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PALESTINE
Rapport sur le procès de M. Hussam Khader

Rapport de Me Simon Foreman, avocat et expert mandaté par le Comité des droits de l'homme des parlementaires, en application de la résolution adoptée par le Conseil directeur de l'Union interparlementaire à sa 176ème session (Manille, avril 2005)

INTRODUCTION – ORGANISATION DE LA MISSION

1.   Cette mission a été décidée par le Conseil directeur de l’Union interparlementaire lors de sa 176ème session, le 8 avril 2005 à Manille.

Le Conseil a exprimé son inquiétude sur ce procès et décidé d’envoyer un juriste observer les prochaines audiences. Le Comité des droits de l’homme des parlementaires suit la situation de M. Khader depuis le mois d’avril 2003 c’est-à-dire peu de temps après son arrestation intervenue le 17 mars 2003. Il avait demandé à rendre visite à M. Khader en prison en juillet 2003, ce qui n’avait pas été accepté par les autorités israéliennes.

2.   Les audiences du procès de Hussam Khader ont commencé en été 2003 et le procès se déroulait déjà depuis deux ans (avec de très nombreuses interruptions, plusieurs mois séparant chacune des audiences) lorsque je me suis rendu en Israël et dans les territoires occupés pour observer les dernières audiences.

3.   La mission s’est décomposée en deux temps.

Je me suis rendu une première fois à Tel Aviv et à Salem, siège du tribunal, pour l’audience du 29 juin 2005 (dont une partie a dû se dérouler à huis clos, donc sans que je puisse y assister). A l’issue de cette journée d’audience, la suite du procès a été fixée au 4 septembre 2005.

Lors de sa réunion du 14 juillet 2005 à Genève, le Comité des droits de l’homme des parlementaires a réexaminé le dossier et m’a été demandé de poursuivre l’observation du procès lors des audiences suivantes.

4.   J’ai donc assisté à une deuxième audience le 4 septembre 2005. Dans le cours de cette journée, l’accusation a modifié les chefs d’accusation articulés à l’encontre de Hussam Khader et au vu de ces nouveaux chefs d’accusation, ce dernier a plaidé coupable.

Dans ces conditions le procès sur les charges et sur les faits a pris fin avec un constat de culpabilité. Le tribunal a alors renvoyé au 23 octobre la dernière audience destinée à statuer sur la peine.

5.   Lors de mes deux déplacements à Tel Aviv et à Salem j’ai bénéficié d’un accueil bienveillant de la part des autorités israéliennes, en particulier les responsables de la Knesset, du Ministère des affaires étrangères (direction des organisations internationales) et des forces de défense d’Israël (IDF). Je dois particulièrement remercier le lieutenant-colonel Erez Hason, président du tribunal militaire de Samarie, qui a grandement facilité ma mission au plan matériel, notamment en mettant un soldat à ma disposition pour traduire une partie des débats lors de ma première mission le 29 juin (les autorités sollicitées pour l’organisation de cette mission, qui ne l’ont autorisée que le 27 juin, n’ayant pas pu dans ce court laps de temps trouver un interprète susceptible de m’accompagner au tribunal).

Pour ma deuxième mission le secrétariat de l’Union interparlementaire a fait en sorte que je puisse être accompagné par Mme Tamar Fox, interprète professionnelle, à laquelle j’exprime toute ma gratitude pour son aide efficace.

6.   Le présent rapport comporte en premier lieu un exposé factuel de la situation de M. Khader, avant d’examiner s’il a bénéficié de l’ensemble des garanties prévues par le droit international.

Comme on l’a vu je n’ai pu assister qu’à deux audiences en juin et septembre 2005, alors que le procès a débuté en juillet 2003 et avait déjà connu 15 audiences au cours des deux années écoulées. Les informations rapportées dans le présent rapport ne correspondent donc pas toutes à des constats que j’ai pu faire moi-même. J’ai dû me baser en partie sur des informations provenant de mes discussions avec les parties prenantes au procès, ou bien de la famille de M. Khader, de son comité de soutien, des sources ayant saisi le Comité des droits de l’homme des parlementaires de l’UIP, et enfin des autorités israéliennes.

Lorsque certaines de ces informations sont contestées ou non vérifiées, je le signalerai dans le présent rapport ou j’emploierai le conditionnel.

I.   LES FAITS

7.   M. Hussam Khader, né en 1961, est un élu du Conseil législatif palestinien (CLP), membre du Fatah, connu pour son implication sur le problème des droits des réfugiés. Il vit lui-même au camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, où il est né.

Du fait de son implication dans la première Intifada, il aurait été arrêté plus d’une vingtaine de fois par les autorités israéliennes avant d’être expulsé au Liban puis de s’exiler en Tunisie jusqu’à la signature des accords d’Oslo, qui lui a permis de revenir en Cisjordanie. Il s’est alors présenté aux premières élections législatives de 1996 et a été élu pour la circonscription de Naplouse.

M. Khader explique également qu'il s'est fortement impliqué dans la lutte contre la corruption au sein de l’Autorité palestinienne, un élément qui aura son importance dans le cadre de son procès puisqu’il suspecte son arrestation et les accusations portées contre lui d’être, au moins pour partie, le résultat d’un " règlement de comptes " interne à cette Autorité.

A.   L’arrestation et la phase d’enquête

*   L’arrestation

8.   M. Khader a été arrêté dans la nuit du 16 au 17 mars 2003.

Selon les informations diffusées par son comité de soutien, cette arrestation aurait été particulièrement violente et aurait été l’occasion d’un déploiement de force disproportionné : sa maison du camp de Balata aurait été investie par plusieurs dizaines de soldats israéliens qui auraient enfoncé la porte et tiré des coups de feu sur la maison, terrorisant ainsi ses occupants (parmi lesquels la mère de M. Khader, trois enfants et un bébé de neuf mois). Son ordinateur, son téléphone portable et ses dossiers auraient été saisis à cette occasion.

M. Khader a été emmené par les soldats et aucune information n’a été donnée à sa famille sur sa destination. Il est détenu sans interruption depuis cette date.

*   La détention de M. Khader jusqu’à son procès : 90 jours de garde à vue

9.   Pendant une semaine, ni la famille de M. Khader ni ses avocats n’ont pu savoir où il était détenu. Le 19 mars, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) lançait un appel urgent en sa faveur et s’inquiétait notamment du respect de son intégrité physique et psychique.

Le 24 mars, un de ses avocats a été informé qu’il se trouvait détenu au centre de Petah Tikva et autorisé à l’y rencontrer. Ce lieu de détention est un centre d’interrogatoire du GSS (General Security Services, services de renseignement intérieurs).

Lors de cette entrevue, M. Khader a expliqué à son avocat qu’il était soumis à des interrogatoires pendant des durées de 20 heures par jour et ne se voyait autoriser que de très courts temps de repos et de sommeil.

10.   La première comparution de M. Khader devant un juge a eu lieu 10 jours après son arrestation, le 26 mars, date à laquelle sa détention a été examinée par un juge militaire au sein même de la prison de Petah Tikva.

A cette occasion, M. Khader a pu être assisté par son avocat, M. Riad Anis, mais celui-ci n’a pas eu accès au dossier de l’enquête, les éléments de ce dossier ayant fait l’objet d’une classification " secret " par le GSS. Il a seulement été indiqué qu’il était reproché à M. Khader de menacer la sécurité de la région et de soutenir des activités militaires contre des objectifs israéliens.

Le juge a autorisé la prolongation de détention pour 15 jours.

