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PLACE DU PETIT-SACONNEX
1211 GENEVE 19, SUISSE

LA VISION PARLEMENTAIRE
DE LA COOPERATION INTERNATIONALE
A L'AUBE DU XXIe SIECLE

Déclaration adoptée par le Conseil interparlementaire réuni en session spéciale
(New York, Siège de l'ONU, 30 août - 1er septembre 1995)


CONTENU

Avant-propos
Conclusions et recommandations détaillées


1. Il y a un demi-siècle, “Nous, Peuples des Nations Unies ...” avons décidé par l'intermédiaire des gouvernements de l'époque d'unir nos forces pour maintenir la sécurité et renforcer la paix universelle, encourager le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous et favoriser le progrès économique et social de tous les peuples. C'est ainsi que furent créées les institutions politiques du système des Nations Unies.

2. Aujourd'hui, nous, parlementaires élus par nos peuples pour conduire les affaires publiques, réaffirmons la noble vision et les buts communs qui ont inspiré les rédacteurs de la Charte des Nations Unies. Entourée de sa famille d'institutions, l'Organisation des Nations Unies est la consécration d'une idée forte, celle de communauté mondiale. Et c'est au renforcement des liens de cette communauté que nous entendons consacrer à nouveau nos efforts et ceux de nos nations.

3. La notion de communauté mondiale est aujourd'hui une réalité incontestable. Des liens se tissent entre les individus, au-delà des frontières, grâce aux réseaux de communication et d'information, à l'internationalisation de la production, aux échanges commerciaux, à la généralisation des voyages et aux mouvements de population. Les idées et l'information, les biens et les capitaux, les touristes, les réfugiés et les migrants franchissent massivement les frontières. Les maladies, les drogues, les pollutions et les crises financières aussi. Les menaces qui pèsent aujourd'hui sur la souveraineté nationale ne viennent pas des institutions multilatérales, mais des problèmes et forces qui balayent les frontières des Etats et qu'aucun gouvernement ne saurait maîtriser seul.

4. Il y a plus d'un siècle déjà, des parlementaires visionnaires ont compris que pour assurer la paix et favoriser le progrès économique et social, il fallait mettre en place un mécanisme international viable qui serait au service de ces objectifs communs à tous les peuples qui composent l'humanité. Ils ont donc créé l'Union interparlementaire, première institution de coopération multilatérale. Depuis lors, les structures de la coopération internationale ont évolué et c'est aujourd'hui le système des Nations Unies qui nous donne le moyen d'atteindre nos objectifs communs.

5. Au fil des années, l'Organisation mondiale a jeté les bases du droit international, arrêté des normes internationales et mis au point des programmes internationaux dans tous les champs de l'activité humaine. Nous n'ignorons pas que les pouvoirs du système sont limités. L'Organisation des Nations Unies n'est pas un gouvernement mondial. Régir la vie quotidienne de l'ensemble des peuples est une responsabilité qui ne saurait être aliénée par les parlements nationaux bien plus proches des citoyens à qui ils rendent directement compte. C'est naturellement à nous, parlementaires, qu'il appartient de décider quelles obligations internationales nos nations assumeront et comment les mettre en oeuvre.

6. La fin de la guerre froide avait fait naître l'espoir d'une plus forte conscience de l'intérêt commun et avait ouvert la perspective d'un renforcement de la coopération multilatérale mais ces dernières années ont été marquées par la résurgence d'un nationalisme étroit qui a exacerbé les conflits tant inter-étatiques qu'intra-étatiques et a alimenté une très regrettable désaffection vis-à-vis du multilatéralisme. Aussi la communauté internationale doit-elle agir de toute urgence pour inverser cette tendance et renforcer le sens de l'intérêt commun afin d'oeuvrer au règlement des problèmes auxquels fait face l'humanité. Nous lançons donc un appel solennel à un engagement renouvelé en faveur de la coopération multilatérale.

7. Un effort concerté doit être engagé pour édifier un monde plus sûr, plus juste et plus libre. Dans les Conclusions et recommandations détaillées ci-jointes, nous avons énoncé un ensemble de propositions concernant des mesures à prendre au plan international pour atteindre cet objectif en promouvant la paix et la sécurité, le développement humain durable et les droits de l'homme et la démocratie. Le Conseil interparlementaire recommande ces Conclusions et recommandations détaillées à l'attention des gouvernements et des institutions du système des Nations Unies.

8. Face aux défis du siècle prochain, une réforme du système des Nations Unies s'impose. Toutefois, nous considérons que ce n'est pas en privant simplement l'Organisation de moyens financiers que l'on encourage les réformes mais plutôt que ce sont les réformes qui génèrent des économies budgétaires. Aujourd'hui, des institutions pléthoriques opèrent sans transparence, n'étant comptables ni devant les instances politiques centrales des Nations Unies, ni devant les dirigeants élus des Etats membres. Nous préconisons l'application de méthodes plus rigoureuses, seules garantes de la transparence, assorties d'un effort systématique de rationalisation et d'élimination des mandats qui se chevauchent.

9. Le financement des activités du système des Nations Unies repose sur une combinaison de contributions statutaires et de contributions volontaires des Etats membres. En notre qualité de parlementaires, nous savons pertinemment qu'il faut garantir la meilleure utilisation possible des fonds que, au nom de nos citoyens, nous allouons au fonctionnement de la chose publique. Et nous attendons des organisations internationales, comme de notre propre service public, qu'elles fassent le meilleur usage possible des deniers publics. Nous reconnaissons l'obligation qu'ont toutes les assemblées législatives membres de l'Union interparlementaire d'autoriser, dans les délais prévus et selon le montant fixé, les contributions correspondant à leur part statutaire des dépenses de l'Organisation mondiale. Nous devons veiller à ce que chacun de nos gouvernements respecte ses engagements financiers conformément à la Charte.

10. Il faut que l'Assemblée générale des Nations Unies soit revitalisée et que son autorité et son efficacité soient renforcées. C'est encore plus vrai du Conseil économique et social puisqu'il faut impérativement assurer une étroite coordination de l'action des institutions internationales chargées de problèmes économiques, environnementaux et sociaux particulièrement délicats.

