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RAPPORT ET RECOMMANDATIONS DU COMITE CHARGE DE SUIVRE LA SITUATION A CHYPRE

Rapporteur : Sir Peter Lloyd (Royaume-Uni)


Approuvés par le Conseil interparlementaire lors de sa 161e session
(Le Caire, 16 septembre 1997)


I. TRAVAUX DU COMITE

1. Le Comité chargé de suivre la situation à Chypre a tenu sa XIIIe session au Caire du vendredi 12 septembre au dimanche 14 septembre 1997. Ont pris part à la session : M. H. Kemppainen (Finlande), Président, M. J. Baumel (France), Vice-Président, Sir Peter Lloyd (Royaume-Uni), Mme Y. Loza (Egypte) et M. S. Pattison (Irlande). M. L. McLeay (Australie) n'a pu participer à la session.

2. Le Comité a réélu M. H. Kemppainen et Mr. J. Baumel en qualité de Président et Vice-Président, respectivement.

3. Le Comité a analysé l'évolution de la situation concernant Chypre et sur l'île depuis avril 1997, date de son dernier rapport sur la question au Conseil interparlementaire. A cet effet, selon sa pratique constante, il a examiné des informations reçues par écrit et procédé à trois auditions.

4. Le Comité a entendu séparément le vendredi 12 septembre 1997 :

  • pour la partie Chypriote grecque : M. N. Anastasiades (DISY), Vice-Président du Parlement de la République de Chypre et Chef de la délégation chypriote à la 98e Conférence interparlementaire, et M. A. Philippou, député (AKEL), membre de la délégation;
  • pour la partie Chypriote turque : M. H. Atun (Parti démocratique), M. I. Kûçûk (Parti de l'Unité nationale), M. A. Kasif (Parti démocratique), M. F. S. Soyer (Parti républicain turc) et M. H. Angölemli (Parti communal de libération).

5. Selon sa pratique, le Comité a entendu conjointement, également le 12 septembre 1997, les représentants ci-après des Parlements des trois Puissances garantes établies par le Traité de garantie de 1960 :

  • pour la Grèce : M. N. Stavrakakis (PASOK), membre de l'Assemblée nationale et Chef de la délégation grecque à la 98e Conférence interparlementaire, et Mme A. Benaki (Parti de la nouvelle démocratie), membre de l'Assemblée nationale;
  • pour la Turquie : M. I. Köksalan (Parti de la Mère patrie), membre de la Grande Assemblée nationale, Président du Groupe national et Chef de la délégation de la Turquie à la 98e Conférence interparlementaire.
  • pour le Royaume-Uni : M. D. Marshall (Parti travailliste), membre de la Chambre des Communes, Président du Groupe interparlementaire et chef de la délégation britannique à la 98ème Conférence interparlementaire.

6. Le Comité était saisi de mémoires soumis par les représentants des deux communautés sur l'évolution de la situation à Chypre depuis avril 1997, de lettres émanant des chefs de divers partis politiques, de mémoires soumis par les représentants des trois Puissances garantes sur les événements survenus à Chypre et concernant Chypre depuis avril 1997 et d'informations sur la mission de bons offices du Secrétaire général de l'ONU concernant Chypre ainsi que sur l'état d'avancement de la demande d'adhésion de la République de Chypre à l'Union européenne.

II. DERNIERS DEVELOPPEMENTS DE LA SITUATION A CHYPRE

7. Les événements des quelque 14 derniers mois dans la situation concernant Chypre et sur l'île elle-même, en particulier l'accroissement de l'arsenal militaire, avaient vivement alarmé la communauté internationale, ce qui l'avait amenée à réaffirmer dans les termes les plus énergiques que le statu quo à Chypre a des conséquences néfastes pour les deux communautés et constitue une sérieuse menace, d'autant plus que l'exaspération de la population sur l'ile pourrait fort bien, comme en 1996, dégénérer en tragédie. En avril 1997, l'Union interparlementaire avait donc engagé instamment les dirigeants des communautés Chypriotes grecque et turque à venir à la table de négociation. Le Comité se félicite donc que, sous l'égide des Nations Unies, les deux dirigeants se soient rencontrés depuis la dernière session du Conseil interparlementaire, à Troutbeck (États-Unis d'Amérique) du 9 au 13 juillet et à Glion-sur-Montreux (Suisse) du 11 au 16 août.

