IPU Logo-top   
 IPU Logo-middleUnion interparlementaire  
IPU Logo-bottomPlace du Petit-Saconnex, Case postale 438, 1211 Genève, Suisse  

SINGAPOUR
CAS N° SING/01 - JOSHUA JEYARETNAM
Résolution adoptée sans vote par le Conseil interparlementaire
à sa 170ème session (Marrakech, le 23 mars 2002)


Le Conseil de l'Union interparlementaire,

saisi du cas de M. Joshua Jeyaretnam, ancien membre de l’opposition de Singapour, qui a fait l’objet d’une étude et d’un rapport du Comité des droits de l’homme des parlementaires conformément à la "Procédure d’examen et de traitement, par l’Union interparlementaire, de communications relatives à des violations des droits de l’homme dont sont victimes des parlementaires",

prenant note du rapport du Comité des droits de l’homme des parlementaires qui contient un exposé détaillé du cas (CL/170/13.c.ii)-R.1),

considérant que M. Jeyaretnam a été élu pour la première fois en 1981 où il a remporté une élection partielle et est devenu le premier député de l’opposition depuis plus de quinze ans; qu’il a été réélu en 1984 mais a perdu son siège en 1986 à la suite d’une condamnation au pénal, dans laquelle le Privy Council a vu une grave injustice, et qu’il a été inéligible jusqu’en 1997, date à laquelle il s’est présenté aux élections et a réintégré le Parlement en qualité de membre sans circonscription; que sur les 85 membres que compte le Parlement de Singapour, trois, dont M. Jeyaretnam, représentent l’opposition; considérant que le Comité des droits de l’homme des parlementaires a été saisi de son cas pour la procédure judiciaire suivante :