11. Le Secrétaire général doit exercer une autorité plus tranchée pour que le personnel et les organes de l'ONU travaillent mieux, surmontent l'immobilisme bureaucratique et incarnent avec force les intérêts de la communauté internationale lorsque ceux-ci sont négligés par les dirigeants de certaines nations entièrement absorbés par des intérêts nationaux étroits et contradictoires.

12. L'autorité et le crédit du Conseil de sécurité se sont considérablement renforcés ces dernières années car ses membres ont retrouvé le sens de l'intérêt collectif face aux menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité. Tout en saluant cette mise en oeuvre satisfaisante quoique tardive du mandat que lui confie la Charte, nous préconisons une réforme du Conseil qui le rendrait plus représentatif tout en lui conservant son autorité et son efficacité. Il lui faudra élargir sa composition à de nouveaux Etats; ses délibérations devront être plus transparentes et ses procédures plus démocratiques. En outre, il faut impérativement mettre fin à la politique de deux poids, deux mesures et veiller à l'application intégrale de toutes les résolutions et décisions du Conseil. Ceci est particulièrement vrai de la situation déplorable qui sévit en Bosnie-Herzégovine.

13. Les parlements, composés d'hommes et de femmes élus par le peuple de chaque nation, jouent un rôle essentiel en veillant à la mise en oeuvre au plan national des engagements pris par les gouvernements dans les assemblées des Nations Unies. Les parlements sont les représentants de la volonté des citoyens dans le processus politique de chaque nation. Aussi encourageons-nous l'Organisation des Nations Unies à travailler plus étroitement avec les parlements et à conclure un accord formel avec l'Union interparlementaire en vue d'associer plus directement les parlements des Etats membres, par l'intermédiaire de leur Union, à l'action politique de la communauté internationale.

14. Depuis sa création, l'Organisation des Nations Unies a été l'instrument indispensable du progrès des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle a forgé un corpus international de concepts aussi divers que la protection de l'environnement, le droit de la mer, l'égalité entre hommes et femmes et les droits de l'enfant. Elle a maintenu la paix dans nombre de zones de crise, présidé à la décolonisation, favorisé le développement et apporté protection et assistance à des millions de personnes en détresse sur tous les continents. Nombre des promesses de la Charte n'ont cependant pas encore été remplies. Il n'en reste pas moins que c'est grâce à l'Organisation des Nations Unies que, comme le proclame la Charte, nous pouvons “unir nos efforts” pour atteindre les buts communs à l'humanité tout entière. Au nom de ses parlements membres, l'Union interparlementaire s'engage à jouer pleinement son rôle pour que l'idéal qu'incarne la Charte devienne réalité et à faire ainsi la preuve que l'Organisation des Nations Unies peut relever avec succès les défis auxquels est confronté l'ensemble des peuples à l'aube du XXIe siècle.


CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS DETAILLEES

INTRODUCTION

1. Le monde d'aujourd'hui est radicalement différent de celui qui existait lorsque l'ONU a été créée il y a 50 ans. En un demi-siècle, il a changé de fond en comble à un rythme sans précédent dans l'histoire de l'humanité.

2. Le monde s'est agrandi. Il y a 50 ans, la communauté des nations comptait 66 Etats souverains. Aujourd'hui, on en dénombre pas moins de 190. A l'époque, la planète comptait deux milliards et demi d'habitants. Il y en a plus du double à présent. La croissance de la production et des échanges industriels et agricoles a été spectaculaire, l'économie mondiale a été multipliée par six et les échanges mondiaux ont connu une véritable explosion. Le monde est plus riche et, globalement, le revenu par habitant n'a cessé de croître. Et les inégalités de s'accentuer, entre les nations et entre les individus, si bien qu'aujourd'hui près d'un quart de la population mondiale vit dans la pauvreté absolue.

3. Mais le monde s'est aussi rétréci. Les progrès extraordinaires des communications sont tels qu'il est possible aujourd'hui de couvrir en quelques heures les distances qu'il fallait des jours et des semaines pour parcourir il y a 50 ans. Nous pouvons même suivre en direct les événements qui se déroulent aux antipodes. Le monde nous apparaît désormais comme un village planétaire, un univers rapetissé, chaque jour plus interdépendant. L'activité économique protéiforme que mènent les entreprises nationales et transnationales, localement et au-delà des frontières, l'investissement, les échanges commerciaux et les flux transfrontières de capitaux rapprochent les nations les unes des autres, comme le fait la prise de conscience que les ressources de la planète sont en quantité limitée.

4. Le monde a progressé mais l'insécurité n'y est pas moins grande. Il y a 50 ans, nous assistions à l'avènement des armes de destruction massive et de la guerre froide. Aujourd'hui, cette confrontation a pris fin après avoir dominé les relations internationales depuis la seconde guerre mondiale. Mais les dangers inhérents à la fabrication et à la prolifération des armes nucléaires sont toujours aussi réels. De même que les périls résultant de la production, de la prolifération et de l'utilisation des mines, des armes biologiques et chimiques et, bien entendu, des armes classiques de tous types, y compris les armes individuelles. Et, si les conflits armés entre Etats sont aujourd'hui relativement rares, les conflits internes se sont par contre multipliés, plongeant des nations entières dans le chaos.

5. Le monde et les relations internationales sont infiniment plus complexes que par le passé. Non seulement le conflit Est-Ouest a cessé mais la bipolarisation qu'il avait engendrée a disparu. Aujourd'hui, ni le Sud ni le Nord ne sont des entités homogènes. Les populations des pays appartenant à l'un ou l'autre s'accroissent selon une multitude de modèles et connaissent des évolutions politiques, sociales et économiques radicalement différentes les unes des autres. Certains pays du Sud sont aujourd'hui considérablement plus développés que certains pays du Nord.

