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Communiqué de presse de l'Union interparlementaire
Istanbul, le 20 avril 1996
N° 6


L'UNION CRITIQUE LES SENTENCES RENDUES A L'ENCONTRE DE PARLEMENTAIRES TURCS

Le Conseil interparlementaire, l'organe directeur de l'Union interparlementaire, forte de 133 membres, a adopté aujourd'hui à Istanbul un rapport qui relève "la sévérité" et le "caractère oppressif" des sentences rendues contre quatre parlementaires turcs d'origine kurde.

Les condamnations "apparaissent comme l'expression d'une volonté délibérée d'empêcher les anciens députés d'exercer toute activité politique à l'avenir", peut-on lire dans le rapport.

Celui-ci émane du Comité des droits de l'homme des parlementaires qui examine des cas de parlementaires victimes de mesures arbitraires (par exemple harcelés, emprisonnés, ou même assassinés pour avoir exprimé leurs opinions). Le Comité a effectué une mission d'enquête de deux jours, les 11 et 12 avril, qui l'a amené à aller voir cinq parlementaires turcs actuellement en prison à Ankara, quatre autres parlementaires condamnés, et la femme d'un député assassiné.

Le Comité a également rencontré l'avocat des parlementaires, le Ministre turc de la justice, M. Mehmet Agar, et le Président du Groupe interparlementaire turc, M. Irfan Köksalan.

Le rapport a été adopté par le Conseil interparlementaire, l'organe directeur de l'Union, qui se réunit le lendemain de la clôture de la 95e Conférence interparlementaire. Le Conseil a également adopté les recommandations relatives aux cas de 58 parlementaires de 12 autres pays qui avaient été examinés par le Comité, composé de cinq membres, pendant la session d'Istanbul. Les autres cas concernent des parlementaires d'Albanie, de Bulgarie, du Burundi, du Cambodge, de Colombie, de Gambie, du Honduras, d'Indonésie, des Maldives, du Myanmar, du Nigéria et du Togo.

Le Comité travaille généralement à huis clos et les cas ne sont rendus publics que lorsque les gouvernements et les parlements concernés n'entament aucune action permettant de progresser dans le règlement de ces affaires. Durant sa session d'Istanbul, le Comité a examiné en tout les cas de 135 parlementaires de 29 pays, cas confidentiels et publics confondus. (On trouvera un résumé de tous les cas publics dans l'annexe jointe en fin de communiqué).

Le Conseil a élu au Comité des droits de l'homme M. Hilarion Etong (Cameroun) et M. François Autain (France) comme membres titulaires du Comité des droits de l'homme et Mme Badia Skalli (Maroc) et M. François Borel (Suisse) comme membres suppléants.

SECURITE ET COOPERATION EN MEDITERRANEE

Les représentants des Etats côtiers de la Méditerranée se sont réunis à Istanbul pendant la 95e Conférence interparlementaire pour examiner l'action à mener pour promouvoir la sécurité et la coopération en Méditerranée après la IIe Conférence interparlementaire sur la sécurité et la coopération en Méditerranée qui a eu lieu à La Valette (Malte) en novembre dernier.

Le Conseil a pris note des résultats de la Conférence de La Valette et a approuvé la tenue d'une troisième CSCM dans trois ans, que le Parlement tunisien s'est offert à recevoir. Dans l'intervalle, une série de réunions de courte durée auront lieu. Elles porteront sur des sujets propres à faire avancer le processus de la CSCM, et la première d'entre elles se tiendra à Monaco, probablement en 1997, sur l'emploi et des questions connexes.

Le Conseil a également fait sienne la recommandation de la IIe CSCM concernant la création d'une association des Etats méditerranéens, ayant une dimension gouvernementale et une dimension parlementaire et visant à soutenir le processus de la sécurité et de la coopération en Méditerranée. Il a pris note en particulier d'une communication de la délégation maltaise indiquant que, si trois autres délégations au moins amenaient leurs gouvernements à souscrire à cette initiative, le Gouvernement maltais prendrait les mesures nécessaires pour hâter l'institutionnalisation du processus.

CHYPRE

Le Conseil a adopté le rapport du Comité chargé de suivre la situation à Chypre, qui s'est réuni pendant la Conférence d'Istanbul et a entendu les représentants des deux communautés chypriotes et des trois puissances garantes (la Grèce, la Turquie, et le Royaume-Uni). Le Ministre des Affaires étrangères turc, M. E. Gönensay, a également rencontré le Comité le 17 avril. Comme l'explique le rapport, le Comité de l'Union interparlementaire permet aux représentants des deux communautés de dialoguer et continue d'apporter une "contribution utile à la recherche d'un règlement négocié de la question chypriote".

