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CAS N° MAG/01 - JEAN EUGENE VONINAHITSY - MADAGASCAR

Résolution adoptée sans vote par le Conseil interparlementaire
à sa 169ème session (Ouagadougou, le 14 septembre 2001)


Le Conseil interparlementaire,

saisi du cas de M. Jean Eugène Voninahitsy, membre du Parlement de Madagascar, qui a fait l'objet d'une étude et d'un rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires conformément à la "Procédure d'examen et de traitement, par l'Union interparlementaire, de communications relatives à des violations des droits de l'homme dont sont victimes des parlementaires",

prenant note du rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires qui contient un exposé détaillé du cas,

tenant compte également des informations détaillées régulièrement fournies par le Président de l'Assemblée nationale,

notant que les paragraphes 2 et 3 de l'article 69 de la Constitution malgache garantissent l'inviolabilité parlementaire, sauf en cas de flagrant délit; considérant à la lumière de cette disposition les éléments suivants versés au dossier :

  • de retour à Madagascar après une mission parlementaire en Ukraine, M. Voninahitsy a déclaré lors d'une conférence de presse, le 26 octobre 2000, que le pont flottant que le Président de la République avait prétendu avoir acheté aux autorités ukrainiennes avait été en fait donné à la population malgache, déclaration qui a été publiée le 31 octobre 2000 dans le journal "Ny Gazetiko";

  • le 23 décembre 2000, M. Voninahitsy a été arrêté pour outrage au chef de l'Etat, diffusion de fausses nouvelles et diffamation à cause de cette déclaration, les autorités la considérant comme un flagrant délit, réprimé par l'article 206 du Code de procédure pénale et ne nécessitant donc pas la levée de l'immunité parlementaire de l'intéressé; une demande de libération pour vice de procédure et interprétation erronée du flagrant délit a été rejetée, de même qu'une demande déposée par le Président de l'Assemblée nationale le 23 décembre 2000 pour que M. Voninahitsy soit libéré en attendant son procès;

  • le 26 décembre 2000, M. Voninahitsy a été accusé en outre d'avoir émis en juin, juillet et août 2000, neuf chèques sans provision; il a été placé sous mandat de dépôt pour chacun de ces délits, que les autorités considéraient également comme des flagrants délits;

  • se référant à la législation et à la jurisprudence françaises et expliquant en particulier que "la flagrance d'une infraction se trouve fixée, non au moment où elle se commet, mais à l'instant où elle est révélée par un indice apparent", les autorités affirment que "la flagrance et l'existence même de cette infraction sont révélées par l'avis de non-paiement pour insuffisance de provision délivré par la banque… la procédure est régulière dès lors que les actes de poursuite, de sa convocation à la police à son défèrement au Parquet, n'ont pas été interrompus"; de plus, selon le Président de l'Assemblée nationale, "le député Voninahitsy ayant passé aux aveux a du mal à opposer son immunité contre les poursuites intentées à son encontre pour émission de chèques sans provision";

  • le 27 décembre 2000, après avoir rejeté l'exception d'inconstitutionnalité et d'irrégularité de la procédure soulevée par les avocats, et leur demande d'ajournement des débats pour leur donner le temps d'étudier le dossier, qui ne leur avait été communiqué qu'en partie et 30 minutes seulement avant l'audience, la Chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tananarive a condamné M. Voninahitsy à 42 mois d'emprisonnement pour l'émission de neuf chèques sans provision et à huit mois d'emprisonnement pour outrage au chef de l'Etat;

  • le 30 janvier 2001, la Cour d'appel de Tananarive a annulé la procédure en première instance, s'agissant du délit d'outrage au chef de l'Etat, au motif que l'exception invoquant le défaut de la flagrance était fondée, et a ordonné l'élargissement de M. Voninahitsy " s'il n'est détenu pour autre cause "; pour le délit d'émission de chèques sans provision, la Cour a confirmé le jugement mais a ramené la condamnation à six mois d'emprisonnement;

  • par le jugement n° 141 du 21 juin 2001, la Chambre pénale de la Cour suprême a confirmé le jugement rendu en appel contre M. Voninahitsy qui avait entre-temps purgé sa peine; sa condamnation étant devenue définitive, M. Voninahitsy a été déchu de son mandat parlementaire conformément aux articles 9.6 et 25 de l'ordonnance N°93-007 du 24 mars 1993; le 19 juillet 2001, la Haute Cour constitutionnelle a constaté la vacance de son siège et a procédé à son remplacement,

considérant que, en vertu des dispositions qui précèdent, M. Voninahitsy ne pourra pas se présenter aux prochaines élections,

