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ISLANDE
CAS N° IS/01 - BIRGITTA JÓNSDÓTTIR

Résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur
à sa 189ème session (Berne, 19 octobre 2011)

Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,

saisi du cas de Mme Birgitta Jónsdóttir, membre du Parlement islandais, qui a fait l’objet d’une étude et d’un rapport du Comité des droits de l’homme des parlementaires conformément à laProcédure d’examen et de traitement, par l’Union interparlementaire, de communications relatives à des violations des droits de l’homme dont sont victimes des parlementaires,

tenant compte du rapport du Comité des droits de l’homme des parlementaires qui contient un exposé détaillé de ce cas (CL/189/11b)‑R.1),

considérant les éléments ci-après versés au dossier :

  • Mme Birgitta Jónsdóttir est membre du Parlement islandais depuis juillet 2009. Elle était coproductrice d'une vidéo, diffusée par Wikileaks, qui montrait des soldats américains abattant des civils depuis un hélicoptère à Bagdad;

  • le 7 janvier 2011, elle a été informée par Twitter que le Tribunal fédéral du district oriental de Virginie avait enjoint à Twitter de remettre aux autorités américaines des relevés et autres informations concernant son compte. Twitter avait jusqu’au 26 janvier pour communiquer ces informations aux autorités américaines;

  • les informations recherchées par les autorités américaines sur Mme Jónsdóttir couvraient la période allant du 1er novembre 2009 à ce jour et portaient sur la titulaire du compte, à savoir noms, noms d’utilisateur, noms d’écran ou autres identités, adresses électroniques et autres, relevés de connexions ou des heures et durées de connexion, durées et types des prestations, numéros de téléphone ou de terminal ou autres numéros ou identités d’abonné, moyens et sources de paiement pour lesdites prestations, y compris numéros de carte de crédit ou de compte bancaire et avis de facturation, relevés de l’activité de l’utilisateur pour toute connexion à destination ou en provenance du compte, y compris date, heure, durée et méthodes de connexion, volume de transfert de données, nom d’utilisateur et source et destination des adresses IP, informations techniques associées aux contenus de toute communication ou de tout fichier archivées sur le compte ou au nom du compte, et correspondance et notes enregistrées relatives aux comptes;

  • la première injonction du tribunal, datée du 14 décembre 2010, est d’abord restée confidentielle et n’a été révélée à Mme Jónsdóttir et à deux autres personnes visées par cette injonction qu’après que Twitter eut pris des dispositions pour s’assurer qu’il pouvait en informer les intéressés;

  • l'injonction du 14 décembre 2010 a fait l'objet d'un recours de la part des trois personnes; l'Electronic Frontier Foundation, l'American Civil Liberties Union et l'American Civil Liberties Union Foundation représentaient Mme Jónsdóttir dans la procédure; le 26 janvier 2011, l'avocat de la défense des trois personnes a déposé une requête conjointe scellée au Tribunal fédéral du district oriental de Virginie, tendant à autoriser que soit divulgué le dossier judiciaire toujours secret des activités déployées par le Gouvernement américain pour recueillir des dossiers privés de Twitter, ainsi que d'autres sociétés pouvant avoir reçu des demandes identiques; une seconde requête conjointe, déposée le même jour, demandait au tribunal de réexaminer et d'annuler l'injonction du 14 octobre 2010;

  • la demande de l’avocat de Mme Jónsdóttir aux Etats-Unis, l’UIP a soumis au tribunal, le 14 février 2011, un mémoire la concernant; le juge a accepté le mémoire, qui fait désormais partie des comptes rendus d’audience; il énonce ses préoccupations quant aux incidences que l’injonction adressée à Twitter peut avoir sur a) la liberté d’expression de Mme Jónsdóttir et son aptitude à exercer pleinement son mandat parlementaire, b) son immunité parlementaire, dans la mesure où l'injonction à Twitter rend nulle et non avenue l'immunité qui lui est garantie en vertu de l'Article 49 de la Constitution islandaise, c) son droit à la vie privée et d) son droit à se défendre, dans la mesure où les autorités des Etats-Unis peuvent demander la divulgation d'informations auprès d'autres fournisseurs de services; le mémoire appuyait donc la requête de la défense tendant à annuler l'injonction à Twitter et à lever le secret sur toutes les autres injonctions similaires concernant Mme Jónsdóttir;

