ZIMBABWE
CAS N° ZBW/44 - NELSON CHAMISA |
Résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur
à sa 192ème session (Quito, 27 mars 2013)
Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,
se référant au cas de M. Nelson Chamisa et à la résolution qu’il a adoptée à sa 190ème session (avril 2012),
tenant compte des informations fournies par le Président de l'Assemblée zimbabwéenne durant la 128ème Assemblée de l'UIP (Quito, mars 2013) lors de son audition par le Comité des droits de l’homme des parlementaires,
considérant les éléments ci-après versés au dossier :
- M. Nelson Chamisa était parlementaire, membre du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), parti d'opposition, lors de la soumission initiale de la plainte en 2005; comme suite à l'Accord politique global (GPA) de novembre 2008 et à la mise en place d'un gouvernement d'unité nationale en février 2009, M. Chamisa a été appelé à des fonctions exécutives et est actuellement Ministre de l'information, de la communication et de la technologie;
- depuis la soumission initiale de la plainte en 2005, M. Chamisa a été arrêté, détenu et harcelé en de nombreuses occasions, comme d'autres parlementaires et membres du MDC à l'époque;
- M. Chamisa a été arrêté à Harare le 11 mars 2007 pour avoir, selon les informations reçues, participé à une réunion de prière qui avait été organisée par la campagne "Sauvez le Zimbabwe" pour protester contre l'interdiction générale des rassemblements décrétée par la police; selon le rapport de la police du 17 juillet 2007, la réunion de prière était en fait un rassemblement déguisé parce que non autorisé; les pancartes arborées pendant la réunion portaient le logo du MDC et annonçaient qu’il s’agissait d’une campagne de contestation contre le gouvernement et les lois du pays; selon les sources, une cinquantaine de militants dont il faisait partie ont été emmenés au poste de police, où ils ont reçu l'ordre de se coucher sur le ventre dans la cour et ils auraient été roués de coups par des jeunes miliciens de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF) et des agents de police; selon les sources, la police leur a refusé le droit d’appeler un avocat et de recevoir des soins médicaux, en violation d'une ordonnance de la Haute Cour; ils ont été libérés le 13 mars 2007 sans avoir été inculpés; aucune enquête n'aurait été ouverte pour élucider les allégations de torture et de mauvais traitements commis par la police durant cet incident;
- le 18 mars 2007, en présence de policiers, M. Chamisa a été sauvagement agressé par huit hommes, qui seraient des agents de la sécurité, à l'aéroport international de Harare, alors qu'il allait assister aux réunions de l'Assemblée parlementaire conjointe ACP-Union européenne à Bruxelles; M. Chamisa a eu une fracture du crâne, des blessures multiples au visage et un décollement de la rétine; dans un état critique, il a été admis dans un hôpital de Harare et placé sous garde policière; aucune enquête ou procédure judiciaire n’a été ouverte afin d'identifier et de poursuivre les auteurs de l'agression et d'établir le refus d’intervention de la police pour protéger M. Chamisa; selon le rapport de la police du 17 juillet 2007, s’il était "de notoriété publique" que M. Chamisa avait été agressé, celui-ci n’avait pas fait de déclaration à la police et, selon la procédure pénale zimbabwéenne, sans la coopération de la victime avec les forces de l’ordre, la police ne peut ouvrir une enquête et entamer des poursuites pour agression; malgré des demandes répétées pour qu’il dépose plainte, M. Chamisa s’y est refusé; dans sa lettre du 30 août 2010, le Procureur général s’est exprimé dans le même sens, disant que M. Chamisa n’avait pas produit de preuves recevables contre un suspect identifiable et que, de ce fait, l’allégation selon laquelle il n’avait pas bénéficié de la protection de la loi était sans fondement,
rappelant que la Loi sur l'ordre public et la sécurité, adoptée en 2002 et modifiée en 2007, donne à la police des pouvoirs très étendus, que cette loi a été largement critiquée parce qu'elle portait gravement atteinte à la liberté d'expression, de réunion et d'association; que des organisations des droits de l'homme ont en particulier fait part de leurs préoccupations quant à la manière dont la police interprétait cette loi pour justifier un usage abusif de la force et empêcher les dissidents de tenir des rassemblements et manifestations publics,
rappelant en outre le contexte politique au Zimbabwe : le Président Mugabe et son parti, la ZANU-PF, ont dominé la vie politique depuis l'indépendance en 1980 mais se sont heurtés ces dernières années à une opposition croissante, qui s'est traduite par des manifestations populaires et une avancée électorale du parti d'opposition MDC, notamment au parlement; comme suite aux résultats contestés des élections présidentielles et législatives de mars 2008, l'Accord politique global, accord de partage du pouvoir, a été signé en novembre 2008 par M. Mugabe et M. Tsvangirai, dirigeant du MDC, et a conduit à la mise en place d'un gouvernement d'unité nationale en février 2009,
notant que le processus de réforme constitutionnelle en cours doit conduire à des élections avant la fin de 2013 et que le projet de Constitution a été largement approuvé par un référendum tenu sans incident significatif le 16 mars 2013,
rappelant que le Président de l'Assemblée du Zimbabwe a déclaré à maintes reprises que le parlement était fermement résolu à protéger les droits de l'homme de ses membres et à agir dans ce but, dans les limites fixées par la doctrine de la séparation des pouvoirs,