6. Tout au long de cette évolution, l'humanité a retiré des bienfaits considérables de l'existence de l'Organisation des Nations Unies. Instrument indispensable à l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme et à l'élaboration et la codification ultérieures d'un impressionnant catalogue de droits de l'homme et de libertés fondamentales, l'Organisation mondiale a été le creuset où les Etats ont forgé un corpus international de principes aussi divers que la protection de l'environnement, le droit de la mer, l'égalité entre hommes et femmes et les droits de l'enfant. Et les Nations Unies ont maintenu la paix dans nombre de zones de crise, présidé à la décolonisation, favorisé le développement et apporté protection et assistance à des millions de réfugiés et autres personnes en détresse sur tous les continents. Pourtant, à l'heure du 50e anniversaire de l'Organisation mondiale, il reste encore beaucoup à faire.

7. D'où les défis qui doivent être relevés à l'aube du XXIe siècle. Créer une planète plus sûre où la loi du plus fort n'aura plus cours, où l'avenir de tous s'édifiera sur la coopération et non la confrontation et la contrainte. Façonner une planète plus solidaire où les conditions matérielles d'existence seront sensiblement améliorées pour tous et où les besoins fondamentaux de chacun seront satisfaits, où le tissu social des Etats sera renforcé et où les ressources limitées du globe seront gérées judicieusement dans l'intérêt général. Enfin, construire un monde plus libre fondé sur l'égalité et le plein exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAIX ET SECURITE

8. Assurer la paix et la sécurité aujourd'hui comme au siècle prochain représente un défi écrasant qui doit et peut être relevé. L'Agenda pour la paix et son supplément forment l'un des socles sur lesquels pourra s'ancrer l'action à entreprendre et auxquels un certain nombre de retouches devront encore être apportées à la lumière de l'expérience récente. La paix et la sécurité ont indéniablement une composante militaire mais la recherche d'un monde plus sûr n'aboutira que si les composantes économiques, sociales, environnementales et, bien entendu, humaines de ces deux grandes aspirations sont mieux comprises.

9. Pour assurer la paix, il faut non seulement mettre fin aux conflits actuels mais aussi prévenir les conflits futurs. Aussi faut-il apprendre à faire face aux conflits internes toujours plus nombreux pour qu'ils ne deviennent pas une constante du siècle prochain, prélevant un tribut intolérable sur les populations qui les subissent et sur la communauté internationale tout entière. Les dirigeants des parties aux conflits actuels ou potentiels, tentés par la perspective des gains que pourrait apporter une victoire par les armes, devraient mieux mesurer les avantages à court et à long termes d'une solution négociée par rapport aux risques de l'option militaire, toujours assortie de destructions aveugles et massives et d'inutiles souffrances humaines.

10. La guerre ne peut plus être considérée comme un moyen légitime de continuer la politique par d'autres moyens. La force armée ne doit plus être un recours, sauf en cas de légitime défense ou dans l'intérêt collectif de la communauté internationale. A l'instar de ses fondateurs, il y a plus d'un siècle, l'Union interparlementaire plaide pour la négociation et le dialogue politiques et non la confrontation armée. Dans le même esprit, elle demande à toutes les parties à des différends de les régler par des moyens pacifiques et d'utiliser plus pleinement les instances internationales d'arbitrage dont c'est la mission. Elle concourt ainsi à l'action de l'ONU et, en particulier, à la mise en oeuvre du Chapitre VI de la Charte.

11. Il faut donc, plus que jamais, oeuvrer à l'édification d'un monde fondé sur la tolérance et le respect du droit international. Pour y parvenir, il est nécessaire d'assurer une adhésion universelle aux instruments du droit humanitaire et leur application pratique au plan national par une législation, des mécanismes et des programmes efficaces, dans les conflits tant inter-étatiques qu'intra-étatiques. Les parties à ces traités se sont engagées non seulement à en appliquer les dispositions mais aussi à en assurer le respect par les tiers. Les Etats doivent se montrer dignes de ces engagements en deçà comme au-delà de leurs frontières.

12. Assurer le respect de ces instruments appelle un arsenal renforcé de sanctions, ce qui suppose aussi le recours à la voie judiciaire. Il faut donc faire un usage plus efficace qu'auparavant des instances judiciaires en place, nationales et internationales, pour assurer l'application du droit international. Il faut aussi recourir à l'action judiciaire pour que les criminels de guerre ne bénéficient pas de l'impunité. Rien ne doit être épargné pour appréhender et punir ceux qui se rendent coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. A cette fin, il faut que le principe de la responsabilité individuelle pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité soit respecté quelle que soit la nature du conflit. Les Etats doivent bien entendu utiliser pleinement les juridictions nationales, mais il faudrait aussi créer un tribunal international permanent devant lequel seraient traduits tous ceux qui sont présumés avoir commis pareils crimes.

13. Une nouvelle impulsion doit être donnée au contrôle des armements et au désarmement, aux niveaux régional et mondial, afin d'aboutir à l'élimination totale des armes nucléaires, contrôlée au plan international. La prorogation pour une durée indéterminée du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires marque une étape importante mais il faut impérativement conclure un traité global d'interdiction des essais nucléaires qui réalise l'option zéro pour 1996 ainsi qu'un traité sur l'interdiction de la production de matière fissile pour les armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires. En 1995, à la Conférence d'examen et de prorogation du Traité sur la non-prolifération, les Etats dotés de l'arme nucléaire se sont engagés à faire preuve de la plus grande modération possible en ce qui concerne les essais nucléaires en attendant la conclusion d'un traité global d'interdiction. Nous appelons au respect de cet engagement compte tenu du fait que des essais nucléaires ont été effectués ou annoncés récemment. Il convient aussi de s'attacher à étendre au reste du monde les zones dénucléarisées existantes.

14. Il faut en outre renforcer le contrôle des armes classiques. Le surarmement met en péril la paix et la sécurité régionale et internationale et compromet la stabilité nationale et le développement économique et social. Le trafic des armes a des effets particulièrement néfastes sur la stabilité interne des pays et sur le respect des droits de l'homme. Il faut donc utiliser le Registre des transferts d'armes qui existe déjà mais aussi arriver à la transparence absolue en instaurant un registre opérationnel applicable à la production, au stockage et au transfert des armes.

