IPU Logo-top>>> ENGLISH VERSION  
 IPU Logo-middleUnion interparlementaire  
IPU Logo-bottomChemin du Pommier 5, C.P. 330, CH-1218 Le Grand-Saconnex/Genève, Suisse  

COMBODGE
CAS N° CMBD/47 - MU SOCHUA

Résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur
à sa 186ème session (Bangkok, 1er avril 2010)

Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,

se référant au cas de Mme Mu Sochua, membre de l'Assemblée nationale du Cambodge, exposé dans le rapport du Comité des droits de l'homme des parlementaires (CL/186/12b)‑R.1), et à la résolution qu'il a adoptée à sa 185ème session (octobre 2009),

notant qu'à la session qu'il a tenue pendant la 122ème Assemblée, le Comité s'est entretenu avec le chef de la délégation cambodgienne, 

rappelant ce qui suit :

  • l'immunité de Mme Mu Sochua a été levée le 22 juin 2009 pour les besoins d'un procès en diffamation que lui intentait le Premier Ministre Hun Sen; celui-ci avait auparavant demandé à l'Assemblée de lever l'immunité de Mme Mu Sochua et déclaré que ce serait "simple comme bonjour"; la procédure s'est déroulée comme suit : des mesures d'exception ont été appliquées afin d'empêcher le public, le corps diplomatique, la société civile et les médias d'assister à la séance; le système de sonorisation qui permet de retransmettre les séances à la télévision avait été débranché, contrairement à l'ordinaire; le Président de l'Assemblée nationale n'a pas laissé à Mme Mu Sochua le temps de se défendre, bien qu'elle ait demandé la parole, et il a fait procéder au vote sans débat préalable; en outre, des agents de la police militaire lourdement armés auraient été en faction à l'extérieur du Parlement; les autorités parlementaires affirment que la procédure suivie était conforme au règlement intérieur, y compris la tenue de la séance à huis clos, qui correspondait à la demande du nombre de parlementaires nécessaire;

  • le Premier Ministre a porté plainte contre Mme Mu Sochua le lendemain du jour où elle a elle‑même annoncé dans une conférence de presse, le 23 avril 2009, qu'elle allait le poursuivre pour diffamation suite à des propos injurieux qu'il avait tenus à son égard dans sa propre circonscription, la qualifiant notamment de truande et de prostituée; le Premier Ministre a également engagé des poursuites contre l'avocat de Mme Mu Sochua qui, après avoir été accusé par le Barreau cambodgien d'infraction au code de déontologie, a présenté des excuses au Premier Ministre, a renoncé à assurer la défense de Mme Mu Sochua, a rejoint les rangs du parti de la majorité et a vu abandonner les charges retenues contre lui; le 10 juin 2009, le tribunal de Phnom Penh a rejeté la plainte de Mme Mu Sochua contre le Premier Ministre, faute de preuves, décision qui a été confirmée en appel;

  • le 4 août 2009, le tribunal de Phnom Penh a statué que Mme Mu Sochua s'était rendue coupable de diffamation envers le Premier Ministre, au sens de l'article 63 des Dispositions provisoires (loi APRONUC), pour avoir : i) organisé une conférence de presse pour annoncer qu'elle allait intenter un procès en diffamation au Premier Ministre; ii) informé de l'affaire l'UIP et le Fonds mondial pour les femmes; iii) affirmé que les propos du Premier Ministre à son égard "visaient toutes les Cambodgiennes et les femmes du monde entier", ce qui montrait qu'elle avait agi de mauvaise foi dans l'intention de diffamer le Premier Ministre, de salir sa réputation et de porter atteinte à sa dignité à travers le monde;

  • les autorités parlementaires ont affirmé que le procès avait été régulier et équitable, estimant que les preuves produites durant le procès, à savoir la conférence de presse et les lettres de l'intéressée au Fonds mondial pour les femmes et à l'UIP, n'avaient pas été contestées et que Mme Mu Sochua n'avait pas présenté de témoins; que la Cour avait fait son devoir de rechercher la manifestation de la vérité et que la supposée menace de suspension visant l'avocat de Mme Mu Sochua n'était pas liée au choix qu'elle avait fait de lui comme conseil, mais venait de ce qu'il avait enfreint le code de déontologie; qu'il s'était excusé pour ses infractions et que, s'il s'était retiré, c'était de son propre chef et que cette décision ne pouvait être considérée comme un déni du droit de Mme Mu Sochua de se faire assister de l'avocat de son choix; de l'avis des autorités parlementaires, la Cour avait respecté les normes d'un procès équitable, examiné toutes les preuves produites et qualifié le délit, à savoir une allégation de mauvaise foi qui portait atteinte à l'honneur et à la réputation du Premier Ministre; dans leur réponse au rapport de l'observateur au procès mandaté par l'UIP, les autorités parlementaires ont indiqué que "la Cour n'avait fait que remplir ses responsabilités judiciaires dans le cadre d'un différend opposant deux individus, en appliquant les lois en vigueur dans le Royaume",
considérant qu'en octobre 2009, la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance etque Mme Mu Sochua a introduit un recours devant la Cour suprême, qui n'a pas encore été jugé,

