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CAS N° MAL/I5 - ANWAR IBRAHIM - MALAISIE

Résolution adoptée sans vote par le Conseil interparlementaire
à sa 165ème session (Berlin, 16 octobre 1999)


Le Conseil interparlementaire,

se référant à l'exposé du cas de M. Anwar Ibrahim, membre de la Chambre des représentants de la Malaisie, qui figure dans le rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires (CL/165/12b)-R.1) et à la résolution qu'il a adoptée à ce sujet à sa 164ème session (avril 1999),

prenant en considération les observations écrites du Président du Groupe national de la Malaisie en date des 26 mai et 22 septembre 1999, ainsi que des informations et observations supplémentaires dont il a fait part lors des deux auditions tenues à l'occasion de la 102ème Conférence (octobre 1999),

rappelant les éléments ci­après, qui sont versés au dossier : le 2 septembre 1998, le Premier Ministre Mahathir Mohamad a déchu Anwar Ibrahim, membre de la Chambre des représentants, de ses fonctions de Vice-Premier Ministre et Ministre des Finances, au motif qu'il était "moralement inapte à gouverner"; le 20 septembre 1998, M. Ibrahim a été arrêté en vertu de la loi sur la sûreté intérieure (ISA) puis inculpé, en vertu du Code pénal et de l'ordonnance spéciale de 1970 (pouvoirs essentiels), pour déviance sexuelle et pratiques répréhensibles, respectivement; le procès d'Anwar Ibrahim s'est ouvert le 2 novembre 1998; le 14 avril 1999, le juge a déclaré M. Ibrahim coupable de pratiques répréhensibles et l'a condamné à six ans de prison,

rappelant également qu'avant l'arrestation d'Anwar Ibrahim plusieurs de ses proches ont été arrêtés et détenus; que M. Sukma Darmawan a été arrêté le 6 septembre 1998 et détenu au secret pendant 13 jours avant d'être traduit en justice; que Munwar Anees a été arrêté le 14 septembre 1998 et détenu au secret pendant cinq jours; que, le 19 septembre 1998, les deux hommes ont été présentés devant deux tribunaux différents de Kuala Lumpur et qu'ils ont plaidé coupables de s'être laissé sodomiser par Anwar Ibrahim et ont été condamnés à six mois d'emprisonnement,

considérant que MM. Anees et Darmawan ont fait appel de leur condamnation au motif qu'ils avaient fait leur aveu de culpabilité sous la contrainte; qu'en décembre 1998, M. Sukma Darmawan, pour étayer son appel, a fait une déclaration sous serment dans ce sens, affirmant aussi que la police avait menacé de placer des munitions dans sa voiture et de l'accuser de détention illégale de munitions s'il n'incriminait pas Anwar Ibrahim; qu'en mai 1999, la Haute Cour l'a débouté, considérant qu'il n'y avait pas eu déni de justice parce qu'il avait reconnu les faits et avait compris quelles conséquences entraînait son aveu de culpabilité,

considérant à cet égard que l'aveu de culpabilité de M. Sukma Darmawan a été retenu comme preuve dans le procès dans lequel il était inculpé avec Anwar Ibrahim pour sodomie et qui s'est ouvert en juillet 1999; que, interrogé au tribunal, M. Sukma Darmawan a déclaré que la police l'avait humilié en le contraignant à se tenir nu, en le saisissant par les parties génitales et en lui pinçant les mamelons, tout en le couvrant d'injures; qu'il a dit ne pas avoir reçu de nourriture au cours de sa première journée de détention et, bien qu'asthmatique, avoir été enfermé, vêtu uniquement de sous-vêtements, dans une petite cellule humide et froide; qu'en une occasion il a été emmené pour se soumettre à un test ADN, qu'un médecin lui a fait subir un douloureux examen rectal et qu'il a été photographié nu sous tous les angles par la police; qu'il a dit ne plus pouvoir supporter ce traitement et "lorsque j'ai dit que je leur obéirai, ils m'ont enlevé mes menottes, rendu mes vêtements et sont devenus polis ... Ils voulaient que je reconnaisse avoir eu des relations sexuelles avec Anwar..."; que la police a nié toutes ces allégations et que, le 26 juillet 1999, le juge a statué que l'accusation avait su emporter son intime conviction et établir que M. Sukma Darmawan avait fait des aveux spontanés en ce sens qu'il n'y avait eu ni incitation, ni menace, ni promesse de la police; considérant aussi que, selon le Président du Groupe national, le juge est parvenu à cette conclusion après avoir tenu "un procès dans le procès" pour déterminer si les aveux avaient été spontanés,