Par la suite, la détention sera prolongée régulièrement pendant toute la durée de la phase d’investigation puis celle du procès, jusqu’à ce jour.

11.   Après la première audience du 26 mars 2003, M. Khader a à nouveau " disparu " aux yeux de sa famille et de son avocat qui n’ont pas été informés de sa localisation.

Le 4 avril 2003, après avoir menacé d’introduire une action en justice pour pouvoir rencontrer son client, M. Anis, a été informé de son transfert au centre d'Acre où il a finalement pu le voir.

Lors de cette rencontre, M. Khader n’a pas été capable de dire depuis quand il se trouvait à Acre. Il a indiqué qu’il était soumis à un isolement complet, que les interrogatoires se poursuivaient, qu’il était privé de sommeil et exposé à de très forts bruits [loud noises] ainsi qu’à la méthode du shabeh. Le shabeh consiste à attacher la personne interrogée à une chaise (mains menottées dans le dos, chevilles attachées à la chaise) et la contraindre à y rester assise pendant de nombreuses heures dans une position douloureuse.

Le 8 avril, le GSS a émis un ordre interdisant tout contact entre M. Khader et son avocat pour une durée de cinq jours. En fait, ce n’est que le 25 avril suivant qu’ils ont pu avoir un nouvel entretien.

12.   M. Khader est resté entre les mains du GSS pendant trois mois.

Courant mai 2003, il aurait été maintenu à l’isolement total pendant une semaine, avant de subir un interrogatoire ininterrompu de 60 heures pendant lequel il n’aurait pu ni se nourrir, ni se reposer.

Peu après cet interrogatoire, il a été ramené du centre d'Acre à la prison de Petah Tikva.

Le 16 juin 2003, les services du procureur militaire rédigeaient l’acte d’accusation sur la base duquel le procès allait s’ouvrir.

B.   Le procès

13.   Le procès s’est déroulé sur plus de deux ans, de l’été 2003 jusqu’à l’automne 2005, et la dernière audience doit en principe se tenir le 23 octobre prochain. Pendant cette période, une quinzaine d’audiences ont eu lieu, généralement espacées de deux à trois mois.

*   Les chefs d’accusation

14.   Les chefs d’accusation ont évolué pendant la durée du procès. Le comité de soutien à Hussam Khader indique qu’initialement il n’y en avait que deux :

  • services rendus à une organisation interdite (Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa);

  • remise de fonds à un individu en vue d’achats de munitions pour les besoins d’une attaque dirigée contre des soldats israéliens.
Par la suite, trois chefs d’accusation supplémentaires ont été ajoutés, concernant trois attaques armées dirigées contre des objectifs israéliens en Cisjordanie (dont un projet auquel ses auteurs ont renoncé en trouvant sur les lieux qu’ils prévoyaient d’attaquer une importante présence militaire) : il était reproché à M. Khader d’avoir été informé de ces trois projets et de ne pas avoir alerté les autorités pour les empêcher.

15.   Enfin lors de l’audience du 4 septembre 2005, l’accusation a modifié une dernière fois les chefs d’accusation.

Parmi les accusations les plus récentes (avoir été prévenu de projets d’attaques et n’avoir rien fait pour les empêcher), elle en a abandonné deux, ne retenant en dernier lieu que l’accusation relative à la tentative avortée du fait de l’abandon de ses auteurs.

Les deux chefs d’accusation initiaux ont été maintenus mais redéfinis pour ne plus viser que les charges suivantes :

  • le premier chef d’accusation (services rendus à une organisation interdite) reproche en son dernier état à M. Khader d’avoir remis des fonds à un individu (M. Amir Sowalma, personnage dont on reparlera plus loin) lui-même lié aux Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa. L’accusation indique que les fonds remis par M. Khader ont ultérieurement servi les activités de l’organisation interdite;

  • le second chef d’accusation, qui reprochait initialement à M. Khader d’avoir été l’un des organisateurs d’un projet d’attentat pour les besoins duquel il aurait remis des sommes au même Amir Sowalma, a été également modifié puisqu’il est désormais seulement dit que M. Khader savait que M. Sowalma préparait un attentat lorsqu'il lui a remis une somme d'argent.
16.   M. Khader a décidé de plaider coupable en conséquence de cette modification des charges.

Lors de son audition par le tribunal le 4 septembre, il n’a pas contesté connaître effectivement M. Sowalma, habitant dans le même camp de réfugiés que lui, ni lui avoir permis de bénéficier de soutiens financiers, comme à beaucoup d’autres habitants du camp, au titre de ses activités sociales.

Il a par contre vigoureusement nié avoir jamais participé, même de loin, à la préparation d’actes violents et avoir su que M. Sowalma pouvait utiliser à ces fins les sommes que M. Khader l’aidait à obtenir à titre d’aides sociales.

Les charges modifiées ne font plus encourir à M. Khader qu’une peine de dix ans de prison au maximum, au lieu de la prison à vie pour les charges précédentes. Dans ces conditions, et dès lors qu’elles ne lui imputent plus la responsabilité personnelle d’actes violents, M. Khader a pris la décision de plaider coupable.

*   Le Tribunal militaire de Samarie

17.   Le procès est conduit devant le Tribunal militaire de Samarie.

Ce tribunal fait partie des juridictions militaires instituées par les forces de défense d’Israël dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza, comme le prévoient les dispositions de la Quatrième Convention de Genève de 1949 relative à la protection des populations civiles en temps de guerre.

Cette convention du 12 août 1949 traite de " la protection des populations civiles en temps de guerre " et s’applique notamment aux situations d’occupation d’un territoire par l’armée d’un Etat étranger (article 2). Israël a adhéré à cette convention le 6 janvier 1952.

Son article 64 permet à la puissance occupante d’édicter dans le territoire occupé " des dispositions qui sont indispensables pour lui permettre de remplir ses obligations découlant de la présente Convention, et d’assurer l’administration régulière du territoire ainsi que la sécurité soit de la puissance occupante, soit des membres et des biens des forces ou de l’administration d’occupation ainsi que des établissements et des lignes de communication utilisés par elle ".

Et en complément de ce texte, l’article 66 de la même Convention prévoit que " la puissance occupante pourra, en cas d’infraction aux dispositions pénales promulguées par elle en vertu du deuxième alinéa de l’article 64, déférer les inculpés à ses tribunaux militaires, non politiques et régulièrement constitués, à condition que ceux-ci siègent dans le pays occupé. Les tribunaux de recours siégeront de préférence dans le pays occupé ".

Bien qu’Israël considère que la Quatrième Convention de Genève ne s’applique pas dans les territoires occupés de Cisjordanie et de la Bande de Gaza (aux motifs qu’aucun pouvoir n’exerçait une souveraineté légitime sur ces territoires lorsqu’ils ont été occupés par Israël en 1967), les autorités ont décidé d’en appliquer dans la pratique un certain nombre de dispositions dont celles des articles 64 et 66.

Un système de tribunaux militaires a ainsi été mis en place depuis les débuts de l’occupation en 1967.

18.   Les territoires occupés ont été divisés en trois circonscriptions juridictionnelles correspondant aux ressorts territoriaux des trois tribunaux militaires institués :

  • tribunal militaire de Gaza;

  • tribunal militaire de Judée (compétent pour le sud de la Cisjordanie);

  • tribunal militaire de Samarie (compétent pour le nord de la Cisjordanie) devant lequel comparaît M. Khader. Ce tribunal siégeait autrefois à Naplouse mais il a été transféré depuis quelques années dans une base militaire située près du village de Salem, entre Jenine et Meggido, à environ 80 km au nord-est de Tel Aviv. Cette base militaire est située sur la " ligne verte ", frontière séparant Israël des territoires palestiniens occupés. Le tribunal siège du côté palestinien de la frontière de manière à respecter techniquement l’article 66 de la Quatrième Convention de Genève (" … à condition que ceux-ci siègent dans le pays occupé ").
Les décisions de ces trois tribunaux militaires peuvent être soumises à une Cour d’appel militaire siégeant à Ramallah.

