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BAHREIN
CAS N° BAH/03 - MATAR EBRAHIM MATAR
CAS N° BAH/05 - JAWAD FAIRUZ GHULOOM

Résolution adoptée par consensus par le Conseil directeur *
à sa 193ème session (Genève, 9 octobre 2013)

Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,

se référant à l’exposé du cas de MM. Matar Ebrahim Matar et Jawad Fairooz Ghuloom et à la résolution qu’il a adoptée à sa 191ème session (octobre 2012),

ayant examiné les lettres du Président du Conseil des représentants en date des 25 septembre, 18 mars et 9 janvier 2013, ainsi que les abondantes informations fournies par la délégation de Bahreïn, conduite par M. Jamal Fakhro, Premier Vice-Président du Conseil consultatif, lors d’auditions tenues en janvier 2013 et durant les 128ème et 129ème Assemblées de l’UIP (Quito, mars 2013 et Genève, octobre 2013),

rappelant que MM. Matar et Fairooz, tous deux membres du parti Al-Wefaq, ont été élus en 2010 et ont soutenu les revendications de réformes politiques et sociales à Bahreïn, qu’avec les 16 autres parlementaires d’Al-Wefaq, ils ont présenté leur démission le 27 février 2011 pour protester contre la répression des manifestations qui avaient commencé dans la capitale le 14 février 2011, et que leur démission a été acceptée par le Conseil des représentants le 29 mars 2011,

notant avec une profonde préoccupation les faits suivants allégués par la source : les intéressés ont été arrêtés arbitrairement le 2 mai 2011 par les forces de sécurité, emmenés dans des centres de détention différents où ils ont subi des mauvais traitements et ont été empêchés d’entrer en contact avec leur famille et leurs avocats; le 29 mai 2011, M. Fairooz n’aurait été autorisé à s'entretenir par téléphone avec sa famille que pendant cinq minutes, mais il lui avait été interdit de leur indiquer son lieu de détention; leurs proches n’auraient su ce qu’il était advenu d’eux que lorsque leur procès s’est ouvert le 12 juin 2011 devant la Cour de sûreté nationale et c'est aussi à cette date qu’ils auraient eu pour la première fois accès à un avocat; les prévenus auraient appris à l’audience qu’ils étaient accusés d’avoir diffusé de fausses informations, d’avoir incité à la haine contre les autorités et d’avoir organisé et participé à des rassemblements sans en avoir au préalable avisé les autorités, rassemblements ayant pour but de préparer ou faciliter des actes délictueux ou de porter atteinte à la sécurité publique; ils ont nié les faits qui leur étaient reprochés et ont été libérés le 7 août 2011; M. Matar a par la suite été acquitté, le 20 février 2012; M. Fairooz restait inculpé des deux derniers chefs; le 7 novembre 2012, il a été condamné pour ces motifs à une peine d'emprisonnement de 15 mois, ou, à titre de peine de substitution, au paiement d'une amende de 300 dinars de Bahreïn; M. Fairooz a fait appel et, le 15 janvier 2013, la Haute Cour a confirmé la sentence lors d’une audience expéditive,

considérant que le Président du Conseil des représentants a contesté dans sa lettre du 18 mars 2013 que les arrestations étaient arbitraires et a affirmé que les familles de MM. Matar et Fairooz leur rendaient régulièrement visite, comme en attestaient les registres du centre de détention,

rappelant qu’une commission indépendante, la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn, chargée par le Roi de Bahreïn d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises dans le pays pendant et après les manifestations de 2011, a remis son rapport officiel le 23 novembre 2011, dans lequel elle indique ce qui suit :

  • "le texte et l’application des articles 165, 168, 169, 179 et 180 du Code pénal de Bahreïn font problème car ils ne sont conformes ni au droit international relatif aux droits de l’homme ni à la Constitution de Bahreïn"; "le Gouvernement de Bahreïn s’est servi de ces articles pour punir les citoyens de l’opposition et décourager l’opposition politique";

  • "les forces de l’ordre ont procédé à de nombreuses arrestations sans produire de mandat et sans informer les intéressés des raisons de leur arrestation";

