ENTRETIENS
Par Luisa Ballin
Le Comité des droits de l'homme des parlementaires de l'Union interparlementaire (UIP) se réunit, à huis clos, du 10 au 13 juillet 2000, au Siège de l'UIP à Genève. Il est composé de cinq membres de Parlements nationaux de gauche à droite : M. Mahinda Samarasinghe (Sri Lanka), Mme Maria Grazia Daniele Galdi (Italie), M. François Autain (France, Président), M. Hilarion Etong (Cameroun, Vice-Président) et M. Juan-Pablo Letelier (Chili).
M. François Autain (France), Président
Q. Quelles sont les violations des droits de l'homme les plus fréquentes dont sont victimes des parlementaires et que fait l'UIP pour leur venir en aide ?
F.A. : Comme vous le savez sans doute, l'outil de travail principal du parlementaire est la parole, et il arrive que les propos que nous tenons, surtout quand nous sommes dans l'opposition, ne soient pas du goût du pouvoir ou du gouvernement en place. Dans beaucoup de pays, et je n'exclus pas mon pays la France, cela peut gêner et alors la tentation peut être grande de faire taire les parlementaires " frondeurs ". Il me semble que la violation des droits de l'homme, qui est à l'origine de la quasi-totalité des cas que notre Comité examine actuellement, est l'atteinte à la liberté d'expression. Je pense à un ancien cas public dont le Comité a eu à traiter pendant des années, celui de M. Lim Guan Eng de Malaisie, qui a suscité le courroux de certaines autorités devant les critiques qu'il a portées contre le Procureur général pour la manière dont celui-ci a traité un cas de viol de mineure. M. Guan Eng a été reconnu coupable de sédition et de publication de fausses nouvelles et, de ce fait, non seulement il a passé plus d'un an en prison, mais il n'a pas pu se présenter aux dernières élections. Le cas de M. Anwar Ibrahim, ancien Vice Premier Ministre de ce pays, est un autre exemple, mieux connu de la presse. Il me semble qu'aujourd'hui, les méthodes employées pour faire taire les opposants sont, pour ainsi dire, devenues plus " politiquement correctes ", c'est-à-dire qu'on assassine peut-être moins, ou qu'on fait moins souvent disparaître les gêneurs, optant plutôt pour les méthodes plus douces de condamnation pour diffamation ou corruption, qui sont des affaires finalement assez faciles à monter. Dans certains pays, on organise même des procès pour tentative de coup d'Etat. Or, pour ce faire, on s'attaque nécessairement à cet autre droit essentiel qu'est le droit à un procès équitable.
C'est précisément pour venir en aide aux parlementaires qui s'estiment victimes d'un traitement arbitraire que l'Union interparlementaire a mis en place notre Comité. Nous agissons comme intermédiaire entre les plaignants et les autorités des pays concernés et essayons, à travers le dialogue et la coopération, de trouver un règlement qui soit conforme aux normes internationales en matière de droits de l'homme. Par ailleurs, il faut dire que le travail que fait l'Union pour raffermir l'institution parlementaire en tant que telle contribue sans doute aussi à assurer un meilleur respect des parlements et de leurs membres.
Q. Le Comité des droits de l'homme des parlementaires a effectué des missions d'investigation sur le terrain. Quel est l'objectif de ces missions ?
F.A. : En règle générale, le Comité effectue une mission, comme se fut récemment le cas en Guinée et au Bélarus, lorsque les informations fournies par les plaignants et les autorités sont très divergentes, de telle sorte qu'il est difficile d'apprécier les faits. Nous envoyons alors une délégation sur place pour recueillir auprès de toutes les parties concernés, tant des autorités que des victimes présumées, leurs familles et avocats, les informations nécessaires à un examen impartial et objectif de la situation. Ces missions sont un outil extrêmement précieux en ce sens qu'elles permettent d'appréhender la réalité sous tous ses aspects. Elles sont importantes aussi pour les parlementaires concernés, souvent en détention, et leur entourage, puisqu'ils se rendent compte ainsi qu'on ne les a pas oubliés.