Le Conseil a regretté qu'au cours des six mois qui se sont écoulés depuis sa dernière réunion, la situation concernant Chypre n'ait "nullement évolué dans le sens d'un règlement pacifique négocié", et il a lancé un appel aux dirigeants des deux communautés pour qu'ils reprennent les négociations.

Il a engagé les deux parties "à veiller à ce qu'aucune considération tactique ne vienne entraver leurs discussions sur des questions de fond telles que la définition du concept de fédération, les questions constitutionnelles, les questions territoriales et les garanties de sécurité, ou la question de l'accession de Chypre à l'Union européenne". Le Comité a proposé au Conseil interparlementaire d'encourager l'Union européenne à poursuivre les négociations en vue de l'entrée de la République de Chypre, ce qui favoriserait un règlement du problème chypriote.

Le Comité a également noté que la tension croissante constatée ces derniers mois entre la Grèce et la Turquie, assortie d'une importante augmentation du potentiel militaire dans la région, contribuait fortement au climat d'insécurité.

Le Comité a dit que le Ministre turc des Affaires étrangères avait tenu a préciser que, si les tensions diminuaient avec la Grèce, "la Turquie serait prête à envisager un dialogue direct avec la Grèce au sujet de Chypre si cela devait contribuer à rapprocher les deux communautés".

Le Conseil a renouvelé son appel en faveur d'un retrait progressif des troupes turques stationnées dans le nord de l'île, qui, selon lui, "reste l'une des clés majeures du règlement de la question chypriote".

Enfin, le Comité a signalé que les rencontres intercommunautaires entre représentants de la société civile étaient encore rares et sporadiques et ne pouvaient pas avoir lieu sans autorisation, et qu'elles devraient être encouragées par les responsables des deux communautés pour renforcer le respect mutuel et la compréhension et contribuer à un règlement durable du problème chypriote.

MOYEN-ORIENT

Le Conseil a fait sien le rapport du Comité sur les questions relatives au Moyen-Orient qui s'est réuni pendant la Conférence d'Istanbul. Les représentants des pays arabes (l'Egypte et la Jordanie) et du Conseil national palestinien, d'une part, et un représentant d'Israël, de l'autre, ont rencontré séparément le Comité pour exposer leurs vues sur les progrès du processus de paix au Moyen-Orient.

Dans son rapport au Conseil, le Comité a "vivement déploré les actes de violence commis récemment de part et d'autre de la frontière israélo-libanaise, et notamment l'attaque contre la population civile au Sud-Liban, ainsi que l'assassinat du Premier Ministre israélien, M. Rabin, et les attentats suicides en Israël". Il a toutefois estimé que le processus de paix avait "fondamentalement progressé" et que les récentes élections en Palestine, qui se sont déroulées dans les meilleures conditions et ont doté le pays de parlementaires démocratiquement élus et d'institutions économiques et sociales en voie de consolidation, étaient "des signes positifs".

Le Comité a estimé que la réaction d'Israël était "excessive" et que le cercle vicieux de la violence ralentissait le processus de paix.

Le Comité "a vivement regretté qu'une fois encore les délégations de la Syrie et du Liban n'aient pas accepté de rencontrer le Comité pour exposer leurs points de vue".

En conclusion, le Comité a lancé un appel "pour qu'il soit mis fin à l'extrémisme, au terrorisme et à la violence au Moyen-Orient, quelle qu'en soit l'origine". Il a également demandé que soient appuyés les efforts de développement de la Palestine et engagé "tous les Etats voisins à se joindre à l'Egypte et à la Jordanie dans la poursuite du processus de paix".

COOPERATION ENTRE L'UNION INTERPARLEMENTAIRE ET L'ONU

Le Conseil a approuvé le projet final d'un accord destiné à poursuivre et à renforcer la coopération entre les Nations Unies (organisation mondiale des gouvernements), et l'Union interparlementaire (organisation mondiale des parlements). Ce nouvel accord répond à un voeu exprimé par l'Assemblée générale des Nations Unies pendant sa session de 1995. Le Conseil a autorisé son Président et/ou le Secrétaire général de l'Union à le signer en son nom.