  • "dans bien des cas, les forces de sécurité de l’Etat ont fait un usage excessif et injustifié de la force, visant à inspirer la terreur"; "de nombreux détenus ont subi des tortures et d’autres formes de violence physique et psychologique, reflet du comportement coutumier de certains services officiels"; "la fréquence des mauvais traitements physiques et psychologiques témoigne d’une pratique délibérée"; "les mauvais traitements infligés aux détenus correspondent à la définition que donne de la torture la Convention des Nations Unies contre la torture, à laquelle Bahreïn est partie"; "le fait que les fonctionnaires des services de sécurité bahreïniens ne soient pas tenus de rendre des comptes a engendré une culture de l’impunité, qui fait que les agents affectés à la sécurité sont peu enclins à éviter de brutaliser les prisonniers ou à intervenir pour empêcher d’autres agents de les maltraiter",
ayant examiné les lettres circonstanciées de cinq pages datées du 27 septembre 2011, dont le Comité a reçu copie, dans lesquelles MM. Matar et Fairooz se sont plaints de leur arrestation et de leur détention arbitraires et des mauvais traitements qu’ils ont subis auprès du Roi de Bahreïn, du Président du Conseil suprême de la magistrature, du Commandant en chef des forces de défense de Bahreïn, du Ministre du développement social et des droits de l’homme, du Ministre de l’intérieur, du Ministre de la justice, du Procureur général, du Chef de la justice militaire, du Président et des membres de la Commission d’enquête indépendante et de la Fondation nationale pour les droits de l’homme,

notant que, dans sa lettre datée du 18 mars 2013, le Président du Conseil des représentants a indiqué ce qui suit : l’instruction des plaintes a été confiée à un procureur militaire parce que les faits allégués auraient été commis par des individus appartenant aux forces de la défense; le 23 octobre 2011, le procureur a entendu M  Fairooz et a noté qu’il ne pouvait reconnaître aucune des personnes qui l’auraient maltraité; que sa femme qu’il avait citée comme témoin a déclaré sous serment que son mari avait été arrêté avec des égards mais qu’elle ne savait pas quelle autorité avait procédé à l’arrestation; M. Matar a été entendu le même jour par le Procureur militaire; témoignant à sa demande, sa femme a déclaré sous serment que son mari avait été appréhendé après avoir été arrêté par un groupe de civils, mais qu’il s’était échappé et avait été rapidement rejoint et arrêté; elle avait reçu par la suite un appel téléphonique de lui et, lorsque le Procureur militaire lui a demandé si elle avait vu quelqu’un battre ou insulter son mari, elle a répondu par la négative; le Procureur militaire a interrogé individuellement tous les membres des forces de sécurité qui ont tous nié avoir pris part aux mauvais traitements tant de M. Fairooz que de M. Matar,

notant également que, selon les informations communiquées par le Président du Conseil des représentants dans cette même lettre, le Procureur militaire a décidé de ne pas donner de suite judiciaire aux plaintes de mauvais traitements, car il semblait prouvé que les faits n’étaient pas avérés, compte tenu notamment des déclarations des épouses des anciens parlementaires et du fait que les plaignants n’avaient apporté aucune preuve susceptible d’étayer leurs dires; que ni M. Fairooz ni M. Matar n’avaient fait appel de la décision du Procureur militaire de classer l’affaire; que, bien entendu, le dossier pourrait être rouvert si de nouveaux éléments apparaissaient, conformément à l’article 163 du Code de procédure pénale;

ayant à l’esprit à ce propos l’affirmation de M. Fairooz selon laquelle il n’aurait jamais été informé de la décision prise par le Procureur militaire de classer l’affaire, ni des résultats de l’enquête,

considérant qu’il ressort du jugement que les charges retenues contre M. Fairooz semblent reposer sur ses propres déclarations : il admet avoir organisé des manifestations pacifiques et avoir pris la parole à ces occasions (discours enregistrés) et d’avoir eu des entretiens avec des représentants de médias internationaux, des Nations Unies et au Parlement européen; que certains manifestants ont appelé au renversement du régime actuel et ont commis des actes de violence, mais que, bien qu’il ait pris la parole deux fois devant les manifestants au rond-point de la Perle, lui-même n’a pas recouru à la violence et n’en a pas non plus prôné l’emploi, même s’il est monté à la tribune alors qu’une affiche derrière lui prônait la chute du régime, ce que lui a reproché le Procureur militaire qui a laissé entendre que M. Fairooz aurait dû refuser de prendre la parole tant que l’affiche n’avait pas été enlevée,