considérant que le Président de l'Assemblée du Zimbabwe a fourni les informations suivantes lors de son audition par le Comité durant la 128ème Assemblée de l'UIP :
- M. Chamisa a confirmé qu'il souhaite que le Comité continue d'examiner son cas, l’agression qu’il a subie n'ayant fait l'objet d'aucune enquête policière ou judiciaire;
- M. Chamisa n'a jamais officiellement déclaré cette agression à la police, car il estimait que cela ne servirait à rien, puisque la police était présente durant l'incident et n'avait pris aucune mesure pour le protéger; il refuse toujours de déposer une plainte officielle pour les mêmes raisons, alors que la police continue d'exiger qu'il déclare l’incident avant d'ouvrir une enquête; faute de plainte, il n'est pas possible au Parquet d'ouvrir un dossier d'accusation et de porter l'affaire à l'attention du Procureur général et des tribunaux;
- le Parlement zimbabwéen a pris des mesures pour faire en sorte que les droits des parlementaires soient respectés et il continue son dialogue avec la police et les ministères compétents pour qu'aucun parlementaire ne puisse être arrêté sans le consentement préalable du parlement et pour que les parlementaires soient traités avec dignité par la police s'ils sont arrêtés ou détenus; le Parlement zimbabwéen continuera de dénoncer tous les incidents dans lesquels un parlementaire n'aura pas été traité équitablement;
- le Parlement zimbabwéen est favorable au règlement de l'affaire de M. Chamisa, mais éprouve des difficultés à recommander des mesures concrètes à cette fin, faute d'une plainte officielle de l'intéressé qui permettrait à la police d'ouvrir une enquête et au Procureur de prononcer des inculpations,
rappelant que le Zimbabwe est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et tenu, à ce titre, de respecter l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements (art. 7), le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 9) et le droit à la liberté d’expression (art. 19) et de "garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile" (article 2(3)a)); rappelant en outre que l'interdiction de la torture est une norme impérative du droit international et que, en application de la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, "Chaque fois qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture […] a été manifestement commis, les autorités compétentes de l'Etat considéré procèdent d'office et sans retard à une enquête impartiale"; notant qu'en juin 2012, le Gouvernement zimbabwéen a annoncé sa volonté de ratifier la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
- remercie le Président de l'Assemblée du Zimbabwe pour les informations qu'il a fournies et note avec satisfaction que le Parlement zimbabwéen continue d'exercer, conformément à son engagement proclamé de protéger les droits de ses membres, son devoir de contrôle sur les autorités compétentes, afin de veiller à ce qu'elles respectent les droits des parlementaires;
- réitère ses graves préoccupations, exprimées de longue date dans ses résolutions précédentes, et prie instamment les autorités compétentes d'entreprendre les enquêtes voulues pour identifier et punir les coupables des mauvais traitements subis par M. Chamisa durant sa détention, le 11 mars 2007, ainsi que de l'agression brutale dont il a été victime le 18 mars 2007 en présence de policiers qui ne seraient pas intervenus pour le protéger; réaffirme que le Zimbabwe, en tant que partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est tenu non seulement d’interdire la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, mais aussi d'ouvrir d'office des enquêtes sur les allégations de torture et de poursuivre les responsables, et souligne une nouvelle fois que, pour ce qui est de l'agression contre M. Chamisa, l'absence d'une plainte officielle concernant une agression dont les autorités ont connaissance, ne saurait être invoquée pour justifier l'inaction; reste convaincu qu'une telle impunité porte un grave préjudice à l'état de droit et au respect des droits de l'homme dans le pays et ne peut qu'inciter à la répétition d'actes similaires;
- considère que M. Chamisa a actuellement une occasion unique, en tant que ministre, de contribuer à promouvoir la responsabilisation de la police et des forces de sécurité en déposant plainte et en portant son cas devant les juridictions nationales; espère vivement que M. Chamisa voudra bien revoir sa position actuelle en la matière et envisager de porter plainte officiellement;
- encourage vivement les autorités compétentes à entreprendre d'urgence une réforme institutionnelle et législative, notamment en ce qui concerne la police et les forces de sécurité, ainsi que la branche judiciaire, afin de garantir une véritable impartialité, de veiller à ce que les auteurs d’abus commis par le passé soient tenus responsables de leurs actes, notamment dans le cas de M. Chamisa, et de mettre fin aux abus persistants de la part des forces de l’ordre; souligne en outre qu'il est urgent d'abroger la Loi sur l'ordre public et la sécurité, afin de prévenir de tels abus; est convaincu qu'une telle réforme doit être mise en place d'urgence, afin que le Zimbabwe puisse tenir des élections crédibles, libres et honnêtes, sans violence et dans un climat respectueux des droits de l'homme;
- prie le Secrétaire général de porter cette résolution à l'attention des autorités parlementaires et autres autorités compétentes, ainsi que de M. Chamisa;
- prie le Comité de poursuivre l'examen de ce cas et de lui faire rapport en temps utile.
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