Le Conseil a également donné le feu vert à ce qui sera la première manifestation concrète de la coopération plus étroite qui va s'instaurer entre les deux organisations, à savoir la tenue à New York en septembre d'une réunion tripartite destinée à donner suite au Sommet mondial pour le développement social de 1995. Cette réunion rassemblera des parlements, des gouvernements et les organisations intergouvernementales intéressées qui formuleront à l'adresse des parlements des recommandations concrètes de suivi.

PROCHAINE CONFERENCE INTERPARLEMENTAIRE

Le Conseil a décidé que la prochaine Conférence interparlementaire, la 96e, qui se tiendra à Beijing du 16 au 20 septembre 1996. Les thèmes de la Conférence porteront sur la promotion des droits de la personne, en particulier ceux des femmes et des enfants, et sur la libéralisation du commerce en vue de la réalisation du droit à l'alimentation.

ELECTIONS AU COMITE EXECUTIF DE L'UNION

Le Conseil a élu M. Jerzy J. Wiatr (Pologne) au Comité exécutif de l'Union, en remplacement de M. M. Szuros (Hongrie), dont le mandat a expiré.

FEMMES PARLEMENTAIRES

Mme Agatha Nicolau (Roumanie) a fait rapport au Conseil sur les résultats de la réunion des femmes parlementaires qui s'était tenue pendant la session d'Istanbul. Elle a rendu compte en particulier du débat des femmes parlementaires sur la violence organisée à l'encontre des femmes et a attiré l'attention sur le modèle de législation relatif à la question de la violence domestique, qui a été préparé par la Rapporteur spéciale des Nations Unies sur la question de la violence.

"Comme femmes, et comme parlementaires, nous croyons qu'il est effectivement important de légiférer pour prévenir ce phénomène dont on s'aperçoit qu'il est très important, et qu'il touche tous les pays, et qu'il faut prendre des dispositions pour sanctionner les auteurs de violence domestique", a déclaré Mme Nicolau. Elle a noté que, durant leurs débats, les femmes parlementaires s'étaient particulièrement penchées sur le sort de leurs soeurs d'Algérie, du Rwanda, du Liban et du Timor oriental.

Mme Nicolau a également relevé l'enquête toute récente faite sur la participation des femmes à la vie parlementaire, qui révèle que celles-ci n'occupent en moyenne qu'un peu plus de 10% des sièges parlementaires, ainsi que l'enquête en cours sur l'incidence des partis politiques et des procédures et systèmes électoraux sur les chances qu'ont les femmes d'accéder au parlement.

Selon elle, cette faible proportion de femmes parlementaires "constitue clairement une faiblesse de nos démocraties". Elle s'est félicitée de ce que la Conférence ait approuvé les statuts et règlements de l'Union qui ont été révisés pour éviter tout langage sexiste.

APPUI DE L'UNION A HABITAT II

Le Conseil a adopté une résolution pour appuyer la tenue de la deuxième Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, Habitat II, qui aura lieu à Istanbul en juin 1996. Il a exprimé l'espoir qu'Habitat II "favorisera l'adoption de nouvelles politiques et stratégies d'aménagement urbain, de développement des établissements humains et de règlement des problèmes de pollution en milieu urbain".

Le Conseil a relevé que nombre de problèmes d'établissements humains appellent des mesures d'ordre législatif et que la participation des parlements nationaux et de leurs membres à la mise en oeuvre des engagements qui seront pris à l'occasion d'Habitat II "revêt de ce fait une importance cruciale".

ANNEXE SUR LES CAS DES DROITS DE L'HOMME

Albanie (un parlementaire) : il s'agit du cas de M. Fatos Nano, ancien Premier Ministre albanais, et Président du parti socialiste, qui a été arrêté en 1993 à la suite de la levée de son immunité parlementaire, jugé et condamné pour avoir détourné des fonds publics en faveur d'une tierce partie dans le cadre d'une aide d'urgence dispensée par l'Italie à l'Albanie en 1991. Entre-temps, un tribunal italien a établi l'innocence de la tierce partie. Jusqu'à présent, les efforts déployés par M. Nano pour obtenir, en application de l'ancien et du nouveau code pénal, la révision de son jugement et de sa peine, ont échoué. De plus, bien que M. Nano ait le droit de s'entretenir régulièrement avec ses avocats, ceux-ci n'ont pas pu le voir depuis octobre 1995. Le Comité s'est dit "indigné" à l'idée que M. Nano soit toujours empêché de voir régulièrement son avocat, malgré les assurances données lors d'une mission de l'Union en Albanie en décembre 1994. Il "demeure profondément alarmé" par la succession de mesures qui ont pour effet de le maintenir en prison et "craint que les poursuites contre M. Nano soient motivées exclusivement par des considérations politiques et ne fassent aucun cas des lois nationales et des normes internationales d'équité de la procédure".