15. La guerre chimique et biologique est particulièrement inhumaine. Des progrès ont été réalisés vers l'élimination de ces types d'armes grâce à la conclusion des Conventions sur les armes biologiques et sur les armes chimiques. La première doit toutefois être complétée par des mécanismes de vérification et la seconde doit encore entrer en vigueur. Il faut adhérer à ces deux instruments et les appliquer pour que les armes de cette nature ne puissent plus être mises au point, stockées ou utilisées. Les stocks existants doivent aussi être éliminés.

16. Une fois la guerre finie, les mines antipersonnel continuent de faire des victimes. Ce sont des armes particulièrement insidieuses qui frappent aveuglément, surtout les civils. Chaque année, des dizaines de milliers de personnes sont tuées et un nombre bien plus grand encore se retrouvent lourdement handicapées. Les mines antipersonnel sont un frein considérable au développement car des millions d'hectares de terres arables demeurent inutilisables. Il est tout simplement impossible, aujourd'hui, d'accepter que pareilles armes puissent encore être utilisées. Des progrès ont été enregistrés vers un règlement de ce problème mais il faut instaurer de toute urgence une interdiction totale de ces mines, de leur production, de leur vente et de leur utilisation. Enfin, il faut éliminer les stocks actuels, mettre au point des techniques et des programmes appropriés de déminage à grande échelle et les financer dans le cadre des efforts de consolidation de la paix.

17. Le terrorisme international et la criminalité internationale sont autant de menaces supplémentaires pour la paix et la sécurité dans le monde. Ils sont à l'origine de tensions régionales qui compromettent la stabilité politique et constituent des obstacles sérieux au développement. Il faut impérativement que tous les Etats coopèrent efficacement pour y mettre fin.

18. Mieux vaut prévenir que guérir. Eviter les conflits est infiniment préférable à devoir en traiter les conséquences une fois qu'ils ont éclaté. C'est aussi beaucoup plus économique en termes humains et financiers. Le bon sens voudrait que davantage de temps et d'énergie soient investis dans ce sens. Hélas, les gouvernements partout dans le monde opèrent dans le cadre de contraintes budgétaires strictes et sont peu enclins à se projeter dans l'avenir. La prévention exige du courage politique car il faut veiller à ce que les intérêts strictement nationaux et à court terme ne l'emportent pas et ne se soldent pas par des demi-mesures, le plus souvent tardives.

19. La prévention peut bénéficier de la concertation internationale et régionale, reposant sur un système amélioré et opérationnel de détection des conflits potentiels et de planification des politiques, de missions d'enquête et, parfois, de déploiement de forces internationales de prévention des hostilités autorisant la négociation, mais il importe avant tout de traiter tous les conflits à la racine. Hélas, ils résultent souvent d'une occupation étrangère persistante et de très anciennes rivalités ethniques auxquelles s'ajoutent de multiples problèmes économiques et sociaux. La pauvreté, le sous-développement chronique, la faiblesse ou la carence des institutions, la dépendance et l'instabilité en sont des facteurs importants auxquels il faut apporter des réponses si l'on veut édifier la paix et la sécurité. Pour y parvenir, il faut instaurer un développement humain durable.

LE DEVELOPPEMENT HUMAIN DURABLE

20. L'idée ancienne qui veut que la paix et la sécurité ne relèvent que des Etats doit être définitivement abandonnée. La sécurité est avant toute chose une affaire de personnes; en effet, la sécurité humaine est tout aussi importante que la sécurité des Etats. C'est de la survie des personnes et de leur bien-être que devra s'inspirer toute notre action au siècle prochain. Et le développement, lui aussi, ne peut être durable que si le respect de la personne humaine en est l'axe. Il doit en effet répondre aux attentes des populations et n'y parviendra qu'en s'assurant leur pleine et entière participation. Cela suppose des structures démocratiques, une plus grande justice sociale et économique et le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

21. Assurer le progrès économique et social est à la fois indispensable et possible. Toutefois, on n'y parviendra qu'en tenant compte du fait que le monde sera de plus en plus interdépendant au siècle prochain. Interdépendance des Etats. Interdépendance entre, d'un côté, les pays dont le développement s'est accompagné d'un gaspillage des ressources et d'une accumulation incontrôlée de déchets et, de l'autre, les pays qui sont contraints, faute de moyens, de mettre en péril leurs ressources et leur environnement et demeurent néanmoins incapables de produire les éléments indispensables à une existence digne. Interdépendance de certains des grands problèmes de l'humanité : accroissement démographique, migrations, urbanisation sauvage, maladie et pauvreté. Enfin, les besoins des générations actuelles ne doivent pas être satisfaits au détriment de ceux des générations futures.

22. Les conférences et sommets mondiaux organisés par l'Organisation des Nations Unies ces dernières années et le rapport du Secrétaire général sur l'Agenda pour le développement ont puissamment contribué à une meilleure compréhension des enjeux ainsi que des politiques de développement humain durable. Il nous faut à présent les traduire dans la réalité par la mise en oeuvre de programmes et de mesures concrètes.

23. Il faut impérativement combler le fossé toujours plus grand qui sépare les riches des pauvres, nations ou individus. Toute stratégie concrète de développement durable suppose que les besoins fondamentaux de la population soient satisfaits en priorité. Il faut donc élaborer les stratégies, programmes et calendriers qu'exige la lutte contre la pauvreté extrême et, à terme, contre toutes les formes de pauvreté. Des mesures institutionnelles sont nécessaires pour que les droits des pauvres soient protégés et puissent s'exercer pleinement. Il faut aussi que les progrès de la science et de la technique soient appliqués à l'accroissement de la production agricole et alimentaire, à la mise au point de procédés industriels appropriés, à l'approvisionnement énergétique et aux soins de santé et à la gestion rationnelle de l'environnement.

24. Enfin, plus que jamais, le développement est étroitement lié au statut de la femme. Hommes et femmes doivent avoir des droits égaux dans tous les domaines. La féminisation croissante de la pauvreté que l'on observe actuellement est inacceptable et le développement ne sera possible et durable que si les femmes prennent part pleinement à tous les domaines de la vie sociale, économique et politique. Femmes et hommes sont différents mais néanmoins égaux et seul le partenariat dans l'action peut contribuer à résoudre les problèmes de la collectivité. L'égalité entre les femmes et les hommes est en outre la condition sine qua non d'une répartition équitable des bienfaits de la croissance. Il s'ensuit que les femmes tout autant que les hommes doivent être au coeur de toute stratégie de développement durable.

