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COMBODGE
CAS N° CMBD/47 - MU SOCHUA

Résolution adoptée par consensus par le Conseil directeur*
à sa 185ème session (Genève, 21 octobre 2009)

Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,

saisi du cas de Mme Mu Sochua, membre de l'Assemblée nationale du Cambodge, qui a fait l'objet d'une étude et d'un rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires conformément à la « Procédure d'examen et de traitement, par l'Union interparlementaire, de communications relatives à des violations des droits de l'homme dont sont victimes des parlementaires »,

prenant note du rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires (CL/185/11.b)‑R.1), qui contient un exposé détaillé du cas,

notant que, pendant la 121ème Assemblée, le Comité a rencontré la délégation cambodgienne; tenant compte de la lettre du Président de l'Assemblée nationale datée du 4 septembre 2009,

considérant les éléments ci-après versés au dossier :

  • lors d'une conférence de presse tenue le 23 avril 2009, Mme Mu Sochua, membre du parti d'opposition Sam Rainsy et ancienne Ministre des affaires féminines, a annoncé qu'elle intentait un procès en diffamation au Premier Ministre Hun Sen; cette décision faisait suite à un discours prononcé en public par le Premier Ministre le 4 avril 2009, dans la province de Kampot – circonscription de Mme Sochua –, dans lequel il s'en était pris à l'opposition et à une femme parlementaire, qu'il n'a pas nommée, mais qui ne pouvait être qu'elle; il aurait employé des termes méprisants, la qualifiant notamment de femme de mauvaise vie ou de prostituée, disant qu'elle se serait jetée sur un homme et aurait déboutonné son chemisier pour attirer son attention; ces propos auraient trait à un incident qui se serait produit durant la campagne électorale de juillet 2008, dans la province de Kampot; Mme Sochua avait photographié une voiture portant une immatriculation de l'armée et utilisée par le Parti populaire du Cambodge (CPP) pendant la campagne, ce qu'il n'avait pas le droit de faire; le militaire qui conduisait le véhicule s'en est pris à elle et lui a tordu le bras pour lui prendre son appareil photo; dans l'empoignade, son chemisier se serait déboutonné;

  • le lendemain du jour où Mme Sochua a annoncé son intention d'aller en justice, un conseiller haut placé du Premier Ministre a déclaré à la presse que ce dernier allait à son tour la poursuivre et que tous les membres de l'Assemblée nationale appartenant au CPP appuieraient la demande de levée de son immunité parlementaire; cinq jours plus tard, le Premier Ministre aurait confirmé qu'il intentait un procès à « une dame » qu'il a qualifiée de « stupide »;

  • le procès intenté par Mme Sochua, de même que celui engagé contre elle et son avocat par le Premier Ministre, ont été inscrits au rôle du tribunal de Phnom Penh le 27 avril 2009; dans un discours qu'il a prononcé le 29 avril, M. Hun Sen a appelé le Parlement à lever l'immunité de Mme Sochua et, faisant allusion à la majorité dont jouissait son parti, il aurait déclaré que ce serait « simple comme bonjour »; son avocat, Me Ky Tech, ancien Président du barreau national, a également porté plainte auprès du barreau contre l'avocat de Mme Sochua, Me Kong Sam Onn, pour infraction au code de déontologie dans ce dossier; l'équipe spéciale du barreau qui s'est vu confier le dossier a, depuis, transformé l'accusation en « violation du règlement du barreau » qui est sanctionnée par une interdiction d'exercer d'une durée de deux ans;

  • le 10 juin 2009, le tribunal de Phnom Penh a opposé une fin de non-recevoir à Mme Sochua, faute de preuves, mais il a fait droit à la demande du Premier Ministre la visant; son avocat et elle-même ont été convoqués par le substitut du Procureur qui souhaitait les interroger et ont répondu à cette convocation le 3 juin 2009;

  • le 22 juin 2009, l'Assemblée nationale a levé l'immunité de Mme Sochua à la suite de quoi, le 26 juin, le tribunal de Phnom Penh l'a inculpée pour diffamation; il semblerait que la procédure de levée de l'immunité ait été illégale pour les raisons suivantes : a) l'Assemblée a appliqué des mesures d'exception afin d'empêcher le public, le corps diplomatique, la société civile et les médias d'assister à la séance; la sonorisation qui permet de retransmettre les séances à la télévision avait été débranchée afin que la séance ne puisse pas être retransmise comme c'est habituellement le cas; b) le Président de l'Assemblée nationale n'a pas laissé à Mme Sochua le temps de se défendre, bien qu'elle ait demandé la parole; il a fait procéder au vote sans qu'il y ait eu débat; c) des agents de la police militaire lourdement armés ont été vus à l'extérieur du parlement, menaçant le public avec des matraques; cependant, selon les autorités parlementaires, l'Assemblée nationale a pleinement respecté le règlement pertinent et suivi la procédure normale;