M. Mahinda Samarasinghe (Sri Lanka)
Q: Quels sont les cas examinés par le Comité des droits de l'homme des parlementaires dans la région que vous représentez?
M.S. : Les cas publics qui concernent la région de l'Asie/Pacifique consistent en des plaintes pour représailles politiques, restrictions à la liberté d'expression et de réunion, arrestation et détention arbitraires et intimidation et agression à l'encontre d'opposants politiques. Ils sont la conséquence de violations de l'état de droit et des instruments et normes internationaux des droits de l'homme, ainsi que du non-respect des valeurs universelles de la démocratie. Le cas le plus flagrant est sans doute celui des parlementaires élus régulièrement en 1990 au Myanmar qui ont été empêchés par le régime militaire, jusqu'à ce jour, de siéger et exercer leur mandat parlementaire, privant ainsi le peuple du Myanmar de son droit, garanti dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, de participer à la conduite des affaires publiques.
La persistance de cas publics dont le Comité demeure saisi malgré ses efforts pour engager un dialogue constructif en vue de leur solution, tient le plus souvent à un mépris de l'opinion publique internationale et à la volonté de consolider le pouvoir en place en muselant l'opposition politique légitime.
M. Juan Pablo Letelier (Chili)
Q: Quels sont les cas publics en Amérique latine?
J.-P.L. : La majorité des cas qu'examine actuellement le Comité en Amérique latine touche au problème de l'impunité. Par exemple en Colombie, le Comité examine depuis plusieurs années le cas de six parlementaires appartenant à l'opposition, qui ont été assassinés entre 1986 et 1994. Dans un de ces cas seulement, l'enquête a donné un résultat et abouti à l'identification et à la condamnation des auteurs du meurtre, les autres restant impunis à ce jour. Notre Comité a toujours insisté sur le danger que représente l'impunité pour la démocratie et l'état de droit car elle encourage la répétition des crimes et entraîne une violence toujours plus grande.
Heureusement, l'Amérique latine évolue dans la bonne direction. La démocratisation du continent a beaucoup amélioré la coopération entre les autorités et le Comité des droits de l'homme des parlementaires. Il est pratiquement inconcevable aujourd'hui qu'un pays refuse le dialogue, comme ce fut le cas au Chili à l'époque du régime militaire, quand le Comité fut saisi d'un grand nombre de cas concernant des parlementaires disparus. L'effet principal de cette démocratisation a d'ailleurs été de diminuer le risque que de telles violations massives des droits de l'homme ne se reproduisent.
Mme Maria Grazia Daniele Galdi (Italie)
Q: Quels sont les types de cas examinés par le Comité des droits de l'homme des parlementaires de l'UIP en Europe, la région que vous représentez?
M.G.D.G. : Au sein du Comité, nous examinons de près les cas publics concernant Mme Leyla Zana et d'autres de ses collègues, anciens parlementaires turcs d'origine kurde, ainsi que plusieurs membres du 13 Soviet suprême du Bélarus qui a été dissous suite à un référendum en 1996 tenu à l'initiative du Président Lukashenko. L'UIP a par ailleurs effectué une mission à Minsk, dont le rapport a été présenté au Conseil de l'UIP (organe directeur) à la 103ème Conférence à Amman en avril dernier. Je peux vous dire aussi que les parlementaires italiens suivent de près la situation de leurs collègues emprisonnés en Turquie. A titre personnel, j'ai entrepris une campagne consistant à recueillir des signatures auprès des parlementaires italiens à l'appui de l'appel lancé en faveur des parlementaires birmans élus en 1990 et à qui le régime militaire a dénié le droit de siéger et d'exercer leur mandat parlementaire.
Le Comité en chiffres
Lors de sa 90ème session, il examinera 42 cas concernant 180 parlementaires de 24 pays, dont 18 cas publics relatifs à 133 parlementaires des pays suivants : Argentine, Bélarus, Burundi, Cambodge, Colombie, Djibouti, Equateur, Gambie, Guinée, Honduras, Malaisie, Myanmar, République de Moldova, Sri Lanka et Turquie. Les autres cas sont examinés en procédure confidentielle. A l'heure actuelle, le monde compte 179 parlements nationaux et plus de 40 000 parlementaires.