rappelant que, suite au verdict de culpabilité rendu dans l'affaire de Mme Mu Sochua, le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) au Cambodge a publié le 5 août 2009 une déclaration dans laquelle il soulignait la nécessité de défendre le droit constitutionnel à la liberté d'expression au Cambodge et faisait observer qu'en droit international, la liberté d'expression ne doit être restreinte que dans des cas exceptionnels, où ces restrictions sont manifestement nécessaires et proportionnelles à ce qu'elles cherchent à protéger, et qu'il a exhorté la justice cambodgienne à tenir pleinement compte des normes constitutionnelles et internationales lors de l'examen d'affaires de diffamation; le Haut-Commissariat a également rappelé qu'en juillet 2007, la Cour constitutionnelle avait ordonné à tous les tribunaux cambodgiens de tenir compte des normes internationales relatives aux droits de l'homme énoncées dans les traités auxquels le Cambodge est partie, lorsqu'ils avaient à connaître de tels cas,

considérant que le chef de la délégation cambodgienne a fait part des informations et observations suivantes : aucun soldat ou policier n'était à l'Assemblée nationale lors de la levée de l'immunité parlementaire de Mme Mu Sochua; son affaire est en instance et il faut attendre la fin du procès; elle aurait pu payer l'amende comme des collègues le lui conseillaient et l'affaire aurait été close; cependant, elle a choisi de faire appel devant la Cour suprême; elle est responsable de cette situation puisqu'elle a porté plainte contre le Premier Ministre en l'accusant d'un acte qu'il n'avait pas commis; le Premier Ministre a contre-attaqué et la Cour a estimé que les affirmations de Mme Mu Sochua n'étaient étayées par aucune preuve; en revanche, il y avait des preuves pour étayer l'accusation de diffamation portée par le Premier Ministre, à savoir la conférence de presse qu'elle avait tenue et la publication des lettres qu'elle avait écrites à l'UIP et à une autre organisation, non pas les lettres en soi mais seulement leur publication,

sachant enfin que, dans son rapport, le Rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'homme au Cambodge (A/HRC/12/40/Corr.1), faisant allusion entre autres à la série de poursuites pour diffamation ou désinformation engagées par le Gouvernement ou en son nom contre des membres de l'opposition ou d'autres détracteurs, et mentionnant en particulier le cas de Mme Mu Sochua, a exprimé la crainte que cette tendance "si on la laiss[ait] se poursuivre, risqu[ait] de porter gravement atteinte à l'exercice du droit constitutionnel à la liberté d'expression, qui est essentiel à la liberté effective de la presse, au pluralisme, à la diversité et au débat démocratique" et notant que, dans sa réponse (A/HRC/12/G/11) à la déclaration faite par le Rapporteur spécial durant l'examen du cas du Cambodge lors de l'Examen périodique universel, selon laquelle "certains des droits politiques fondamentaux tels que la liberté d'expression et de réunion pacifique avaient reculé au Cambodge", l'Ambassadeur et Représentant permanent du Royaume du Cambodge a déclaré qu'au contraire, les citoyens cambodgiens jouissaient largement de ce droit qui, en vertu de l'article 19 (paragraphe 3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, s'accompagne d'obligations et de responsabilités particulières telles que l'obligation de respecter les droits et la réputation d'autrui et que "comme tout autre pays démocratique, le Cambodge ne peut autoriser la multiplication de propos délibérément diffamatoires ou de désinformations destinés à semer le désordre social, qui nuit au bien‑être de la société tout entière et à la dignité de tous les citoyens",

  1. remercie le chef de la délégation cambodgienne des informations et des observations dont il a fait part au Comité; considère cependant que ses arguments ne sont pas de nature à lui faire modifier sa position sur ce cas;

  2. fait observer que les obligations et responsabilités énoncées à l'article 19, paragraphe 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques incombent à tout un chacun, y compris au Premier Ministre qui doit aussi respecter la réputation d'autrui, et réaffirme qu'en lui intentant un procès en diffamation, en organisant une conférence de presse pour l'annoncer et en alertant l'UIP et le Fonds mondial pour les femmes, Mme Mu Sochua n'a fait qu'exercer son droit de défendre sa réputation, garanti par l'article 19, paragraphe 3, dudit Pacte;