sachant que les rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association et sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression ont bien précisé que le fait de ne pas demander d’autorisation pour une manifestation ne devait pas être considéré comme un délit de la part des organisateurs et que ceux-ci ne devaient pas être tenus responsables des actes de violence commis par d’autres,

ayant dûment noté les assurances données par le Président du Conseil des représentants et la délégation bahreïnienne concernant les importantes réformes législatives et institutionnelles entreprises par les autorités pour donner suite au rapport de la Commission d’enquête indépendante, qui consistent par exemple à modifier les articles pertinents du Code pénal de manière à renforcer la liberté d’expression, à créer un poste de médiateur au Ministère de l’intérieur et une équipe spéciale d’enquête au sein du Parquet, et à mettre en place un cadre juridique permettant d’assurer le dédommagement des victimes d’abus; considérant aussi qu’il est indiqué dans la lettre du Président, datée du 9 janvier 2013, que, jusqu’ici, trois agents de police et de sécurité ont été condamnés à des peines de sept ans d’emprisonnement pour avoir maltraité des manifestants, et que 12 autres agents des forces de l’ordre sont actuellement poursuivis devant les tribunaux,

ayant à l’esprit les informations suivantes : le 6 novembre 2012, M. Fairooz, en voyage au Royaume-Uni, a été déchu de sa nationalité, avec trente autres personnes, par décision administrative prise en application de la Loi relative à la nationalité, qui autorise à déchoir de sa nationalité tout ressortissant bahreïnien qui porte atteinte à la sécurité de l’Etat; M. Fairooz, qui dit avoir toujours tenu à exprimer ses vues de manière pacifique, rejeté la violence et favorisé les réformes politiques pour mettre en place une vraie monarchie constitutionnelle, est donc apatride à présent; si, initialement, neuf des 31 personnes visées avaient décidé de contester cette décision, seule l’une d’entre elles a porté l’affaire devant la justice en juin 2013,

soulignant que la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité; que la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, à laquelle Bahreïn n’est pas partie, consacre le principe fondamental selon lequel nul ne peut être privé de sa nationalité si cette privation doit le rendre apatride; que, pour ce qui est des exceptions à ce principe, la Convention de 1961 dispose qu’un Etat ne peut priver un individu de sa nationalité que s’il le fait conformément à la loi, qui doit comporter toutes les garanties procédurales, notamment le droit de faire valoir tous ses moyens de défense,

sachant que, le 28 juillet 2013, le Conseil des représentants a adopté des recommandations visant à donner aux autorités le pouvoir de déchoir de sa nationalité quiconque aura été reconnu coupable d’avoir commis un acte de terrorisme ou d’y avoir incité, et à interdire toutes les manifestations dans la capitale Manama, et que le Roi de Bahreïn aurait ordonné la mise en œuvre rapide de ces mesures,

sachant aussi que la Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, prononçant le 9 septembre 2013 son allocution d’ouverture devant la 24ème session du Conseil des droits de l’homme, déclare que : "La situation des droits de l’homme à Bahreïn demeure un grave sujet de préoccupation : la polarisation profonde de la société et la répression féroce que subissent les défenseurs des droits de l’homme et les manifestants pacifiques continuent de faire obstacle à la recherche d’une solution durable. Je réitère mon appel à l’Etat de Bahreïn pour qu’il tienne l’intégralité de ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme et respecte notamment les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Il est regrettable que la visite prévue du Rapporteur spécial sur la torture ait été annulée. Quant aux recommandations importantes de la Commission d'enquête indépendante, elles n’ont toujours pas été appliquées. Je tiens aussi à dire combien je suis déçue de constater que la coopération avec le gouvernement de Bahreïn, qui avait commencé sous les meilleurs auspices avec le déploiement d’une équipe du Haut-Commissariat en décembre 2012, n’est pas allée plus loin et qu’une mission de suivi du Haut-Commissariat a été reportée depuis.",

considérant que, dans son rapport du 24 avril 2013 (A/HRC/23/39), le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d’association mentionne décrit en ces termes la situation à Bahreïn : "Les réunions pacifiques ont été interdites ou réprimées parce que le message qu’elles font passer ne plaît pas aux autorités." et que le Rapporteur spécial "est particulièrement troublé par les interdictions générales imposées dans de nombreux Etats tels que […]  Bahreïn, en général dans l’intérêt de la sûreté nationale, de la sécurité publique ou de l’ordre public. Il croit fermement que ces interdictions générales sont intrinsèquement disproportionnées et discriminatoires dans la mesure où elles touchent tous les citoyens qui souhaitent exercer leur droit à la liberté de réunion pacifique.",