En dernier recours, les décisions de la Cour militaire de Ramallah peuvent être contestées devant la Cour suprême d’Israël, siégeant à Jérusalem.

19.   Les juges militaires sont des officiers juristes, nommés par une commission au sein de laquelle sont représentés l’armée, la justice et le barreau. La majorité d’entre eux sont d’anciens procureurs militaires. Les juges siégeant seuls et ceux présidant les formations collégiales sont obligatoirement des officiers affectés à plein temps à leurs fonctions de juges militaires. Leur statut leur garantit l’indépendance dans leurs fonctions juridictionnelles pour lesquelles ils ne dépendent pas de leur hiérarchie, mais statuent sous le contrôle de la Cour d’appel militaire.

Les juges assesseurs peuvent être des civils effectuant leur service militaire. Tel est le cas par exemple des deux assesseurs entourant le lieutenant-colonel Hason dans le procès de M. Khader, qui sont l’un et l’autre avocats dans la vie civile et viennent régulièrement siéger au tribunal militaire au titre de leurs obligations militaires.

Les forces de défense israéliennes ont institué un corps de procureurs militaires qui sont des officiers dotés d’une formation juridique approfondie.

La défense est exercée indifféremment par les avocats du barreau israélien ou par ceux du barreau palestinien.

*   Le déroulement des audiences

20.   Jusqu’au 29 juin 2005, les 15 premières audiences ont été consacrées à l’exposé de l’accusation, le procureur militaire ayant fait entendre un certain nombre de témoins, y compris des agents du GSS.

L’audience du 29 juin 2005 a été la première à laquelle j’aie assisté. Pendant cette audience, le procureur a terminé de présenter l’accusation et le tribunal a commencé à écouter la défense. M. Anis a ainsi commencé d’interroger son client.

L’exposé de la défense s’est poursuivi lors de l’audience du 4 septembre, jusqu’à ce qu’à l’issue d’une suspension le procureur annonce qu’il modifiait l’acte d’accusation.

Sur la base de ces charges modifiées, M. Khader a décidé de plaider coupable, ce qui a conduit le tribunal à un constat de culpabilité.

Les faits désormais reprochés à M. Khader ne sont plus passibles que de 10 ans d’emprisonnement au maximum. Il en résulte que son jugement relève désormais de la compétence du tribunal statuant à juge unique. L’affaire a ainsi été renvoyée au 23 octobre 2005 pour être entendue devant le président du tribunal siégeant sans ses assesseurs.

La décision de culpabilité étant intervenue, les débats porteront uniquement sur la peine.

*   Les accusations portées contre M. Khader et les éléments de preuve soumis au tribunal

21.   Les preuves présentées par l’accusation ont fait l’objet de vigoureuses contestations de la part de la défense. Ces contestations ont porté, d’une part, sur l’accès au matériel réuni par le GSS dans le cadre de l’investigation et, d’autre part, sur les témoins de l’accusation.

22.   Un certain nombre d’éléments réunis par les services d’enquête ont été classés " secrets " par les forces de sécurité, en conséquence de quoi la défense n’a pas pu y avoir accès.

Les autorités israéliennes expliquent cette situation par la nécessité de protéger l’identité de certaines sources ainsi que la confidentialité des méthodes, moyens techniques, procédures de travail et d’investigation du GSS. Elles insistent sur le fait que ce secret s'applique également au tribunal : de ce fait, aucune information couverte par le secret ne lui est transmise et ne peut donc servir de fondement à une condamnation.

Les autorités ajoutent que, dans le cadre de la classification " secret ", il est vérifié qu’aucun matériel classé confidentiel ne serait susceptible d’être utile à la défense.

23.   Un exemple concret des problèmes posés par cette situation peut être donné : M. Khader avait dit à son avocat que peu de temps après son arrestation, les enquêteurs du GSS lui avaient fait écouter une cassette dans laquelle deux jeunes hommes faisaient des aveux de participation à des projets d’attentats et affirmaient avoir été en contact pour cela avec lui.

M. Khader a toujours formellement nié ce que prétendaient ces deux jeunes hommes.

Lorsque le procès a débuté et que l’accusation a présenté ses preuves, cette cassette n’y figurait pas.

En définitive, M. Anis a fait valoir que cette pièce – gardée secrète par le GSS – serait utile à la défense et a convaincu la Cour d’en demander la communication à l’accusation. Cette cassette a été auditionnée par la Cour à huis clos, en présence d’un membre du GSS que M. Anis a pu contre interroger lors de l’audience du 29 juin.

Bien que j’aie été présent au tribunal de Samarie ce jour-là, je n’ai pas pu assister à cette partie de l’audience qui s’est déroulée à huis clos.

Selon les indications que j’ai recueillies ensuite, l’agent du GSS a reconnu que cette cassette n’avait pas été communiquée au tribunal parce qu’une partie de son contenu était fausse. Il a cependant refusé d’indiquer quelle partie de cette cassette était vraie et quelle partie était fausse.

La défense de M. Khader aurait voulu pouvoir examiner l’ensemble du dossier constitué par le GSS et ne pas se satisfaire de l’assurance donnée par les autorités selon laquelle aucun de ses éléments n’aurait été utile à la défense. L’exemple de cette cassette montre que cet examen doit être fait par la défense elle-même. Il m’a cependant été dit qu’une requête tendant à voir lever le secret sur ce dossier aurait été rejetée.

24.   S’agissant des témoins de l’accusation, deux types de problème ont été soulevés :

Le premier concerne l’audition par le tribunal d’agents du GSS.

Comme on l’a dit plus haut, l’enquête sur le dossier de M. Khader a été menée par le GSS qui l’a gardé à vue pendant les trois mois qui ont suivi son arrestation. Dans le souci de garantir la confidentialité et la sécurité des agents de ce service, les tribunaux israéliens procèdent à leur audition, lorsqu’ils viennent témoigner devant eux, au cours d’audiences à huis clos, ce qui constitue une dérogation au principe de publicité des débats, à laquelle la défense a acquiescé (l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques permet cette dérogation pour motifs de sécurité nationale).

25.   Le second problème est lié à la personnalité du principal témoin de l’accusation, Amir Sowalma.

Comme on l’a vu en examinant plus haut les chefs d’inculpation, ceux-ci reposent principalement sur les accusations de M. Sowalma. Or, il n’a été arrêté que plusieurs semaines après M. Khader. Ses déclarations incriminant M. Khader, qui constituent le fondement des accusations portées contre lui, n’existaient donc pas encore lorsque M. Khader a été arrêté.

D’autre part, la défense n’a pas manqué de faire valoir la fragilité du témoignage de M. Sowalma en observant qu’il a fait les déclarations incriminant M. Khader alors qu’il était lui-même détenu au secret par le GSS et interrogé par celui-ci, avec des méthodes d’interrogatoire qui jettent un doute sérieux sur la spontanéité et la sincérité des déclarations obtenues. Selon la défense, M. Sowalma a fait état de conditions d’interrogatoire s’apparentant à des traitements cruels, inhumains ou dégradants et a déclaré avoir été privé d’avocat pendant les semaines où il était interrogé.

