PARLEMENT ET DEMOCRATIE AU VINGT-ET-UNIEME SIECLE : GUIDE DES BONNES PRATIQUES
5. Un parlement qui rend des comptes
L'obligation de rendre compte des titulaires de hautes fonctions publiques ou de postes importants est aujourd'hui considérée comme une condition fondamentale de la vie publique en démocratie. Quand on parle de cette obligation parlementaire, il importe de faire la distinction entre deux aspects différents de la question. Le premier a trait au rôle central dévolu au Parlement par l'électorat, qui consiste, dans l'exercice de sa fonction de contrôle, à demander des comptes au gouvernement. Cet aspect, capital pour l'efficacité démocratique du Parlement, sera examiné au chapitre suivant. Le second a trait à l'obligation faite au Parlement et à ses membres de rendre compte à leurs mandants; nous allons passer ce thème en revue dans le présent chapitre.
Cette notion a plusieurs facettes. Deux d'entre elles se recoupent et nous en parlerons ici. La première part de l'idée que le titulaire d'une fonction publique doit, a posteriori, "rendre compte de son action" à l'instance devant laquelle il est responsable, donc comptable de ses actes. Le principe nourricier de la démocratie étant la discussion et le débat public, la "reddition de comptes" des représentants à leur électorat, par le biais d'un dialogue permanent, est un élément capital. Cet aspect de la question en recoupe un autre : l'obligation pour le titulaire d'une fonction publique de remplir certains critères de performance et d'intégrité dans l'exercice de son mandat, eu égard à l'appréciation portée par une instance responsable ayant le pouvoir de le sanctionner s'il manque à satisfaire ces critères. En ce sens, les parlementaires sont, eux aussi, responsables devant leur électorat, qui peut leur appliquer la sanction ultime : ne pas les réélire. Dans les termes du préambule de code de conduite 2001 de la Chambre irlandaise des représentants : "Les membres du Parlement se trouvent dans une situation exceptionnelle, puisqu'ils sont responsables devant leur électorat, qui est l'arbitre ultime de leur conduite et a le droit de les écarter à l'occasion d'élections périodiques". Toutefois, cette sanction électorale constituant une perspective incertaine et à longue échéance, d'autres organes et commissions ont été créés ces dernières années, dont, bien évidemment, des commissions parlementaires, auxquels les élus doivent rendre compte de leur conduite.
Responsabilité horizontale et verticale
De nos jours, les auteurs d'études sur l'obligation de rendre des comptes établissent une distinction entre ce qu'ils appellent la "responsabilité horizontale" et la "responsabilité verticale". La "responsabilité horizontale" renvoie au contrôle exercé par les instances de réglementation et les organes de supervision composés de professionnels qui agissent au nom des citoyens. La "responsabilité verticale", quant à elle, se réfère au contrôle exercé à partir de la base par les citoyens eux-mêmes, par le biais d'un certain nombre de mécanismes, dont les élections, les procédures de recours et de réparation, les activités des organisations de la société civile, etc. Dans le secteur public, c'est l'association de ces deux dimensions, horizontale et verticale, qui permet de veiller à ce que la reddition des comptes se fasse efficacement. Ainsi, par exemple, la réduction de la corruption dans la fonction publique requiert ordinairement la combinaison de deux éléments : l'existence de commissions anti-corruption indépendantes, investies de pouvoirs juridiques et d'enquête, et l'intervention de groupes de citoyens actifs, d'organes de surveillance et de journalistes d'investigation. Une même combinaison d'éléments permet de veiller au respect des normes de conduite des parlementaires. Mais penchons-nous d'abord sur les aspects plus proprement politiques de la responsabilité parlementaire : les comptes qu'ils sont tenus de rendre à leurs mandants.
Rendre des comptes
Dans les chapitres précédents, nous avons traité de deux aspects importants de la "reddition de comptes" des parlementaires à leurs électeurs. Il s'agit, d'une part, de la possibilité d'être informé de leurs activités et, de l'autre, de la capacité des électeurs de poser des questions à leurs représentants, à la lumière de cette information. à cet égard, il y a peu à ajouter à ce qui a été dit dans les deux chapitres précédents sur la nécessaire transparence et l'accessibilité des parlementaires. Mais la notion de responsabilité implique en outre une "reddition de comptes" plus ciblée et plus systématique à l'issue d'une action ou d'une intervention, à laquelle le public puisse réagir. Nous l'avons déjà vu, les électeurs sont de plus en plus désireux de savoir comment leurs représentants ont voté sur telles questions clefs débattues au Parlement et sont enclins à les interroger sur leurs actions. La responsabilité politique exige désormais que l'on fasse savoir la façon dont un parlementaire a voté sur tel sujet et qu'il soit prêt à défendre sa position. Le développement de l'internet permet aujourd'hui de le faire plus facilement et nombre de parlements en sont désormais équipés.
Une pratique moins courante consiste à publier, une fois par an, par exemple, ou une fois par session, un rapport périodique où le parlementaire fait le point sur son activité parlementaire. Cette formule prend généralement la forme d'un rapport collectif sur les activités de l'ensemble du parlement. Citons quelques exemples : le Parlement roumain publie à la fin de chaque session parlementaire un rapport d'activité qui est publié au Journal officiel. Le Parlement finlandais publie en ligne son rapport annuel; outre les activités menées dans les domaines législatif et international, celui-ci couvre aussi les questions d'organisation, les finances et la comptabilité du parlement. La France publie chaque année un rapport sur le budget du Parlement, qui couvre les deux chambres. Au Luxembourg, le rapport annuel de la Chambre des députés est distribué dans tous les foyers du pays. A Saint-Kitts-et-Nevis, le rapport se fait oralement : les citoyens interrogent les parlementaires sur leurs activités de l'année à l'occasion d'une réunion publique, le Face à face:
Cette réunion ne se tient pas au siège du Parlement mais dans d'autres lieux publics; elle permet aux électeurs de rencontrer "face à face" leurs parlementaires, qui rendent compte de leur gestion. Cette réunion est retransmise en direct par la radio et la télévision. L'assistance peut intervenir. Le public peut également interroger ses élus par téléphone ou via l'Internet. Un animateur transmet les questions posées sur l'Internet et par téléphone aux parlementaires, qui ont le temps de préparer leur réponse. Les interventions du public sont spontanées et les parlementaires n'ont aucune connaissance préalable des questions qui leur seront posées. Cette formule s'est révélée des plus utiles en termes de "reddition de comptes" et d'initiation du public aux travaux du parlement.