8. Il ressort des informations disponibles concernant ces entretiens que, pour les faire progresser sur le fond, le Secrétaire général de l'ONU s'est essentiellement employé à créer une dynamique nouvelle de contacts.

9. Si les résultats ont été limités quant au fond, les entretiens de Troutbeck se sont déroulés et conclus dans une atmosphère positive. De fait, ils ont été immédiatement suivis, à Chypre même, de deux réunions fructueuses des deux dirigeants sur des questions humanitaires, en particulier sur la question délicate des personnes disparues : ils se sont entendus pour que soient communiquées les informations concernant les lieux de sépulture d'un certain nombre de personnes disparues. Les entretiens de Glion, en revanche, se sont ouverts dans un climat marqué par la réaction négative de la partie Chypriote turque et de la Turquie à une section de l'" Agenda 2000 " de l'Union européenne (publié en juillet 1997), qui porte sur l'ouverture des négociations relatives à l'adhésion de la République de Chypre, et par la réaction de la partie Chypriote grecque et de la Grèce à la signature, le 6 août, d'un accord entre la Turquie et la " République turque de Chypre-Nord " portant création d'un Conseil d'association :

  • aux termes d'" Agenda 2000 " : " il se pourrait que les négociations relatives à l'adhésion de Chypre, du fait du calendrier retenu, commencent avant même qu'un accord politique ait été conclu. L'Union partage l'opinion exprimée par le Secrétaire général de l'ONU, à savoir que la décision d'entamer des négociations devrait être considérée comme un élément positif de nature à promouvoir la recherche d'un accord politique. (...) En l'absence de progrès en ce sens avant la date prévue pour le début des négociations, ces dernières seraient menées avec le Gouvernement de la République de Chypre, seule autorité reconnue par le droit international ". Le Comité juge utile de rappeler à ce propos que l'Union interparlementaire n'a cessé d'engager instamment l'Union européenne (UE), comme d'ailleurs tous les médiateurs dans la question de Chypre, à conjuguer leurs efforts avec ceux de l'ONU et que, comme le Secrétaire général de l'ONU, l'Union interparlementaire avait l'espoir que les négociations en vue de l'adhésion de Chypre à l'UE faciliteraient le règlement de la question de Chypre.
  • Le Comité juge également bon de rappeler que la partie Chypriote turque et la Turquie n'ont cessé de faire valoir que le Traité de garantie de 1960 fait du règlement de la question de Chypre un préalable à l'adhésion de cette dernière à l'UE et que cette adhésion ne pourrait avoir lieu qu'à partir du moment où la Grèce et la Turquie seraient toutes deux membres de l'UE. Le 25 juillet 1997, le Gouvernement turc a communiqué a l'ONU l'avis d'un juriste britannique qui corrobore cette interprétation.
  • La partie Chypriote turque a déclaré au Comité que " l'accord portant création du Conseil d'association n'est rien d'autre qu'un mécanisme légitime d'autodéfense créé parce que les Chypriotes grecs tentent d'imposer leur volonté à la partie Chypriote turque au moyen de l'adhésion à l'UE qui, malheureusement, les y encourage elle-même en paroles et en actes ".

10. Tout en constatant avec plaisir que les deux parties ont accepté de prendre part aux entretiens de Glion-sur-Montreux, le Comité ne peut manquer de noter qu'aucune décision positive n'a été prise à cette occasion. Pour ce qui est du problème de Chypre, la date de publication et le libellé très peu opportuns de l'"Agenda 2000 " ont de tout évidence eu un impact négatif sur ces entretiens.

11. Le Comité note en outre qu'après la présentation du rapport sur les pourparlers de Glion au Conseil de sécurité, le Président de cet organe, Sir John Weston, Ambassadeur du Royaume-Uni, a déclaré : "Je dois vous faire part d'une certaine préoccupation et d'un sentiment de déception car tout nouveau progrès à ce stade a été rendu impossible par la volonté de l'autre partie d'imposer des conditions préalables. Je fais référence, bien entendu, aux Chypriotes turcs ". Cette observation a suscité de vives protestations de la partie en question et de la Turquie.