Le Comité en bref
Le Comité des droits de l'homme des parlementaires de l'UIP a été créé en 1976 et siège quatre fois par an, à huis clos (deux fois au Siège de l'UIP et deux fois pendant les Conférences interparlementaires). Il est composé de cinq membres, tous élus au Parlement de leur pays et représentant chacun une région. Le Comité peut procéder à des auditions et proposer l'envoi de missions sur place. Agissant en tant qu'intermédiaire entre les plaignants et les autorités du pays concerné, il s'emploie à faire cesser, dans des délais rapides, toute mesure arbitraire dont un parlementaire peut être l'objet, à assurer sa protection et, le cas échéant, à lui obtenir réparation. Le Comité fait rapport au Conseil de l'UIP (organe directeur) lors des deux Conférences interparlementaires annuelles (printemps et automne).
Afrique : Cas concrets
M. Hilarion Etong est Vice-Président du Comité des droits de l'homme des parlementaires de l'UIP et député à l'Assemblée nationale du Cameroun.
Q: Quel type de violation des droits de l'homme le Comité examine-t-il dans la région que vous représentez, l'Afrique?
H.E. : Il convient de dire qu'au sein du Comité, nous n'examinons pas les cas relatifs aux droits de l'homme en général, puisque cette instance n'est compétente que pour les cas relatifs aux droits des parlementaires (députés et sénateurs) dont il est saisi - le Comité examine les cas de violation des droits de l'homme parlementaire à la vie (cas de plusieurs députés du FRODEBU au Burundi, assassinés après les élections législatives de 1993).
Le Comité traite aussi les cas de violations du droit à la liberté d'expression, d'opinion, de pensée, et notamment du droit de prendre part à la direction des affaires publiques ; du droit d'adhérer à un parti politique (cas de M. Jallow, ancien membre de l'Assemblée nationale de Gambie) ; du droit de se présenter aux élections comme ce fut le cas de MM. Barreh, Houmed et Farrah de Djibouti, qui ont été empêchés de se présenter aux élections législatives de 1997 à Djibouti. Nous examinons également des cas de suspension ou de révocation du mandat parlementaire. Le Comité analyse aussi les violations du droit d'aller et de venir (cas de rétention de passeports de certains députés djiboutiens ou de celui de M. Lamin waa Juwara en Gambie). Le Comité se penche également sur la question des violations des immunités parlementaires. Exemples : cas d'arrestation et de détention arbitraires de parlementaires guinéens (MM. Alpha Condé, Bhoye Ba, Mamadou Barry et autres) sans levée préalable et régulière de leur immunité, en usant de la procédure discutable du flagrant délit. Enfin les cas de violations du droit de bénéficier d'un procès régulier et équitable devant des juridictions indépendantes et impartiales ainsi que du principe de la légalité des infractions et des peines (problème de qualification des faits imputables, par exemple, à M. Alpha Condé de la Guinée)
sont également inscrits en notre ordre du jour.
Q: Le travail de ce Comité a-t-il des répercussions concrètes?
H.E. : La surveillance qu'effectue le Comité est une bonne chose car le champ de violations des droits de l'homme des parlementaires se rétrécit, sans doute pas de manière spectaculaire, mais tout de même. La typologie n'est pas figée, elle connaît des évolutions en fonction du traitement des cas auquel procède le Comité et des réponses qu'apportent les pays mis en cause. Exemples : Tunisie : libération et restitution du passeport du député Chammari. Tchad : libération et paiement des indemnités parlementaires du député Yorongar Ngarlejy. Togo :paiement des indemnités aux familles des députés Atidere, Tavio, Edeh assassinés.
Globalement parlant, ce jugement ne nous fait pas perdre de vue que certains pays de la région Afrique restent en dehors du spectre ci-dessus, dans la mesure où les statistiques ne signalent aucun cas de violation connue des droits de l'homme des parlementaires en Afrique du Sud, au Gabon, au Sénégal, en Namibie, ni même au Cameroun et j'en oublie certainement d'autres. En tant que Vice-Président de ce comité et comme parlementaire camerounais et africain, je voudrais m'en féliciter.
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