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IPU Logo-bottomChemin du Pommier 5, C.P. 330, CH-1218 Le Grand-Saconnex/Genève, Suisse  

COMBODGE
CAS N° CMBD/01 - SAM RAINSY

Résolution adoptée par consensus par le Conseil directeur1
à sa 187ème session (Genève, 6 octobre 2010)

Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,

saisi du cas de M. Sam Rainsy, qui a fait l’objet d’une étude et d’un rapport du Comité des droits de l’homme des parlementaires conformément à la "Procédure d’examen et de traitement, par l’Union interparlementaire, de communications relatives à des violations des droits de l’homme dont sont victimes des parlementaires",

prenant note du rapport du Comité des droits de l’homme des parlementaires (CL/187/12.b)‑R.1), qui contient un exposé détaillé du cas,

considérant les informations ci-après versées au dossier relatives aux faits et aux procédures judiciaires auxquelles elles ont donné lieu:

  • le 25 octobre 2009, en marge de la fête bouddhiste du Kathen dans la province de Svay Rieng, Sam Rainsy, chef de l’opposition, s’est porté à la tête des villageois de la région et des notables de son parti pour enlever six pieux de bois (borne frontière no 185) qui marquaient la frontière avec le Viet Nam, dont le tracé était en cours de délimitation; selon les villageois, dont les plaintes à ce sujet auprès des autorités locales sont restées vaines, les Vietnamiens avaient illégalement déplacé les pieux en terre cambodgienne en les fichant dans leurs rizières; selon la source, l’enlèvement des pieux avait suscité de vives critiques de la part des autorités vietnamiennes qui invitaient le Gouvernement cambodgien à prendre "les mesures qui s’imposent" contre les "actes de sabotage" de Sam Rainsy;

  • selon le Président de l’Assemblée nationale, l’emplacement des pieux marquant la frontière avait été décidé par la Commission mixte vietnamo-cambodgienne chargée de définir le tracé de la frontière et M. Rainsy avait joué le rôle d’incitateur par ses déclarations provocatrices; il a en outre souligné que l’enlèvement de pieux marquant la frontière est considéré comme une violation des affaires gouvernementales et un acte de destruction des biens de l’Etat, ce dernier étant un délit au sens du Code de l’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC);

  • le 16 novembre 2009, l’Assemblée nationale, en séance à huis clos, a levé l’immunité de M. Rainsy par un vote à main levée; les parlementaires de l’opposition avaient boycotté la séance; selon le Président de l’Assemblée nationale, le Bureau permanent de l’Assemblée avait recommandé le 12 novembre la levée de l’immunité; le 13 novembre, 64 parlementaires lui avaient écrit pour lui demander que la séance se tienne à huis clos; la procédure était donc conforme à la loi en vigueur;

  • le 27 janvier 2010, le tribunal provincial de Svay Rieng a reconnu M. Rainsy coupable de dégradation intentionnelle de biens publics pour avoir arraché les pieux qui faisaient office de bornes frontières, et d’incitation à la haine raciale (articles 52 et 61 du Code pénal de l’APRONUC, respectivement) et l’a condamné à deux ans d’emprisonnement; il a également condamné deux villageois, Mme Meas Srey et M. Prum Chea, à un an d’emprisonnement pour dégradation de biens; tous trois ont été en outre condamnés à de lourdes amendes et au paiement de dommages-intérêts allant de 5 à 50 millions de riels; un appel de la sentence doit être entendu le 5 octobre;

  • le Bureau régional du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au Cambodge (HCDH) a noté, dans une déclaration publique sur le procès, que l’accès du prétoire avait été interdit aux médias, bien que des places aient été disponibles, et qu’à plusieurs reprises le Président du tribunal n’avait pas interrompu les attaques verbales lancées par l’avocat de la partie civile contre les accusés et leurs avocats; il a rappelé que les règles d’un procès équitable et les normes internationales prévoient la publicité des procès et le respect du principe de l’égalité des armes; selon d’autres sources, le tribunal avait refusé d’examiner les éléments de preuve présentés par la défense;