  • en 1984, M. Jeyaretnam a été reconnu coupable d’utilisation frauduleuse de fonds appartenant à son parti, le Parti des travailleurs; du fait de sa condamnation, il a été déchu de son siège parlementaire et radié de l’ordre des avocats de Singapour; il a saisi le Privy Council de Londres pour contester sa radiation de l’ordre des avocats; en octobre 1988, le Privy Council a conclu que M. Jeyaretnam avait subi un tort grave et avait été déclaré coupable de délits qu’il n’avait pas commis; malgré cet arrêt, le Président de Singapour a rejeté en mai 1989 le recours en grâce de M. Jeyaretnam, essentiellement au motif que celui-ci "n’avait exprimé aucun remord, contrition ou repentir au sujet des délits pour lesquels il avait été condamné";
  • peu après les élections de 1997, le Ministre d’Etat, M. Lee Kuan Yew, le Premier Ministre, M. Gho Chok Tong, et d’autres responsables du Parti d’action populaire (PAP), parti au pouvoir, ont intenté des procès à M. Jeyaretnam, alléguant qu’il les avait diffamés lors d’une réunion électorale en déclarant "Et enfin, M. Tang Liang Hong vient de me remettre deux plaintes qu’il a déposées contre, vous savez, M. Gho Chok Tong et compagnie"; Tang Liang Hong, autre candidat au Parlement, avait porté plainte à la police au motif que les responsables du PAP l’avaient diffamé pendant la campagne en le présentant publiquement comme "chauviniste chinois antichrétien"; dans le procès qu’il a intenté à M. Jeyaretnam, le Premier Ministre s’est vu accorder 20.000 dollars de Singapour de dommages-intérêts, qui ont été portés en appel à 100.000 SGD auxquels s’ajoutait la totalité des dépens; en 1998, le Premier Ministre a assigné M. Jeyaretnam en déclaration de faillite, mais a par la suite accepté que les dommages-intérêts qui lui étaient dus lui soient réglés par paiements échelonnés; en décembre 2000, les coplaignants de M. Gho Chok Tong, notamment Lee Kuan Yew et d’autres responsables du PAP, ont pris des mesures pour relancer l’action judiciaire de 1997; en juillet 2001, M. Jeyaretnam, qui avait fait appel pour demander un non-lieu dans ses procès en diffamation, a été débouté;
  • dans un article publié en 1995, le journal du Parti des travailleurs estimait qu’une manifestation du nom de "Semaine de la langue tamoule" était un moyen peu approprié de promouvoir la langue tamoule et qu’un certain nombre de personnes impliquées dans l’organisation de cette manifestation étaient des opportunistes politiques; cet article a donné lieu à deux procès en diffamation contre l’auteur de l’article, contre M. Jeyaretnam, en qualité de directeur du journal, et contre les membres du Comité central du Parti des travailleurs; dans le premier procès, auquel était mêlé le Ministre des Affaires étrangères, M. S. Jayakumar, et quatre autres parlementaires du PAP, les défendeurs ont accepté de faire des excuses publiques et de verser 200.000 SGD de dommages-intérêts; en février 1998, après avoir réglé 100.000 dollars, les défendeurs n’ont plus pu payer, sans qu’alors les plaignants réagissent; le deuxième procès a été intenté par Indra Krishnan et neuf autres membres du comité d’organisation de la Semaine de la langue tamoule, dont l’un d’eux est aujourd’hui député du PAP; bien que l’auteur ait reconnu qu’il était entièrement responsable de l’article, la Haute Cour a accordé aux dix plaignants 265.000 SGD de dommages-intérêts et une somme globale de 250.000 SGD pour les dépens, à régler solidairement par tous les défendeurs; deux des plaignants ont alors assigné M. Jeyaretnam, et lui seul, en déclaration de faillite, mais ont été réglés par paiements échelonnés; les huit autres plaignants ont alors engagé la même procédure contre M. Jeyaretnam et, le lendemain du jour où il n’avait pas pu régler un acompte à l’échéance convenue, en janvier 2001, il a été déclaré failli; le 16 juillet 2001, M. Jeyaretnam a offert d’acquitter le solde des dommages-intérêts en trois paiements échelonnés; la Cour d’appel a rejeté le 23 juillet 2001 le dernier appel de M. Jeyaretnam qui avait formé un recours contre la décision de déclaration de faillite; en vertu des Articles 45.1.b et 46.2.e de la Constitution, M. Jeyaretnam a donc été automatiquement déchu de son siège parlementaire; son nom a été officiellement rayé de la liste des parlementaires de Singapour le 25 juillet 2001 et il ne pourra pas se présenter aux prochaines élections s’il ne rembourse pas ses créanciers;
  • l’incapacité de M. Jeyaretnam de payer, à un jour près, l’acompte convenu à Indra Krishnan et à ses collègues parlementaires en janvier 2001 est due dans une large mesure à une requête du Ministre des Affaires étrangères, M. Jayakumar, et des quatre autres plaignants du PAP; après n’avoir fait aucune réclamation après la réception d’un troisième acompte en remboursement de la somme de 200.000 SGD qui leur avait été accordée en 1998, ces plaignants ont, en décembre 2000, demandé avec succès aux tribunaux de saisir une somme de 66.666,66 SGD accordée à M. Jeyaretnam dans un procès qu’il avait intenté à un avocat qui lui devait les dépens; M. Jeyaretnam avait l’intention de se servir de ce montant pour régler l’acompte dû au 2 janvier 2001; le Ministre des Affaires étrangères s’en est pris à M. Jeyaretnam seul, et non pas aux autres défendeurs du Parti des travailleurs, pour obtenir le règlement des dommages-intérêts encore dus;
  • M. Jeyaretnam et l’observateur international qui a suivi les audiences du procès en appel en juillet 2001 soulignent que la Cour d’appel n’a pas tenu compte de l’argument le plus important avancé par M. Jeyaretnam, à savoir l’abus de la procédure judiciaire; comme M. Jeyaretnam le faisait valoir dans son appel, le fait de le réduire à la faillite aurait uniquement pour effet de l’empêcher d’effectuer ses autres paiements et, en conséquence, le seul but de la procédure engagée par Krishnan en demande de déclaration de faillite était de l’évincer de la fonction publique en lui faisant perdre sa qualité de parlementaire; dans son rapport, l’observateur du procès évoque longuement la jurisprudence du Commonwealth, selon laquelle les tribunaux ont toute liberté pour rejeter une requête si elle est présentée à des fins collatérales ou abusives; de plus, s’agissant de la demande de saisie des dommages-intérêts accordés à M. Jeyaretnam, déposée par M. Jayakumar et d’autres personnes, les sources relèvent que cette somme était due depuis février 1998 et qu’aucun des créanciers n’avait engagé la moindre action pour la recouvrer; de plus, l’un des défendeurs en l’espèce, qui gagnait 12.000 SGD par mois, aurait été plus à même de régler cette somme que M. Jeyaretnam qui n’en gagnait que 1.600;
  • dans un communiqué de presse du 3 septembre 2001, M. Jeyaretnam explique que le Premier Ministre Goh Chok Tong lui réclame maintenant le solde du montant qui lui a été accordé en août 1997; de plus, M. Jayakumar et les autres plaignants dans l’affaire Krishnan ont introduit une requête en remboursement du solde qui leur est dû, réclamant ce paiement à M. Jeyaretnam seul, et non aux autres défendeurs en l’espèce;
  • les autorités, en particulier le Ministre de la Justice, ont fait observer que les Singapouriens jouissaient de la liberté d’expression mais que, comme dans d’autres pays, celle-ci était soumise au droit interne; même les étrangers avaient pu constater que les Singapouriens critiquaient leur Gouvernement; les deux députés élus de l'opposition tenaient des propos virulents au Parlement. Cependant, il n'existait pas de norme internationale unique en matière de liberté d'expression et les limites de tolérance variaient d'un pays à l'autre. Même si l’on adoptait le critère de common law qui consistait à se demander si les paroles prononcées étaient de nature à "faire baisser le plaignant dans l’estime de la société bien-pensante", la norme variait parce que le niveau de tolérance n’était pas le même dans toutes les sociétés; de plus, les Singapouriens, acteurs politiques ou non, étaient jaloux de leur réputation et de leur honneur, "car les contre-vérités restent gravées dans les mémoires"; les autorités ont également souligné l’indépendance de la justice singapourienne, précisant que "Beaucoup ont recours à notre justice, sachant qu’ils bénéficieront d’un procès équitable. L’attachement à l’Etat de droit a valu à Singapour et à ses tribunaux d’être bien cotés dans les sondages, enquêtes et classements internationaux, effectués par des institutions respectables comme le Forum économique mondial, Heritage Foundation et le Political and Economic Risk Consultancy";
  • en ce qui concerne la procédure en question, les autorités relèvent que l’affaire Krishnan est "une affaire privée entre M. Jeyaretnam et dix particuliers qui ont estimé avoir été diffamés…"; elles signalent que les plaignants peuvent se retourner contre n’importe lequel des défendeurs, qui sont solidaires, et que rien n’empêche les deux autres défendeurs en l’espèce de régler la somme accordée par décision de justice; de leur point de vue, "il est tout à fait naturel que les plaignants se retournent contre M. Jeyaretnam qui est le directeur de l’organe officiel du parti, The Hammer, qui a publié l’article incriminé. De plus, M. Jeyaretnam est Secrétaire général du Parti des travailleurs"; s’agissant du dernier appel de M. Jeyaretnam qui a été rejeté, elles précisent que "La Cour d'appel a débouté M. Jeyaretnam parce que la décision du tribunal qui l'a déclaré failli est légalement fondée. Des preuves irréfragables ont été produites lors du jugement de cette affaire pour démontrer l'incapacité de M. Jeyaretnam de s'acquitter de ses dettes aux échéances fixées, d'où la nécessité de le mettre en faillite"; parmi les preuves, le Ministre cite "l'aveu des avocats de M. Jeyaretnam qui, interrogés par le juge, ont déclaré sans équivoque que leur client n'était pas en mesure de payer ses dettes"; les autorités relèvent en outre que, si les membres du PAP avaient voulu évincer M. Jeyaretnam du Parlement en le déclarant failli, "ils auraient pu essayer de le faire plus tôt. La vérité est qu’on a fait preuve de beaucoup de patience envers M. Jeyaretnam… Le problème de M. Jeyaretnam n’est pas que les dirigeants du PAP veuillent le faire exclure ou le maintenir hors du Parlement, mais qu’il n’est que trop enclin à faire des allégations extravagantes.",