L’avocat de M. Khader a considéré qu’il n’était pas possible d’accorder plus de crédit aux déclarations de M. Sowalma qu’aux déclarations des deux jeunes hommes qui eux aussi avaient mis en cause M. Khader et dont l’accusation avait renoncé à se servir.

Lorsqu’il a témoigné pour l’accusation devant le tribunal, M. Sowalma a déclaré qu’il avait porté des accusations contre M. Khader à la demande de certains membres de l’Autorité palestinienne qui avaient voulu régler leurs comptes avec lui1.

A l’audience du 4 septembre, la défense avait demandé l’audition de M. Sowalma ainsi que de l’agent du GSS qui avait recueilli ses déclarations. En définitive, l’abandon par le parquet des charges les plus graves et la décision de M. Khader de plaider coupable sur les charges modifiées ont mis fin aux débats sur les faits et la culpabilité de sorte que ces témoins n’ont finalement pas été auditionnés.

Il est à noter que Amir Sowalma a entre-temps été reconnu coupable de plusieurs attentats et condamné à la prison à vie.

Dans sa résolution du 8 avril 2005 le Conseil directeur de l’UIP a relevé " avec une vive préoccupation que le dossier de l’accusation repose essentiellement sur les déclarations d’une personne dont la fiabilité est sujette à caution ".

II.   ANALYSE : UN PROCES NON CONFORME AUX NORMES INTERNATIONALES

26.   Les points suivants seront examinés pour apprécier si les autorités israéliennes se sont conformées aux prescriptions du droit international dans la conduite du procès engagé contre M. Khader.

  1. son arrestation et son transfert en Israël;

  2. son droit d'être informé sans délai des raisons de son arrestation;

  3. son droit d'être traduit promptement devant un juge;

  4. le problème de la détention au secret;

  5. les allégations de traitements cruels, inhumains ou dégradants;

  6. l’impartialité des tribunaux militaires;

  7. l’accès au dossier de l’enquête;

  8. la publicité des audiences;

  9. ses conditions actuelles de détention.
1.   L’arrestation de M. Khader et son transfert en Israël

27.   M. Khader a été arrêté en pleine nuit, par l’armée, et immédiatement transféré en Israël dans un centre d’interrogatoire des services de renseignement. Il est depuis détenu sur le territoire israélien, sauf pour les audiences devant le tribunal militaire, pour les besoins desquelles il est conduit au tribunal qui siège, comme indiqué plus haut, en territoire occupé.

28.   Le respect strictement formel de la nécessité de faire siéger le tribunal en territoire occupé contraste avec la liberté prise par Israël à l’égard des autres dispositions de la Quatrième Convention de Genève à laquelle Israël est partie et, notamment, de celle interdisant de transférer les prisonniers vers le territoire de la puissance occupante.

L’article 49 de la Convention stipule en effet que : " Les transferts forcés en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre Etat, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif. "

Il en résulte très clairement l’interdiction faite à l’armée occupante de transférer un prisonnier depuis le territoire occupé jusqu’au territoire israélien, et ceci " quel qu’en soit le motif ".

29.   La pratique israélienne est pourtant quotidiennement contraire puisqu’il est tout à fait usuel de transférer en Israël pour interrogatoires et détention les personnes faites prisonnières dans les territoires occupés.

Cette pratique fait l’objet, en Israël, de discussions juridiques que j’ai déjà exposées dans le rapport adressé à l’Union interparlementaire sur le procès de M. Marwan Barghouti. La Cour suprême a en effet validé la pratique de transfert des prisonniers en Israël, en jugeant que l’article 49 n’interdirait pas les transferts de prisonniers individuels, mais seulement les déportations massives de populations civiles (arrêt Afu HCJ 785/87, 18 avril 1988).

Cette analyse est très contestée en Israël même, par divers auteurs et même certains juges. Elle n’est absolument pas admise par le droit international et contredit en particulier la doctrine du Comité international de la Croix-Rouge. On peut rappeler que, selon la Convention de Genève elle-même, il n’y a pas lieu de distinguer selon que les transferts sont individuels ou collectifs, puisque tous sont également proscrits par l’article 49 cité plus haut, et qu’aux termes des articles 146 et 147 les transferts illégaux de prisonniers constituent une " infraction grave " qui devrait même être punie pénalement.

2.   Droit d’être informé sans délai des raisons de son arrestation et de sa détention ainsi que de ses droits

30.   M. Khader n’a pas été informé des raisons de son arrestation lors de celle-ci. Même dix jours plus tard, lorsqu’il a comparu devant un juge, le 26 mars 2003, son avocat et lui n’ont pas été informés des charges pesant contre lui et n’ont pas eu accès au dossier de l’enquête, qui avait été classé secret par le GSS.

On leur a seulement parlé de menaces que M. Khader aurait représenté pour la sécurité de la région et de soutien à des activités militaires dirigées contre des objectifs israéliens.

L’article 9.2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par Israël en 1991, qui prévoit que " Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui ", n’a donc pas été respecté.

3.   Droit d’être traduit promptement devant un juge

31.   L’article 9.3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit que " Tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré ".

Cette première comparution devant un juge vise à permettre un contrôle impartial et indépendant de la régularité de l’arrestation et de la détention, et de la nécessité de poursuivre la privation de liberté.

Il est impératif qu’elle intervienne " dans le plus court délai ", même si le texte ne donne pas de délai maximum, chaque situation étant particulière et les conditions concrètes devant être prises en considération au cas par cas pour apprécier si une comparution aurait pu intervenir plus tôt. En tout cas, il est généralement considéré que ce délai ne saurait dépasser quelques jours et, à titre de comparaison, les délais suivants ont été jugés excessifs :

  • une semaine : le Comité des droits de l’homme, institué par le Pacte, a considéré qu’un délai d’une semaine était excessif2. Dans cette affaire, le détenu encourait la peine de mort, mais on observera que M. Barghouti encourt la peine maximum prévue par la loi pénale israélienne, à savoir la détention à perpétuité;

  • une semaine : la Commission interaméricaine des droits de l’homme a critiqué la loi de procédure pénale de Cuba au motif qu’elle permettait théoriquement qu’un détenu reste une semaine privé de liberté avant d’être présenté à un juge3;

  • 4 jours et 6 heures : la Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’un tel délai avant présentation d’un détenu à un juge n’était pas satisfaisant4.
32.   Dans le cas de M. Khader, sa première comparution devant un juge n’a eu lieu que 10 jours après son arrestation, sans explication des raisons qui auraient justifié un tel retard.

Ce délai est manifestement excessif. Dans ces conditions, les garanties prévues par l’article 9.3) du Pacte ont été violées.

4.   Détention au secret

33.   M. Khader a été maintenu à l’isolement à plusieurs reprises, non seulement pendant la période d’interrogatoire qui a duré pendant les trois mois qui ont suivi son arrestation, mais à nouveau en 2004 pendant la phase du procès proprement dit.

34.   Pendant les trois premiers mois, du 17 mars au 15 juin 2003, alors qu’il était gardé à vue par les agents du GSS, la communication entre M. Khader et ses conseils a été extrêmement réduite.

Des périodes de plusieurs semaines se sont écoulées sans qu’ils puissent se rencontrer ni communiquer.

Pendant la première semaine qui a suivi son interpellation (période où des craintes ont été exprimées, notamment par l’Organisation mondiale contre la torture, sur le respect de son intégrité physique et psychique), ses proches ignoraient tout de l’endroit où il avait pu être emmené par l’armée, et ceci jusqu’au 24 mars, date à laquelle il a pu rencontrer un avocat pour la première fois.