notant que la délégation bahreïnienne a déclaré, lors de l’audition tenue pendant la 129ème Assemblée de l’UIP, que le pays faisait des progrès réguliers, notamment dans la mise en œuvre progressive des recommandations de la Commission d’enquête indépendante, et a offert de mettre à disposition les rapports trimestriels exposant les mesures prises par les autorités dans ce but,

notant avec regret que le Président du Conseil des représentants, dans sa lettre du 25 septembre 2013, indique, en réponse à la proposition d’une visite à Bahreïn, qu’il n’y a rien de plus à ajouter étant donné que les autorités parlementaires ont déjà fourni au Comité toutes les informations nécessaires; considérant que la délégation bahreïnienne, lors de l’audition susmentionnée, a déclaré que les autorités restaient résolues à répondre à toute nouvelle demande d’information,

  1. remercie le Président du Conseil des représentants et les membres de la délégation de Bahreïn de leur coopération et des informations qu’ils ont communiquées;

  2. apprécie qu’ils soient prêts à fournir d’autres informations pour répondre aux questions encore en suspens en l’espèce;

  3. demeure préoccupé cependant par l’absence d’éléments prouvant que les autorités ont effectivement enquêté sur les allégations détaillées relatives aux mauvais traitements que MM. Fairooz et Matar ont subis en détention, d’autant que la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn a reçu de nombreuses plaintes faisant état de traitements très similaires infligés par les services de police, et a adopté des conclusions sans équivoque sur l’emploi de la torture et d’autres formes de sévices physiques et psychiques contre des détenus, pendant et après les manifestations, et sur le fait que les forces de l’ordre n’ont pas eu à répondre de ces actes;

  4. est vivement préoccupé de ce que les victimes présumées ne semblent pas avoir été tenues informées des mesures prises dans l’enquête sur les allégations de mauvais traitements, ni de la décision de classer l’affaire; demande à recevoir d’urgence copie de cette décision, des communications informant M. Fairooz et M. Matar du classement de l’affaire et du rapport d’enquête exposant concrètement les mesures prises par les autorités pour faire la lumière sur les allégations, et du registre des visiteurs ayant rencontré les détenus, en particulier pendant le premiers mois, la question des visites faisant l’objet d’informations contradictoires versées au dossier;

  5. ne comprend pas, à partir des textes traduits des jugements rendus en première instance et en appel contre M. Fairooz, comment et au vu de quelles normes internationales des droits de l’homme ses actes peuvent être perçus comme criminels; rappelle à cet égard les observations faites par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la liberté de réunion et ses commentaires spécifiques sur la situation à Bahreïn; accepte donc l’offre faite par la délégation bahreïnenne de lui fournir des éclaircissements à ce propos;

  6. note avec une vive préoccupation que, près d’un an après avoir été déchu de sa nationalité, M. Fairooz ne sait toujours pas pourquoi cette décision a été prise; souligne qu’en droit international, la déchéance de la nationalité est une mesure extrêmement grave, d’autant plus qu’elle fait de la personne visée un apatride, et que cette décision ne peut donc être prise que dans le plein respect de toutes les garanties d’un procès équitable, ce qui suppose notamment que l’intéressé soit entendu; est sensible aux assurances des autorités quant au droit de M. Fairooz de contester la déchéance de sa nationalité devant les tribunaux de Bahreïn; considère cependant que cela ne devrait pas exempter les autorités compétentes de l’informer d’abord des raisons de leur décision, ne serait-ce que pour lui permettre de préparer sa défense;

  7. réaffirme que, vu l’importance et la complexité des questions que soulève ce cas, une mission in situ contribuerait à le faire mieux comprendre et en faciliterait le règlement; prie donc instamment le Président du Conseil des représentants de bien vouloir reconsidérer la question de la mission;

    8.       prie le Secrétaire général de porter la présente résolution à l’attention des autorités parlementaires et de la source;

  8. prie le Comité de poursuivre l’examen de ce cas.

* La délégation de Bahreïn a émis des réserves sur cette résolution.
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