rappelant que M. Nallakarupan, homme d'affaires et partenaire de tennis d'Anwar Ibrahim, a prétendu lui aussi avoir subi des pressions morales et physiques de la part de la police pour qu'il rende un faux témoignage, qu'il a été arrêté en vertu de l'ISA le 31 juillet 1998 après que la police eut perquisitionné à son domicile dans le cadre d'une enquête menée sur des allégations de pratiques répréhensibles et de déviance sexuelle portées contre Anwar Ibrahim et publiées en mai 1998 dans un livre intitulé "50 raisons pour lesquelles Anwar Ibrahim ne peut pas devenir Premier Ministre",

rappelant que le 29 septembre 1998, lorsque Anwar Ibrahim a été déféré pour la première fois devant un tribunal après avoir été détenu au secret pendant neuf jours, il présentait des signes manifestes de mauvais traitements et qu'il a porté plainte officiellement pour les coups et blessures reçus alors qu'il était en garde à vue; qu'au cours des investigations menées par la commission royale d'enquête constituée le 27 janvier 1999, l'inspecteur général de la police, Abdul Rahim Noor, a reconnu avoir "perdu son sang-froid" et qu'en se livrant à des voies de fait sur Anwar Ibrahim il avait agi seul, sans ordre ni incitation; que, sur recommandation de la commission, l'inspecteur général de la police a été inculpé pour avoir tenté de blesser grièvement Anwar Ibrahim, qu'il plaidait non coupable et devait être jugé en septembre 1999; notant que, selon les informations fournies par le Président du Groupe national de la Malaisie, M. Rahim Noor passera en jugement en février 2000; que ce délai est dû aux nombreux dossiers accumulés et "qu'il serait injuste de retarder d'autres procès à cause de l'inspecteur général de la police",

considérant que le Premier Ministre, évoquant les aveux de culpabilité de MM. Munwar Anees et Sukma Darmawan, après l'arrestation d'Anwar Ibrahim, a déclaré dans une conférence de presse que "... ce qu'ils ont dit est la vérité absolue ... le fait que l'homme (Anwar) se soit fait passer pendant des années pour un homme pieux et qu'il ait commis ces choses non pas aujourd'hui, non pas hier, mais pendant des années ... lorsque j'ai découvert qu'il s'était rendu coupable d'une chose que je ne saurais pardonner, d'une chose que la société malaisienne ne peut accepter ... alors il fallait agir"; notant que, le 5 octobre 1998, lors d'une audience de la Haute Cour, l'avocat principal de la défense s'est plaint que de hautes personnalités de l'Etat eussent publiquement fait connaître leur opinion sur la culpabilité d'Anwar Ibrahim; qu'il a exprimé la crainte que de telles déclarations n'influencent la Cour et privent Anwar Ibrahim d'un procès équitable et impartial; que le Procureur général a fait valoir qu'il importait de préserver la liberté d'expression; que le juge a alors disposé qu'aucun commentaire ne devrait paraître dans les médias sur l'innocence ou la culpabilité de l'accusé,

considérant que, selon le Président du Groupe de la Malaisie, le Premier Ministre avait fait ces déclarations alors que l'affaire n'était pas encore entre les mains de la justice; que le Premier Ministre devait des explications sur les raisons pour lesquelles il avait révoqué Anwar Ibrahim,