Puis, dès le lendemain de sa première comparution devant un juge (le 26 mars), M. Khader a à nouveau " disparu " jusqu’au 4 avril 2003 puisque, pendant cette période, ses avocats et sa famille ont été maintenus dans l’ignorance de son sort et de sa localisation.

Le 4 avril, M. Anis, après avoir menacé d’introduire une action en justice pour pouvoir rencontrer son client, a finalement pu le voir mais, dès le 8 avril, le GSS a eu recours à la possibilité qui lui est reconnue en Israël d’émettre des ordres interdisant tout contact entre un détenu et son avocat.

35.   Ajoutons qu’il ne suffit pas d’autoriser les rencontres entre un détenu et son avocat : il faut encore assurer que ces rencontres soient utiles à l’exercice effectif des droits de la défense, ce qui suppose que l’entretien puisse porter utilement sur l’enquête en cours. Or, même lorsque M. Khader et son avocat ont été autorisés à se rencontrer, pendant les trois premiers mois de sa détention, ils n’étaient pas informés des charges pesant contre lui et n’avaient aucun accès au dossier de l’enquête, ce qui constitue également une violation des droits de la défense.

36.   Pendant la phase du procès proprement dit, il y a eu plusieurs périodes, en 2004, pendant lesquelles les communications entre M. Khader et ses avocats ont été à nouveau interdites au motif qu’il était à l’isolement, notamment pour raisons disciplinaires ou pour avoir participé à une grève de la faim.

M. Anis a dû saisir le Ministre de la justice pour lui demander de lever cette interdiction. Il est à noter que le 1er septembre 2004, la Cour suprême d’Israël a jugé qu’il était interdit aux autorités de restreindre la communication entre les prisonniers et leurs avocats, même en cas de grève de la faim.

37.   Au plan du droit international, ces situations de détention au secret violent plusieurs textes qui prévoient la nécessité d’informer les familles de prisonniers et leurs avocats du lieu où ils sont détenus5.

L’article 14-3-b du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par Israël, garantit à toute personne accusée d’une infraction pénale le droit " à communiquer avec le conseil de son choix ". Le Comité des droits de l’homme, institué par ce Pacte pour en surveiller le respect, a considéré que " toute personne arrêtée doit avoir un accès immédiat à un avocat "6. Cet accès n’a pas vocation à être exercé une seule fois puis à être suspendu, comme il l’a été ici.

Ce même Comité a également considéré7 que " pour garantir effectivement la protection des personnes détenues, il faut faire en sorte que les prisonniers soient détenus dans des lieux de détention officiellement reconnus comme tels et que leur nom et le lieu de leur détention ainsi que le nom des personnes responsables de leur détention figurent dans un registre aisément accessible aux intéressés, notamment aux membres de la famille et aux amis " et que " des dispositions interdisant la détention au secret doivent également être prises ".

Lorsque les communications du détenu sont suspendues pendant des phases d’interrogatoire, la situation de " détention au secret " ainsi créée devient particulièrement difficile à justifier.

La Commission des droits de l’homme des Nations Unies a considéré qu’une telle situation risquait de faciliter la perpétration de la torture et constituer en elle-même une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant8. Le Comité des droits de l’homme a jugé qu’elle peut constituer une violation de l’article 7 du Pacte (prohibant la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants) ou de son article 10 (qui prévoit que " toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ")9.

5.   Allégation de traitements cruels, inhumains ou dégradants

38.   Comme déjà mentionné plus haut, M. Khader a fait état de méthodes d’interrogatoire du GSS s’apparentant à des traitements cruels, inhumains et dégradants.

Ces méthodes ont porté sur la durée des interrogatoires : plus de 20 heures par jour pendant les premiers jours qui ont suivi son arrestation, avec des périodes de repos ne dépassant pas trois heures. Par la suite, il aurait été privé de sommeil pendant une première période de 48 heures d’affilée, puis une période de 60 heures pendant laquelle il n’aurait pas non plus été autorisé à se nourrir.

M. Khader a également déclaré avoir été soumis, pendant ses interrogatoires, à la méthode du shabeh par laquelle la personne interrogée est attachée à une chaise, chevilles et poignets entravés, et maintenue pendant plusieurs heures en position déséquilibrée ou inconfortable.

39.   Ces allégations de traitements cruels, inhumains et dégradants sont malheureusement rendues crédibles par la carence des autorités à ordonner des enquêtes lorsque des prisonniers font état de tels traitements et, pour ce qui est des longues privations de sommeil, par la jurisprudence de la Cour suprême d’Israël qui, de manière extrêmement critiquable, a admis que le GSS puisse y recourir dans certains cas.

En effet, dans un arrêt du 6 septembre 1999, la Cour suprême a distingué le cas où la privation de sommeil aurait pour but de briser le détenu, ce qu’elle interdit, du cas où il est privé de sommeil par les nécessités de l’interrogatoire, ce qui est toléré : " Indeed, a person undergoing interrogation cannot sleep as does one who is not being interrogated. The suspect, subject to the investigators' questions for a prolonged period of time, is at times exhausted. This is often the inevitable result of an interrogation, or one of its side effects. This is part of the "discomfort" inherent to an interrogation. This being the case, depriving the suspect of sleep is, in our opinion, included in the general authority of the investigator " (para. 31). (" En effet, une personne soumise à un interrogatoire ne peut pas dormir comme quelqu’un qui ne l’est pas. Le suspect, en butte aux questions des enquêteurs pendant une période prolongée, est parfois épuisé. C’est souvent là le résultat inévitable d’un interrogatoire, ou l’un de ses effets secondaires. Cela fait partie de " l’inconfort " inhérent à l’interrogatoire. De ce fait, il rentre, à notre avis, dans les pouvoirs généraux de l’enquêteur de priver le suspect de sommeil ".)

Cette décision de la Cour suprême a été critiquée par le Comité des Nations Unies contre la torture lors de sa 29ème session (novembre 2001) : " The court prohibits the use of sleep deprivation for the purpose of breaking the detainee, but stated that if it was merely incidental to interrogation, it was not unlawful. In practice in cases of prolonged interrogation, it will be impossible to distinguish between the two conditions". (" La Cour interdit le recours à la privation de sommeil dans le but de briser le détenu, mais a précisé qu’il n’était pas illicite s’il était simplement accessoire à l’interrogatoire. En pratique, dans les cas d’interrogatoire prolongé, il sera impossible de distinguer entre les deux conditions. " )

En réalité, les accusations portées par M. Khader contre ses interrogateurs du GSS devraient donc faire l’objet d’une enquête impartiale, telle que la prévoit par exemple l’article 12 de la Convention des Nations Unies contre la torture, ratifiée par Israël en 1991 : " Tout Etat partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction ".

6.   Impartialité des tribunaux militaires

40.   Les tribunaux militaires institués par les forces de défense israéliennes dans les territoires occupés appliquent les mêmes règles de procédure et les mêmes critères d’appréciation de la preuve que les juridictions de droit commun.

Les juges présentent toutes les garanties requises de compétences, de qualifications juridiques et d’indépendance dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles.

La spécificité de ces tribunaux tient au fait qu’ils sanctionnent les règles édictées par l’autorité d’occupation dans les territoires occupés, et – surtout - à leur intégration dans un environnement totalement militaire : juges, procureurs, greffiers, interprètes portent l’uniforme et sont armés, et les tribunaux sont physiquement situés dans des bases militaires.

La conduite des débats, elle-même, pour autant que j’ai pu le constater lors de mes deux missions, et selon les autres informations que j’ai pu réunir à ce sujet, ne diffère pas de la manière dont les débats sont conduits dans les juridictions pénales de droit commun.

