TURQUIE
CAS N° TK/41 - HATIP DICLE
CAS N° TK/67 - MUSTAFA BALBAY
CAS N° TK/68 - MEHMET HABERAL
CAS N° TK/69 - GÜLSER YILDIRIM (Mme)
CAS N° TK/70 - SELMA IRMAK (Mme)
CAS N° TK/71 - FAYSAL SARIYILDIZ
CAS N° TK/72 - IBRAHIM AYHAN
CAS N° TK/73 - KEMAL AKTAS
CAS N° TK/74 - ENGIN ALAN |
Résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur
à sa 191ème session (Québec, 24 octobre 2012)
Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,
saisi du cas des parlementaires susmentionnés, tous élus aux élections législatives de juin 2011, qui est examiné par le Comité des droits de l’homme des parlementaires conformément à la Procédure d’examen et de traitement, par l’Union interparlementaire, de communications relatives à des violations des droits de l’homme dont sont victimes des parlementaires,
tenant compte des informations communiquées par la délégation turque, conduite par la Présidente du Groupe interparlementaire turc, et entendue par le Comité pendant la 127ème Assemblée de l’UIP (octobre 2012), ainsi que des dernières communications de la Présidente du Groupe interparlementaire turc; tenant compte aussi des renseignements fournis par la source en l’espèce,
rappelant que MM. Balbay et Haberal ont été élus sur la liste du Parti populaire républicain, M. Alan, sur celle du Parti d’action nationaliste et les six autres sur celle du parti pro‑kurde Paix et démocratie; qu’ils ont tous été autorisés par le Conseil électoral suprême (YSK) à se porter candidats aux élections législatives alors qu’ils étaient en détention mais que, lorsque une fois élus ils ont demandé leur libération conditionnelle pour pouvoir exercer leurs fonctions de parlementaire, les tribunaux compétents ont rejeté leur demande,
considérant les éléments suivants versés au dossier concernant leur situation individuelle :
- concernant M. Balbay :
M. Balbay aurait été arrêté au début de l’année 2009; il est accusé d’être membre d’une organisation, Ergenekon, qui complote pour déstabiliser et renverser le Parti du développement et de la justice au pouvoir; la source affirme qu’il était le correspondant à Ankara du Cumhuriyet, quotidien turc existant de longue date, qu’il était connu pour ses critiques du gouvernement et qu’il a été brièvement détenu en juillet 2008; elle affirme en outre que, même s’il a cessé de travailler pour le journal, il a continué à critiquer le gouvernement, et qu’il a été appréhendé une seconde fois en 2009 au motif que la police avait récupéré des données supprimées sur son ordinateur, saisi au moment de sa première arrestation; selon la source, les fichiers récupérés ne contenaient rien d’autre que des notes de journaliste que M. Balbay avait déjà rendues publiques dans ses livres;
concernant M. Haberal :
M. Haberal aurait été arrêté à peu près au même moment que M. Balbay et est sous le coup des mêmes accusations; selon la source, M. Haberal est médecin et bien connu pour ses activités sociales; elle affirme que le procureur l’accuse de se servir de ses réunions pour comploter en vue de renverser le gouvernement; selon elle, ces réunions n’étaient autres que des séances de recherche d’idées auxquelles participaient des politiciens, notamment deux parlementaires du parti au pouvoir, et des fonctionnaires;
concernant M. Alan :
M. Alan était poursuivi dans le cadre de l’affaire "du marteau de forgeron" ("Sledgehammer"), nom donné à un prétendu complot qui aurait été ourdi en 2003 par des militaires turcs favorables à la laïcité. Un jugement a été rendu dans cette affaire le 21 septembre 2012. M. Alan a été reconnu coupable et condamné à une peine de 18 ans d’emprisonnement;
concernant Mmes Yildirim et Irmak et MM. Ayhan, Aktas et Sariyildiz :
les cinq parlementaires indépendants sont tous poursuivis pour des atteintes à l’ordre constitutionnel, en particulier pour appartenance à l’Union des communautés kurdes (KCK), qui serait la branche urbaine du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK); ils auraient été arrêtés à des dates différentes entre décembre 2009 et avril 2010, à l’exception de M. Ayhan, qui a été appréhendé en octobre 2010;
concernant M. Dicle :
- M. Dicle est en détention depuis décembre 2009 pour l’affaire de la KCK;
- il a été reconnu coupable et condamné en première instance en 2009 à un an et 8 mois d’emprisonnement, pour infraction à l’article 7/2 de la loi antiterrorisme, suite à une déclaration qu’il avait faite à l’agence de presse ANKA en octobre 2007 à propos du cessez-le-feu unilatéral que le PKK avait proclamé en 2006 et des attaques de l’armée qui se seraient alors intensifiées; M. Dicle aurait déclaré à ce sujet : "[…] Le cessez-le-feu ne tient plus. Le PKK usera de son droit à la légitime défense tant que l’armée n’arrêtera pas ses opérations.";
- la Cour suprême d’appel a confirmé le jugement le 22 mars 2011; après inscription au casier judiciaire, la décision de justice a été communiquée au Conseil électoral suprême (YSK) le 9 juin 2011; la Présidente du Groupe interparlementaire turc a indiqué qu’à cette date, selon la loi électorale, le Conseil électoral suprême n’était plus en mesure d’apporter des changements à la liste définitive des candidats aux élections, ce qui explique que M. Dicle ait pu se présenter aux élections mais que son élection ait été par la suite invalidée;