Bulgarie (un parlementaire) : ce cas est lié à la levée de l'immunité parlementaire, en 1992, de M. Andrei Loukanov, ancien Premier Ministre, qui a été accusé en 1992 de détournement de fonds publics pour avoir accordé une aide au développement à certains pays. Il a par la suite été libéré sous caution. Il a été réélu au Parlement en décembre 1994, ce qui lui a automatiquement rendu son immunité parlementaire. Cependant, ce n'est qu'en mai 1995 que le procureur général a suspendu l'action engagée contre M. Loukanov. Le Comité a donc décidé de clore le cas.

Burundi (cinq parlementaires) : ce cas intéresse cinq parlementaires dont deux, M. Mfayokurera et M. Ndikumana, ont été assassinés en août 1994 et décembre 1995, respectivement. Les trois autres ont été grièvement blessés lors de tentatives d'assassinat dirigées contre eux. Aucune enquête sérieuse n'a été menée pour identifier les coupables, de sorte que les agresseurs jouissent de l'impunité totale. Le Comité a exprimé son "indignation" devant la persistance de la violence qui a une nouvelle fois coûté la vie à un parlementaire et "insiste pour que les autorités compétentes s'acquittent des devoirs qui leur incombent en vertu du droit national et international et veillent à ce que des enquêtes diligentes et approfondies fassent toute la lumière sur le meurtre" des parlementaires. "L'impunité constitue une grave menace pour la démocratie et les droits de l'homme en ce qu'elle encourage les coupables à persister dans leurs agissements", a rappelé le Comité.

Cambodge (six parlementaires) : en l'espèce, le premier cas est celui de M. Sam Rainsy, ancien Ministre des finances et membre fondateur du FUNCINPEC, parti actuellement au pouvoir. Après avoir fustigé la corruption au gouvernement, il a été limogé de son poste de Ministre des finances en 1994, expulsé de son parti en mai 1995 puis de l'Assemblée nationale le 22 juin 1995 à la demande du gouvernement qui souhaitait que son mandat soit révoqué. Le Comité considère que M. Rainsy a été expulsé du Parlement en dernière analyse pour avoir exercé son droit à la liberté d'expression. De plus, le second Premier Ministre, M. Hun Sen, aurait déclaré que la vie de M. Rainsy se trouverait raccourcie si des armes cachées étaient découvertes en sa possession. Le Comité s'est dit "alarmé par ce qui semble être des menaces de mort à peine voilées contre M. Rainsy, et prie instamment le Gouvernement de protéger la vie de M. Rainsy ... comme il en a le devoir".

L'autre cas intéresse cinq parlementaires du parti libéral démocrate bouddhiste, dont l'un de ses fondateurs, M. Son Sann. Après une scission de ce parti en mai 1995, le Gouvernement a reconnu la faction opposée à celle que dirigeait M. Son Sann dont les efforts pour tenir un congrès du parti afin de clarifier la situation ont été contrariés par le Gouvernement. Deux attaques à la grenade dirigées contre les participants à la veille du congrès ont fait 30 blessés. Le Gouvernement a promis qu'il allait procéder à une enquête approfondie mais il semble qu'il n'en ait rien fait. Tout en craignant que le silence des autorités n'indique que l'enquête piétine, le Conseil a engagé les autorités à veiller à ce qu'elle soit conduite "avec toute la diligence nécessaire".

Colombie (six parlementaires) : tous les parlementaires en cause ont été assassinés entre 1986 et 1994 et auraient été victimes d'exécutions extrajudiciaires perpétrées par des groupes ayant agi sur instruction des forces armées colombiennes. Depuis un certain temps déjà, le Conseil est préoccupé par le manque d'empressement des autorités colombiennes à protéger les parlementaires. L'an dernier, des organes spéciaux ont été créés pour enquêter sur les assassinats, un groupe a été dépêché pour capturer deux chefs d'unités paramilitaires recherchés pour le meurtre de deux des sénateurs. Le Comité s'est étonné d'apprendre que le Gouvernement était en train de négocier avec eux dans le but de les réintégrer à la vie civile, ce qui leur garantirait une totale impunité.