Certes, les exemples du Luxembourg et de Saint-Kitts-et-Nevis se rapportent à des pays à la population relativement peu importante, mais rien n'empêche les parlementaires d'autres pays de les imiter à l'échelle de leur circonscription ou district. L'envoi à tous ses électeurs du rapport annuel d'un élu, à la fin de chaque session, assorti d'un état de ses votes, et la possibilité de l'interroger en ligne ou à l'occasion d'une réunion publique, ferait beaucoup pour rassurer en tous temps le public quant à son sens des responsabilités, et pas seulement en période électorale.
Révocation du mandat parlementaire
C'est en raison de la conviction que des élections tenues à plusieurs années d'intervalle ne suffisent pas à amener les parlementaires à se conformer à l'obligation de rendre compte de leurs actes à leur électorat que d'aucuns ont proposé de donner aux citoyens le pouvoir de révoquer leurs élus en cours de mandat. Cette mesure est appliquée dans deux pays et territoires : en Ouganda et dans la province de Colombie britannique, au Canada. En Ouganda (aux termes de l'article 84 de la Constitution), un membre du parlement peut être destitué pour l'un quelconque des motifs ci-après :
- incapacité d'ordre physique ou mental rendant l'élu inapte à l'exercice de ses fonctions; ou
- faute grave ou inconduite de nature à susciter la haine, le ridicule ou le mépris, ou à jeter le discrédit sur sa fonction; ou
- abandon de ses électeurs (absentéisme persistant) sans motif valable.
Cette destitution requiert l'envoi d'une pétition signée par les deux-tiers au moins des électeurs inscrits d'une circonscription ou du groupe social qui avait présenté ce candidat lors des élections. C'est au terme d'une enquête publique approfondie que la Commission électorale statue sur la validité de cette pétition et prend ou non la décision de révoquer le mandat de l'élu incriminé.
En Colombie britannique, les motifs de révocation possibles ne sont pas précisés; la procédure diffère de celle qui est appliquée en Ouganda en ce qu'elle requiert les signatures de 40 % des électeurs inscrits de la circonscription concernée, après quoi une élection partielle est organisée. Pas moins de neuf pétitions ayant été déposées durant la seule Assemblée de 2001 (et bien qu'aucune, au bout du compte, n'a abouti), des craintes ont été exprimées quant au mésusage de ce droit et au gaspillage de temps et d'argent que cela entraîne, d'autant qu'il faut dans tous les cas vérifier officiellement les signatures de tous les intéressés. C'est peut-être ce qui explique que le droit de révocation ne soit pas plus répandu.
Principes et codes de déontologie parlementaires
Alors que le mécanisme de révocation est un exemple de responsabilité verticale, la méthode plus courante pour sanctionner l'inconduite potentielle de parlementaires consiste en l'application horizontale d'un code de conduite par une commission spéciale agissant au nom du public. La dernière décennie a été marquée par l'élaboration et l'adoption généralisées de principes et de codes de conduite à l'usage du service public, en général, et des parlementaires en particulier. Cela s'est fait, à tout le moins dans les démocraties bien établies, partiellement en réaction à la perte de confiance du public en la déontologie de ses parlementaires et des institutions censées le représenter. Il importe peu de savoir si cette réaction du public traduit une baisse réelle des normes éthiques, ou si elle reflète simplement le fait que les manquements sont aujourd'hui plus facilement dénoncés et discutés et moins bien tolérés. Ce qui importe, c'est la perception qu'en a l'électorat, ce qu'illustre de façon saisissante ce rapport du Secrétaire général de la Chambre australienne des représentants :
L'année dernière (2000), les publicitaires, les reporters et les vendeurs de véhicules d'occasion du pays ont eu toute raison de se réjouir. Jusque-là, leurs métiers respectifs s'inscrivaient tout en bas d'une liste de professions classées en fonction de la confiance que le public leur témoignait; les membres du Parlement venaient juste au-dessus. Une enquête a été réalisée en juillet dernier qui a modifié l'ancien classement : des 23 catégories professionnelles figurant sur cette liste, les élus de la nation occupent désormais la dernière place.
Le malaise du public portait sur des questions d'ordre financier, en particulier sur le fait que certains législateurs usent de leur position pour promouvoir leurs propres intérêts économiques ou ceux d'individus et d'organisations qui leur témoignent de quelque façon leur reconnaissance. Parmi les autres préoccupations exprimées figuraient l'absentéisme, l'usage abusif d'informations couvertes par le secret professionnel et le mauvais usage des indemnités parlementaires.
