MALAISIE
CAS N° MAL20 – KARPAL SINGH |
Résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur
à sa 194ème session (Genève, 20 mars 2014)
Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,
saisi du cas de M. Karpal Singh, membre de la Chambre des représentants de Malaisie et Président du Parti d'action démocratique (DAP), qui a fait l’objet d’une étude et d’un rapport du Comité des droits de l’homme des parlementaires conformément à la Procédure d’examen et de traitement, par l’Union interparlementaire, de communications relatives à des violations des droits de l’homme dont sont victimes des parlementaires,
considérant qu’en mars 2009, M. Karpal Singh a été inculpé en vertu de la Loi sur la sédition de 1948 pour avoir tenu des propos séditieux contre le sultan de Perak le 6 février 2009, en particulier pour avoir déclaré que la déposition par le sultan de Datuk Seri Mohamad Nizar Jamaluddin en tant que menteri besar dePerak (chef du gouvernement) et la nomination de Datuk Seri Zambry Abdul Kadir à ce même poste pourraient être contestées devant un tribunal,
considérant les éléments suivants versés au dossier : ces remarques ont été faites au lendemain d’une crise politique dans l’Etat de Perak; après les élections de mars 2008, l'Etat était gouverné par une alliance de trois partis d'opposition, dont le DAP; au début de 2009, trois parlementaires de l’Etat de Perak ont donné leur démission, ce qui a fait pencher la balance en faveur de la coalition du Front national; le sultan de Perak a démis le gouvernement de l'alliance et a appelé le Front national au gouvernement – décision qui a été mise en cause par M. Singh,
considérant que le 11 juin 2010, la High Court a prononcé un non-lieu en faveur de M. Singh après avoir déterminé que l'accusation n'avait pu présenter de preuves suffisantes de sa culpabilité; que le 20 janvier 2012, la Cour d'appel a annulé cette décision et ordonné à M. Singh de présenter sa défense,
considérant que le 21 février 2014, la High Court a jugé M. Singh coupable de l'accusation portée contre lui et l'a condamné, le 11 mars 2014, au paiement d'une amende de 4 000 RM; que M. Singh a interjeté appel qui est en instance,
considérant qu'une personne condamnée pour une infraction punie d'une peine égale ou supérieure à un an d'emprisonnement, ou d'une amende égale ou supérieure à 2 000 RM, ne peut pas être parlementaire,
considérant queMe Mark Trowell, avocat de la Couronne, a régulièrement suivi pour le compte du Comité les audiences de la High Court de Kuala Lumpur qui se sont tenues en l’espèce devant le Juge Datuk Azman Abdullah,
considérant les conclusions suivantes que tire Me Trowell dans son rapport du 15 mars 2014 :
- la Loi sur la sédition est une survivance du passé colonial de la Malaisie. Elle est utilisée depuis 1948 pour museler la liberté d'expression et réprimer les réunions pacifiques. La Loi prévoit qu'une personne peut être condamnée lorsque ce qu'elle a dit présentait une "tendance à la sédition" – non pas pour l'effet de ses paroles et que celles-ci soient vraies ou fausses. Il n'est pas nécessaire que l'accusé ait eu l'intention de produire l'un des effets exposés dans la loi en tenant ces propos. Une loi de ce genre ne semble guère avoir sa place dans l'Etat démocratique moderne que prétend être la Malaisie;
- la défense de Karpal Singh a consisté à dire que les propos qu'il avait tenus à la conférence de presse n'avaient pas de caractère séditieux. Il a affirmé qu'il n'avait pas contesté la prérogative du sultan de sortir l'Etat d'impasses constitutionnelles telles que celle dans laquelle se trouvait alors l'Etat de Perak. Il remettait plutôt en question la manière dont ce pouvoir était exercé et suggérait que ce mode d'exercice du pouvoir pouvait être contesté en droit. Il donnait un avis juridique, ce qu'il était habilité à faire comme juriste expérimenté en droit constitutionnel et comme parlementaire agissant dans l'intérêt public;
- Karpal Singh a également affirmé que les poursuites engagées contre lui avaient un caractère sélectif, comme d'autres dans le passé, et il a donné de nombreux exemples pour démontrer la véracité de ses dires;
- pendant la crise constitutionnelle de 1993 touchant au rôle des dirigeants, les membres du gouvernement ont dit beaucoup de choses qui, considérées sous n'importe quel angle, auraient pu être interprétées comme séditieuses au regard de la loi. Ce qui avait été dit alors était beaucoup plus grave que la remarque de Karpal au sujet des actes du sultan susceptibles d'être contestés en droit. C'est pourquoi Karpal Singh a passé tant de temps pendant son procès à citer les propos qui avaient été tenus à l'époque et à lire de larges extraits du Hansard;
