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ISLANDE
CAS N° IS/01 - BIRGITTA JÓNSDÓTTIR

Résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur
à sa 193ème session (Genève, 9 octobre 2013)

Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,

se référant au cas de Mme Birgitta Jónsdóttir, membre du Parlement islandais, et à la résolution adoptée par le Conseil directeur à sa 189ème session (octobre 2011),

considérant les éléments ci-après versés au dossier :

  • Mme Birgitta Jónsdóttir est membre du Parlement islandais depuis juillet 2009. Elle était coproductrice d'une vidéo, diffusée par Wikileaks, qui montrait des soldats américains abattant des civils depuis un hélicoptère à Bagdad;

  • le 7 janvier 2011, elle a été informée par Twitter que le Tribunal fédéral du district oriental de Virginie avait enjoint à Twitter de remettre aux autorités américaines des relevés et autres informations concernant son compte. Twitter avait jusqu’au 26 janvier 2011 pour communiquer ces informations aux autorités américaines;

  • les informations recherchées par les autorités américaines sur Mme Jónsdóttir couvraient un éventail très large de données liées à sa qualité de titulaire de compte;

  • la première injonction du tribunal, datée du 14 décembre 2010, est d’abord restée confidentielle et n’a été révélée à Mme Jónsdóttir et à deux autres personnes visées par cette injonction qu’après que Twitter eut pris des dispositions pour s’assurer qu’il pouvait en informer les intéressés;

  • l'injonction du 14 décembre 2010 a fait l'objet d'un recours de la part des trois personnes; l'Electronic Frontier Foundation, l'American Civil Liberties Union et l'American Civil Liberties Union Foundation représentaient Mme Jónsdóttir dans la procédure; le 26 janvier 2011, l'avocat de la défense des trois personnes a déposé une requête conjointe scellée au Tribunal fédéral du district oriental de Virginie, tendant à autoriser que soit divulgué le dossier judiciaire toujours secret des activités déployées par le gouvernement américain pour obtenir des dossiers privés de Twitter, ainsi que d'autres sociétés pouvant avoir reçu des demandes identiques; une seconde requête conjointe, déposée le même jour, demandait au tribunal de réexaminer et d'annuler l'injonction du 14 octobre 2010;

  • à la demande de l’avocat de Mme Jónsdóttir aux Etats-Unis, l’UIP a soumis au tribunal, le 14 février 2011, un mémoire la concernant; le juge a accepté le mémoire, qui fait désormais partie des comptes rendus d’audience; il énonce ses préoccupations quant aux incidences que l’injonction adressée à Twitter peut avoir sur a) la liberté d’expression de Mme Jónsdóttir et son aptitude à exercer pleinement son mandat parlementaire, b) son immunité parlementaire, dans la mesure où l'injonction à Twitter rend nulle et non avenue l'immunité qui lui est garantie en vertu de l'Article 49 de la Constitution islandaise, c) son droit à la vie privée et d) son droit à se défendre, dans la mesure où les autorités des États-Unis peuvent demander la divulgation d'informations auprès d'autres fournisseurs de services; le mémoire appuyait donc la requête de la défense tendant à annuler l'injonction à Twitter et à lever le secret sur toutes les autres injonctions similaires concernant Mme Jónsdóttir;

  • le 11 mars 2011, le tribunal a rejeté la requête en annulation, n’a accepté qu’en partie la levée du secret et a pris en considération la demande d’enregistrement public de certaines informations; le conseil de Mme Jónsdóttir a émis des objections à cette décision, qui ont été rejetées le 10 novembre 2011; Mme Jónsdóttir a décidé de ne pas faire appel de la décision, tout en continuant de s’efforcer, par l’intermédiaire de ses avocats, de déterminer si d’autres fournisseurs de services basés aux Etats-Unis avaient reçu l’ordre de communiquer des informations la concernant,
considérant également ce qui suit :
  • les parlementaires jouissent des libertés fondamentales, dont le droit à la liberté d’expression et à la confidentialité, ainsi que de certaines mesures spéciales de protection leur permettant de s’acquitter sans entraves de leur mandat;

  • l’immunité parlementaire garantit aux parlementaires qu’ils ne pourront être mis en cause pour les opinions qu’ils expriment et les votes qu’ils émettent, et les pays, comme c’est le cas en Islande, ont généralement mis en place des mécanismes appropriés permettant aux parlementaires d’exercer leur mandat sans restrictions indues et dans le plein respect de leur liberté d’expression;

  • dans tous les pays, la liberté d’expression est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Elle est indispensable pour les parlementaires, ce que reconnaissent les tribunaux dans le monde entier; sans la possibilité d’exprimer librement leurs opinions, les parlementaires ne peuvent pas représenter les citoyens qui les ont élus. Ils ne sont pas en mesure de s’acquitter de ces fonctions s’ils ne peuvent pas recevoir et échanger librement des informations sans crainte d’être inquiétés;