25. En plus des programmes concrets en matière d'emploi, de santé et d'éducation, il faudra agir en profondeur sur la manière dont sont perçus les rôles propres aux hommes et aux femmes. Sans susciter une déstabilisation culturelle, ni imposer des valeurs étrangères à la culture nationale, nous devons respecter la dignité des femmes et faire en sorte que s'affirme une image plus équilibrée des capacités des hommes et des femmes à prendre part à la conduite des affaires tant privées que publiques. Il faut pour cela changer les images et les modèles véhiculés par l'éducation, les médias et la publicité en vue d'éliminer toute suggestion d'une prééminence d'un sexe sur l'autre.

26. “Si nous intégrons les questions d'environnement et de développement et si nous accordons une plus grande attention à ces questions, nous pourrons satisfaire les besoins fondamentaux, améliorer le niveau de vie pour tous, mieux protéger et mieux gérer les écosystèmes et assurer à chacun un avenir plus sûr et plus prospère”. Ces quelques lignes du programme Action 21 nous renvoient à l'urgence de la tâche qui nous attend. L'intégration des impératifs de développement et de protection de l'environnement et des impératifs d'équité et d'efficacité doit être poussée plus loin. Tout effort en vue du développement durable doit s'accompagner d'un réexamen des priorités dans la gestion des ressources limitées de la planète et de la mise en valeur des ressources renouvelables. La tâche est écrasante mais il n'y a guère de choix. Face à cette gageure, l'humanité n'a qu'une issue : réussir.

27. Les Conventions sur le changement climatique et la biodiversité ainsi que le programme Action 21 doivent être pleinement appliqués. Nul pays ne peut rester inactif. Il faut encourager le développement d'établissements humains viables et s'efforcer de modifier les modes de consommation en vue d'atténuer les effets désastreux qu'ils ont sur l'environnement. Il faut aussi adopter des approches intégrées de la planification et de la gestion des terres et de la mise en valeur, de la gestion et de l'utilisation des ressources en eau. Il faut impérativement protéger les océans et le littoral, lutter contre la déforestation et la désertification, de même que réduire et gérer efficacement les déchets. Il faut enfin réussir la synthèse entre développement des échanges et protection de l'environnement et, surtout, donner aux pays en développement des moyens financiers suffisants et leur faciliter l'accès à des techniques sûres et écologiquement rationnelles.

28. La croissance économique continuera d'être le moteur du développement au XXIe siècle. Elle a besoin d'un cadre propice, qui encourage l'initiative individuelle au lieu de l'étouffer, et de marchés ouverts où les produits peuvent être achetés et vendus. Il faut donc continuer d'encourager la concurrence et de libéraliser les marchés en n'omettant pas de protéger, d'appuyer et de promouvoir les petites et moyennes entreprises. Les gouvernements doivent avoir confiance dans l'économie de marché mais veiller à ce que le droit, et non la loi de la jungle, y règne.

29. Aujourd'hui sévit un peu partout dans le monde un chômage massif qui porte en germe des troubles politiques et sociaux. La panacée n'existe pas. Un accroissement de la production ne se traduit plus nécessairement par une progression de l'emploi. La mise en oeuvre de procédés très élaborés se traduit fréquemment par un décalage entre emploi et production. Et la progression des échanges entraîne parfois le recul de l'emploi. Aussi les Etats doivent-ils impérativement revoir de toute urgence leurs politiques économiques et sociales pour que la création d'emplois y soit hautement prioritaire et que l'on s'attache à mieux comprendre les relations complexes qui existent entre investissement, emploi, production et échanges.

30. L'aboutissement des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round, la création de l'Organisation mondiale du commerce et l'abaissement récent des obstacles tarifaires sont des acquis majeurs. Dans nombre de pays, les échanges ont tiré la croissance économique, créant les ressources nécessaires à l'éradication de la pauvreté. Aussi est-il plus important que jamais d'aller plus loin en se penchant aussi sur les obstacles non tarifaires tels que les restrictions volontaires à l'exportation, les aides à l'exportation, les taxes locales et autres restrictions commerciales ainsi que les réglementations sanitaires. La transparence doit aussi s'appliquer à ces obstacles qui devront, à terme, être éliminés.

31. Pour autant, même s'ils travaillent d'arrache-pied, les pays en développement lourdement endettés ne pourront instaurer un développement humain durable s'ils doivent parallèlement assurer le service de leur dette. Des progrès ont été accomplis mais les pays les plus pauvres s'enfoncent dans la crise, en particulier en Afrique où la sécheresse, la famine et d'autres catastrophes ont sévi cruellement. Un règlement global et durable du problème de la dette doit être trouvé, notamment par l'annulation de la dette, la rationalisation de son rééchelonnement, l'annulation d'une partie de celle-ci notamment pour les pays les plus pauvres, et une réduction sensible des taux d'intérêt.

32. Pendant de nombreuses années encore, les pays en développement auront besoin de ressources financières accrues et sûres provenant du Nord et des institutions multilatérales. Il faut de toute urgence atteindre l'objectif d'un transfert de 0,7 pour cent du produit national brut en tant qu'aide publique au développement, faute de quoi la pauvreté absolue ne pourra être atténuée et il ne sera pas possible d'instaurer un développement durable. C'est absolument vital pour la gestion de l'économie mondiale et cela doit être considéré comme une obligation internationale. Cette aide devra en outre être complétée par des transferts opérés à partir des ressources disponibles dans le secteur privé. Il faudrait toutefois que les gouvernements créent un climat propice à l'investissement étranger direct. Enfin, il faudrait mettre en oeuvre un pacte dit “20-20” en vertu duquel les pays en développement et les pays donateurs consacreraient respectivement au moins 20 pour cent de leur budget et 20 pour cent du montant de leur aide à ces efforts.