12. Le Comité souhaite toutefois faire observer que le Conseiller spécial du Secrétaire général de l'ONU a qualifié ces pourparlers d'"utiles ". Le fait que les deux dirigeants ont accepté de tenir à Chypre une nouvelle réunion sur les questions humanitaires montre, comme l'a dit le Conseiller spécial après les négociations de Glion, que les deux dirigeants demeurent attachés à un règlement politique. Se félicitant de cette perspective, le Comité espère que la réunion aura bientôt lieu car, comme elle n'a cessé de l'affirmer, l'Union interparlementaire est convaincue que des avancées sur les questions humanitaires sont la clé d'un progrès plus général. Pareilles avancées, pour modestes qu'elles soient, et la mise en oeuvre ultérieure des mesures arrêtées sont essentielles pour susciter la confiance mutuelle et des progrès sur les points où un décalage très net demeure entre les positions des deux parties.

13. Le Comité juge encourageante l'information selon laquelle les contacts entre dirigeants et représentants des partis politiques se sont poursuivis, du moins avant les entretiens de Glion, et devraient reprendre en septembre au Ledra Palace. Il se félicite de l'atmosphère constructive qui semble avoir présidé à ces réunions. Il regrette toutefois que la suggestion du Conseil interparlementaire qui avait souhaité que les partis tiennent une réunion conjointe parallèlement aux entretiens directs entre les deux dirigeants pour permettre des consultations à l'occasion de ces pourparlers ne se soit pas concrétisée. Il est convaincu que cela aurait utilement appuyé et facilité le processus. Il tient à rappeler que l'Union interparlementaire a toujours considéré les partis politiques comme des " partenaires importants dans la recherche d'un règlement négocié à Chypre car ils relayent de manière organisée sur la scène politique l'éventail des vues et des sensibilités de la société civile. "

14. Le Comité juge aussi encourageantes les informations selon lesquelles les contacts au niveau de la société civile se sont améliorés ces derniers mois, même si des obstacles demeurent et qu'un certain nombre de difficultés et incidents regrettables ont été observés dans le cadre du Concert de la paix organisé par l'ONU le 19 mai ainsi que dans le cadre de pèlerinages organisés des deux côtés et en ce qui concerne l'état de certains lieux de culte. Comme cela a déjà été indiqué à plusieurs reprises, il y a lieu d'espérer que les initiatives de la société civile en vue d'un règlement de la question chypriote - en particulier celles des chambres de commerce, des associations professionnelles et des syndicats ainsi que des organisations non gouvernementales - pourront se multiplier sans se heurter à des obstacles et tracasseries.

15. Le Comité tient en outre à signaler l'atmosphère constructive qui a entouré la réception organisée au Caire par Mme Y. Loza, l'un de ses membres, où étaient présents des Chypriote grecs et turcs aux côtés de représentants de la Grèce, de la Turquie et du Royaume-Uni, et il se félicite de son intention de renouveler cette invitation.

16. Le Comité demeure vivement préoccupé par le fait qu'aucun progrès n'a été enregistré en ce qui concerne le retrait progressif des troupes turques de la partie nord de Chypre, retrait qui demeure une exigence prioritaire de la communauté internationale.

17. Il reste aussi très préoccupé par les dernières évolutions concernant la question des missiles anti-aériens russes S-300 achetés par la République de Chypre au début de l'année, question dont il est fait état dans son précédent rapport au Conseil interparlementaire.

18. Le Gouvernement de la République de Chypre affirme que ces missiles ont été achetés à des fins strictement défensives et ne seront pas déployés avant 18 mois mais les Chypriotes turcs et la Turquie affirment qu'ils pourraient bien être utilisés à des fins offensives et qu'ils menacent la sécurité non seulement de la partie nord de Chypre mais aussi du sud de la Turquie. Récemment, les autorités turques ont ordonné la fouille de bateaux traversant le Bosphore soupçonnés de transporter des pièces détachées pour missiles; elles ont par ailleurs étendu l'interdiction d'entrer dans les ports turcs à tous les bateaux immatriculés en République de Chypre. Enfin, le Premier Ministre turc a fait des déclarations indiquant que la division de l'île pourrait devenir permanente si ces missiles étaient déployés et si Chypre entrait dans l'Union européenne avant la Turquie et avant un règlement de la question chypriote.