Signalons que les règles de conduite à l'usage des parlementaires ont toujours existé, toutefois elles ne concernaient jusqu'ici que les comportements susceptibles de troubler le bon déroulement des procédures parlementaires. Ainsi, la plupart des parlements se sont dotés de dispositions standard prohibant certains propos ou comportements jugés injurieux ou menaçants pour les autres membres, ou considérés comme portant atteinte à la liberté de parole et de vote ou comme faisant preuve d'irrespect envers l'institution ou son président. Indépendamment de ces questions touchant à l'ordre interne et à la bienséance, il a toujours été entendu et tenu pour acquis que les parlementaires sont élus pour défendre l'intérêt public, non des intérêts personnels ou privés. L'élément nouveau, c'est la nécessité ressentie par de nombreux parlements d'affirmer explicitement ce principe en l'incluant dans un certain nombre de normes et dans un code de déontologie, ce qui devrait rétablir la confiance en l'intégrité du Parlement. L'objet d'un tel code est clairement explicité dans le préambule du Code de déontologie parlementaire canadien. Il s'agit :
- de reconnaître que les fonctions parlementaires constituent un mandat public;
- de préserver et d'accroître la confiance du public dans l'intégrité de chacun des parlementaires ainsi que dans celle du Parlement;
- de montrer au public que tous les parlementaires doivent se conformer à des normes éthiques qui font passer l'intérêt public avant l'intérêt personnel de ces derniers et d'établir un mécanisme transparent permettant au public de juger que c'est bien le cas;
- de fournir des indications claires aux parlementaires sur la façon de concilier leurs intérêts personnels et leurs fonctions officielles;
- de favoriser l'émergence d'un consensus parmi les parlementaires en établissant des règles communes et en établissant un cadre dans lequel un conseiller indépendant et impartial puisse répondre aux questions d'ordre déontologique.
Les deux derniers points de cette liste mettent en cause un certain nombre de difficultés récurrentes qui surgissent chaque fois qu'il est question d'élaborer un code de conduite. La première tient au fait que si les parlementaires eux-mêmes ne parviennent pas à atteindre un consensus, un code, quel qu'il soit, sera extrêmement difficile à faire appliquer. D'autant qu'il est souvent difficile de parvenir à un consensus en raison de la complexité de certaines des questions abordées et de l'existence de nombreuses "zones floues", qui suscitent force controverses dès lors que l'on s'attache à donner une interprétation précise du code. L'étude de certaines de ces "zones floues" à la rubrique conflits d'intérêts permettra utilement d'approfondir cet aspect capital de la responsabilité parlementaire.
Intérêt public et intérêts privés
Au cœur de tous les principes et codes de conduite parlementaires, on retrouve la nécessaire distinction entre l'intérêt public et les intérêts personnels ou privés. Cette distinction est fondamentale dans l'optique démocratique selon laquelle la raison d'être d'une charge élective est de servir le public, non d'enrichir son titulaire ou ses relations. En langage courant, le mésusage d'une fonction publique aux fins d'un enrichissement personnel s'appelle "corruption"; en langage parlementaire, on parle de "conflits d'intérêts", tels que définis, par exemple, dans cet extrait du code irlandais de la Chambre des représentants :
Il y a conflit d'intérêts quand, dans l'exercice de son mandat, un membre du Parlement participe à une prise de décision ou prend lui-même une décision en sachant que, directement ou indirectement, cela favorisera indûment et malhonnêtement ses intérêts financiers ou ceux d'une personne privée. Il n'y a pas conflit d'intérêts lorsqu'un membre du Parlement ou une autre personne en bénéficie en sa seule qualité de membre du public ou d'une catégorie importante de personnes.
L'expression "ou d'une catégorie importante de personnes" est toutefois source de difficultés. Les parlementaires qui appartiennent, par exemple, à la classe des propriétaires fonciers, ou qui sont actionnaires d'une société pétrolière ou pharmaceutique, ou d'une chaîne de médias, sont-ils moins désintéressés lorsqu'ils légifèrent de façon à avantager ces groupements que lorsqu'ils s'efforcent de promouvoir leur intérêt personnel ? Aux yeux du public, la distinction ne semble pas si évidente. C'est pour cette raison que de nombreux parlements exigent de leurs membres qu'ils dressent la liste de leur patrimoine et qu'ils désignent un fonctionnaire impartial capable de les conseiller et de statuer sur tout conflit d'intérêts. Sont ordinairement inscrits au registre des avoirs financiers des élus les actions qu'ils détiennent dans des sociétés publiques ou privées, les terres et biens qu'ils possèdent, les postes de direction rémunérés qu'ils occupent et leur participation à des partenariats.
Ce qui précède n'épuise nullement toutefois les sources potentielles de conflits d'intérêts. Un autre " flou" concerne les organismes extérieurs envers lesquels un élu peut se sentir redevable, en raison d'une indemnité perçue pour services rendus – ou devant l'être – au titre d'un mandat de consultant ou de porte-parole officieux. La plupart des parlements interdisent à leurs membres de s'engager par contrat auprès d'organismes extérieurs pour agir en leur nom au parlement, comme en atteste cette résolution adoptée par le Parlement britannique en 1947, époque où un syndicat avait tenté de donner des instructions à un parlementaire:
Il est incompatible avec la dignité de la Chambre, avec les devoirs d'un élu envers ses mandants et avec le maintien du privilège de la liberté de parole qu'un membre du Parlement souscrive quelque engagement contractuel que ce soit avec un organisme extérieur, car cela nuirait à son indépendance absolue et à sa liberté d'action au Parlement, ou les limiterait …C'est envers ses mandants et envers le pays tout entier qu'un parlementaire a des devoirs, non envers une fraction particulière de la société.
Cependant, la ligne qui sépare un accord formel, conclu en vue de faire valoir les intérêts d'un organisme extérieur, d'un accord tacite allant dans le même sens, en échange d'une rémunération, est des plus minces. C'est bien pourquoi la liste des biens et avoirs qu'un parlementaire est tenu de déclarer au moment de son investiture comprend généralement ses mandats de consultant, les provisions sur honoraires perçues, les cadeaux reçus, les réceptions, repas et billets de spectacles offerts, les défraiements perçus pour frais de voyage, ainsi que tous autres avantages en nature.