Gambie (un parlementaire) : ce cas intéresse M. Lamin Wa Juwara, membre de la Chambre des Représentants dissoute lors du coup d'état militaire de juillet 1994, qui a été arrêté en octobre 1995 et qui a depuis disparu. Le Comité s'est dit "extrêmement inquiet de l'arrestation, puis de la disparition de M. Wa Juwara" et a souhaité "connaître d'urgence le lieu où se trouve M. Wa Juwara et les raisons de son arrestation". Il a rappelé que la Gambie, qui est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est tenue d'en respecter les dispositions concernant le droit à la vie et à la sécurité de la personne.

Honduras (un parlementaire) : il s'agit d'un membre du Congrès hondurien, M. Miguel Angel Pavon Salazar, assassiné en 1988, peu après avoir témoigné devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans une affaire de disparition. Bien que l'instruction de ce cas, qui était au point mort depuis plusieurs années, ait repris en 1994, elle n'a donné à ce jour aucun résultat. Le Comité a demandé des renseignements plus détaillés sur les enquêtes en cours et a prié le Secrétaire général de l'Union de se mettre en rapport avec la Commission interaméricaine des droits de l'homme afin d'obtenir davantage de précisions sur l'état actuel de la procédure visant à obtenir réparation pour la famille de la victime.

Indonésie (deux parlementaires) : le premier cas concerne un membre du parti du Congrès indonésien, M. Sukatno, qui a passé 28 ans en prison, pour la plupart dans le quartier des condamnés à mort, pour avoir pris une part active à la tentative de coup d'Etat communiste de 1965. M. Sukatno n'a bénéficié d'aucune mesure de clémence en dépit des appels lancés par l'Union interparlementaire eu égard à son âge et aux nombreuses années qu'il a passées en prison, et il ne figurait pas au nombre des prisonniers libérés en août 1995 au titre de l'amnistie prononcée à l'occasion du 50e anniversaire de l'indépendance de l'Indonésie. M. Sukatno serait très souffrant, physiquement et moralement. Le Comité "exprime de nouveau son profond regret" de constater que les appels répétés qu'il a lancés au Président de la République d'Indonésie afin que M. Sukatno soit libéré eu égard à son âge ont été vains.

Le second cas intéresse M. Sri Bintang Pamungkas, membre de la Chambre des Représentants indonésienne connu pour ses prises de position très critiques à l'égard du gouvernement. Il est actuellement jugé pour atteinte à la dignité du Président de la République parce qu'il l'aurait traité de dictateur dans un discours qu'il a prononcé en Allemagne en avril 1995. M. Pamungkas a été "déchu" de son siège parlementaire en mai 1995 à la suite d'un décret officiel de destitution signé par le Président. Le Comité a noté avec regret que la loi indonésienne habilite les partis politiques à faire révoquer les représentants du peuple qui tiennent pourtant leur mandat de la volonté populaire. Le Comité a également considéré que M. Pamungkas n'a fait qu'exercer son droit à la liberté d'expression, "qui serait dénué de sens s'il ne comportait pas le droit, en particulier pour un parlementaire, de critiquer le pouvoir exécutif".

Maldives (deux parlementaires) : le premier cas est celui de M. Ilyas Ibrahim, ancien membre du Majlis des Citoyens des Maldives, poursuivi pour avoir brigué la présidence aux élections de 1993. Après avoir fui à l'étranger, il a été jugé par contumace et condamné à plus de 15 ans d'exil à l'issue d'un procès au cours duquel les normes internationalement reconnues n'ont pas été respectées. Il est rentré depuis aux Maldives dans le vain espoir d'obtenir réparation. Le Comité a demandé un complément d'information sur la situation actuelle de M. Ibrahim et "espère sincèrement que le procès de M. Ibrahim pourra être révisé étant donné que les témoins à charge se seraient rétractés".

Le deuxième cas est celui de M. Mohammed Saleem, lui aussi membre de l'Assemblée, condamné en avril 1995 à cinq ans et demi d'exil pour corruption. Sa condamnation serait liée au soutien qu'il a apporté à M. Ibrahim et au fait qu'il a des opinions politiques semblables. Le Comité a demandé un certain nombre de documents que les Maldives ne lui ont pas fournis.