considérant que a) l'élément essentiel et la raison même de l'introduction dans le droit pénal du flagrant délit est le très court laps de temps s'écoulant entre la commission du délit et sa révélation, qu'il s'agisse d'un flagrant délit proprement dit ou d'un délit considéré comme flagrant délit; b) la facilité avec laquelle le délit peut être établi n'a rien à voir avec le flagrant délit dont le but est essentiellement de justifier l'urgence et les pouvoirs étendus des enquêteurs; selon l'article 53, paragraphe 2, du Code français de procédure pénale, dont s'inspire le Code malgache de procédure pénale, l'enquête menée à la suite de la commission d'un flagrant délit, qu'il s'agisse d'un crime ou d'un délit, ne doit pas durer plus de huit jours,

considérant que, dans la législation française, que les autorités citent pour modèle pour Madagascar, l'émission de chèque sans provision n'est plus un délit pénal à la suite de l'adoption de la loi 91/1382 du 30 décembre 1991; que la peine privative de liberté a été remplacée par la suspension des privilèges bancaires,

considérant que M. Voninahitsy a réglé tous les chèques, raison pour laquelle il n'y a pas de plaignant ni de partie civile en l'espèce; que, selon la source, le tribunal a ajouté le délit d'émission de chèques sans provision pour faire de M. Voninahitsy un prisonnier de droit commun par crainte de la réaction de la population, qui était venue par milliers le jour du procès manifester son mécontentement et réclamer la libération du député; que de plus, plusieurs membres du parti majoritaire auraient émis des chèques sans provision sans avoir jamais été poursuivis ou, s'ils l'ont été, ont été libérés en attendant leur procès,

notant que les sources craignent que des poursuites aient été engagées contre M. Voninahitsy pour l'empêcher de se présenter à l'élection des gouverneurs, des sénateurs et du Président de la République,

notant que deux motions parlementaires proposant d'amnistier M. Voninahitsy ont été récemment rejetées,

  1. remercie le Président de l'Assemblée nationale de sa coopération, et le félicite des mesures qu'il a prises pour défendre les privilèges parlementaires de M. Voninahitsy;

  2. est alarmé d'apprendre que M. Voninahitsy a été condamné en dernière instance pour émission de chèques sans provision, sur la base du flagrant délit et, partant, sans que son immunité parlementaire ait été levée, et qu'en conséquence il est maintenant déchu de son mandat parlementaire;

  3. saisit mal, à la lumière de la législation en vigueur et de la notion même de flagrant délit, comment cette dernière a pu être appliquée en l'espèce, étant donné que les chèques dits sans provision ont été émis plusieurs mois avant l'inculpation et après que M. Voninahitsy les eut réglés; ne comprend pas pourquoi l'accusation n'a pas agi au moment oû la Banque centrale l'a avisée que le compte était insuffisamment approvisionné;

  4. considère en conséquence que l'arrestation et la détention de M. Voninahitsy pour émission de chèques sans provision, alors que son immunité parlementaire n'avait pas été préalablement levée, sont contraires à l'article 69 de la Constitution qui garantit l'inviolabilité parlementaire;

  5. ne saurait partager le point de vue des autorités qui estiment que l'avis bancaire de non-paiement pour insuffisance de provision ne constitue pas en soi la preuve que le délit a été commis; note que les jugements rendus contre M. Voninahitsy n'apportent aucun élément qui prouve qu'il n'ait pas agi de bonne foi;

  6. note que M. Voninahitsy a d'abord été arrêté, illégalement, comme l'a établi par la suite la Cour d'appel, pour outrage au Président et diffusion de fausses nouvelles; que les accusations d'émission de chèques sans provision ont été portées trois jours plus tard, lorsque son arrestation a suscité de vives protestations; note également que l'accusation d'outrage n'a pas eu de suites; considère que la succession des événements porte à croire que M. Voninahitsy a été poursuivi pour des mobiles étrangers au droit;

  7. affirme qu'en faisant la déclaration qui est à l'origine de son arrestation M. Voninahitsy n'a fait qu'exercer son droit à la liberté d'expression et s'acquitter de son mandat parlementaire, qui consiste aussi à critiquer et à dénoncer les abus éventuels du pouvoir exécutif de l'Etat;

  8. s'inquiète à l'idée que la condamnation de M. Voninahitsy va l'empêcher de se présenter aux prochaines élections, et invite donc le Président de la République et le Parlement à lui accorder une amnistie pour lever tous les obstacles à sa candidature à des fonctions politiques à l'avenir;

  9. prie le Secrétaire général de communiquer cette résolution aux autorités compétentes et aux sources;

  10. prie le Comité des droits de l'homme des parlementaires de poursuivre l'examen de ce cas et de lui faire rapport à sa prochaine session (mars 2002), dans l'espoir qu'il pourra clore le dossier après un règlement satisfaisant du cas.

Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 106ème Conférence et réunions connexes de l'Union interparlementaire" au format PDF (taille du fichier environ 507K). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

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