Autre "zone floue" : la mesure dans laquelle un parlementaire peut légitimement accepter un autre travail rémunéré alors qu'il perçoit déjà une indemnité pour s'acquitter à plein temps de ses devoirs de parlementaire. Certains parlements sont d'avis qu'il est bon que leurs membres aient une activité rémunérée en dehors de l'univers politique, encore que le public soit rarement consulté à ce sujet. De toute façon, il est difficile d'empêcher un parlementaire d'avoir un travail d'appoint indépendant, celui de journaliste ou de commentateur politique, par exemple, ou celui d'écrivain, toutes activités qui peuvent être conçues comme une extension naturelle de son activité parlementaire. Là encore, l'obligation de déclarer toutes ses sources de revenus sur le registre des biens et avoirs financiers place la question dans le domaine public, où tout conflit d'intérêts potentiel est soumis à l'appréciation des autres parlementaires et des électeurs.
Registre des biens et avoirs financiers
On peut donc régler la plupart des problèmes liés aux "zones floues", sources de conflits d'intérêts potentiels, qu'il s'agisse des biens possédés ou des rémunérations et avantages perçus, en respectant le principe de transparence lors de leur inscription au registre. On trouvera ci-dessous un exemple de liste des intérêts financiers soumis à déclaration; il provient d'Afrique du Sud :
Les intérêts financiers ci-après sont soumis à déclaration :
- les actions et autres intérêts détenus dans des sociétés ou personnes morales;
- les emplois rémunérés hors du parlement;
- les postes de direction et les partenariats;
- es postes de consultant;
- les parrainages;
- les dons et prestations en nature émanant de personnes autres qu'un membre de la famille ou la compagne/le compagnon permanent(e) de l'intéressé(e);
- tous autres avantages matériels en nature;
- les voyages à l'étranger (autres que les voyages personnels payés par le parlementaire, les voyages d'affaires sans rapport avec sa fonction de représentant et les voyages officiels payés par l'état ou par le parti auquel il appartient);
- les terres, biens et autres éléments de patrimoine; et
- les pensions.
Tous les parlements ne tiennent pas de tels registres. Parmi ceux qui le font, toutefois, on note de grandes disparités de contenu et de fonctionnement. Entre autres différences, relevons celles-ci:
- les inscriptions au registre sont obligatoires ou alors librement consenties, cette dernière option étant retenue dans les pays nordiques;
- les intéressés ne sont tenus de déclarer que leurs biens et propriétés, comme dans la plupart des pays francophones, ou bien aussi leurs autres intérêts financiers;
- la déclaration de patrimoine couvre ou non les biens et propriétés du conjoint et des enfants;
- le contenu tout entier du registre est rendu public, ou alors certaines parties seulement en sont communiquées au président ou au greffier, au nom du respect de la vie privée;
- les parlementaires font une déclaration de patrimoine au début et à la fin de leur mandat, ou ils sont tenus de la mettre à jour chaque année;
- un élu est tenu de signaler tout possible conflit d'intérêts lorsqu'il entreprend une activité comportant un tel risque, ou bien il lui est expressément interdit de le faire;
- le registre est soumis au contrôle d'un organe extérieur chargé de veiller au respect des règles, ou à celui d'une commission parlementaire, ou encore à celui d'une instance paritaire.
Vu la diversité des pratiques en cours dans les différents parlements, il est difficile de n'en retenir qu'une et de la qualifier d'exemplaire, d'autant que bien des choses dépendent du consensus réalisé et du caractère exécutoire du code de déontologie. Un empirisme raisonné suggère pourtant que plus les conflits d'intérêts préoccupent le public d'un pays donné, plus il devient nécessaire, pour affermir ou rétablir la confiance des citoyens, de tenir un registre des biens assorti de règles exécutoires, et d'en confier la garde à une personnalité impartiale, seule habilitée à trancher.
Au sujet des mécanismes permettant de faire appliquer les codes de déontologie, il vaut la peine de citer ici un paragraphe pris dans les travaux du National Democratic Institute for International Affairs (NDI) sur l'élaboration de normes internationales pour les Assemblées démocratiques :
L'autorégulation ne suffit pas toujours à faire effectivement appliquer les règles d'éthique. C'est bien pourquoi plusieurs pays ont chargé une instance indépendante et non partisane de veiller au respect des codes de déontologie; citons, par exemple, au Royaume-Uni, le Commissaire aux normes éthiques. La mise en vigueur du code de déontologie est confiée à la Commission sur l'application des normes et privilèges; le Commissaire, de son côté, conseille la Commission, tient à jour le registre des intérêts financiers des membres, donne à ces derniers des avis confidentiels relatifs aux inscriptions sur le registre et surveille l'application du code de déontologie; enfin, il reçoit les plaintes d'élus et de citoyens et – le cas échéant – diligente des enquêtes à leur sujet. Bien que le Commissaire ne soit pas habilité à imposer de sanctions, celles-ci étant du ressort de la Commission, il/elle s'acquitte de son rôle avec plus d'impartialité qu'on n'en saurait raisonnablement attendre de l'autocontrôle exercé par une commission d'éthique.
Assiduité aux séances du Parlement
La plupart des codes de déontologie parlementaire traitent principalement de questions financières et des conflits d'intérêts potentiels. Ce ne sont pourtant point là les seuls sujets de préoccupation susceptibles de saper la confiance des électeurs en leurs représentants. La question de l'assiduité aux séances du parlement, par exemple, préoccupe tout autant le public. Nous l'avons dit, les images télévisées d'une séance plénière dans une Chambre aux trois quarts vide peuvent laisser une impression trompeuse, dans la mesure où les élus absents sont peut-être retenus par des affaires légitimes intéressant le Parlement ou leur circonscription. La plupart des parlements réglementent la présence de leurs membres en séance plénière ou de commission dans leur règlement intérieur permanent, qui prévoit généralement l'obligation d'informer le président des raisons d'une absence. Les sanctions prévues en cas d'"absence injustifiée" peuvent comprendre l'une ou l'autre, voire l'ensemble des mesures ci-après:
- publication d'une liste des présents/des absents;
- blâme ou "rappel à l'ordre";
- perte d'une partie de l'indemnité parlementaire;
- suspension temporaire;
- déchéance du mandat parlementaire.