- M. Dicle, dont le siège a été attribué à un membre du parti au pouvoir, a introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme pour lui demander d’établir la violation de ses droits, garantis par la Convention européenne des droits de l’homme,
rappelant que, s’agissant des neufs cas, la source a soulevé des interrogations sérieuses quant à la longueur des procès, qui ne semblent pas avancer vers leur conclusion, puisque de nombreux accusés n’ont pas encore pu présenter leur défense et qu’elle affirme que les décisions de détention ne sont justifiées par aucun fait concret,
rappelant aussi que la source affirme que certaines des preuves avancées contre les accusés ont été fabriquées par les enquêteurs et que, dans la plupart des cas, des lettres anonymes sont à l’origine du placement en détention et que les ordinateurs des accusés ont été trafiqués; rappelant aussi que, selon la source, toutes les personnes qui sont accusées dans ces affaires sont connues pour leur opposition au gouvernement actuel, que celui-ci a la mainmise sur le Conseil supérieur de la magistrature qui est responsable du système judiciaire, et qu’il y a une ingérence politique directe dans les affaires en question,
considérant que, selon la Présidente du Groupe interparlementaire turc, les affaires dites Ergenekon et du "marteau de forgeron" ont pour toile de fond les ingérences répétées, allant parfois jusqu’au coup d’Etat, des militaires dans la politique nationale turque dans l’histoire récente du pays; que les parlementaires concernés ont été ou sont accusés dans le cadre d’affaires criminelles extrêmement complexes concernant de multiples suspects; que la Commission parlementaire des droits de l’homme a rendu visite aux parlementaires en détention, a conclu que leurs conditions de détention étaient correctes et adopté un rapport à cet effet qui peut être mis à disposition; que l’Assemblée nationale turque a récemment amendé le Code de procédure pénale en vue d’accélérer les procédures judiciaires et de favoriser la libération de ceux qui sont accusés dans des affaires telles que celles-ci; que, cependant, les tribunaux ont refusé d’accorder aux parlementaires la liberté provisoire au motif que les infractions dont ils sont accusés sont très graves et que leur libération pourrait compromettre la collecte des preuves,
sachant que la Turquie est partie à la Convention européenne des droits de l’homme et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et qu’elle est tenue à ce titre de respecter le droit à la liberté d’expression, à la liberté de la personne, et le droit de participer à la vie politique,
- remercie la Présidente du Groupe interparlementaire turc de sa coopération non démentie;
- se félicite que le Parlement turc porte un intérêt actif à cette affaire et ait adopté une loi offrant à ses membres en détention préventive la possibilité de bénéficier d’une liberté provisoire et ainsi d’exercer le mandat qu’ils tiennent de leurs électeurs; est donc préoccupé de ce que les tribunaux n’aient pas libéré les parlementaires concernés, d’autant que leur détention résulterait d’une procédure judiciaire non fondée en droit, et que certains des parlementaires sont déjà privés de liberté depuis trois ans; compte qu’une analyse approfondie de la nouvelle loi dont la délégation turque s’est engagée à fournir un exemplaire permettra de voir plus clair sur ce point; souhaiterait aussi recevoir copie des décisions pertinentes des tribunaux à ce sujet, ainsi que du jugement rendu contre M. Alan;
- considère que, vu la complexité et la gravité du cas en question, une mission in situ serait opportune et permettrait de recueillir directement des informations et de mieux comprendre les charges exactes, les faits sur lesquels elles s’appuient, l’état d’avancement des enquêtes et des procédures, et les chances qu’auraient les personnes actuellement en détention préventive de participer pleinement aux travaux du parlement; considère que cette mission aura l’avantage de faire mieux comprendre sur quels faits la justice s’est fondée récemment pour déclarer M. Dicle coupable, en particulier à la lumière des préoccupations exprimées par le passé dans une affaire dans laquelle M. Dicle, Mme Zana, MM. Sadak et Dogan ont été reconnus coupables d’un délit semblable et condamnés, après deux jugements entachés d’irrégularités, à une lourde peine de prison;
- se réjouit donc que la Présidente du Groupe interparlementaire turc convienne qu’une mission in situ, qui aurait pour objet de rencontrer les autorités parlementaires et judiciaires, les représentants de l’exécutif et les parlementaires concernés, pourrait contribuer à améliorer cette compréhension, notamment celle du contexte dans lequel il convient de replacer les différentes procédures pénales;
- prie le Secrétaire général de prendre des dispositions pour que la mission puisse avoir lieu dès que possible et de poursuivre ses échanges avec les autorités parlementaires à cette fin; le prie aussi de communiquer copie de la présente résolution aux sources;
- prie le Comité de poursuivre l’examen de ce cas et de lui faire rapport en temps utile.
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