Comme dans tous les tribunaux, certains juges ont la réputation d’être plus sévères que d’autres ou d’avoir une attitude plus stricte que d’autres à l’audience. Dans le cas particulier du procès de M. Khader, j’ai pu constater, lors des deux audiences auxquelles j’ai assisté, un déroulement des opérations conforme aux normes que l’on est en droit d’attendre dans toute juridiction pénale et – dans la mesure permise par la situation et par la nature des questions jugées – une atmosphère de travail aussi sereine que possible.

41.   Le véritable problème du caractère équitable du procès se situe à un autre niveau.

Dans le cadre d’un procès pénal, l’accusé est conduit à rendre des comptes à la société à laquelle il appartient et dont il a méconnu les règles. Le but du procès, même s’il n’y parvient pas toujours, est de rétablir un lien social rompu ou brisé par l’infraction. Confronté à ses propres agissements, il est attendu de l’accusé, dans le meilleur des cas, qu’il prenne conscience de sa faute et accepte la peine prononcée au nom de la société à laquelle il appartient, ce qui rétablit le lien social, pacifie la situation et prépare l’accusé à la réinsertion à laquelle doit également servir sa peine.

Bien sûr, ce schéma théorique représente un idéal qui n’est pas toujours atteint.

Cependant, cette raison d’être de la justice pénale paraît hors de portée dans une situation où l’armée d’occupation d’un territoire juge elle-même les actes que les populations civiles de ce territoire dirigent contre cette armée ou contre les intérêts ou les nationaux de l’Etat dont elle émane.

L’impartialité attendue du juge paraît donc impossible à atteindre non pas dans sa dimension subjective – il m’a été confirmé lors de discussions avec des avocats que bien sûr il existe des juges militaires qui, pris individuellement, sont aussi " impartiaux " (au sens subjectif) que les juges civils – mais dans sa dimension objective : celle qui veut que selon le précepte de common law " justice must not only be done; it must also be seen to be done " .

C’est à l’institution des tribunaux militaires en tant que telle que s’impose un principe d’impartialité objective auquel elle ne peut pas se conformer. Alors que la justice doit être rendue au nom de la société à laquelle appartient l’accusé et dont il a trahi les valeurs, elle est ici rendue par une armée d’occupation qui ne juge pas les siens, mais des civils de la population occupée, auxquels sont en général reprochées des infractions dirigées contre cette armée d’occupation.

L’armée se trouve ainsi dans une position intenable pour un juge : celle d’être à la fois le juge et la victime du crime qui est jugé.

42.   C’est pourtant une convention internationale, comme on l’a signalé plus haut, qui prévoit l’institution de tribunaux militaires dans les territoires occupés (article 66 de la Quatrième Convention de Genève).

Il faut toutefois réfléchir à la portée de ce texte, le resituer dans le cadre plus large du droit international applicable et se demander s’il légitime le maintien d’un système de justice militaire qui s’est aujourd’hui pérennisé depuis près de 40 ans.

43.   Les travaux conduits au sein de diverses instances d’élaboration du droit international ont conduit à définir un certain nombre de principes que les Etats ayant institué des juridictions militaires sont invités à respecter. De manière générale, l’un de ces principes est que les juridictions militaires devraient voir leurs compétences limitées au jugement de membres des forces armées et ne devraient pas être conduites à juger des civils.

Par exemple, en 1977, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a invité le Liban à transférer aux tribunaux ordinaires la compétence des tribunaux militaires pour toutes les affaires concernant des civils.

En 1981, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a recommandé à la Colombie de ne plus envoyer les civils devant des tribunaux militaires ou de limiter la compétence de ces juridictions aux crimes constituant de véritables atteintes à la sûreté de l’Etat.

Cette même Commission interaméricaine, dans son rapport pour l’année 1993, a considéré que le fait de rendre les tribunaux militaires compétents pour les civils, constitue une violation des articles 8 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, estimant que la compétence de ces juridictions d’exception devrait être de maintenir la discipline au sein de l’armée ou de la police et donc de ne juger que des membres de ces deux institutions.

Dans le cadre de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme a inscrit à son ordre du jour la question de l’administration de la justice par les tribunaux militaires et désigné l’un de ses membres, le professeur Emmanuel Decaux, comme rapporteur sur ce sujet.

Dans son rapport du 14 juin 2004, le rapporteur a dégagé un certain nombre de principes auxquels devraient se conformer les juridictions militaires et l’un de ces principes (principe N° 2) concerne leur compétence fonctionnelle : " Les juridictions militaires doivent, par principe, être incompétentes pour juger des civils. En toutes circonstances l’Etat veille à ce que les civils accusés d’une infraction pénale, quelle qu’en soit la nature, soient jugés par les tribunaux civils. La compétence des tribunaux doit être limitée aux infractions d’ordre strictement militaire commis par le personnel militaire (…)".

44.   La règle posée à l’article 66 de la Quatrième Convention de Genève doit donc s’apprécier au regard de ce cadre juridique plus large. Elle est, d’une part, plus ancienne (la Quatrième Convention de Genève a été signée en 1947) et, d’autre part, elle régit une situation spéciale et dérogatoire, celle des occupations militaires. S’il est parfaitement admis, en droit, l’existence de règles spéciales dérogeant à des règles générales, il s’ensuit alors néanmoins qu’elles sont d’interprétation stricte.

Il faut donc sans doute considérer la nécessité d’instituer des tribunaux militaires dans les zones occupées, telles que le prévoit l’article 66 de la Quatrième Convention de Genève, comme destinée à régir une situation dérogatoire et, de ce fait, nécessairement provisoire.

Telle est en tout cas le sens de l’évolution actuelle du droit international en la matière.

Le rapport Decaux, cité plus haut, énonçant un certain nombre de principes relatifs à l’administration de la justice par des tribunaux militaires, prévoit ainsi dans son principe N° 17 la nécessité de vérifier périodiquement si la nécessité fonctionnelle de recourir à des tribunaux militaires continue à s’imposer. Son auteur commente ainsi ce principe : " La seule justification de l’existence des juridictions militaires étant liée à des contingences pratiques, relatives notamment à des opérations de maintien de la paix ou des situations extraterritoriales, il conviendrait de vérifier périodiquement que cette nécessité fonctionnelle continue à s’imposer " (rapport précité, para. 56).

45.   De ce point de vue, l’on ne peut bien sûr pas manquer de relever que si l’occupation de la Cisjordanie depuis 1967 constitue la seule justification du maintien de ces juridictions, cette justification ne peut donc pas être plus légitime que l’occupation elle-même.

La communauté internationale a à maintes reprises condamné la prolongation de cette occupation et demandé à Israël de se retirer des territoires occupés, depuis la résolution 242 du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967, constamment réitérée jusqu’à sa résolution 1435 du 24 septembre 2002.

46.   En 1995, la Knesset avait ratifié les accords d’Oslo II qui, dans le cadre d’un processus devant aboutir à la constitution d’un Etat palestinien, prévoyaient un retrait progressif des territoires et le transfert à l’Autorité palestinienne d’importantes prérogatives de souveraineté liées notamment à la sécurité et à l’administration de la justice. Il aurait normalement dû s’ensuivre un transfert aux tribunaux palestiniens de la compétence des tribunaux militaires israéliens.

En vertu de ces Accords, c’est en effet aux institutions policières et judiciaires palestiniennes qu’il revient d’assurer la sécurité de la région en jugeant les infractions commises en territoire palestinien et, notamment, en réprimant les attaques dirigées contre Israël depuis ces territoires.