Aux Etats-Unis et aux Philippines, une disposition plus exceptionnelle permet au sergent d'armes de la Chambre d'appréhender le contrevenant et de le ramener par la force à l'Assemblée (source : Marc Van der Hulst : Le mandat parlementaire, UIP, 2000, pp.107-12).
Financement des partis et des campagnes électorales
Toutes les questions liées à la responsabilité parlementaire qui préoccupent les électeurs depuis une dizaine d'années au moins ne sont pas traitées dans les codes de déontologie applicables aux membres du Parlement en tant qu'individus. Le public s'est également inquiété de la façon dont les partis politiques qui sont en concurrence pour la conduite des affaires publiques sont financés. Vu, d'une part, le coût croissant des campagnes électorales (ce que d'aucuns ont appelé "la course aux armements électorale") et, de l'autre, l'insuffisance relative des montants rapportés par les cotisations de leurs membres, les partis politiques ont été contraints de chercher un soutien financier auprès de personnes fortunées et d'institutions ou entreprises prospères. D'où la crainte que les représentants élus ne se sentent collectivement tenus de rendre des comptes aux donateurs influents plutôt qu'à leurs électeurs.
Comme nous l'avons déjà vu, les partis politiques, en quelque piètre estime qu'on les tienne dans la plupart des pays, jouent un rôle capital dans la vie parlementaire et politique. Pour pouvoir influer sur les grandes options nationales, citoyens et parlementaires doivent s'associer à des personnes de sensibilité analogue plutôt que de s'efforcer d'agir seuls. Les partis politiques fournissent l'indispensable "mortier" qui permet de maintenir la cohésion politique du pays. Eux seuls sont en mesure de proposer à leurs électeurs des solutions et des programmes législatifs de rechange ayant quelque chance d'être adoptés, ou à tout le moins d'être critiqués et combattus de façon cohérente. Les électeurs savent bien que s'ils votent pour le candidat proposé par un parti donné, celui-ci appuiera, s'il est élu, l'essentiel du programme politique de ce parti, ainsi que ses dirigeants. Seul cet élément de prévisibilité offert par les partis permet à l'électorat d'influer collectivement sur la composition et le programme du parlement.
Vu leur rôle essentiel, il est dans l'intérêt public que les partis politiques soient financés de façon adéquate et transparente pour pouvoir s'acquitter de leurs tâches en matière de campagnes électorales, d'organisation et d'éducation. Il y a deux décennies à peine, on ne savait quasiment rien du financement des partis politiques; on les considérait comme des associations privées, semblables à toutes les autres, et qui n'avaient de comptes à rendre qu'à elles-mêmes. Ce n'est qu'assez récemment que les préoccupations liées à leur financement sont apparues sur le devant de la scène et que l'on a pris conscience du fait que ce financement avait une incidence majeure sur la concurrence électorale et la responsabilité parlementaire. Nous disposons aujourd'hui de deux volumineuses études comparatives, parfaitement à jour, qui montrent comment se fait le financement des partis politiques dans les différents pays du monde et suggèrent des améliorations aux législations en vigueur. Ces études ont été réalisées, respectivement, par l'International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA) : Handbook, Funding of Political Parties and Electoral Campaigns [Manuel sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales], ed. Reginald Austin et Maja Tjernstrom, Stockholm, 2003, et par le National Democratic Institute for International Affairs (NDI); cette étude de Denise Baer et Shari Bryan, intitulée Money in Politics [L'argent en politique], a été publiée à Washington en 2005; elle porte sur le financement des partis politiques dans 22 pays en développement. Ensemble, elles indiquent les voies à explorer en matière de bonnes pratiques, encore qu'il soit admis que bien des choses dépendent du contexte national particulier.
Les deux études mentionnent trois grands domaines de préoccupation liés au financement des partis politiques:
- insuffisance des ressources. Ce problème est particulièrement aigu dans les pays en développement, où le montant des cotisations est dérisoire et où les candidats doivent souvent financer leur campagne électorale de leur poche. "Quatre personnes interrogées sur cinq disent financer elles-mêmes leur campagne, au risque d'une faillite personnelle… De ce fait, beaucoup entretiennent des relations avec des donateurs privés qui attendent en retour un traitement préférentiel, une fois le candidat élu; pire, certains réformateurs renoncent à se présenter, laissant le champ libre à des candidats qui disposent d'une fortune personnelle." (NDI, p.4)
- inégalité des ressources. Le jeu électoral peut être faussé par l'inégalité des moyens dont disposent les concurrents. Il y a également distorsion quand le parti au pouvoir utilise abusivement les ressources, les locaux et le parrainage du gouvernement pour prendre l'avantage sur les partis de l'opposition. "Seuls les partis au pouvoir sont en mesure d'octroyer contrats et faveurs diverses ou de puiser illicitement dans les coffres de l'état" (IDEA, p.28)
- ressources compromettantes. L'argent versé par des intérêts puissants pour le financement d'une campagne électorale est peut-être donné dans l'attente d'avantages législatifs ou autres, qui risquent de porter atteinte au processus démocratique ou de saper la confiance du public en l'intégrité du gouvernement. Comme l'étude de l'IDEA le dit succinctement : "La question est de savoir s'il faut permettre à l'argent "intéressé" de primer sur l'égalité de droits des électeurs" (p.8)
La liste de préoccupations ci-dessus montre clairement que la question du financement des partis politiques et des campagnes électorales touche à maints aspects de la vie parlementaire démocratique déjà abordés dans le présent ouvrage : l'équité du processus électoral et sa capacité de produire un Parlement politiquement représentatif de l'électorat; la représentativité sociale du parlement, attestée par le fait que certains puisent dans leur fortune personnelle pour se porter candidats; et surtout la mesure dans laquelle le Parlement doit rendre des comptes aux électeurs.