DROITS DE L'HOMME ET DEMOCRATIE

33. “La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. Il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression”. Ces quelques lignes extraites du préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme résonnent avec la même force aujourd'hui qu'il y a 50 ans lorsqu'elles ont été rédigées. Aussi est-il souhaitable que tous les Etats renouvellent leur engagement à respecter l'ensemble des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels.

34. Il convient aujourd'hui de réaffirmer l'idéal démocratique. Chaque Etat est libre d'élaborer son propre modèle démocratique en fonction de son histoire, de sa culture et de ses particularismes mais il n'en reste pas moins que la démocratie, partout dans le monde, est une philosophie politique, un système de gouvernement dans lequel les citoyens exercent leur droit de prendre des décisions politiques par l'intermédiaire de représentants choisis par eux et responsables devant eux. Le rapport du Secrétaire général sur les efforts pour promouvoir et consolider les démocraties nouvelles ou rétablies constitue le noyau d'un agenda pour la démocratie qui devra être complété et auquel l'Union interparlementaire s'engage à apporter son appui total.

35. La démocratie n'a de sens véritable que si les femmes prennent part au processus de décision à égalité avec les hommes, en droit comme en fait. Aussi est-il inacceptable que des pays continuent de dénier aux femmes le droit fondamental de participer à la vie politique de la nation. Tous les pays devraient mettre en oeuvre d'urgence le Plan d'action pour remédier aux déséquilibres actuels dans la participation des hommes et des femmes à la vie politique que l'Union interparlementaire a adopté en 1994, comme première mesure, pour que parité et partenariat entre hommes et femmes deviennent partout une réalité.

36. La démocratie, c'est aussi la participation à la vie politique de toutes les composantes de la société : tendances politiques, sexes, races, groupes ethniques, minorités et peuples autochtones. En effet, l'autorité des institutions démocratiques, à commencer par celle du Parlement, découle de leur capacité à traduire fidèlement la riche pluralité de la nation et la diversité des opinions qui s'y expriment.

37. Dans tout Etat, les pouvoirs publics ne peuvent tenir leur autorité que de la volonté du peuple exprimée à la faveur d'élections sincères, libres et régulières, tenues périodiquement sur la base du suffrage universel, égal et secret. Il faut donc oeuvrer sans relâche pour l'application universelle de la Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières adoptée par l'Union interparlementaire à Paris en 1994 et, à cette fin, il est souhaitable que l'Assemblée générale des Nations Unies envisage d'adopter ces critères comme normes universelles.

38. Transparence et ouverture sont aussi des conditions sine qua non du bon fonctionnement de la démocratie. La liberté des médias est un élément essentiel de toute société démocratique mais l'on peut être préoccupé par certains effets pervers de l'image qu'ils renvoient aujourd'hui. L'oeil inconstant et mobile de la caméra peut capter l'attention l'espace d'un instant sur une question d'actualité brûlante pour mieux s'en désintéresser dans la minute qui suit. La frontière entre information et spectacle est ainsi chaque jour plus ténue et le risque est grand de ne plus pouvoir arrêter des priorités rationnelles. Aussi incombe-t-il plus que jamais à tous les dirigeants politiques, de l'Exécutif comme du Législatif, de faire preuve de vision en donnant la priorité à l'avenir et en définissant eux-mêmes les enjeux politiques.

39. Une société démocratique est une société qui pratique la tolérance. Les scènes abjectes d'attaques contre des minorités raciales, ethniques et religieuses dont nous sommes les témoins depuis quelques années font resurgir des pages sombres de l'histoire de l'humanité. La xénophobie, le racisme et l'intolérance doivent être combattues et terrassées. Elles n'ont jamais été acceptables et le seront encore moins dans le monde toujours plus interdépendant de demain. A l'aube d'un nouveau siècle, nous devons enfin apprendre à pratiquer la tolérance et à ne jamais exploiter l'intolérance à des fins politiques.

40. Pour pouvoir s'enraciner durablement et s'épanouir, la démocratie a besoin non seulement d'institutions efficaces et représentatives mais aussi d'une culture démocratique. Une sensibilisation et un engagement à tous les niveaux de la société en faveur de la participation et de la consultation sont essentiels et doivent être encouragés. Il faut pour cela privilégier les programmes d'instruction civique.

STRUCTURES DE LA COOPERATION INTERNATIONALE

41. Il y a plus d'un siècle que l'Union interparlementaire a jeté les bases de la coopération multilatérale institutionnalisée telle que nous la connaissons aujourd'hui. Sa naissance a été celle du premier forum permanent de négociation multilatérale et elle a longtemps appelé à la création d'instances correspondantes au niveau intergouvernemental. Ce voeu a été réalisé par la création de la Société des Nations puis de l'Organisation des Nations Unies.

42. Au seuil d'un nouveau siècle, comment ne pas déplorer la désaffection apparente des Etats pour la coopération multilatérale. On perçoit en effet les signes inquiétants d'une lassitude, voire d'une indifférence à l'égard de la coopération internationale. Un nombre croissant de pays privilégient la satisfaction immédiate des besoins nationaux et négligent les objectifs à moyen et long termes, chez eux et hors de leurs frontières. Quelle qu'en soit la raison - manque d'adhésion populaire ou difficultés économiques - on constate une diminution des ressources consacrées à la coopération internationale.

43. L'heure est donc venue de donner une nouvelle impulsion à la coopération multilatérale. Il faut réaffirmer avec la plus grande fermeté et sans la moindre ambiguïté qu'il n'y a pas et ne peut y avoir d'autre voie que celle qu'offre la coopération multilatérale. Nul Etat n'a ou n'aura les moyens nécessaires - accompagnés du soutien politique requis - pour intervenir seul lorsque les choses s'enveniment et menacent l'humanité tout entière. S'associer à d'autres Etats pour écarter les menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité, le développement humain durable et les droits de l'homme n'est pas affaire de charité. La coopération multilatérale relève en effet de l'intérêt bien compris des Etats.

