Rahim Tamby Chik, on en détenait contre 14 autres hommes qui avaient eu des relations sexuelles avec elle. Selon les sources, ces 14 hommes ont tous été déférés au tribunal mais aucun d'entre eux n'a été envoyé en prison, bien que toute personne condamnée pour détournement de mineur(e) (assimilé à un viol) en vertu de l'article 326 du Code pénal soit passible d'un minimum de cinq ans d'emprisonnement. Après la déclaration publique du Procureur général, la police a demandé au père de la jeune fille son autorisation pour une ordonnance de placement dans un "centre surveillé" et l'a obtenue. Cependant, pendant l'audience, le père a retiré sa demande, déclarant qu'il était en mesure de s'occuper de sa fille qui était alors enceinte. Le tribunal a néanmoins ordonné le placement de la jeune fille dans le centre en question,

considérant les commentaires formulés à cet égard par le Président du Groupe national malaisien dans sa note du 22 septembre 1999, selon lesquels a) le placement de la jeune fille dans un centre surveillé pendant trois ans est une mesure de protection qui n'a rien à voir avec la décision du Procureur général de ne pas engager de poursuites contre Tan Sri Rahim Tamby Chik; b) ce fut avec le consentement de son père que la jeune fille a fait l'objet de cette mesure de protection pour sa sécurité et son bien­être, et non aux fins d'interrogatoire par la police; c) la jeune fille elle­même souhaitait cette protection; d) ni la jeune fille ni personne d'autre n'a porté plainte ni saisi la police au sujet de son emprisonnement ou de sa détention illégale; e)la cour a ordonné que la jeune fille fût mise en sûreté dans un centre surveillé dans le seul but de lui assurer bien­être et protection,

rappelant que, par la façon dont il traitait l'affaire, le Procureur général s'était attiré à l'époque de nombreuses critiques, notamment de la fille du Premier Ministre qui, dans un article paru en novembre 1994 sous le titre "Whither justice ?", avait décrit le traitement de la jeune fille par les autorités comme une "grossière parodie de justice"; considérant que, dans la note précitée, se référant à une observation faite par le Comité dans sa décision de juillet 1999 lors de sa 86ème session, à savoir que "M. Lim Guan Eng n'était d'ailleurs pas seul à critiquer le Procureur général, bien qu'il ait été le seul à être poursuivi en justice", le Président du Groupe a réaffirmé avec véhémence que "les poursuites engagées contre M.Lim Guan Eng sont fondées sur l'existence de preuves valables et régies par des dispositions légales",

rappelant que l'Union interparlementaire avait invité S. M. le Roi et le Gouverneur de Malacca à lever la mesure de déchéance parlementaire frappant M. Lim Guan Eng et à lui accorder une grâce plénière qui l'exonérerait complètement; que la mission du Comité sur place avait pour but d'appuyer ce recours en grâce mais qu'elle n'a pu le faire parce que le Gouverneur de Malacca, qui avait pourtant invité la mission à le rencontrer, a retiré son invitation à la dernière minute, et que le Premier Ministre n'a pu la recevoir non plus pour des raisons d'emploi du temps; rappelant aussi qu'il avait engagé le Groupe national malaisien à appuyer le recours en grâce; considérant que les autorités malaisiennes sont restées sourdes à l'appel lancé par l'Union en faveur de M. Lim Guan Eng,

considérant que le Comité de grâce de Malacca, sur la recommandation duquel le Gouverneur doit agir, était composé d'un représentant du Procureur général et d'autres personnes toutes membres de l'UMNO, le parti au pouvoir, ou de partis alliés, que l'un de ses membres était un rival politique acharné de M. Lim Guan Eng, raison pour laquelle les sources estiment que l'on ne pouvait attendre de cette instance une décision impartiale sur le recours en grâce formé par M. Lim Guan Eng,

considérant les commentaires du Président du Groupe national communiqués dans une note en date du 22 septembre 1999 : "En faisant de fausses déclarations, M. Lim Guan Eng, qui est en mesure d'influencer l'opinion, a induit le public en erreur, déstabilisé la société et gravement porté atteinte à la paix et à la sécurité de notre pays ... Les critiques portées par M. Lim Guan Eng contre la juridiction compétente ont dépassé les limites autorisées, constituant ainsi une infraction pénale lourde de conséquences du fait qu'elle a suscité auprès des masses populaires haine et mépris pour les tribunaux.",