notant enfin que des membres de l’opposition n’ont jamais gagné un seul procès en diffamation; il y a eu des cas, relevés par les autorités, où des membres du PAP, parti au pouvoir, ont été poursuivis pour diffamation. M. Chiam See Tong, député de l'opposition depuis 1984, a obtenu à trois reprises des dommages-intérêts pour avoir été diffamé par des membres du PAP. A chacune de ces occasions, les membres en question ont présenté, avant le procès, des excuses publiques à M. Chiam qui a accepté un règlement du différend à l'amiable. Selon M. Jeyaretnam, le Parti des travailleurs a engagé en 1972 des poursuites contre un candidat du PAP qui avait accusé le parti d’avoir reçu 600.000 SGD de la Malaisie, insinuant ainsi que le parti servait les intérêts d'une puissance étrangère; en 1981, M. Jeyaretnam a attaqué en justice M. Goh Chok Tong; bien qu’il ait reconnu le caractère diffamatoire des propos incriminés, le tribunal a débouté le plaignant au motif que ces propos étaient étayés par les faits et que M. Jeyaretnam n’avait pas pu prouver le préjudice subi et il a condamné M. Jeyaretnam aux dépens; la plainte déposée par un candidat du Parti des travailleurs aux élections contre le journal Straits Times d’obédience gouvernementale a été également rejetée au motif que le plaignant n’avait pu produire aucun témoin pour certifier qu’il était bien la personne visée dans la publication incriminée,