rappelant que les accusations portées contre Anwar Ibrahim reposaient essentiellement, entre autres, sur l'ordre qu'il avait donné à la police d'obtenir la rétractation des allégations de déviance sexuelle et de sodomie, qui étaient avérées; que l'accusation disposait ainsi de nombreux éléments, apportés par différents témoins, pour établir la véracité de ces allégations; qu'au nombre des témoins figuraient notamment Ummi Hafilda Ali et Azizan Abu Bakar, qui avaient initialement fait ces allégations, et un expert qui a attesté la présence de sperme et de liquide vaginal sur un matelas sur lequel Anwar Ibrahim aurait eu des relations sexuelles avec Shamsidar Taharin; qu'à la fin du procès, en janvier 1999, l'accusation a demandé que soient révisées les accusations de "pratiques répréhensibles"; qu'ainsi les témoins auraient bien formulé des allégations de déviance sexuelle et de sodomie mais que l'on n'affirmerait plus que M. Ibrahim était l'auteur de tels actes; que le juge de première instance avait accepté cette nouvelle qualification des faits incriminés en faisant valoir que "les déviances sexuelles et la sodomie ... ne sont pas en fait un élément matériel à prouver" et avait décidé de supprimer du dossier tous les éléments touchant aux allégations d'ordre sexuel; qu'il avait pris cette décision de suppression sans qu'aucune demande en ce sens n'ait été formulée par l'accusation ou la défense,

rappelant son inquiétude à l'idée que cet avis rendu par le juge privait la défense de la possibilité d'infirmer les preuves avancées par l'accusation et empêchait Anwar Ibrahim de produire celles qui lui auraient permis de recouvrer sa réputation et son honneur, gravement ternis par les allégations de l'accusation; considérant à cet égard que, selon le Président du Groupe de la Malaisie, Anwar Ibrahim aurait la possibilité d'apporter des preuves contraires au cours du procès actuel qui lui est intenté pour sodomie; notant à cet égard que, au vu du dossier, les accusations de sodomie dont Anwar Ibrahim répond actuellement sont différentes de celles qui ont été portées dans l'affaire précédente,

rappelant que les sources se sont inquiétées de ce que, pendant toute la durée du procès, des menées aient été dirigées contre l'équipe des défenseurs d'Anwar Ibrahim, constituant autant d'atteintes aux normes internationales garantissant un procès équitable; rappelant à cet égard en particulier que l'avocat de la défense, Zainur Zakaria, a présenté au tribunal une déclaration faite sous serment qui accusait le ministère public d'avoir exercé de lourdes pressions sur M. S. Nallakaruppan pour qu'il fournisse des informations propres à incriminer Anwar Ibrahim; que, selon l'attestation présentée par l'avocat de Nallakaruppan, Manjeet Singh Dillon, le ministère public a offert d'alléger les charges retenues contre Nallakaruppan si ce dernier faisait un faux témoignage contre Anwar Ibrahim; que, le 30 novembre 1998, le juge Paul a conclu que Zainur Zakaria avait porté atteinte à l'autorité de la justice en recourant à des propos diffamatoires dans son argumentation et lui a infligé une peine de trois mois d'emprisonnement,

considérant enfin que, le 10 septembre 1999, le juge chargé du procès intenté à Anwar Ibrahim pour sodomie et ouvert en juillet 1999 a ordonné son hospitalisation lorsque l'avocat de la défense, Me Karpal Sing, a fait savoir que les urines d'Anwar Ibrahim présentaient des taux excessifs d'arsenic; que le centre hospitalier universitaire de Kuala Lumpur, ayant effectué les examens, est parvenu à la conclusion qu'Anwar Ibrahim "... souffrait d'un certain nombre d'affections, à savoir perte de poids rapide, perte de cheveux importante, paresthésie, sécheresse de la peau et troubles intestinaux ... Il ne présentait aucun des signes cliniques classiques de l'empoisonnement aigu ou chronique à l'arsenic. Les échantillons d'urine, de cheveux et d'ongles présentaient des taux d'arsenic n'excédant pas le niveau admissible indiqué par les laboratoires. En raison de la persistance des troubles de santé de M. Anwar Ibrahim, qui ne sont pas provoqués par les maladies communes citées plus haut (après examen et analyses approfondis) et ne s'expliquent pas par les taux d'arsenic mesurés dans les échantillons examinés, il est recommandé que le centre hospitalier universitaire de Kuala Lumpur continue d'observer le patient et de suivre son état de santé...",