  3. relève qu'il est difficile, sinon impossible, d'admettre qu'il s'agissait d'un différend opposant deux individus égaux, ne serait-ce que parce que le Premier Ministre a demandé à l'Assemblée nationale de lever l'immunité de Mme Mu Sochua, en déclarant que ce serait facile et en ajoutant qu'elle risquait même de perdre son siège au Parlement; craint que de telles déclarations de la part d'un chef du Gouvernement ne compromettent sérieusement non seulement l'indépendance du Parlement et de ses membres, mais aussi celle de la justice et ne nuisent à la liberté d'expression en général;

  4. demeure vivement préoccupé de ce que : a) il ne semble pas que les tribunaux se soient jamais sérieusement penchés sur la question de savoir si la déclaration du Premier Ministre visant Mme Mu Sochua était diffamatoire; ils ont au contraire rapidement rejeté la plainte de Mme Mu Sochua et traité celle du Premier Ministre; b) les tribunaux n'ont pas examiné ni avancé le moindre argument pour étayer leur avis selon lequel Mme Mu Sochua avait agi de mauvaise foi en organisant une conférence de presse et en écrivant à l'UIP et au Fonds mondial pour les femmes, ni pour expliquer comment ces actes avaient pu entacher la réputation du Premier Ministre; et c) ils n'ont pas examiné les preuves en faveur de Mme Mu Sochua en même temps que les preuves à charge, comme ils auraient dû le faire;

  5. ne peut admettre en aucun cas qu'une lettre adressée à l'UIP, publiée ou non, ait été utilisée contre Mme Mu Sochua, en particulier dans la mesure où l'UIP a mis en place une procédure destinée à examiner de telles communications et fait remarquer qu'en dernière analyse une telle utilisation pourrait rendre caduc le droit de toute personne à rechercher l'assistance d'organisations internationales en matière de droits de l'homme; exhorte une fois encore l'Assemblée nationale cambodgienne, en sa qualité de Membre de l'UIP, et en particulier les autorités parlementaires, à défendre ce droit de toutes leurs forces;

  6. demeure vivement préoccupé par la manière dont l'Assemblée nationale a levé l'immunité parlementaire de Mme Mu Sochua et souligne une fois de plus ce qui suit : s'il se peut que l'Assemblée nationale se soit conformée à la procédure, elle n'a pas tenu compte de l'objet de l'immunité parlementaire, qui est de protéger l'indépendance du Parlement en préservant ses membres de procès infondés, ce qui suppose comme préalable, comme l'UIP l'a toujours recommandé, un examen scrupuleux par le Parlement de la demande de levée de l'immunité, un débat ouvert au Parlement au cours duquel l'intéressé(e) puisse se défendre et un vote secret qui garantisse aux parlementaires la possibilité de voter selon leur conscience et non selon les recommandations de leur parti; il semble qu'en l'espèce, ces règles élémentaires n'ont pas été respectées; souhaite savoir en particulier pourquoi l'Assemblée a décidé de siéger à huis clos, pourquoi elle n'a pas autorisé Mme Mu Sochua à se défendre, pourquoi il n'y a pas eu de débat sur la question et pourquoi elle n'a pas décidé de procéder à un scrutin secret;

  7. continue à espérer que, conformément à la directive de la Cour constitutionnelle du Cambodge, la Cour suprême statuera sur le cas de Mme Mu Sochua conformément aux obligations internationales contractées par le Cambodge en matière de droits de l'homme et garantira par conséquent le respect des valeurs fondamentales de la démocratie, notamment de la liberté d'expression; charge le Secrétaire général de veiller à ce qu'un observateur international assiste à l'audience devant la Cour suprême;

  8. charge le Secrétaire général de communiquer la présente résolution aux autorités, à Mme Mu Sochua et au bureau du HCDH au Cambodge;

  9. charge le Comité de poursuivre l'examen de ce cas et de lui faire rapport à sa prochaine session, qui se tiendra durant la 123ème Assemblée de l'UIP (octobre 2010) et à laquelle il espère qu'un règlement satisfaisant lui permettra de clore ce cas.
Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 122ème Assemblée de l'UIP et réunions connexes" au format PDF (taille du fichier environ 716 Ko). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

PAGE D'ACCUEILred cubeDROITS DE L'HOMMEred cubeDOMAINES D'ACTIVITESred cubeSTRUCTURE ET DOCUMENTS