Myanmar (23 parlementaires) : ce cas est lié au fait que les autorités militaires du pays n'ont pas convoqué le Parlement élu en 1990 et il intéresse des parlementaires élus qui tous ont été arrêtés et condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement à l'issue de procès sommaires, dont un parlementaire décédé en détention. Bien que la plupart d'entre eux aient été libérés à condition qu'ils ne mènent aucune activité politique et aient été également privés de leur droit de voter et d'être élus, certains ont été arrêtés à nouveau par la suite et sont toujours en prison où ils seraient traités de manière inhumaine ou dégradante. Deux parlementaires ont été assassinés. Bien qu'il lui ait été assuré que les conditions de détention étaient bonnes, le Comité s'est dit alarmé du rapport, reçu de source sûre, faisant état de traitements inhumains infligés aux détenus, en particulier à ceux qui avaient essayé d'entrer en contact avec le Rapporteur spécial de l'ONU sur le Myanmar. Il a demandé instamment aux autorités d'autoriser le Rapporteur spécial de l'ONU à "rencontrer librement" tous les parlementaires détenus et d'accepter une mission d'enquête de l'Union interparlementaire.

Nigéria (sept parlementaires) : ce cas intéresse des membres de l'ancien Parlement nigérian, élu en juillet 1992 et dissous à la suite du coup d'Etat de novembre 1993. Les sénateurs ont été arrêtés le 2 juin 1994 et inculpés de trahison et de complot contre le Gouvernement. Bien que le juge ait récemment ordonné la clôture des cas, ils seraient sous la menace constante d'une nouvelle arrestation. Craignant pour sa vie, le Sénateur Tinubu s'est exilé. M. Oshun, membre de la Chambre des Représentants, a été arrêté le 19 mai 1995 et est détenu sans qu'aucune accusation n'ait été portée contre lui. Il aurait été entre temps relaxé. Le Comité s'est déclaré préoccupé par l'allégation selon laquelle ils ont été mis en garde contre la formulation de critiques à l'égard du Gouvernement et a rappelé à ce propos que le Nigéria est tenu de respecter la liberté d'expression.

Togo (trois parlementaires) : il s'agit de trois parlementaires assassinés en 1992 et 1994, probablement par les forces de sécurité. Les autorités ne cessent d'affirmer que ces crimes font l'objet d'une enquête mais celle-ci n'a nullement progressé, bien que, dans l'un des cas au moins, on connaisse parfaitement l'identité du coupable. De ce fait, le Comité "craint ... d'avoir à conclure" que les autorités compétentes sont réticentes à faire la lumière sur ces crimes odieux et que l'Etat togolais a donc une part de responsabilité, par omission, dans les meurtres de ces parlementaires.

Turquie (dix-sept parlementaires) : les intéressés, tous d'origine kurde, ont été élus en 1991 au Parlement turc où ils représentaient la région du sud-est. Ils appartenaient tous au Parti populaire du travail (HEP). Le HEP ayant été interdit suite à une décision de la Cour suprême du 14 juillet 1993, ses membres ont créé le Parti de la démocratie (DEP) auquel ils ont tous adhéré le 7 mai 1993. Le 2 mars 1994, la Grande Assemblée nationale turque a levé l'immunité parlementaire de certains députés du DEP ce qui a conduit à leur arrestation et à leur jugement pour séparatisme en application de l'article 125 du Code pénal turc. Le 16 juin 1994, la Cour constitutionnelle a dissous le DEP, ce qui a eu pour effet, en vertu de l'article 84 de la Constitution turque, de priver tous les députés de ce Parti, sauf trois, de leur siège. Certains ont fui à l'étranger et deux députés du DEP ont été arrêtés et accusés également de séparatisme.