  • un article publié le 18 juin 2009 dans le Phnom Penh Post a cité le Premier Ministre Hun Sen qui aurait dit que, si l'immunité de Mme Sochua était levée, cela pourrait bien marquer la fin de sa carrière politique : « Il est facile de lever l'immunité. Il est parfois plus difficile de la rétablir. Mme Sochua ne sera pas toujours parlementaire et son parti a intérêt à la remplacer par quelqu'un d'autre », aurait-il déclaré; selon la délégation cambodgienne, le rétablissement de l'immunité parlementaire n'est pas automatique mais exige l'application de la même procédure que celle de la levée de l'immunité parlementaire;

  • l'affaire a été entendue le 24 juillet 2009 par le tribunal de Phnom Penh; Mme Sochua n'a pas été assistée de son avocat, qui s'était excusé auprès du Premier Ministre et n'a pas voulu présenter la défense de sa cliente; le 4 août 2009, le tribunal a rendu son verdict et conclu que Mme Sochua s'était rendue coupable de diffamation envers le Premier Ministre Hun Sen, délit réprimé par l'article 63 des Dispositions provisoires (loi APRONUC), pour avoir : 1) annoncé lors d'une conférence de presse qu'elle allait intenter un procès en diffamation au Premier Ministre, 2) informé de l'affaire des organisations internationales comme l'UIP, 3) affirmé que le jugement public porté sur elle par le Premier Ministre « touchait toutes les Cambodgiennes et toutes les femmes à travers le monde », ce qui montrait qu'elle avait agi de mauvaise foi dans l'intention de diffamer le Premier Ministre dans le monde entier, de salir sa réputation et de porter atteinte à sa dignité; le tribunal l'a condamnée à une amende de 8,5 millions de riels et au versement de 8 millions de riels à titre de dommages et intérêts; quant à son avocat, Me Kong Sam Onn, le juge a déclaré que le Premier Ministre avait retiré sa plainte et que les accusations portées contre lui avaient été abandonnées; Mme Sochua a fait appel, qui doit être entendu le 28 octobre; elle n'a pas trouvé d'avocat qui soit prêt à la défendre,
considérant que le Comité a envoyé un observateur à l'audience du tribunal en la personne de M. Franklin Drilon, avocat et ancien membre et Président du Sénat des Philippines; que M. Drilon a constaté entre autres que le droit de Mme Sochua de réfuter les dires des témoins à charge n'avait pas été respecté : en effet, toute l'audience ayant été consacrée à l'audition des témoins à charge, un droit fondamental, qui doit être accordé à tout accusé dans un procès équitable, lui avait été dénié; de plus, la menace de suspension qui avait forcé son avocat à abandonner l'affaire avait violé le droit de Mme Sochua de se faire assister de l'avocat de son choix et, dans l'ensemble, les éléments produits n'avaient pas suffi, et de loin, à prouver la culpabilité de Mme Mu Sochua et ne répondaient pas à la norme universellement acceptée de la preuve raisonnable; notant que les autorités parlementaires ont rejeté les conclusions de l'observateur, disant que les preuves produites pendant le procès n'étaient pas contestées et que Mme Mu Sochua n'avait pas présenté de témoins, que le tribunal avait fait son devoir et recherché la manifestation de la vérité, que la supposée menace de suspension visant l'avocat n'était pas liée au choix qu'elle avait fait de lui comme conseil mais au fait qu'il avait enfreint le code de déontologie, qu'il s'était excusé pour ses infractions et que son retrait ne pouvait être considéré comme un déni du droit de Mme Mu Sochua de se faire assister de l'avocat de son choix et qu'en général, le procès avait respecté les garanties d'un procès équitable,

sachant que le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) au Cambodge a publié une déclaration, le 5 août 2009, suite au verdict de culpabilité rendu dans l'affaire de Mme Mu Sochua dans laquelle il a souligné la nécessité de défendre le droit constitutionnel à la liberté d'expression au Cambodge et a fait observer qu'en droit international, la liberté d'expression ne doit être restreinte que dans des cas exceptionnels, où ces restrictions sont manifestement nécessaires et proportionnelles à ce qu'elles cherchent à protéger, et a exhorté la justice cambodgienne à tenir pleinement compte des normes constitutionnelles et internationales lors de l'examen d'affaires de diffamation; le Haut-Commissariat a également rappelé qu'en juillet 2007, la Cour constitutionnelle avait ordonné à tous les tribunaux cambodgiens de tenir compte des normes internationales relatives aux droits de l'homme énoncées dans les traités auxquels le Cambodge est partie, lorsqu'ils avaient à connaître de tels cas,