Ainsi, dans le cas de M. Khader, si les autorités israéliennes avaient respecté les accords d’Oslo, elles auraient dû communiquer aux autorités palestiniennes les éléments à charge dont elles disposaient, susceptibles de justifier l’interpellation de M. Khader puis l’engagement de poursuites contre lui.

Mais les accords d’Oslo ne sont plus appliqués.

D’une part, les autorités israéliennes reprochent aux autorités palestiniennes de ne pas remplir leurs obligations au titre de ces Accords, en ne réprimant pas les attaques dirigées contre Israël, voire en soutenant le terrorisme.

D’autre part, depuis 2002, Israël réoccupe une partie importante des territoires occupés, d’où il s’était partiellement retiré six ans plus tôt.

Pour autant, au plan du droit, ces accords n’ont pas cessé d’exister et la Cour suprême israélienne continue de leur reconnaître une force juridique (voir décision du 3 septembre 2002, HCJ 7015/02 et 7019/02).

Les dispositions selon lesquelles le maintien de l’ordre et de la sécurité dans la " zone A " (dont fait partie la ville de Naplouse où a été arrêté M. Khader) incombe à la partie palestinienne (articles XIII et XVII), y compris le jugement des affaires pénales (annexe III, article 1) sont toujours en vigueur bien qu’elles ne soient pas respectées en pratique, et notamment dans le présent dossier.

47.   L’institution des tribunaux militaires en 1967 ne devait et ne pouvait donc s’envisager que comme une nécessité aussi provisoire que l’occupation elle-même, destinée à assurer temporairement l’ordre et la sécurité dans une zone dont les institutions ne pouvaient temporairement plus fonctionner.

Elle devait prendre fin avec le rétablissement de l’entière compétence des juridictions palestiniennes, comme le prévoient les accords d’Oslo, y compris pour réprimer les attaques contre Israël.

Sa pérennisation, 38 ans plus tard, a transformé la nature de ces juridictions provisoires, d’un instrument temporaire de maintien de l’ordre et de la sécurité en instrument permanent d’occupation – qui peut être perçu par la population locale comme un instrument de répression puisque sa compétence consiste précisément à punir les Palestiniens qui recourent à la violence pour lutter contre l’occupation.

Par ce seul fait, les forces de défense israéliennes se retrouvent dans la position d’être à la fois des victimes des infractions poursuivies (ou d’une grande partie d’entre elles) et les juges de ces mêmes infractions, ce qui place les juges militaires dans une position ontologiquement insoutenable et les prive à tout le moins de l’apparence d’impartialité sans laquelle aucun système juridictionnel ne peut prétendre à la légitimité.

En ce sens – et quelles que soient la compétence, l’indépendance, voire l’impartialité subjective des juges qui composent ces tribunaux – on ne peut que conclure que les tribunaux militaires institués par les forces de défense d’Israël dans les territoires occupés ne satisfont pas à l’exigence d’impartialité prévue par le droit international.

7.   L’accès au dossier de l’enquête

48.   Comme relevé plus haut, la défense n’a pas eu accès à l’intégralité du dossier de l’enquête constitué par le GSS, du fait que certaines pièces de celui-ci ont été classées " secret ".

Les autorités justifient cet état de fait en indiquant qu’il n’a pas de conséquences pour M. Khader dès lors qu’aucune pièce classée " secret " n’est communiquée au tribunal et ne peut donc être utilisée pour justifier une condamnation.

Elles ajoutent que, dans le processus de classification, il est vérifié que les pièces classées " secret " ne seraient pas utiles à la défense.

49.   C’est pourtant à la défense qu’il revient d’apprécier ce qui lui serait utile ou non.

On a vu plus haut l’exemple d’une cassette contenant les déclarations incriminantes pour M. Khader de deux jeunes hommes, cassette que l’accusation n’avait initialement pas jointe à son dossier. Bien que cette cassette puisse sembler incriminante, c’est la défense qui a insisté pour que le tribunal en ordonne la communication et le GSS a finalement admis lors de l’audience du 29 juin 2005 que le contenu de la cassette n’était pas fiable. La défense a ainsi pu utiliser cet élément pour montrer que les témoignages incriminant M. Khader pouvaient avoir été manipulés.

8.   La publicité des débats

50.   J’ai pu assister sans difficulté aux audiences des 29 juin et 4 septembre 2005, sauf pendant les auditions de membres du GSS, auditions réalisées à huis clos comme indiqué plus haut.

Toutefois, il est admis par le droit international de déroger au principe de publicité des débats dans certaines circonstances énumérées à l’article 14-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : bonnes mœurs, ordre public, sécurité nationale, intérêts de mineurs ou de la vie privée des parties en cause… Ce sont ici des considérations de sécurité qui ont été invoquées, et la défense n’a pas élevé d’objection.

Le principe du contradictoire est respecté puisque la défense reste bien entendu présente lors de l’audition de ces témoins qu’elle est autorisée à contre-interroger librement. Si elle estime que le huis-clos n’est pas justifié, il lui est toujours possible de le critiquer et de demander la réouverture des débats au public, ce qui n’a pas été fait en l’occurrence.

51.   Par contre, il m’a été rapporté que la famille de M. Khader avait en certaines circonstances rencontré des obstacles pour assister aux débats.

Les autorités israéliennes ont même indiqué à l’UIP que le public serait limité à deux parents par prisonnier.

Je n’ai pas constaté l’application de cette règle. Il m’a été dit que cela pouvait être un effet de ma présence en tant qu’observateur mais, les 29 juin et 4 septembre 2005, les membres de la famille de M. Khader admis dans la salle d’audience étaient plus nombreux.

Je n’ai d’ailleurs rien observé qui soit de nature à justifier la règle invoquée par les autorités, limitant à deux personnes par accusé l’accès du public. Les salles d’audience du tribunal de Samarie sont assez grandes pour recevoir un public de plusieurs dizaines de personnes, et la présence militaire est largement suffisante pour assurer l’ordre.

52.   Le public en provenance des territoires occupés entre dans le tribunal par un accès différent de celui que – venant de Tel Aviv et étant entré par le côté israélien – j’ai emprunté. Il m’a été rapporté des scènes d’humiliation dans le contrôle du public admis dans l’enceinte militaire, mais je n’en ai pas été témoin, ces contrôles se déroulant dans une zone que je n’ai pas pu voir.

Le matin du 29 juin, avant l’ouverture des débats, j’ai appris par un soldat venu m’en informer que la famille de M. Khader était présente et souhaitait me rencontrer. Ce soldat m’a proposé de m’accompagner jusqu’à elle. Les parents de l’accusé étaient alors dans la salle d’audience. A mon arrivée, les soldats qui surveillaient cette salle ont voulu l’évacuer puisque les débats ne commençaient pas, et faire sortir la famille par un côté (côté " palestinien ") et me faire sortir par l’autre côté (celui par lequel j’étais arrivé, où se trouvent également les bureaux des juges et où patientent les avocats). J’ai demandé à sortir du même côté que mes interlocuteurs pour que nous puissions discuter. Un soldat a essayé de m’en dissuader en me disant que ce ne serait pas " convenable " pour moi de les suivre (" it would not be proper for you to go there ") et j’ai dû insister. J’ai ainsi pu constater que le public palestinien ne bénéficiait absolument pas de la même liberté de mouvement dans les lieux que moi, étant enfermé en attendant les audiences dans une sorte de cour grillagée et surveillée, abritée du soleil par un auvent sous lequel sont installés des bancs pour l’attente.