44. Tous les Etats et dirigeants politiques sont donc solennellement priés de réaffirmer et d'approfondir leur engagement en faveur de la coopération internationale et, pour ce faire, d'utiliser le plus pleinement et le plus efficacement possible les structures multilatérales mises en place au fil des ans. Et d'appliquer à cette fin le principe de subsidiarité plus rigoureusement qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent. Ainsi, il leur faudra se servir beaucoup plus fréquemment des organisations régionales pour régler les questions strictement locales, sous-régionales ou régionales, comme le prévoit le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, tout en tenant compte de la capacité et des intérêts des parties prenantes à ces organisations. Le système des Nations Unies devra néanmoins être gardé en réserve et, en tout état de cause, restera compétent pour les questions internationales dont l'ampleur dépasse le cadre régional. Enfin, les Etats devraient se montrer moins réticents à l'idée de confier à l'ONU la conduite de stratégies d'action et, en tout état de cause, devraient renforcer le rôle normatif qu'elle a vocation à remplir.

45. L'Union interparlementaire réaffirme sa foi dans l'Organisation des Nations Unies et ses organisations soeurs. Les détracteurs de l'Organisation mondiale doivent se garder de la rendre comptable de ce dont elle n'est pas responsable en l'absence de mandat ou de moyens. L'ONU n'est pas un gouvernement mondial. C'est une organisation internationale créée et dirigée par les gouvernements. Et ce sont les Etats qui lui assignent ses mandats. Ce sont eux qui lui accordent, ou lui refusent, les moyens et l'appui dont elle a besoin pour s'acquitter de sa tâche. Les succès de l'Organisation, mais aussi ses échecs, sont donc ceux de ses membres.

46. Nul doute que des réformes soient nécessaires. Comme toute organisation, l'ONU doit faire évoluer ses structures et ses méthodes de travail et réexaminer ses priorités afin de les faire correspondre aux exigences du monde de demain. Toutefois, le dysfonctionnement de l'ONU est moins le résultat d'une inadaptation des structures que de l'absence d'une véritable volonté des Etats de bien les utiliser. En effet, les Etats doivent se prononcer clairement sur ce que l'Organisation des Nations Unies doit être, sur ce qu'elle doit faire et sur les moyens qu'ils sont disposés à lui donner pour qu'elle s'acquitte de sa mission.

47. Qui dit réforme, dit renforcement des principaux organes de l'ONU pour leur permettre de s'acquitter plus efficacement de leurs fonctions. L'Assemblée générale des Nations Unies doit être revitalisée et le Conseil de sécurité doit être réformé pour être plus représentatif et plus démocratique tout en conservant son autorité et son efficacité. Le nombre de ses membres devrait être augmenté. Des procédures devront être mises au point afin de rendre les travaux du Conseil plus transparents.

48. Il faut aussi veiller à la solvabilité de l'ONU. Il est inadmissible que l'Organisation ne dispose pas des crédits que ses membres lui ont alloués et qu'ils ont le devoir de lui verser. Des dispositions strictes de sanction en cas de paiement tardif devront donc être adoptées en vue d'assurer le paiement des contributions dans les délais prévus. Il faudra aussi renforcer la discipline budgétaire. Ainsi, les crédits budgétaires devront être justifiés en soi et pas seulement les hausses par rapport au budget précédent. En outre, les Etats devront être plus conséquents dans leur examen des budgets et des dépenses. Enfin, les dépenses de l'ONU devront être réparties entre tous les Etats membres selon une méthode plus juste et plus équitable.

49. Des coupes qui auraient pour seul objet de réaliser des économies ne sont pas souhaitables mais des économies substantielles sont possibles si l'on s'attache résolument à éviter que les mandats ne se chevauchent et à rationaliser les programmes et les opérations dans tout le système afin d'en accroître l'efficacité tout en en maîtrisant le coût. L'ONU, ses organes subsidiaires et les institutions spécialisées doivent s'atteler à la tâche de toute urgence tout en veillant à ce que ce processus ne se fasse pas sans une large évaluation extérieure indépendante.

50. Il est évidemment difficile d'arrêter des priorités pour une organisation mondiale qui doit répondre aux attentes de tous ses membres et pas seulement de quelques-uns. Quoi qu'il en soit, l'ONU ne peut satisfaire chacun et tout le monde à la fois. Elle doit donc concentrer ses ressources sur les domaines où elles ont le plus de chances d'être efficaces.

51. L'Organisation des Nations Unies devrait veiller à ce que les organisations et les accords régionaux jouent un rôle accru dans le règlement des problèmes et conflits régionaux et locaux et dans le maintien de la paix et de la sécurité au niveau régional. Il faudrait donc les renforcer pour qu'ils puissent mieux assumer les responsabilités nouvelles qui leur seraient ainsi confiées, en plein accord avec le Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies.

52. Selon toute vraisemblance, les missions de maintien de la paix demeureront une priorité dans les années à venir. Pour s'acquitter de ces missions, il faudra que l'ONU ait des mandats clairs et des objectifs réalistes. Maintenir la paix suppose l'existence de cette paix et un minimum d'entente entre les parties sur le rôle de l'ONU. L'Organisation mondiale doit en outre être dotée des ressources dont elle a besoin en temps opportun. Lorsque les opérations de maintien de la paix se déroulent parallèlement à des activités humanitaires, l'action militaire doit conserver sa logique propre et avoir des objectifs et des tâches spécifiques afin que soient préservées l'indépendance, la neutralité et l'impartialité de l'action humanitaire. L'ONU aura besoin de ressources mieux formées pour s'acquitter de ses missions. Elle lui faudra enfin former ses employés en vue de faciliter un déploiement rapide et efficace des forces onusiennes.

53. Les futures opérations de maintien de la paix de l'ONU ne seront pas moins complexes qu'aujourd'hui et exigeront une assistance humanitaire immédiate et l'appui à la mise en place d'institutions et structures représentatives pour une bonne gestion des affaires publiques. Et toutes devront être assorties d'un volet sur les droits de l'homme et complétées par des activités à moyen et long termes de consolidation de la paix en vue d'asseoir plus solidement le développement humain durable, notamment ses aspects économiques, sociaux, humanitaires, institutionnels et électoraux, et d'édifier ainsi une culture de la paix. Pour cela, le Secrétaire général de l'ONU devra pouvoir compter sur l'appui indéfectible de toutes les branches du système des Nations Unies.