  • après le verdict, M. Rainsy a recueilli des éléments pour prouver que les bornes de démarcation temporaires se trouvaient effectivement en territoire cambodgien, notamment en demandant une expertise indépendante; en conséquence, une nouvelle accusation de falsification de documents publics et de diffusion d’informations mensongères a été portée contre lui le 12 mars 2010; le 23 septembre, le tribunal municipal de Phnom Penh l’a déclaré coupable et condamné à 10 ans d'emprisonnement, à une forte amende et des dommages-intérêts pour avoir, selon lui, publié une carte indiquant une frontière falsifiée avec le Viet Nam; ce verdict, s’il est confirmé en appel, interdira à M. Rainsy de se présenter aux élections de 2013, en vertu de l’article 34.2 de la Loi sur l’élection de membres de l’Assemblée nationale selon lequel quiconque a été condamné par les tribunaux à une peine d’emprisonnement pour une infraction grave ou un délit et n’a pas été réhabilité ne peut se porter candidat aux élections à l’Assemblée nationale,
considérant que, selon les médias, le Premier Ministre, M. Hun Sen, aurait déclaré durant la cérémonie d'inauguration d'un tronçon de la route nationale 1 dans la province de Kandal : "Cette fois-ci, je tiens à dire... il n'y aura pas de (grâce); après que le tribunal aura prononcé son jugement, on ne reviendra pas dessus"; que, le 20 septembre 2010, il aurait indiqué qu'il n'y avait aucune marge de négociation : "Si tu ne vas pas en prison, c'est la prison qui viendra à toi", aurait-il dit selon les journaux,

notant les faits suivants concernant les bornes frontières litigieuses:

  • M. Rainsy a fondé ses conclusions concernant la délimitation de la frontière dans la commune en question sur la carte française SGI au 1/100 000ème qui a été déposée à l’Organisation des Nations Unies dès 1964; il n’y aurait pas encore de carte officiellement reconnue par le Cambodge et le Viet Nam car le processus de délimitation des frontières est toujours en cours; selon la source, dans une déclaration diffusée par Radio Free Asia, le représentant du Gouvernement et chef de la commission de délimitation des frontières, M. Var Kim Hong, a admis que les cartes utilisées par Sam Rainsy étaient correctes;

  • selon le parti Sam Rainsy (PSR), les bornes frontières qui restaient sur la commune ont été retirées par les autorités vietnamiennes fin décembre 2009/début janvier 2010, et aucune de ces bornes n’a été remise en place;

  • si elles affirment que la détermination par M. Rainsy de l’emplacement des bornes frontières temporaires est fausse, les autorités ont refusé de révéler les coordonnées officielles, faisant valoir qu’il s’agit d’un secret d’Etat;

  • selon des informations fournies par la source en avril 2010, le Gouvernement avait reconnu que la borne frontière temporaire 185 composée de six pieux en bois que M. Rainsy a arrachés n’était pas une borne frontière légale et a décidé de la retirer; en outre, des représentants du Conseil des Ministres auraient spécifié, dans des documents officiels soumis au tribunal, que les bornes frontières temporaires litigieuses étaient effectivement situées à une distance d’environ 516 mètres de la frontière réelle et légale,
considérant que, commentant les questions en jeu à la 129ème session du Comité, le chef de la délégation cambodgienne à la 122ème Assemblée a fait observer entre autres que, si les parlementaires avaient le droit de protéger les intérêts de leur pays, ils avaient aussi le devoir de le faire par des moyens légaux; qu’au lieu d’arracher des bornes frontières, M. Rainsy aurait dû soulever la question au Parlement; considérant à ce sujet que, selon le PSR, des membres de l’opposition ont depuis essayé de soulever ces questions au Parlement en diverses occasions, mais que le Président de l’Assemblée nationale ne les a pas laissés faire et qu’ils ont été également empêchés de rencontrer les paysans qui se plaignaient d’expropriation foncière; un incident intervenu en juin 2010 est mentionné à ce propos: le Président de l'Assemblée nationale aurait interdit par écrit à l'opposition de rendre visite à des électeurs de la province de Takeo et les autorités locales l'ont empêchée de se rendre dans la région en question; la formation d'une commission parlementaire indépendante constituée de représentants de tous les partis politiques afin d'établir un rapport sur la question des frontières et d'enquêter sur les tensions et incidents qui s'y rattachent aurait également été refusée,

observant que M. Sam Rainsy, qui vit actuellement en exil en France, connaît des problèmes depuis qu'il a créé son parti politique, le PSR, en 1995; qu’un incident particulièrement grave s'est produit le 20 mars 1997 lorsque, dans un rassemblement politique, il a été la cible d’un attentat à la grenade qui a coûté la vie à 16 personnes et en a blessé 150 autres, et que les gardes du corps de Hun Sen seraient impliqués dans l'attentat; qu’en décembre 2005, il a été condamné à 18 mois d'emprisonnement alors qu’il résidait à l’étranger, et qu’il a pu rentrer après que Hun Sen a approuvé une grâce royale en février 2006; que, plus récemment, l’immunité de M. Rainsy a été levée en février 2009 pour permettre l'ouverture de poursuites contre lui pour insultes au Parti du peuple cambodgien pendant les élections de 2008; qu’en outre, plusieurs actions en justice à son encontre pour diffamation sont toujours en cours,