  • le 11 mars 2011, le tribunal a rejeté la requête en annulation, n’a accepté qu’en partie la levée du secret et a pris en considération la demande d’enregistrement public de certaines informations; le conseil de Mme Jónsdóttir a fait appel de cette décision, qui est en instance devant le Tribunal de district de Virginie,
considérant également ce qui suit :
  • les parlementaires jouissent des libertés fondamentales, dont le droit à la confidentialité, ainsi que de certaines mesures spéciales de protection leur permettant de s’acquitter librement de leur mandat;

  • l’immunité parlementaire garantit aux parlementaires qu’ils ne pourront être mis en cause pour les opinions qu’ils expriment et les votes qu’ils émettent, et les pays ont généralement mis en place des mécanismes appropriés permettant aux parlementaires d’exercer leur mandat sans restrictions indues et dans le plein respect de leur liberté d’expression; pour ce qui est de l'Islande, les membres du parlement sont protégés par l'Article 49 de la Constitution, qui dispose ce qui suit : "aucun membre du parlement ne peut être placé en détention durant une session du parlement sans l'accord de ce dernier, et aucune poursuite pénale ne peut être engagée à l'encontre d'un parlementaire à moins qu'il ne soit pris en flagrant délit. Aucun parlementaire ne peut être mis en cause hors du parlement pour des déclarations faites par lui au parlement, sauf accord du parlement";

  • dans tous les pays, la liberté d’expression est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie; les citoyens ne sont pas à même d’exercer leur droit de vote, ni de prendre part à la gestion des affaires publiques s’ils n’ont pas librement accès aux informations et aux idées et s’ils ne peuvent pas exprimer librement leurs opinions;

  • la liberté d’expression est encore plus essentielle pour les parlementaires, ce que reconnaissent les tribunaux dans le monde entier; sans la possibilité d’exprimer librement leurs opinions, les parlementaires ne peuvent pas représenter les citoyens qui les ont élus;

  • les parlementaires sont élus par les citoyens pour les représenter au parlement. Au quotidien, ils légifèrent et ils demandent aux gouvernements de rendre compte de leur action. Mais ils ne sont pas en mesure de s’acquitter de ces fonctions s’ils ne peuvent pas recevoir et échanger librement des informations sans crainte d’être inquiétés;

  • les citoyens ne communiqueront pas à leurs représentants des informations qui peuvent être sensibles s’ils n’ont pas la certitude que leur identité sera protégée. Les parlementaires se trouvent donc, à l’instar des journalistes, dans l’absolue nécessité de protéger leurs sources,
considérant en outre les informations suivantes :
  • Twitter est un site web détenu et exploité par Twitter Inc. Il propose des prestations de réseau social et de micro-blogging qui permettent à ses utilisateurs d’envoyer et de lire des messages appelés Tweets qui sont des textes pouvant contenir jusqu’à 140 caractères s’affichant sur la page du profil de l’utilisateur. Par défaut, ces Tweets sont visibles publiquement; toutefois, les expéditeurs peuvent en restreindre la distribution aux seules personnes qui suivent leur compte;

  • les parlementaires utilisent de plus en plus les moyens modernes de communication avec les citoyens. Aujourd’hui, la grande majorité des parlementaires communiquent par courrier électronique. Les réseaux sociaux - Facebook, Twitter, etc. - se développent, en particulier chez les jeunes parlementaires et lorsque les parlementaires communiquent avec des jeunes. Ces formes de communication vont rapidement compléter voire supplanter les télex, appels téléphoniques et fax de jadis;

  • les nouveaux réseaux sociaux offrent aux parlementaires de nombreuses possibilités de communiquer avec le public et d’échanger des informations qui leur sont essentielles dans leur travail quotidien. Toutefois, l’utilisation de ces réseaux fait courir aux parlementaires des risques sérieux d’atteinte à la confidentialité des données les concernant et d’obstruction de leur travail parlementaire;