  1. remercie la délégation cambodgienne et le Président de l'Assemblée nationale de la coopération dont ils ont fait preuve envers le Comité et des documents fournis;

  2. se déclare vivement préoccupé de ce que Mme Sochua ait été condamnée pour diffamation pour des propos qui relèvent manifestement de sa liberté d'expression puisqu'elle se bornait à défendre sa réputation; est atterré et juge intolérable qu'une lettre qu'elle a adressée à l'Union interparlementaire soit utilisée comme argument en justice pour démontrer son intention présumée de diffamer le Premier Ministre; affirme avec force que les parlementaires ont le droit de s'adresser à l'UIP et de demander son aide comme ils ont le droit de s'adresser à n'importe quelle organisation internationale; aurait espéré qu'en qualité de membre de l'UIP, l'Assemblée nationale du Cambodge défendrait ce droit de toutes ses forces;

  3. fait siennes les conclusions de l'observateur du procès dépêché par le Comité, car il ne peut admettre les arguments avancés par les autorités pour prouver l'équité du procès et note en particulier ceci : le juge, qui est tenu de rechercher la vérité, doit examiner les arguments non seulement à charge mais aussi à décharge, que les accusés présentent ou non des témoins, ce qu'il n'a pas fait en l'occurrence; Mme Sochua n'a pas bénéficié de son droit d'être assistée de l'avocat de son choix, quelles que soient les raisons pour lesquelles M. Kong Sam Onn a abandonné l'affaire; considère à cet égard qu'il est difficile d'admettre l'argument des autorités selon lequel il n'existe pas de lien entre le risque de suspension du barreau et le fait d'avoir accepté d'assurer la défense de Mme Mu Sochua;

  4. se déclare également vivement préoccupé par le fait que l'immunité parlementaire de Mme Mu Sochua semble avoir été levée par simple rétorsion envers Mme Sochua parce qu'elle avait osé intenter un procès au Premier Ministre;

  5. est par conséquent d'autant plus alarmé par la manière dont son immunité a été levée, bien que, dans la forme, la procédure ait pu observer le règlement; souligne que, sans examen sérieux ni débat sur la question de savoir s'il est approprié ou non de lever l'immunité parlementaire, celle-ci ne remplit pas sa fonction;

  6. note avec une vive préoccupation les déclarations du Premier Ministre exprimant la certitude que l'Assemblée lèverait son immunité, et la menaçant même d'une exclusion définitive du Parlement; considère que de tels propos de la part du chef du gouvernement peuvent porter atteinte à l'indépendance et à la souveraineté du Parlement;

  7. rappelle avec fermeté que l'immunité parlementaire est destinée à protéger les parlementaires de poursuites qui pourraient être infondées, et donc à préserver l'indépendance et la souveraineté du parlement en tant qu'institution, et qu'elle doit par conséquent être levée dans le strict respect du droit et, en particulier, du droit de la défense; prie instamment le Parlement cambodgien d'amender son règlement de manière à veiller à ce que les demandes de levée de l'immunité soient examinées en toute transparence et de manière approfondie par des parlementaires de la majorité et de l'opposition, et à ce que les intéressés aient la possibilité de se défendre;

  8. constate avec une vive inquiétude que des décisions telles que celles-ci peuvent étouffer chez les parlementaires, et plus encore les citoyens, toute velléité de critiquer la conduite des représentants du gouvernement, et en conséquence paralyser le débat démocratique;

  9. espère vivement que la Cour d'appel, se conformant à la directive de la Cour constitutionnelle cambodgienne, statuera sur l'affaire de Mme Mu Sochua dans l'esprit des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme que le Cambodge est tenu de respecter, et assurera ainsi le respect de la liberté d'expression, qui est l'une des valeurs fondamentales de la démocratie; charge le Secrétaire général d'examiner la possibilité d'envoyer un observateur à l'audience du procès en appel;

  10. charge le Secrétaire général de porter la présente résolution à la connaissance des autorités parlementaires, de Mme Sochua et du bureau du HCDH au Cambodge;

  11. charge le Comité de poursuivre l'examen de ce cas et de lui faire rapport à sa prochaine session, qui se tiendra durant la 122ème Assemblée de l'UIP (mars-avril 2010).

* La délégation du Cambodge a émis des réserves sur la résolution.
Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 121ème Assemblée de l'UIP et réunions connexes" au format PDF (taille du fichier environ 633 Ko). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

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