Le procès de Mme Leyla Zana, de MM. Orhan Dogan, Ahmet Türk, Hatip Dicle, Sedat Yurtdas, Selim Sadak, Sirri Sakik et Mahmut Alinak a commencé le 3 août 1994 devant la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara. Le 8 décembre 1994, la Cour a déclaré Mme Leyla Zana, MM. Hatip Dicle, Ahmet Türk, Orhan Dogan et Selim Sadak coupables en vertu de l'article 168, paragraphe 2, du Code pénal turc, d'appartenance à une organisation armée et les a condamnés à 15 ans d'emprisonnement. M. Sedat Yurtdas a été déclaré coupable de soutien à une organisation armée (article 169 du Code pénal turc) et a été condamné à une peine de 7 ans et six mois d'emprisonnement. M. Mahmut Alinak et M. Sirri Sakik ont été déclarés coupables, en vertu de l'article 8, paragraphe 1, de la Loi anti-terrorisme, de propagande séparatiste et ont été condamnés à 3 et 6 ans d'emprisonnement et à une amende de 70 millions de livres turques. Compte tenu de la durée de leur détention préventive, tous deux ont été relâchés dans l'attente du jugement d'appel. M. Alinak avait recouvré son siège à la Grande Assemblée nationale turque dans l'attente de l'issue de cette procédure. Le 26 octobre 1995, la Haute Cour d'appel a confirmé les condamnations de MM. Dicle, Dogan, Sadak et de Mme Zana qui doivent donc rester en prison jusqu'en l'an 2005. En janvier 1996, un recours contre cette décision a été introduit devant la Commission européenne des droits de l'homme qui l'a déclaré recevable en février 1996. Le même jour, la Haute Cour d'appel a annulé le jugement rendu contre MM. Türk et Yurtdas, au motif qu'ils auraient dû être jugés en application de l'article 8 de la Loi anti-terrorisme et non des articles 168 et 169, respectivement, du Code pénal turc. Ils ont été tous deux libérés le 27 octobre en raison de la durée de leur détention passée. La Cour a également annulé les condamnations de MM. Alinak et Sakik, statuant qu'une erreur avait été commise dans la fixation des amendes. Tous quatre ont été rejugés devant la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara. Le 11 avril 1996, celle-ci les a condamnés à 14 mois d'emprisonnement et au paiement d'une amende de 116 millions de livres turques (1'590 USD). Cette décision les prive de leurs droits politiques et deux d'entre eux, qui sont avocats, ne pourront plus exercer leur profession leur vie durant. Ils ont le droit de faire appel de cette décision et ils en useront. Evoquant ces condamnations, le Comité a parlé de "sévérité" et de "caractère oppressif" et a estimé qu'elles "apparaissent comme l'expression d'une volonté délibérée d'empêcher les anciens députés d'exercer toute activité politique à l'avenir".

Le HADEP, successeur du DEP, a participé aux élections législatives de décembre 1995 auxquelles MM. Türk, Yurtdas et Sakik se sont présentés de nouveau sur sa liste. Cette formation a obtenu 4,17% du total national des suffrages, mais jusqu'à 50% dans plusieurs circonscriptions électorales du sud-est. Cependant, elle n'est plus représentée à la Grande Assemblée nationale turque où le minimum requis est de 10%.

Le Comité a décidé de clore le cas de M. Fehmi Isiklar, ancien Vice-Président de la Grande Assemblée nationale turque, qui a perdu son mandat à la suite de la dissolution du HEP en 1993. Il ne s'est pas présenté aux élections l'an dernier.

On trouvera ci-dessous les conclusions du Comité sur sa mission à Ankara :

1. Le Comité des droits de l'homme des parlementaires apprécie à sa juste valeur le fait que les conditions de détention soient acceptables et que les anciens parlementaires eux­mêmes les considèrent comme satisfaisantes. Il relève néanmoins avec inquiétude que Mme Zana, dont la famille vit maintenant à l'étranger, n'est pas autorisée à téléphoner à ses enfants et qu'en une occasion, un de ses fils qui était venu la voir à la prison, a été brièvement détenu, sans qu'elle sache pourquoi. Le Comité espère vivement que les membres des familles des députés qui exercent leur droit de les visiter ne subiront aucune mesure d'intimidation et que des moyens seront trouvés de permettre à Mme Zana de demeurer en contact avec ses enfants, ne serait­ce que par téléphone.

2. Le Comité a noté avec un vif intérêt que, selon le Ministre de la Justice, les organismes légalement constitués ne posent aucun problème et que : "Les gens devraient exprimer leurs vues démocratiquement; la Constitution leur permet de le faire dans le cadre de la vie politique." A cet égard, il souligne que les anciens députés du DEP ont été élus démocratiquement, que trois d'entre eux qui ont pu se représenter aux élections de décembre 1995 ont recueilli de nombreux suffrages dans leurs circonscriptions respectives, en dépit des nombreux obstacles à leur campagne. Le Comité note que les anciens députés n'appartenaient à aucune organisation séparatiste et reconnaissent leur citoyenneté turque. Le Comité estime que les anciens députés exprimaient démocratiquement leurs vues et celles de leurs électeurs. Il se demande donc quelle pourrait être pour les autorités turques la forme d'expression démocratique à laquelle elles se réfèrent, qui permettrait aux nationaux turcs d'origine kurde de soulever et de débattre les questions relatives à l'affirmation de l'identité culturelle kurde et les excès auxquels donnent lieu les opérations militaires menées dans le sud­est de la Turquie.