  • pour les parlementaires, il est absolument indispensable que toute communication privée qu’ils reçoivent bénéficie du même degré de protection, indépendamment de la technologie, de la plate-forme ou du modèle économique qui sert à créer, communiquer et archiver cette information. Cela ne semble pas être le cas aujourd’hui,
considérant enfin que Mme Jónsdóttir craint que les autorités des Etats-Unis d'Amérique ne cherchent à obtenir la divulgation d'informations auprès d'autres fournisseurs de services basés aux Etats-Unis sans qu'elle en ait connaissance; que l'on craint que ces fournisseurs de services n'aient peut-être déjà transmis au tribunal des informations sur ses comptes; en outre, selon des informations fournies en octobre 2011, Mme Jónsdóttir fait peut-être déjà l'objet aux Etats-Unis d'une enquête pénale préliminaire devant un grand jury à propos de trois dossiers qui semblent porter sur des informations tirées de son compte auprès d'autres réseaux sociaux et moteurs de recherche Internet,
  1. affirme que la liberté d’expression est au cœur de la démocratie et qu’elle est indispensable aux parlementaires : en effet, s’ils ne sont pas à même d’exprimer librement leurs opinions, ils ne peuvent représenter le peuple qui les a élus et, faute de recevoir et échanger librement des informations sans crainte d’être inquiétés, ils ne peuvent ni légiférer ni obliger le gouvernement à rendre compte de son action;

  2. rappelle que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme consacre le droit de toute personne à la liberté d’opinion et d’expression qui implique, précise‑t‑il, le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit;

  3. note que, conformément aux instruments relatifs aux droits de l’homme et à la jurisprudence des organes conventionnels, les restrictions à la liberté d’expression doivent remplir trois conditions : elles doivent être fixées par la loi, nécessaires dans une société démocratique et proportionnées à leurs fins; 

  4. ne voit pas en quoi les restrictions à la liberté d’expression qu’entraînerait l’obéissance à l’injonction adressée à Twitter peuvent être justifiées au regard de ces critères et estime qu’au contraire, une telle obéissance porterait atteinte au droit d’un parlementaire à la liberté d’expression et, partant, à sa capacité de chercher, de recevoir et de répandre librement des informations, ce qui est absolument nécessaire dans une société démocratique;

  5. est préoccupé de ce que les dispositions légales nationales et internationales qui encadrent l’utilisation des médias électroniques, y compris les réseaux sociaux, ne semblent pas apporter des garanties suffisantes pour assurer le respect de la liberté d’expression et du droit à la vie privée et l’accès à l’information; les garanties liées à la protection de la liberté d’expression et de la vie privée dans le monde réel ne semblent pas avoir cours dans le monde virtuel;

  6. note également avec préoccupation que l’immunité parlementaire dont Mme Jónsdóttir aurait bénéficié en vertu de la loi islandaise, dans l'exercice de l'activité politique qui est apparemment en jeu, est inopérante en l’espèce; étant donné que les parlementaires de nombreux pays recourent aujourd’hui couramment aux réseaux sociaux pour communiquer avec leurs électeurs et d’autres interlocuteurs, les injonctions telles que celle-ci affaibliraient et même réduiraient à néant la capacité des Etats à protéger leurs parlementaires d’ingérences injustifiées dans l’exercice de leur mandat;

  7. se déclare donc profondément préoccupé par les efforts déployés par un Etat pour obtenir des informations sur les communications d’une parlementaire d'un autre Etat et par les répercussions que cela risque d’avoir sur l’aptitude des parlementaires du monde entier à exercer librement leur mandat populaire;

  8. s’inquiète en outre de ce que Mme Jónsdóttir fasse peut-être l’objet, non seulement d'un profilage, mais aussi d’une enquête pénale sur la base d’informations tirées des réseaux sociaux et des moteurs de recherche d’Internet, sans qu’elle ait pu en contester la divulgation; note à cet égard qu’à la différence de Twitter, d’autres sociétés n’informent pas nécessairement leurs usagers des demandes d’information émanant de la justice et les concernant directement; considère qu’une telle situation constituerait une grave violation du droit fondamental qu’a Mme Jónsdóttir de se défendre;

  9. prie le Secrétaire général de faire part de ses préoccupations en l’espèce aux autorités parlementaires de l’Islande et des Etats-Unis d’Amérique, et de leur demander leur avis, ainsi que des informations officielles sur le point de savoir si une enquête pénale a été ou non ouverte sur Mme Jónsdóttir;

  10. prie également le Secrétaire général d’effectuer une étude sur les incidences du recours aux réseaux sociaux sur l’exercice du mandat parlementaire;

  11. prie le Comité de poursuivre l’examen de ce cas et de lui faire rapport à sa prochaine session qui se tiendra à l’occasion de la 126ème Assemblée de l’UIP (mars‑avril 2012).
Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 125ème Assemblée de l'UIP et réunions connexes" au format PDF (taille du fichier environ 794 Ko). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

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