  • les citoyens ne sont pas à même d’exercer leur droit de vote, ni de prendre part à la gestion des affaires publiques s’ils n’ont pas librement accès aux informations et aux idées et s’ils ne peuvent pas exprimer librement leurs opinions; ils ne communiqueront pas à leurs représentants des informations qui peuvent être sensibles s’ils n’ont pas la certitude que leur identité sera protégée. En outre, s’ils communiquent à leurs représentants des informations sensibles, c’est parce qu’ils pensent, parfois à tort, que ces informations n’iront qu’à leur destinataire,
considérant en outre que les réseaux sociaux offrent aux parlements et aux parlementaires de nombreuses nouvelles possibilités d’entrer en contact avec le public, leur permettant de connaître son avis sur des lois, de diffuser des ressources éducatives et d’accroître la transparence; considérant aussi à ce propos les conseils fournis sur la manière de les utiliser efficacement figurant dans la publication de l’UIP Guide des médias sociaux à l’intention des parlements (2013),

considérant enfin que, si les techniques d'information modernes ont permis un élargissement spectaculaire de l'accès des individus à l'information et facilité leur participation active à la vie de la société, elles ont aussi contribué à brouiller les frontières entre la sphère publique et la sphère privée et permis des atteintes sans précédent au droit à la vie privée, qui sont essentiellement le fait des Etats et des entreprises; considérant aussi à ce propos que les Principes directeurs de l'ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, approuvés par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU en 2011, énoncent des normes internationales pour prévenir les incidences négatives sur les droits de l'homme des activités des entreprises et y remédier,

  1. affirme que la liberté d’expression est au cœur de la démocratie et qu’elle est indispensable aux parlementaires; en effet, s’ils ne sont pas à même d’exprimer librement leurs opinions, ils ne peuvent représenter le peuple qui les a élus et, faute de recevoir et d’échanger librement des informations sans crainte d’être inquiétés, ils ne peuvent ni légiférer ni obliger le gouvernement à rendre compte de son action;

  2. rappelle que l’Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme consacre le droit de toute personne à la liberté d’opinion et d’expression qui implique, précise‑t‑il, le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit;

  3. note que, conformément aux instruments relatifs aux droits de l’homme et à la jurisprudence des organes conventionnels, les restrictions à la liberté d’expression doivent remplir trois conditions : elles doivent être fixées par la loi, nécessaires dans une société démocratique et proportionnées à leurs fins; 

  4. ne voit pas en quoi les restrictions à la liberté d’expression qu’entraînerait l’obéissance à l’injonction adressée à Twitter peuvent être justifiées au regard de ces critères et estime qu’au contraire, une telle obéissance porterait atteinte au droit d’un parlementaire à la liberté d’expression et, partant, à sa capacité de chercher, de recevoir et de répandre librement des informations, ce qui est absolument nécessaire dans une société démocratique;

  5. est préoccupé de ce que les dispositions légales nationales et internationales qui encadrent l’utilisation des médias électroniques, y compris les réseaux sociaux, ne semblent pas apporter des garanties suffisantes pour assurer le respect de la liberté d’expression et du droit à la vie privée et l’accès à l’information; les garanties liées à la protection de la liberté d’expression et de la vie privée dans le monde réel ne semblent pas avoir cours dans le monde virtuel;

  6. note également avec préoccupation que l’immunité parlementaire dont Mme Jónsdóttir bénéficie en vertu de la loi islandaise est inopérante en l’espèce; considère que, comme les parlementaires de nombreux pays recourent aujourd’hui couramment aux réseaux sociaux pour communiquer avec leurs électeurs et d’autres interlocuteurs, des injonctions telles que celles-ci affaibliraient et même réduiraient à néant la capacité des Etats à protéger leurs parlementaires d’ingérences injustifiées dans l’exercice de leur mandat;

  7. se déclare donc profondément préoccupé par les efforts déployés par un Etat pour obtenir des informations sur les communications d’une parlementaire d'un autre Etat et par les répercussions que cela risque d’avoir sur l’aptitude des parlementaires du monde entier à exercer librement leur mandat populaire;

  8. s’inquiète en outre de ce que Mme Jónsdóttir fasse peut-être l’objet, à son insu, d'injonctions adressées à des fournisseurs de services basés aux États-Unis autres que Twitter, afin qu'ils communiquent les informations dont ils disposent sur elle; note à cet égard qu’à la différence de Twitter, d’autres sociétés n’informent pas nécessairement leurs usagers des demandes d’information émanant de la justice et les concernant directement; considère qu’une telle situation constituerait une grave violation du droit fondamental qu’a Mme Jónsdóttir de se défendre;

  9. prie le Secrétaire général de faire part de ses préoccupations en l’espèce aux autorités parlementaires de l’Islande et des Etats-Unis d’Amérique, et de leur demander leur avis; le prie en outre de porter cette question à l'attention de Twitter, Google, Facebook et Microsoft;

  10. considère que, vu ses nombreuses ramifications, qui touchent à des questions essentielles liées à la protection des droits de l'homme face à des progrès techniques rapides, il est justifié de continuer d’examiner ce cas et d'y donner suite; prie donc le Secrétaire général d'étudier la possibilité de promouvoir un débat entre parlementaires, experts des droits de l’homme et représentants de l’industrie des technologies de l’information sur ces questions, leurs incidences sur la vie parlementaire et les moyens d’action des parlements;

  11. prie le Comité de poursuivre l’examen de ce cas.
Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 129ème Assemblée de l'UIP et réunions connexes" au format PDF (taille du fichier environ 1'163 Ko). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

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