3. Les inquiétudes du Comité quant à l'équité de la procédure, notamment en ce qui concerne le droit de la défense d'exposer ses arguments et l'administration de la preuve, n'ont pas été dissipées. Il relève cependant que la Commission européenne des droits de l'homme est actuellement saisie des cas de Mme Zana et de MM. Dicle, Dogan et Sadak. Il prend acte à cet égard de la position sans équivoque du Président du Groupe national turc concernant l'obligation de la Turquie de se conformer à toute décision de l'instance mise en place au titre de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Comité note également la décision N° 40/1995 du Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme de l'ONU sur les détentions arbitraires, qui a déclaré arbitraire la détention des parlementaires concernés, et le fait que le Groupe de travail a prié le Gouvernement de la Turquie de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation, de manière à la rendre conforme aux normes et principes contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Il espère que Mme Zana et MM. Dicle, Dogan et Sadak pourront être libérés dans l'attente de l'issue de la procédure en cours à la Commission européenne des droits de l'homme.

4. Le Comité constate que MM. Türk, Yurtdas, Alinak et Sakik ont été condamnés, le 11 avril 1996, au terme de leur nouveau procès devant la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara, à 14 mois de prison en vertu de l'article 8 de la loi antiterrorisme pour propagande séparatiste. Il note avec une vive préoccupation qu'ayant été condamnés à une peine supérieure à 12 mois de prison, ils sont privés à vie de leurs droits politiques et que MM. Alinak et Yurtdas, tous deux avocats, ne pourront plus jamais exercer leur profession. Il relève également à ce sujet que le juge avait le droit de réduire d'un sixième la peine, qui aurait alors été inférieure à 12 mois et n'aurait donc pas eu les mêmes conséquences.

Le Comité considère que leurs conséquences confèrent aux condamnations une sévérité et un caractère oppressif qui lui apparaissent comme l'expression d'une volonté délibérée d'empêcher les anciens députés d'exercer toute activité politique à l'avenir. Il note toutefois qu'ils ont le droit de faire appel de cette décision et qu'ils en useront.

5. Le Comité constate que les huit anciens députés ont tous été condamnés en vertu de l'article 125 du Code pénal turc qui dispose que : "Quiconque commet des actes visant à mettre une partie ou la totalité du territoire de l'Etat turc sous la souveraineté d'un autre Etat ou à soustraire une partie du territoire national à l'autorité de l'Etat turc est passible de la peine de mort." Il note aussi que les faits retenus contre eux dans leurs procès étaient essentiellement de même nature. Néanmoins, quatre d'entre eux ont été déclarés coupables d'appartenance à une organisation terroriste, et quatre, de propagande séparatiste. Il relève que, de l'avis des autorités, cela illustre l'indépendance de la magistrature turque, tandis qu'aux yeux des députés, la qualification des crimes et les condamnations prononcées répondaient à des considérations plus politiques que juridiques.

Le Comité ne peut qu'exprimer sa perplexité devant les différences considérables qui existent entre les peines prononcées à l'égard de chacun des députés pour une inculpation et des faits à charge analogues.

6. Le Comité craint que les parlementaires concernés n'aient été poursuivis pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression, garanti par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il note à ce sujet que le Parlement européen recommande l'abrogation de l'article 8 de la loi antiterrorisme.

7. Enfin, le Comité prend acte de ce que le meurtrier de M. Sinçar a été identifié, mais ne se trouve plus en Turquie. Il déplore une fois de plus les circonstances du meurtre de M. Sinçar, commis au grand jour dans une région où la police est ordinairement très présente, et regrette qu'en dépit des fréquentes affirmations des autorités selon lesquelles la police avait identifié les coupables et même, dans un cas, appréhendé l'homme qui faisait le guet, les forces de l'ordre n'aient pas pu arrêter le meurtrier. Le Comité espère aussi que le Parlement turc pourra faire une exception en faveur de Mme Sinçar en lui assurant des prestations de retraite.


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