Répondre aux préoccupations des électeurs
Comment est-il répondu à ces préoccupations? Les deux études susmentionnées s'accordent à reconnaître que les stratégies employées varient considérablement selon le contexte national et qu'aucun modèle de bonne pratique n'est universellement applicable. Elles n'en indiquent pas moins, cependant, certaines lignes directrices relatives au financement des partis : mieux vaut opter pour un mélange de stratégies législatives – réglementation, subventions, transparence – que de tout miser sur une stratégie unique; la pluralité des sources de financement doit être encouragée; la loi doit être effectivement appliquée sous le contrôle d'un organisme unique; enfin, aucun système ne sera jamais parfaitement étanche, le flux de l'argent ressemblant à celui de l'eau. "Nul obstacle établi aux fins de contrôle ne peut empêcher les exfiltrations ni l'emploi de siphons" (IDEA, p.13). L'étude du NDI relate par le menu de nombreuses entrevues avec des personnes concernées, qui montrent comment on peut, en pratique, tourner la loi, ce qui ne manque pas de renforcer les doutes exprimés.
Toutefois, le scepticisme exprimé quant à la possibilité d'appliquer un système parfaitement étanche ne doit cependant pas amener à baisser les bras et à renoncer à s'attaquer au problème. Voici ce que l'on peut raisonnablement conclure des différentes stratégies législatives évoquées dans ces études :
Réglementation
L'objet d'une réglementation est de limiter à la fois la demande en ressources exprimée par les partis et les modalités de l'offre, c'est-à-dire la façon dont cet argent leur est versé. Du côté de la demande, deux mesures courantes permettent de limiter la "course au financement électoral" : la limitation des sommes dépensées au titre des campagnes électorales et les restrictions frappant la publicité payante des partis dans les médias, à l'occasion des élections comme dans l'intervalle entre deux élections. Du côté de l'offre de fonds, on peut prohiber les contributions dépassant un certain montant, ou provenant de sources étrangères, ou celles qui émanent d'organisations plutôt que d'individus. Toutes ces restrictions doivent faire l'objet d'un large accord politique; et si l'on ne veut pas qu'elles soient régulièrement contournées au moyen d'une "comptabilité ingénieuse", elles doivent être effectivement appliquées.
Subventions publiques
Le financement public des partis politiques est très impopulaire; il peut être délétère s'il sape l'esprit d'initiative des partis au point qu'ils cessent de rechercher le soutien volontaire de leurs partisans. En revanche, ce financement peut aider à instaurer une certaine égalité entre les partis politiques et à appuyer leur rôle public essentiel. Les subventions en nature sont fréquemment jugées préférables aux subventions en espèces. Elles peuvent prendre des formes diverses : temps d'antenne gratuits dans les médias publics, distribution gratuite de brochures électorales, libre utilisation de locaux publics pour y tenir des réunions, etc. Les subventions en espèces sont parfois indirectes; elles prennent la forme d'exemptions fiscales consenties au partis ou d'allègements fiscaux offerts aux personnes ou sociétés qui leur font des dons. Quant aux subventions directes, celles qui dépassent un certain seuil minimum peuvent être indexées sur le nombre de membres d'un parti donné, ou sur les cotisations qu'il perçoit, et ce pour encourager les partis à rechercher le soutien volontaire de leurs partisans. Les subventions ont également servi à encourager l'application de bonnes pratiques dans d'autres domaines d'activité des partis, comme la sélection de leurs candidats.
Transparence
Dans de nombreux pays, on a tendance à occulter les détails relatifs au financement des partis; ceux-ci ne sont connus que d'un cercle restreint d'initiés. Toutefois, dans ce domaine comme dans tant d'autres, seule la transparence permet de garder la confiance du public. L'application effective des règlements en dépend et aucun financement public n'est admissible sans transparence. La tenue de comptes ouverts implique que les membres d'un parti donné et ceux des partis concurrents peuvent contribuer à une application plus efficace du règlement. Cela illustre bien le principe selon lequel, pour s'acquitter au mieux de ses responsabilités, un parti doit associer une reddition de comptes "horizontale" à un organe spécialisé chargé de veiller à l'application de la loi, à une reddition de comptes "verticale"au grand public.
Pour conclure utilement cet exposé sur le financement des partis, voici quelques exemples tirés de communications des parlements qui couvrent tout l'éventail des stratégies législatives évoquées. à l'occasion de la révision de sa Constitution, en 1961, la Grèce a introduit une disposition expressément consacrée au financement des partis et des élections:
Les partis politiques sont habilités à recevoir une aide financière de l'état, au titre de leurs frais électoraux et de fonctionnement, dans les conditions prescrites par la loi. Une ordonnance précisera les garanties de transparence exigibles en matière de dépenses électorales et, d'une manière générale, en ce qui concerne la gestion des comptes des partis politiques, des membres du parlement, des candidats aux élections et des candidats à une quelconque fonction dans une administration locale. Un décret établira le montant maximal des dépenses électorales, prohibera, le cas échéant, certaines formes de promotion pré-électorale et précisera les circonstances dans lesquelles une violation des dispositions pertinentes de la loi peut entraîner, sur l'initiative de l'instance spéciale décrite dans la section suivante, la déchéance des fonctions parlementaires. L'audit des dépenses électorales des partis politiques et des candidats aux élections au Parlement est confié à un organisme spécial qui compte parmi ses membres des fonctionnaires de haut niveau de l'administration judiciaire, ainsi que prévu par la loi (Article 29. par.2).