  1. remercie le Président du Groupe national de la Malaisie des informations et des observations communiquées et de sa coopération;
  2. demeure profondément troublé par les allégations concordantes de contrainte exercée sur les témoins à charge; rappelle avec force que les normes internationales des droits de l'homme exigent que les allégations de contrainte exercée pour recueillir des témoignages fassent l'objet d'une enquête prompte et impartiale des autorités compétentes, y compris du juge, et qu'elles interdisent d'utiliser des éléments de preuve recueillis sous la contrainte; souhaite savoir quels éléments de preuve ont été produits et quels motifs ont été invoqués par le juge chargé d'enquêter sur les nouvelles allégations de sodomie pour admettre pour preuve un aveu de culpabilité qui, selon M. Darmawan, lui a été extorqué;
  3. ne peut qu'estimer que les mauvais traitements infligés à M. Ibrahim alors qu'il était détenu par la police étayent les allégations faisant état d'aveux de témoins obtenus sous la contrainte;
  4. se déclare profondément préoccupé par le fait que, au lieu d'enquêter sur le fond de la déclaration sous serment faite par l'avocat de M. Nallakaruppan, selon laquelle l'accusation dans l'affaire Ibrahim avait tenté, pour mettre en cause M. Ibrahim, d'exercer des pressions sur M. Nallakaruppan qui, à cette époque, était accusé d'un crime passible de la peine de mort, le juge a accusé l'avocat qui avait attiré l'attention de la Cour sur cette question d'avoir porté atteinte à l'autorité de la justice et a émis un mandat d'arrêt contre l'avocat qui avait fait la déclaration sous serment;
  5. craint qu'une telle conduite ne constitue une grave entrave au droit de la défense de défendre l'accusé au mieux de ses capacités, et rappelle que le respect des droits de la défense est une composante essentielle d'un procès équitable;
  6. ne peut que demeurer préoccupé à l'idée que, à l'issue du réquisitoire du Procureur, les accusations de pratiques répréhensibles ont été modifiées de telle manière que le ministère public n'était plus tenu d'établir la preuve de la déviance sexuelle d'Anwar Ibrahim, laquelle, pourtant, avait donné lieu à des auditions de témoins et à la présentation de preuves pendant plus de deux mois, et continue à craindre que cela n'ait empêché la défense de présenter ses arguments et de produire ses preuves et ainsi d'exonérer immédiatement M. Anwar Ibrahim de pareilles accusations infondées;
  7. note que le fait de tenter d'obtenir la dénégation d'allégations diffamatoires peut constituer un délit pénal passible de six ans d'emprisonnement, peine qu'il juge tout à fait disproportionnée, et exprime sa conviction que M. Ibrahim devrait au contraire avoir le droit d'obtenir réparation pour l'atteinte à son honneur causée par ces accusations sans fondement;
  8. ne peut que réaffirmer sa crainte, compte tenu des éléments versés au dossier, que les poursuites engagées contre Anwar Ibrahim aient été guidées par des motifs autres que ceux de la justice et fondées sur une présomption de culpabilité;
  9. se déclare gravement préoccupé par les conclusions du centre hospitalier de Kuala Lumpur concernant l'état de santé d'Anwar Ibrahim, qui montrent que son état s'est considérablement aggravé en détention, et engage les autorités à le libérer sous caution;
  10. souhaiterait recevoir copie du nouvel acte d'accusation à l'encontre de M. Ibrahim concernant les charges de sodomie;
  11. prie le Secrétaire général de communiquer la présente décision aux autorités malaisiennes compétentes, en les invitant à lui faire tenir leurs observations;
  12. prie le Comité des droits de l'homme des parlementaires de continuer d'examiner l'affaire et de lui en rendre compte à sa prochaine session (avril-mai 2000).


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