sachant enfin que les organes et mécanismes des Nations Unies compétents pour les droits de l’homme ont "relevé avec inquiétude le manque […] d’indépendance et d’efficacité de la justice" au Cambodge, ainsi que son incapacité "de limiter le pouvoir exécutif de manière effective 2" et que, tout récemment, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme au Cambodge a fait une série de recommandations pour renforcer l’indépendance de la justice 3, qui ont été accueillies favorablement par les autorités cambodgiennes,

  1. remercie les autorités parlementaires pour leur coopération avec le Comité;

  2. est alarmé par les poursuites engagées contre M. Sam Rainsy, dirigeant de l’opposition, et sa condamnation à 12 ans d’emprisonnement pour un geste qu’il considère comme symbolique et de nature clairement politique, et qui n’aurait donc jamais dû faire l’objet d’une procédure judiciaire, mais plutôt être résolu au niveau politique; considère en outre que la sentence est totalement disproportionnée;

  3. est particulièrement alarmé par le fait que ce verdict, s’il est confirmé, interdirait à M. Rainsy de se porter candidat aux élections législatives de 2013 et aurait des conséquences dépassant largement cette affaire car il sera forcément préjudiciable à l’opposition en tant que telle – d’autant plus que les poursuites récentes engagées contre un certain nombre d’opposants déclarés ont déjà réduit l’espace politique – et au processus démocratique au Cambodge;

  4. en appelle de nouveau aux autorités afin qu’elles règlent les problèmes actuels par le dialogue politique et permettent à M. Rainsy de reprendre ses activités parlementaires dès que possible;

  5. observe que les autorités parlementaires ont déclaré que M. Rainsy aurait dû soulever la question des frontières devant l’Assemblée nationale, reconnaissant ainsi implicitement le caractère politique de son acte; note toutefois que, selon le parti Sam Rainsy, les tentatives pour ce faire n’ont pas abouti et que les autorités parlementaires auraient rejeté la proposition présentée par l’opposition de constituer une commission parlementaire pour examiner ces questions;

  6. note avec préoccupation les déclarations faites par le Premier Ministre sur ce cas et ses conséquences possibles car il en ressort qu’il escomptait un verdict de culpabilité et, par conséquent, le retrait de Sam Rainsy du processus politique au Cambodge; observe que cela tend à corroborer les préoccupations émises à propos de l’indépendance de la justice cambodgienne et de son instrumentalisation à des fins politiques;

  7. se demande, au vu notamment de l’analyse indépendante faite par un expert de la question des frontières, sur quel type de preuves le tribunal s’est fondé pour prouver la falsification des cartes ou la divulgation d’informations mensongères, d’autant plus que le Gouvernement aurait lui-même concédé que les bornes frontières temporaires n’étaient pas situées sur la frontière légale et aurait décidé officiellement de les retirer; souhaite donc recevoir copie des deux jugements prononcés en l’espèce;

  8. est préoccupé par la manière dont l’Assemblée nationale a levé l’immunité dans ce cas et se réfère à ce sujet à la résolution qu’il a adoptée à propos de Mme Mu Sochua; souhaite déterminer pourquoi l’Assemblée nationale recourt à une procédure ne pouvant que jeter le doute sur son indépendance à l’égard du Gouvernement;

  9. engage les autorités nationales à suivre les recommandations du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme au Cambodge; invite le Parlement du Cambodge à débattre de son rapport au Parlement et à prendre les mesures nécessaires pour garantir la mise en œuvre des recommandations du Rapporteur;

  10. charge le Secrétaire général de communiquer la présente résolution aux autorités parlementaires, aux sources et aux autres parties intéressées; le charge également d’informer les pays donateurs des préoccupations que lui inspire ce cas;

  11. charge le Comité de poursuivre l’examen de ce cas et de lui faire rapport à sa prochaine session qui se tiendra durant la 124ème Assemblée de l’UIP (avril 2011).

  1. La délégation du Cambodge a émis des réserves sur la résolution.
  2. A/HRC/WG.6/6/KHM/2
  3. A/HRC/15/46

Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 123ème Assemblée de l'UIP et réunions connexes" au format PDF (taille du fichier environ 648 Ko). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

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