54. L'ONU doit jouer son rôle en définissant un mode de coopération pour le développement économique et social fondé sur des marchés mondiaux ouverts, et non le protectionnisme; la répartition équitable des chances, et non la charité; un dialogue politique ouvert entre Etats souverains, et non la force. Le système multilatéral actuel, composé de l'ONU, de ses institutions spécialisées et des institutions de Bretton Woods, exige des améliorations, une réforme, et plus de cohérence et de convergence. Il faut donc entreprendre un réexamen d'ensemble des pratiques multilatérales actuelles et s'accorder sur des axes de réforme et d'amélioration dans le cadre d'un système économique mondial interdépendant.

55. Une des priorités que doit se fixer l'ONU est l'élimination des chevauchements et doubles emplois. Les Etats ont la responsabilité particulière de veiller à mettre un terme à la dérive qui voudrait que l'on crée toujours plus d'organes et de structures. Autre domaine prioritaire : assurer la coordination. Les conclusions des conférences internationales organisées récemment par l'ONU peuvent servir de base en la matière. Il y a lieu de se féliciter des mesures prises par le Conseil économique et social pour veiller à l'exécution des tâches, à la coordination dans tout le système et à l'élimination des doubles emplois. Cette tâche pourrait être grandement facilitée par un plan d'action concerté découlant de ces conférences. Le succès de cet effort au niveau international sera fortement tributaire de ce que feront les gouvernements au niveau national pour coordonner leurs politiques internes vis-à-vis des Nations Unies.

56. L'ONU devra être invitée à renforcer ses activités dans ce domaine. Il faut saluer la création du Haut Commissariat aux droits de l'homme et rendre hommage aux initiatives prises pour réformer et améliorer les activités du Centre des droits de l'homme, qui relève du Haut Commissariat. Cela devrait aboutir à un traitement plus intégré et mieux coordonné des questions de droits de l'homme par le système des Nations Unies dans son ensemble. Dans ce domaine, l'ONU devra veiller tout particulièrement à améliorer ses relations avec ses partenaires non gouvernementaux et à mieux utiliser ces derniers.

57. Tout au long de ce processus de réforme, l'objectif principal devra être d'assurer la justice sociale et économique, l'impartialité, l'équité et la transparence dans la gestion de la coopération multilatérale, de veiller à la mise en oeuvre de principes démocratiques dans les processus de prise de décision et d'atteindre les objectifs déclarés en matière d'égalité entre les hommes et les femmes pour le personnel de l'ONU. Pour être efficaces et transparentes, les institutions multilatérales devront être dotées des pouvoirs requis et de mécanismes de règlement des litiges. Il n'est pas indispensable que ces institutions soient toutes des instances des Nations Unies. Le multilatéralisme peut progresser au sein comme à l'extérieur du système des Nations Unies.

LE ROLE DU PARLEMENT

58. Le Parlement est une institution clé de l'organisation et du fonctionnement de l'Etat. Il a pour rôle fondamental d'exprimer la volonté du peuple au sein de l'Etat où il légifère et contrôle l'action du gouvernement. Il lui incombe souvent de prendre des décisions touchant les travaux menés au sein de l'ONU, par exemple lors de la ratification d'une convention ou d'un traité des Nations Unies, ou lors du vote des crédits correspondant à la contribution du pays à l'Organisation mondiale.

59. Dans l'exercice normal de ses attributions, le Parlement est en outre de plus en plus fréquemment appelé à traiter de questions internationales dans leur ensemble. De fait, les problèmes qui y sont aujourd'hui débattus et les solutions qu'exigent ceux-ci sont de plus en plus fréquemment transnationaux et il n'y a guère de sujet traité quotidiennement par le Parlement qui ne se ressente d'événements intervenant hors des frontières nationales et faisant l'objet de négociations internationales. Il est donc de l'intérêt des parlements nationaux d'être associés de plus près aux activités menées dans le cadre des forums internationaux, plus particulièrement l'ONU.

60. Le renforcement des relations avec les parlements nationaux ne peut qu'être bénéfique à l'ONU. En effet, quel que soit le champ de son activité, le succès de l'action entreprise par l'ONU suppose l'appui des peuples du monde entier. Le Parlement, composé d'hommes et de femmes élus par l'ensemble des citoyens et en prise directe avec la population et les associations de leur circonscription, est aussi l'institution la plus naturelle et légitime de représentation des intérêts communs des diverses composantes de la société civile. Il convient de le rappeler à l'heure où, fort opportunément, l'on s'efforce d'assurer une meilleure prise en compte des aspirations de la société civile dans l'action intergouvernementale. L'action des parlements et de leurs membres est cruciale non seulement pour l'application au plan national des décisions prises par les Etats au plan international, mais aussi pour présenter et expliquer au public les thèmes en jeu et assurer ainsi le soutien des populations à l'action internationale.

61. Le resserrement de la coopération entre l'ONU et les parlements nationaux devrait donc faciliter considérablement le travail quotidien des parlements et celui de l'Organisation mondiale. L'Union interparlementaire, en tant qu'Organisation mondiale des parlements, entend renforcer cette coopération. Grâce à l'action menée en son sein, il est possible d'assurer à l'ONU un appui politique dans tous les domaines où elle est active et de lui apporter un soutien opérationnel dans les domaines de la démocratie, de la gestion des affaires publiques et des droits de l'homme, par exemple dans ses opérations de maintien et de consolidation de la paix.

62. Aussi un accord formel doit-il être conclu entre l'ONU et l'Union interparlementaire qui définisse un cadre approprié de coopération entre les deux Organisations pour que l'Union interparlementaire concoure ainsi pleinement aux activités politiques de l'ONU. Pareil accord permettrait en outre à l'ONU et à ses Etats membres d'instaurer une nouvelle relation avec l'Organisation mondiale des parlements, qui serait la transposition au plan international de la relation existant au plan national entre gouvernement et parlement. Une initiative fort opportune à une époque où l'on privilégie démocratie et bonne gestion des affaires publiques.


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