Cet article, qui amende la Constitution, ne fait qu'énoncer les principes fondamentaux de la loi applicable dans ce domaine. Pour un compte rendu plus détaillé de la législation telle qu'elle s'applique, voici la description, fournie par le Parlement canadien, d'une loi de 2004:
Jusqu'en 2004, seuls les candidats et les partis politiques étaient tenus de déclarer au Directeur général des élections les sources et les montants des contributions reçues. Cette obligation de notification s'étend désormais à tous les acteurs de la vie politique, dont les candidats, les partis politiques, les associations électorales de district, les candidats aux postes de direction et les candidats à l'investiture. Tous les acteurs de la vie politique sont désormais tenus de déclarer les contributions supérieures à 200$ …La règle applicable aux sources de contributions potentielles a été modifiée. Jusqu'en 2004, ces contributions pouvaient provenir de personnes, de sociétés, de syndicats ou d'autres organisations et leur montant n'était pas limité. Désormais, à certaines exceptions mineures près, seuls les individus, c'est-à-dire des citoyens et des résidents permanents, sont autorisés à faire des contributions financières aux partis dûment inscrits et aux candidats aux postes de direction et à l'investiture. Ces contributions sont désormais limitées à 5000$ par an.
Pour dédommager les partis de la perte de revenus potentielle découlant des changements apportés à la réglementation sur les dons, il est prévu de verser chaque année aux partis dûment inscrits une allocation de 1,75$ par vote exprimé en faveur de ce parti lors des précédentes élections générales (le montant sera ajusté pour tenir compte de l'inflation), à la condition que ce parti ait bénéficié soit de 2% des votes valides à l'échelon national, soit de 5% des voix dans les circonscriptions où il présentait des candidats. Cette règle est conçue de manière à n'avoir pas d'incidence sur le revenu national car l'on estime que des partis politiques financièrement sains contribuent à la viabilité du processus électoral. Les changements apportés constituent également une incitation pour les contribuables, puisque la portion des dons bénéficiant d'un crédit d'impôts de 75% passe de 200$ à 400$.
Tâter le pouls de l'opinion publique
L'une des façons d'étayer au mieux la responsabilité des parlements consiste à prendre régulièrement le pouls de l'opinion publique par le biais de sondages, encore que peu de parlements le fassent de façon systématique. Nous nous fions le plus souvent pour ces évaluations aux conclusions des enquêtes-"baromètre" régionales (Baromètre latino-américain, Baromètre africain, etc.). Celles-ci confirment ce que nous avancions précédemment : comme institutions, les parlements jouissent d'une assez piètre estime dans l'esprit du public, encore que l'on constate sur ce sujet des différences régionales marquées, comme le montre le tableau 5.1. En ce qui concernent les pays de l'Union européenne, pour lesquels on dispose de données chronologiques, celles-ci révèlent un déclin très net de la confiance témoignée par le public au Parlement, entre le milieu des années 80 et la fin des années 90. (Voir, par exemple, Susan J. Pharr et Robert D. Putnam, eds.: Disaffected democracies, Princeton, 2000; Susan Hattis Rolef, Trust in Parliaments - Some Theoretical and Empirical Findings, manuscrit non publié, Knesset, Israël, 2005).
Figure 5.1 : La confiance qu'inspirent les institutions nationales : moyennes régionales
Note : Les moyennes régionales et les chiffres par pays ont été utilement résumés et présentés sous forme de tableau dans le document de l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale, publié en 2005 à Stockholm, en Suède, intitulé : Ten Years of Supporting Democracy Worldwide, pp. 63–64. Les moyennes régionales reproduites ici en sont extraites; elles ont été calculées à partir des "baromètres" régionaux. Par "confiance", on entend une combinaison de "une grande confiance ou une certaine confiance" par opposition à "peu ou pas confiance" et "sans opinion". Par "parti politique", on entend "parti dirigeant".
Les chiffres pour l'Union européenne proviennent de la Commission européenne, Eurobaromètre 61 : L'opinion publique dans l'Union européenne, page 10, à <http://europa.eu.int/comm/public_opinion/archives/eb/eb61/eb61_fr.pdf>
Le choix de l'Eurobaromètre 61, plutôt qu'un baromètre ultérieur, répond au souci de concordance avec les années où les autres régions ont été sondées : les données d'enquête ont été recueillies pour l'Afrique en 2002-2003; pour la nouvelle Europe en 2004-2005; pour l'Asie de l'Est en 2001-2003; pour l'Amérique latine en 2003; et pour l'Union européenne, au printemps 2004. Ces chiffres correspondent aux réponses "a tendance à avoir confiance" formulées à partir d'un choix entre "a tendance à avoir confiance", "a tendance à ne pas avoir confiance"et "sans opinion".
Pays et régions couverts :
Afrique (15) : Mali, République-Unie de Tanzanie, Malawi, Mozambique, Lesotho, Botswana, Ghana, Ouganda, Namibie, Kenya, Zambie, Sénégal, Afrique du Sud, Cap-Vert, Nigéria
Nouvelle Europe (11) : Estonie, Hongrie, Lituanie, Roumanie, Pologne, Lettonie, Slovaquie, Slovénie, République tchèque, Bulgarie, Fédération de Russie
Asie de l'Est (8) : Chine, Thaïlande, Mongolie, Philippines, République de Corée, Japon, Hong Kong, Taiwan
Amérique latine (17) : Brésil, Uruguay, Chili, Colombie, Costa Rica, Venezuela, Honduras, Panama, Mexique, Salvador, Paraguay, Argentine, Pérou, Nicaragua, Bolivie, Equateur, Guatemala
Union européenne (15) : Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Suède et Royaume-Uni. Ces chiffres ne couvrent pas les pays de l'Union européenne élargie, qui sont devenus membres le 1er mai 2004.
