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Union interparlementaire | |
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Décision adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire, saisi du cas de M. Jean-Bertrand Ewanga, membre de l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo (RDC), examiné par le Comité des droits de l’homme des parlementaires au titre de sa Procédure d’examen et de traitement des plaintes (Annexe I des règles et pratiques révisées du Comité), se référant aux informations communiquées par le Président de l’Assemblée nationale dans sa lettre du 8 octobre 2014 et par le plaignant, considérant que M. Ewanga, député de l’opposition, a prononcé un discours le 4 août 2014 à l’occasion d’une manifestation publique et qu’il a été arrêté le 5 août 2014 au matin; qu’il a été accusé d’outrage au Chef de l’Etat et d’incitation à la haine raciale et tribale; qu’il a été traduit devant la Cour suprême en première et dernière instance dans le cadre de la procédure de flagrant délit; que pendant le procès, M. Ewanga a affirmé que la Constitution avait été violée, ce qui a amené les juges à suspendre la procédure jusqu’à ce qu’une décision soit prise sur ces questions par la Cour constitutionnelle; que ses griefs ont été rejetés par celle-ci et que le procès devant la Cour suprême a repris; que M. Ewanga a ensuite été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement le 11 septembre 2014 pour outrage au Chef de l’Etat et à d’autres hauts responsables politiques, considérant que, selon le plaignant, M. Ewanga a été arrêté, accusé et condamné en violation de sa liberté d’expression, de son immunité parlementaire et de son droit à la liberté et à un procès équitable,
considérant que, selon le plaignant, l’Article 23 de la Constitution de la RDC relatif à la liberté d’expression a été violé; que M. Ewanga a exercé cette liberté sans dépasser les limites légales dans sa critique du Chef de l’Etat, considérant que, selon le Président de l’Assemblée nationale, un enregistrement vidéo du discours de M. Ewanga a été diffusé pendant le procès devant la Cour suprême, forgeant la conviction de la Cour que ses déclarations allaient au-delà de la critique normale de l’action gouvernementale et constituaient une infraction pénale, ayant à l’esprit que cette vidéo et la transcription du discours de M. Ewanga, fournies par le plaignant et d’autres sources d’information fiables, montrent qu’il avait déclaré que « Kabila [devait] partir », qu’il avait « volé les élections », « menti », et que les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, ainsi que le Premier Ministre, étaient ses sorciers, ayant à l’esprit que des membres de la communauté internationale, y compris l’Union européenne et la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), se sont dits préoccupés par l’arrestation de M. Ewanga, ont mis en doute le bien-fondé du recours à la procédure de flagrance et appelé les autorités de la RDC à prendre les mesures nécessaires pour veiller au respect de la liberté d’expression, considérant également que, selon le plaignant, l’ordonnance-loi N° 300 du 16 décembre 1963, qui prévoit l’infraction d’outrage au Chef de l’Etat, n’est pas compatible avec la Constitution de la RDC promulguée en 2006 ni avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme, et que cette ordonnance-loi devrait être abrogée ou modifiée,
considérant que le plaignant allègue que M. Ewanga a été arrêté en violation de son immunité parlementaire; qu’il a contesté l’application de la procédure de flagranceet invoqué qu’elle avait été abusivement utilisée pour contourner l’Assemblée nationale et l’Article 107 de la Constitution de la RDC qui se lit comme suit : « Aucun parlementaire ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »; que le plaignant allègue en outre que l’application de la procédure de flagrance était abusive, non seulement parce que M. Ewanga n’avait fait qu’exercer sa liberté d’expression et n’avait donc pas commis d’infraction, mais aussi parce qu’il n’avait pas été arrêté au moment où il prononçait son discours mais seulement le lendemain, considérant que le Président de l’Assemblée nationale a relevé qu’en vertu de l’Article 107 de la Constitution, l’immunité parlementaire ne protège que les opinions ou les votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires; qu’il a également déclaré qu’en vertu de l’article 7 du Code pénal congolais, la procédure de flagrance pouvait être appliquée chaque fois qu’une infraction était « porteuse d’effets […], pourvu que ce soit dans un temps voisin de l’infraction. »,
considérant que, selon le plaignant, M. Ewanga a été placé en détention le 5 août 2014, malgré une ordonnance d’assignation à résidence émise par la Cour suprême qui a finalement été exécutée le 8 août 2014 lorsque M. Ewanga a été transféré dans un hôtel de Kinshasa; que le plaignant a toutefois fait valoir que, conformément à la législation et à la jurisprudence existante relatives à l’assignation à résidence, il aurait dû être transféré à son domicile, considérant que le Président de l’Assemblée nationale a déclaré qu’il était intervenu auprès du Procureur général pour obtenir l’exécution de l’ordonnance de la Cour suprême,
considérant que, selon le plaignant, les garanties en matière de procès équitable n’ont pas été respectées dans le cadre de la procédure judiciaire, en particulier : i) les avocats de M. Ewanga ne se sont pas vu accorder l’accès aux dossiers lors de la première audience devant la Cour suprême et ils n’ont pas pu apprécier les éléments de preuve retenus à son encontre; ii) la composition respective de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle a méconnu le droit interne; iii) la condamnation a été prononcée en l’absence de l’avocat de M. Ewanga, qui avait quitté la salle d’audience en signe de protestation; iv) M. Ewanga a été condamné pour d’autres infractions – à savoir outrage aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat et outrage au Premier Ministre ‑, c’est-à-dire sur un fondement autre que les chefs d’accusation pour lesquels il était poursuivi, et ces chefs d’accusations supplémentaires ne lui ont pas été notifiés pendant le procès, en conséquence de quoi il n’avait pas pu préparer sa défense à leur encontre, considérant que, selon le Président de l’Assemblée nationale, les avocats de M. Ewanga ont bien eu accès aux dossiers de la Cour suprême car, à défaut, ils n’auraient pas obtenu la suspension du procès pour exceptions d’inconstitutionnalité, considérant que, plus d’un mois après la condamnation de M. Ewanga, ce dernier et ses avocats n’ont toujours pas été notifiés, par les autorités de la RDC, des décisions motivées de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle, ayant à l’esprit que la Cour constitutionnelle n’est pas pleinement opérationnelle et que la Cour suprême continue à statuer sur les questions d’ordre constitutionnel à ce jour, considérant que la liberté d’expression est protégée par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et que l’observation générale N° 34 (2011) du Comité des droits de l’homme de l’ONU énonce que « le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale […] toutes les personnalités publiques, y compris celles qui exercent des fonctions au plus haut niveau du pouvoir politique, comme les chefs d’État ou de gouvernement, sont légitimement exposées à la critique et à l’opposition politique » (paragraphe 38) et que « les lois sur la diffamation doivent être conçues avec soin de façon à garantir qu’elles […] ne servent pas, dans la pratique, à étouffer la liberté d’expression » (paragraphe 47), considérant que, pendant l’Examen périodique universel (EPU), en 2014, la RDC a accepté de « veiller à ce que la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique soient respectées conformément aux normes internationales et à ce que les membres des partis politiques, les journalistes et les militants des droits de l’homme puissent exercer leurs activités et critiquer le gouvernement sans faire l’objet d’intimidation, de représailles ou de harcèlement » (paragraphe 134.134 du Rapport du Groupe de travail de l’EPU),
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