Pendant les audiences elles-mêmes, lorsqu’il y a des suspensions, j’ai pu observer que les soldats ne laissaient généralement pas la famille s’approcher du box de l’accusé ni s’adresser à lui. La communication se résumait à des signes et des sourires à distance. Le 4 septembre toutefois, la famille a été autorisée à discuter un peu avec M. Khader. Il m’a semblé que cette question de la communication entre l’accusé et sa famille dépendait en réalité du bon vouloir des soldats qui gardaient la salle à tel ou tel moment, certains étant plus compréhensifs que d’autres.

53.   Lors de l’audience du 4 septembre 2005, en dehors de la famille, de mon interprète et de moi-même, deux parlementaires membres de la Knesset étaient également présents dans le public pendant une partie des débats.

54.   Il m’a été rapporté que l’accès des journalistes était parfois entravé, conduisant la défense à déposer une demande spéciale au tribunal pour que des journalistes soient admis dans la salle d’audience.

9.   Conditions de détention actuelles de M. Khader

55.   Au plan de sa santé, lors de l’audience du 29 juin 2005, M. Khader m’a dit souffrir de mal de dos, probablement lié aux mauvaises conditions de détention dans les cellules où il est conduit pendant les jours précédant son procès. Lors de l’audience du 4 septembre suivant, il m’a dit bénéficier d’un traitement pour ces douleurs.

56.   La famille de M. Khader a fait état de grandes difficultés pour pouvoir lui rendre visite en prison, notamment du fait que ses frères et sœurs n’ont jamais été autorisés à lui rendre visite (les autorités ont toutefois déclaré qu’un de ses frères avait pu lui rendre visite en décembre 2004 et janvier 2005) et du fait que sa mère n’a pas pu le rencontrer pendant deux ans.

Il peut recevoir des visites de ses enfants, mais sans avoir aucun contact physique entre eux, puisqu’ils restent séparés par une vitre et doivent communiquer à travers un interphone. Son avocat a fait des démarches pour obtenir le droit pour M. Khader et ses enfants d’avoir un contact physique, mais sans succès pour le moment.

CONCLUSION

57.   Le rôle d’un observateur n’est naturellement pas de se substituer au tribunal pour donner un avis sur la culpabilité de l’accusé ou se prononcer sur l’accusation ou les arguments de la défense, mais de réunir les éléments permettant à l’Union interparlementaire d’apprécier si les normes internationalement reconnues en matière de procès équitable ont été respectées.

Les audiences publiques devant le tribunal (auxquelles je n’ai que très partiellement assisté) ne constituent que la dernière phase du procès. Le caractère équitable de celui-ci suppose de prendre en compte toutes les étapes préparatoires, depuis l’arrestation de l’accusé jusqu’à sa comparution.

Pour les raisons indiquées dans le présent rapport, cet examen m’a conduit à conclure que ces normes internationales n’ont pas été respectées sur un certain nombre de points :

  • le droit international ne permet pas que, lorsqu’une personne est arrêtée, sa famille soit maintenue dans l’ignorance de sa situation pendant une semaine entière; le transfert d’un prisonnier depuis les territoires occupés vers le territoire de la puissance occupante est également une violation grave de la Quatrième Convention de Genève;

  • M. Khader n’a été présenté à un juge que dix jours après son arrestation, délai qui est excessif, et sans que lui ni son avocat n’aient pu avoir accès au dossier de l’enquête, en quoi les autorités ont méconnu leurs engagements internationaux qui les obligent à informer précisément toute personne détenue des accusations pesant sur elle;

  • M. Khader a été encore maintenu au secret à plusieurs reprises en 2003 et 2004, sans contacts possibles avec son avocat, à nouveau en violation des règles internationales applicables;

  • ces phases de détention au secret se retournent en définitive contre les autorités car elles accréditent les allégations faisant état de l'emploi de méthodes d’interrogatoire proscrites par le droit international, tout comme la carence des autorités à enquêter sur ces allégations. La privation de sommeil est admise dans certains cas par la justice israélienne alors qu’elle constitue au regard du droit international un traitement cruel, inhumain ou dégradant faisant l’objet d’une proscription totale et absolue;

  • toutes les déclarations recueillies dans un tel contexte (que ce soient celles d’un accusé ou, dans le présent procès, celles des témoins) sont de ce fait sujettes à caution et, dans l’intérêt même de la justice et de sa crédibilité, leur recevabilité en tant qu’éléments de preuve devrait être subordonnée à la garantie qu’elles ont été obtenues de façon respectueuse de l’intégrité physique et psychique de la personne entendue; or le système israélien n’apporte pas aujourd’hui cette garantie;

  • le maintien d’un système de tribunaux militaires dans les territoires occupés, compétents pour juger des actes des populations civiles locales dirigés contre la puissance occupante, crée une situation incompatible avec l’exigence d’impartialité objective du juge, qui devrait être un tiers neutre non impliqué dans le conflit. Même si les militaires juristes qui composent ces tribunaux peuvent réunir, individuellement, les conditions de compétence, d’indépendance, d’impartialité requises, cela ne suffit pas à compenser ce défaut intrinsèque de la justice militaire, pourtant admis et même prévu par la Quatrième Convention de Genève, mais dont la justification s’est affaiblie avec la durée de l’occupation et dont le maintien devient difficilement compatible avec l’évolution du droit international en la matière.
On ne peut qu’en conclure que M. Khader n’a pas bénéficié depuis son arrestation il y a deux ans et demi du respect des règles internationales relatives au procès équitable.

58.   Ces manquements donnent le sentiment qu’Israël a renoncé, au nom de la lutte contre le terrorisme, à assurer le respect absolu et en toute circonstance de l’intégrité physique et psychique des prisonniers, qui est pourtant une obligation impérative à laquelle aucune circonstance exceptionnelle ne permet de déroger.

Pourtant, ils n’aident pas Israël à faire face aux actes de terreur dont elle est victime et contre lesquels elle doit protéger sa population. Au contraire, ils affaiblissent la légitimité des décisions de ses tribunaux et alimentent le sentiment d’injustice que peuvent ressentir les accusés et le rejet des verdicts par l’opinion, en tout cas l’opinion palestinienne et une partie de l’opinion internationale.


  1. M. Khader est revenu sur ce point lors de l’audience du 4 septembre au cours de laquelle il a expliqué avoir été, en 2000, l’un des co-auteurs d’une lettre ouverte dénonçant publiquement des pratiques de corruption au sein de l’Autorité palestinienne. Il a expliqué que plusieurs des co-auteurs de cette lettre ont fait l’objet de mesures de représailles; que lui-même avait essuyé des coups de feu contre sa maison et que déjà en 2001 certains leaders palestiniens avaient projeté d’organiser un " faux attentat " au cours duquel le kamikaze dont la bombe n’exploserait pas se ferait arrêter, porteur de son numéro de téléphone.
  2. Affaire Mc Lawrence c/ Jamaïque, 29 septembre 1997, para 5.6.
  3. Septième rapport sur la situation des droits de l’homme à Cuba, 1983.
  4. Affaire Brogan et al c/ Royaume-Uni, 29 novembre 1988, para. 62.
  5. Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, principes 16, 18 et 19; Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, art. 10, par. 2; Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, règle 92.
  6. Observations sur la Géorgie, 9 avril 1997, para. 28.
  7. Observation générale n° 20 (1992).
  8. Résolution 1997/38 para. 20.
  9. Affaires Albert Womah Mukong c/ Cameroun, 21 juillet 1991, et Megreisi c/ Libye, 23 mars 1994.
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