- Karpal Singh s'est aussi appuyé sur le fait que depuis qu'il était accusé, le gouvernement avait annoncé son intention d'abroger la Loi sur la sédition. Le 11 juillet 2012, le Premier Ministre, Datuk Seri Najib Razak, a annoncé qu'il avait l'intention d'abolir la Loi sur la sédition dont il reconnaissait qu'il était reproché au gouvernement de l'avoir utilisée contre des politiciens, des journalistes et des organisations non gouvernementales (ONG); que cette loi serait remplacée par une loi sur l'harmonie nationale qui, disait-il, instaurerait un équilibre entre la liberté d'expression et la protection des divers groupes culturels et religieux de Malaisie; le Premier Ministre Najib a annoncé qu'il avait donné pour instruction au Procureur général de tenir de larges consultations publiques avant la rédaction de la nouvelle loi, pour que les vues de tous les Malaisiens soient représentées; "La loi sur la sédition", a-t-il dit, "correspond à une époque révolue de l’histoire de notre pays et l'annonce d'aujourd'hui marque une nouvelle étape dans le développement de la Malaisie. La nouvelle loi sur l'harmonie nationale assurera un équilibre entre le droit à la liberté d'expression tel que consacré dans la Constitution et la protection de toutes les races et religions", ajoutant : "La force de notre pays tient à sa diversité. La nouvelle loi témoigne de ma volonté de cultiver l'esprit d'harmonie et de respect mutuel qui a été à la base de notre stabilité et de notre succès" (FMT News, 11 juillet 2012);
- Karpal Singh s'est plaint que le Procureur général n'aurait pas dû laisser le dossier aller jusqu'au procès et qu'il aurait dû abandonner les poursuites. De nombreux juristes chevronnés étaient de cet avis et se sont dits préoccupés de ce qu'un juriste puisse être accusé pour avoir donné un avis juridique, même si Karpal l'a fait dans un contexte politique;
- le Procureur général a un très large pouvoir sur la maîtrise et l’orientation de toutes les poursuites pénales. L'Article 145.3 de la Constitution fédérale malaisienne et la section 376.1) du Code de procédure pénale disposent que : "En décidant d’engager des poursuites contre un accusé ou de classer une affaire, le Procureur général est toujours guidé par des principes de droit, mais l’intérêt public doit être aussi sa préoccupation primordiale." Etant donné les circonstances, on aurait pu penser que l'intérêt public justifiait l'abandon des poursuites. Le Procureur général n'a pas choisi cette voie. Il était prêt en 2002 à abandonner une accusation semblable portée contre Karpal Singh, pensant alors qu'il n'était pas de l'intérêt public de maintenir les poursuites mais, pour une raison ou une autre, il n'a pas jugé qu'il était de l'intérêt public d'agir de la même manière en l'espèce,
considérant que, pendant l'audition que le Comité a tenue le 18 mars 2014 avec la délégation malaisienne à la 130ème Assemblée de l'UIP, la cheffe de la délégation a souligné que l'affaire était maintenant devant la Cour d'appel, que les tribunaux de Malaisie étaient totalement indépendants et qu'il fallait considérer la Loi sur la sédition à la lumière des émeutes de 1969 en Malaisie, et comprendre que les Malais attachaient une grande importance au respect de la royauté et du système féodal et que toute remise en question sérieuse de ces institutions pouvait susciter une très vive émotion,
considérant que, selon le droit malaisien, le mandat de M. Karpal Singh sera invalidé si la Cour d'appel confirme le jugement et ne ramène pas l'amende à une somme inférieure à 2 000 RM,
- remercie la délégation malaisienne de sa coopération et des informations communiquées;
- est consterné que Karpal Singh ait été condamné pour des propos qui semblent relever strictement de l'exercice du droit à la liberté d'expression et en vertu d'une loi qui est reconnue comme obsolète par les autorités malaisiennes elles-mêmes et qui semble avoir été appliquée de manière sélective; considère donc que M. Singh n'aurait jamais dû être poursuivi et que le Procureur général aurait dû conclure qu'il était de l'intérêt général d'abandonner les poursuites;
- note avec une vive préoccupation que M. Karpal Singh perdra son siège si sa condamnation est maintenue en appel; décide de suivre de près la procédure d'appel, notamment en envoyant si possible un observateur au procès; espère sincèrement que la Cour d'appel accordera l'attention voulue au respect du droit fondamental de M. Karpal Singh à la liberté d'expression, respect sans lequel il ne peut pas exercer ses responsabilités de parlementaire et d'avocat;
- juge impératif que l'actuelle Loi sur la sédition soit abrogée sans délai; relève qu'il incombe tout particulièrement au Parlement malaisien de travailler dans ce sens, d'autant plus qu'il est de son intérêt de veiller à ce que ses membres puissent s'exprimer librement, sans crainte de poursuites judiciaires abusives;
- prie le Secrétaire général de communiquer le rapport de l’observateur du procès, ainsi que la présente résolution, au Procureur général, aux autorités parlementaires et à la source;
- prie le Comité de poursuivre l’examen de ce cas et de lui faire rapport en temps utile.
Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 130ème Assemblée et réunions connexes de l'Union interparlementaire" au format PDF (taille du fichier 881 Ko). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement. | |
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