Tous les chiffres de ce tableau doivent être interprétés avec prudence, et ce pour un certain nombre de raisons. Tout d'abord, ils occultent les différences considérables qui séparent les pays d'une même région, comme le révèle une ventilation plus détaillée de ces chiffres. Ensuite, de nombreux enquêtés, surtout parmi les personnes moins éduquées ou moins au fait des réalités politiques, ont du mal à distinguer entre les différentes institutions de l'état, ou entre les antécédents de tels leaders politiques particuliers et les postes qu'ils occupent provisoirement. En troisième lieu, les sondages montrent que les citoyens considèrent généralement leur représentant local d'un œil plus favorable que l'institution parlementaire dans son ensemble, ce qui montre bien que le contexte local et les contacts personnels sont des éléments importants et prisés du système de représentation.
On ne saurait toutefois accueillir ces conclusions avec détachement ou passivité. Il n'est pas sain pour la démocratie que son institution représentative principale soit, toutes proportions gardées, comparativement tenue en si piètre estime. Certains désaccords opposent toutefois les spécialistes des sciences politiques dès lors qu'ils s'efforcent d'interpréter le sens exact de ces conclusions. Dans le document préparé à l'intention du groupe de travail de l'UIP (dont elle est membre), Marta Lagos, du Baromètre latino-américain, fait observer que la confiance témoignée au Parlement doit être envisagée dans le contexte plus général de la confiance témoignée aux institutions publiques. Dans le cas de l'Amérique latine, la "confiance" découle ordinairement d'une relation personnelle étroite; ce n'est pas une notion que l'on associe aux échanges sociaux élargis ou aux actions d'institutions politiques impersonnelles, dont l'issue n'offre pas le même degré de prévisibilité. "La société s'organise elle-même, non par interaction ouverte avec des tiers, mais plutôt en groupes fermés de personnes accessibles …. Dans la société latino-américaine, la confiance règne au sein des réseaux qui constituent la société, pas entre ces réseaux." Partant de cette analyse, le Parlement lui-même présente les caractéristiques d'un autre réseau fermé, dont les activités ne sont pas considérées comme concernant l'ensemble de la société. "Il faut maintenant que les lois promulguées par le Parlement commencent par se révéler bénéfiques pour l'ensemble de la société, et que lois et règlements s'appliquent également à tous, avant que le Parlement ne devienne aux yeux de la majorité de la population une institution pleinement légitime." L'une des gageures auxquelles la démocratie se trouve confrontée consiste donc à trouver le moyen de renverser les barrières de méfiance qui séparent les différents réseaux sociaux, notamment celle que constitue le Parlement lui-même.
Tous les analystes n'attachent pas la même importance à cette méfiance sociale généralisée lorsqu'ils s'efforcent d'expliquer le peu de confiance accordé au Parlement, au moins dans les autres régions. Richard Rose d'Eurobaromètre, par exemple, soutient que dans le cas des anciens pays communistes d'Europe orientale, l'explication tient surtout à l'appréciation que le public porte sur les réalisation du Parlement et sur le comportement des parlementaires eux-mêmes (voir, par exemple, William Mishler et Richard Rose, What are the political consequences of trust? Centre for the Study of Public Policy, University of Aberdeen. Dans le cas des démocraties bien établies, rien ne permet d'établir un lien entre la baisse de confiance sociale et le déclin marqué de la réputation des parlements. Il semble qu'il faille plutôt chercher la réponse du côté des changements sociaux qui ont affecté les plus avancés des pays industrialisés. Les structures sociales étant désormais plus fragmentées, il devient de plus en plus difficile de légiférer sans heurter l'une ou l'autre des minorités véhémentes et la base sociale des partis traditionnels s'en trouve érodée. On témoigne nettement moins de déférence aux autorités, dont on souligne plus largement les défaillances. En même temps, du fait de la mondialisation, certaines des forces qui affectent le bien-être des citoyens se trouvent désormais placées hors de portée des institutions politiques nationales. Ensemble, tous ces facteurs ont contribué au déclin de la confiance du public évoqué ci-dessus.
Les parlements peuvent influencer l'opinion publique
Quelles que soient les différences constatées entre les différentes régions du monde, une conclusion semble applicable à toutes : certains au moins des facteurs qui influent sur le degré de confiance du public en son Parlement peuvent être attribués à des processus sociaux plus vastes sur lesquels le Parlement n'a pas prise. Il peut toutefois faire beaucoup pour améliorer son image. Nombre des changements et innovations décrits aux chapitres précédents – et qui visent à rendre les parlements plus représentatifs, plus transparents et plus accessibles – ont été introduits en réponse au manque de confiance préoccupant du public, et parfois en réaction à des critiques exprimées à l'occasion de sondages d'opinion. Il semble aussi que les réformes introduites dans certains parlements sont de nature à améliorer leur image publique et la considération dont ils jouissent. Ainsi, le Parlement suédois a récemment fait état d'une modeste progression du soutien public; il note que par suite des mesures qu'il a prises depuis dix ans pour faire preuve de plus d'ouverture et de transparence, "davantage de citoyens ont aujourd'hui le sentiment qu'il est facile de prendre contact avec le parlement, et beaucoup souhaitent en savoir plus sur le Riksdag". Le Parlement turc rapporte que par suite des efforts déployés pour se montrer plus ouvert et accessible, "sa cote de crédibilité parmi les institutions publiques a grimpé et qu'il est ainsi passé de la 10e à la 4e place."
Ces exemples laissent entendre qu'il est possible d'améliorer la confiance du pays en son parlement, comme institution. Ils montrent aussi que les parlements ont tout intérêt à procéder systématiquement à des sondages pour savoir ce que pense d'eux leur électorat; ils ont également intérêt à évaluer l'impact sur le public des mesures démocratiques qu'ils ont déjà prises pour mieux rendre compte de leur action.
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