Le 12 août 1949 à
Genève, 58 pays signaient quatre Conventions dans l'espoir
de limiter les horreurs de la guerre et renforcer la protection
due aux civils, tant durant les conflits internationaux que dans
les conflits internes. Cinquante ans plus tard, le Président
du Comité international de la Croix-Rouge, le Suisse Cornelio
Sommaruga (67 ans), explique le rôle déterminant
des parlementaires dans la mise en oeuvre de ces instruments du
droit humanitaire international (ratifiés par 188 Etats),
ainsi que l'importance du Guide à l'usage
des Parlementaires qui sera publié conjointement par l'UIP
et le CICR lors de la 102ème Conférence interparlementaire
à Berlin.
Q: En tant que Président
du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), vous
avez souhaité travailler avec les parlementaires. Quel
rôle peuvent-ils jouer en ce qui concerne le droit international
humanitaire?
C.S.: Pour le CICR, les Parlements sont importants. D'une part, ce sont eux
qui procèdent à l'adoption et à la ratification
des textes internationaux et, d'autre part, qui légifèrent
sur le plan national pour l'application de ces textes. Nous avons
absolument besoin de leur coopération. De plus, dans les
pays démocratiques, l'autorité politique passe par
les parlements. Il faut donc que les parlementaires sachent en
quoi consiste le droit international humanitaire et ce que représentent
les Conventions de Genève pour qu'ils puissent donner des
impulsions à leurs gouvernements.
Q: On célèbre
le 12 août le 50ème anniversaire des Conventions
de Genève. Celles-ci sont-elles plus respectées
qu'auparavant ou moins respectées?
C.S.: Il est difficile de répondre à cette question. Nous
avons des éléments très positifs dont les
médias parlent peu. Comme, par exemple, le fait d'être
conscients que, même en guerre, il y a des limites. Et ces
limites sont stipulées dans le droit international humanitaire,
dans les Conventions de Genève. Mais nous savons aussi
que les Conventions de Genève sont violées tous
les jours. Faut-il s'en étonner? Il nous faut être
réalistes, nous vivons dans des sociétés
où les lois nationales sont violées, raison pour
laquelle les tribunaux pénaux continuent à travailler
et les prisons continuent d'être pleines dans presque tous
les pays. Nous savons aussi que plusieurs autres conventions internationales
ne sont pas respectées. Les Conventions de Genève
ne font donc pas exception, mais si ces violations sont plus visibles
c'est parce qu'elles mettent en danger la vie et la dignité
humaines. C'est contre cela qu'il faut lutter et c'est là
que réside également l'importance des parlements
car si les parlementaires nationaux ont conscience de la nécessité
de respecter les Conventions de Genève, ils passeront le
message à qui de droit: aux forces de police ou aux forces
armées.
Q: Certes, mais la nature des guerres a changé...
C.S.: On dit en effet aujourd'hui que les guerres sont surtout des conflits
internes. Je dirais que l'éducation et la formation, non
seulement des forces spécialisées mais aussi de
la population, doivent contribuer à l'acceptation du fait
que, même dans des conflits internes, il y a des règles
minimales à respecter. Il existe trois catégories
de personnes qui sont protégées par les Conventions
de Genève et qui doivent donc être respectées.
Tout d'abord les civils qui, dans une guerre, ne peuvent pas devenir
la cible des belligérants. Cela implique une série
de dispositions protégeant les enfants et les femmes et
qui touchent les méthodes de combat. Les belligérants
ne sont par exemple pas autorisés à utiliser des
armes qui ont des effets non discriminatoires. Deuxième
catégorie de personnes à protéger: les prisonniers
de guerre qui ne se battent plus puisqu'ils ont déposé
les armes. Les Conventions de Genève ne disent pas qu'il
faut les renvoyer à la maison, mais indiquent qu'il faut
les garder et les traiter humainement. L'une des dispositions
importantes de ces Conventions de Genève est l'accès
des délégués du CICR aux prisonniers, pour
vérifier leurs conditions de détention, non pas
pour alerter la presse mais pour conseiller les autorités
sur la façon de traiter des prisonniers. Troisième
catégorie: les blessés de guerre et les malades.
La Croix-Rouge est du reste née à cause des militaires
blessés lors de la bataille de Solferino, dans le nord
de l'Italie, où en 1851 les Français se battaient
contre les Autrichiens. L'homme d'affaires genevois Henri Dunant,
qui cherchait Napoléon III, a été si bouleversé
à la vue du désastre de cette bataille, ayant fait
40'000 victimes en 24 heures, qu'il a réagi pour soigner
ces blessés. A noter que ce furent les femmes lombardes
qui traitèrent les blessés, en toute impartialité.
Impartialité qui est le véritable message des Conventions
de Genève.
Q: Le CICR et l'Union interparlementaire
ont préparé un guide destiné aux parlementaires
qui sera lancé lors de la 102ème Conférence
statutaire prévue à Berlin du 10 au 16 octobre
prochain. Quel est l'objectif d'un tel ouvrage?
C.S.: Ce guide est essentiel car il aidera les parlementaires du monde
entier à mieux comprendre le contenu des Conventions de
Genève. Son importance va bien au-delà des parlements,
puisque ces textes, bien écrits et rédigés
dans un langage simple, contribueront à faciliter la diffusion
du droit humanitaire, tâche prioritaire pour le CICR. Je
suis d'ailleurs très heureux que le CICR et l'Union interparlementaire
se soient associés pour atteindre cet objectif. Cette diffusion
est tout d'abord la responsabilité des Etats, puisque ce
sont eux qui doivent faire appliquer les Conventions de Genève.
Q: Vous demandez donc aux parlementaires d'être les messagers du droit international
humanitaire...
C.S. Exactement. Et être des messagers responsables. Car en cette période de mondialisation,
nous avons l'impression qu'il manque une mondialisation des responsabilités,
qui sont aujourd'hui diminuées. Le pouvoir de l'Etat se
perd en faveur d'autres milieux et notamment du milieu économique.
Les parlementaires peuvent donc rappeler l'importance de l'Etat,
capable de mettre des gardes-fous pour que les gens puissent vivre
en harmonie. Il y a des limites à la guerre et des limites
à respecter au sein de la société.
Q: En tant qu'hôte d'honneur de la 102ème Conférence interparlementaire
de Berlin, quel message souhaitez-vous adresser aux délégués,
compte tenu de votre longue expérience à la tête
du Comité international de la Croix-Rouge?
C.S.:Je n'ai pas encore écrit mon discours, mais il ira dans le sens de ce que je viens d'énoncer:
respect des Conventions de Genève, responsabilité
individuelle des parlementaires et dépolitisation du droit
humanitaire. Je me réjouis beaucoup d'être l'un des
hôtes d'honneur de cette assemblée interparlementaire.
Q: Vous allez quitter le CICR à la fin de l'année, après douze ans de présidence, quels sont vos projets?
C.S.: J'arrive, il est vrai, à la fin de mon troisième mandat. Je me suis beaucoup investi dans cette institution et je sais que cela va beaucoup
me manquer. J'ai de nombreuses demandes mais je n'ai pas encore
décidé ce que je ferai ensuite...
Q: Vous lancer en politique peut-être?
C.S.: Vous me connaissez suffisamment pour comprendre que même si quelqu'un me disait que j'ai
des qualités de politicien, je ne le ferais pas!