  1. remercie les autorités des observations qu’elles ont régulièrement communiquées;
  2. souligne que la liberté d’expression est l’un des principaux fondements de la démocratie parlementaire car c’est la condition préalable aux débats et aux échanges d’idées sans lesquels il n’est pas de démocratie;
  3. affirme qu’en tenant lors d’une réunion électorale les propos jugés diffamatoires sur le Premier Ministre Gho Chok Tong et d’autres personnes, M. Jeyaretnam n’a fait qu’exercer son droit à la liberté d’expression; relève que, dans l’affaire Krishnan, il n’est pas l’auteur de l’article en cause, et ne peut donc partager le point de vue des autorités qui estiment que, contrairement aux membres du PAP, M. Jeyaretnam n’est que trop enclin à faire des allégations extravagantes;
  4. affirme que les plaignants en cause, comme tout un chacun, ont le droit de défendre leur honneur et leur réputation, qui est un droit fondamental; considère toutefois que la succession des procès en diffamation et en demande de déclaration de faillite intentés à M. Jeyaretnam et leur calendrier indiquent une intention nette de le prendre pour cible pour le déclarer failli et l’évincer ainsi du Parlement;
  5. regrette vivement qu’il ait été déchu de son siège parlementaire;
  6. charge le Secrétaire général de porter cette résolution à la connaissance des autorités et des sources.

Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 107ème Conférence et réunions connexes de l'Union interparlementaire" au format PDF (taille du fichier environ 452K). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

PAGE D'ACCUEILred cubeDROITS DE L'HOMMEred cubeDOMAINES D'ACTIVITESred cubeSTRUCTURE ET DOCUMENTS