considérant aussi l'extrait du jugement de la Cour d'appel cité dans une note du Président du Groupe en date du 26 mai 1999 : "Il est d'une importance vitale que le public ait confiance dans l'administration de la justice dont les tribunaux font partie intégrante. Des propos tenus publiquement qui suscitent haine et mépris pour l'administration de la justice sont lourds de conséquences car ils ont pour effet de détruire la confiance du public dans un des piliers de la démocratie ... Nous ne voulons nullement dire que toute critique à l'égard d'un tribunal est à jamais bannie ... Tant qu'elles sont de bonne foi, respectueuses de la loi et reposent sur des faits, nul ne devrait y trouver à redire, un juge moins que quiconque, car il n'est pas d'apprentissage sans critiques ... Ce n'est que lorsque la critique franchit les limites du légitime pour devenir un comportement proscrit que les tribunaux interviendront ...",

sachant enfin que la Malaisie est membre de l'Organisation des Nations Unies et tenue, à ce titre, de respecter les droits et libertés garantis par la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui, en son article 19, consacre le droit à la liberté d'expression,

  1. remercie le Président du Groupe national malaisien des informations et observations communiquées et de sa coopération;
  2. réitère sa ferme conviction que ce sont des considérations politiques qui ont amené à poursuivre M. Lim Guan Eng pour des déclarations publiques qu'il avait faites dans l'exercice de son mandat parlementaire, puis à le condamner à une lourde peine de prison entraînant la déchéance de son mandat de parlementaire et la suspension pour cinq ans de son droit de se porter candidat à des élections, ainsi que l'interdiction d'exercer sa profession; se déclare indigné devant cette série de faits;
  3. réaffirme que M. Lim Guan Eng, jeune dirigeant de l'opposition, a été distingué parmi les nombreuses personnes qui avaient critiqué ­ certaines en termes beaucoup plus violents que lui ­ la façon dont les autorités traitaient l'affaire de détournement de mineure ayant donné lieu à sa condamnation;
  4. souligne une nouvelle fois qu'en formulant les critiques qui lui ont valu d'être condamné, M. Lim Guan Eng n'a fait qu'exercer son droit à la liberté d'expression et remplir sa fonction de parlementaire; considère qu'il est essentiel que les parlementaires, en leur qualité de représentants du peuple et de gardiens des droits de l'homme, jouissent de la liberté d'expression nécessaire pour dénoncer ce qu'ils ont de bonnes raisons de percevoir comme un dysfonctionnement des pouvoirs publics, et affirme qu'en dénonçant de tels faits les parlementaires contribuent à garder aux institutions de l'Etat et aux pouvoirs publics la confiance du peuple;
  5. relève que la fonction de contrôle de l'Exécutif attachée à la fonction parlementaire serait dénuée de sens si elle n'incluait pas le droit d'exprimer des opinions divergentes de celles des dirigeants et de contrôler leur action, notamment en matière de justice, et souligne que l'exercice de cette fonction parlementaire joue un rôle essentiel dans la promotion et la défense des droits de l'homme;
  6. déplore vivement que le recours en grâce formé par M. Lim Guan Eng et sa supplique destinée à obtenir la levée de sa déchéance parlementaire, soutenus par plus de 300 000 Malaisiens, aient été rejetés et que les appels dans le même sens du Conseil interparlementaire soient également demeurés vains;
  7. note que les autorités se sont bornées à libérer M. Lim Guan Eng après qu'il eut purgé les deux tiers de sa peine d'emprisonnement en application de la clause de bonne conduite;
  8. se voit contraint de clore le dossier de M. Lim Guan Eng qui n'a plus de voie de recours;
  9. déplore vivement cet état de choses et engage le Parlement et le Groupe national malaisiens à faire tout leur possible pour que leurs membres, y compris ceux de l'opposition, puissent exercer sans crainte d'être poursuivis ni incarcérés le mandat qu'ils tiennent du peuple.


Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 102ème Conférence et réunions connexes de l'Union interparlementaire" au format PDF (taille du fichier environ 740K). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

Droits de l'homme des parlementaires | Page d'accueil | Principaux domaines d'activités | Structure et fonctionnement