19. Ces déclarations induisent le Comité à rappeler avec la plus grande fermeté que le seul cadre pour un règlement de la question chypriote est celui qui est défini par l'ONU, à savoir: un Etat de Chypre doté d'une souveraineté, d'une personnalité internationale et d'une citoyenneté uniques, son indépendance et son intégrité territoriale étant garanties, et composé de deux communautés politiquement égales, telles qu'elles sont décrites dans les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, au sein d'une fédération bicommunautaire et bizonale et un tel règlement doit exclure l'union, en totalité ou en partie, avec un autre pays, ou toute autre forme de partition ou de sécession.

III. RECOMMANDATIONS DU COMITE

20. A la lumière de ce qui précède, le Comité souhaite inviter le Conseil interparlementaire:

a) à se féliciter de la tenue des pourparlers de Troutbeck et Glion-sur-Montreux qui, en soi, sont une initiative très positive, et à se féliciter en outre des initiatives renouvelées et fructueuses du Secrétaire général de l'ONU en la matière et à l'encourager dans les efforts soutenus qu'il consacre à la question chypriote.

b) à réitérer son appel à l'Union européenne pour qu'elle coopère étroitement avec le Secrétaire général de l'ONU et à inviter tous les parlements des Etats membres de l'Union européenne et le Parlement européen à n'épargner aucun effort pour encourager, faciliter et soutenir pareille coopération. A lancer un appel similaire en ce qui concerne tous les médiateurs de la question chypriote.

c) à se féliciter de la tenue, à Chypre même, de réunions des deux dirigeants sur des questions humanitaires et à les encourager à approfondir leur dialogue constructif sur ces questions car c'est là un des moyens les plus efficaces de susciter la confiance qu'exige tout progrès. Dans ce contexte, à prier instamment les deux dirigeants de faire des avancées en ce qui concerne, en particulier, l'assouplissement des restrictions au franchissement de la zone tampon ainsi que les contacts intercommunautaires (y compris les contacts postaux et téléphoniques) et les activités et initiatives conjointes de la société civile.

d) à encourager une nouvelle fois les partis politiques à poursuivre et développer la tenue de réunions conjointes, à intervalles courts et réguliers, et à soutenir systématiquement à travers eux les efforts des deux dirigeants dans leur recherche d'un règlement négocié.

e) à se féliciter des récents progrès eu égard aux contacts au niveau de la société civile et à encourager à nouveau la société civile - en particulier les chambres de commerce, les associations professionnelles et les syndicats, ainsi que les organisations non gouvernementales - à prendre toute initiative visant à faciliter le règlement de la question chypriote, dans le cadre défini par l'ONU; à demander à l'UNFICYP d'offrir une assistance encore plus soutenue à cet égard.

f) à se déclarer vivement préoccupé par le regain de tension à Chypre et concernant Chypre depuis juillet 1997, et à tirer la sonnette d'alarme à propos des graves menaces que la situation explosive actuelle fait peser sur la sécurité tant de Chypre que de la région; à exhorter les deux dirigeants et les autres parties intéressées à faire preuve de la plus grande sagesse pour éviter que la population de l'île, qui vit dans une tension constante, ne soit de nouveau exposée à des événements tragiques; à exprimer le voeu que les prochaines élections présidentielles en République de Chypre seront l'occasion de propositions constructives pour le règlement de la question chypriote.

g) à réitérer qu'aucun effort ne devrait être épargné pour garantir la démilitarisation progressive de l'île et, dans cette perspective :

  • à lancer à nouveau un appel à la Turquie pour qu'elle applique les résolutions de l'ONU et de l'Union interparlementaire exigeant le retrait de ses troupes de la partie nord de Chypre et pour qu'elle s'abstienne d'y renforcer sa présence militaire;
  • à prier instamment une nouvelle fois le Gouvernement de la République de Chypre de revenir sur sa décision concernant l'achat et le déploiement d'ici quelques mois des missiles anti-aériens S-300, et de s'abstenir de toutes nouvelles acquisitions d'armements afin de faciliter un règlement politique négocié.

h) à encourager une fois de plus l'instauration d'un dialogue militaire sous les auspices du général commandant les forces des Nations Unies à Chypre.

i) à rappeler qu'il n'existe aucun autre cadre pour le règlement de la question chypriote que celui défini par les Nations Unies.


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