REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
CAS N° DRC/72 – DIEUDONNÉ BAKUNGU MYTHONDEKE
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Résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur
à sa 194ème session (Genève, 20 mars 2014)
Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,
se référant au cas de M. Dieudonné Bakungu Mythondeke et à la résolution qu’il a adoptée à sa 193ème session (octobre 2013),
se référant aussi à la communication du Président de l’Assemblée nationale du 19 février 2014, ainsi qu’aux informations transmises par les sources,
se référant enfin au rapport de la mission du 10 au 14 juin 2013 en République démocratique du Congo (CL/193/11b)-R.2),
considérant les éléments ci-après versés au dossier par la source :
- M. Mythondeke a été arrêté le 2 février 2012 avec des membres de sa famille à son domicile de Goma, dans la province du Nord-Kivu, suite à des échanges de coups de feu entre les policiers affectés à sa garde personnelle et un groupe d’environ 200 militaires et policiers qui tentaient de pénétrer chez lui en pleine nuit; quatre personnes (dont deux des policiers de la garde de M. Mythondeke et deux militaires) ont été tuées et plusieurs personnes blessées au cours de ces échanges de tirs; son domicile a été également fouillé sans mandat de perquisition par les forces de sécurité au cours de la nuit;
- selon la source, le recours à la procédure de flagrant délit était irrégulier, dans la mesure où l’intéressé a été arrêté en pleine nuit alors qu’il dormait, qu’aucune infraction n’était en cours d’exécution, et qu’il n’a pas été surpris en train d’inciter à la haine tribale chez lui en pleine nuit; en l’absence de flagrance de toute infraction, son arrestation n’aurait dû intervenir qu’après autorisation de l’Assemblée nationale, dans le respect de son immunité parlementaire;
- quelques heures après ces arrestations, le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Goma a délivré un mandat de perquisition et des agents des forces de sécurité se sont à nouveau déployés au domicile de M. Mythondeke afin d’opérer la perquisition qui s’est déroulée en l’absence du député et de sa famille, tous détenus à l’Auditorat militaire; de nombreux biens ont disparu au cours de cette perquisition; une plainte a été déposée le 9 février 2012 pour pillage auprès de l’Auditorat supérieur militaire de Goma, mais n’a pas été suivie d’effet; une demande en indemnisation du préjudice subi a également été introduite devant le Tribunal de grande instance de Goma;
- M. Mythondeke et certains membres de sa famille ont également fait l’objet de mauvais traitements au moment de leur arrestation, puis durant leur détention à Goma et leur transfert vers Kinshasa; du liquide aurait notamment été déversé sur M. Mythondeke, sur le tarmac de l’aéroport de Goma, devant des caméras de télévision, afin de l’humilier; les plaintes précitées portaient également sur ces mauvais traitements;
- M. Mythondeke et 19 autres personnes ont été transférés à Kinshasa en vertu de la procédure de flagrance pour être traduits devant la Cour suprême de justice sur les chefs d’accusation suivants : rébellion, meurtre, détention illégale d’armes de guerre, incitation à commettre des actes contraires à la discipline, dissipation de munitions et atteinte à la sûreté de l’Etat, infractions pour lesquelles le ministère public a requis à leur encontre la peine de mort;
- la source considère que l’arrestation de M. Mythondeke et les poursuites contre lui étaient motivées par des considérations politiques car :
- elles sont intervenues alors que l’intéressé, ancien Vice-Gouverneur de la province du Nord-Kivu et député du parti majoritaire (PPRD) dans la législature de 2006‑2012, avait rejoint l’opposition politique en se portant candidat aux élections législatives de novembre 2011 dans la circonscription de Masisi (province du Nord‑Kivu) pour le compte d’un nouveau parti d’opposition créé par M. Vital Kamerhe, ancien Président de l’Assemblée nationale;
- l’intéressé n’a pas été déclaré réélu à l’issue des élections législatives de novembre 2011, alors que, selon la source, il avait réuni un nombre de voix suffisant, mais le scrutin aurait été entaché de graves irrégularités;
- M. Mythondeke avait ouvertement dénoncé la "balkanisation de l’Est" (de la République démocratique du Congo) durant les débats de l’Assemblée nationale sur la situation du Nord-Kivu et les questions orales au gouvernement, ainsi que dans ses interventions publiques sur la question, ce qui expliquerait la volonté de la majorité de l’écarter de l’Assemblée nationale et plus généralement de la vie politique;
- le 25 février 2012, la Cour suprême de justice, compétente en premier et dernier ressort compte tenu de la qualité de député de M. Mythondeke, a rendu son arrêt; elle a disqualifié l’infraction d’atteinte à la sûreté de l’Etat et l’a requalifiée en infraction d’incitation à la haine tribale, condamnant en conséquence l’intéressé à une peine de 12 mois d’emprisonnement; elle a également jugé non établies toutes les autres infractions;
- selon la source, la Cour suprême de justice a méconnu les droits de la défense de M. Mythondeke en requalifiant l’infraction d’atteinte à la sûreté de l’Etat en infraction d’incitation à la haine tribale au stade du prononcé de l’arrêt, sans en indiquer les motifs ni les faits constitutifs de l’infraction et sans avoir informé au préalable les parties, ni permis à ses avocats de présenter leurs moyens de défense sur cette prévention et alors même que M. Mythondeke n’était pas initialement poursuivi pour ce chef d’accusation; la source a également invoqué l’arrêt de la Cour suprême du 23 juillet 1970 (MPC/MN, RJC N° 31970, page 276) qui établit, selon la source, que "constitue une violation des droits de la défense le fait pour un tribunal de requalifier les faits initiaux de la prévention, sans que le prévenu ne soit défendu sur les faits ainsi requalifiés et graves";
- M. Mythondeke a purgé sa peine à la prison centrale de Kinshasa et a été libéré le 28 janvier 2013,
considérant ce qui suit : plus de deux ans après le prononcé du jugement, une copie de l’arrêt motivé a enfin été délivrée par la Cour suprême de justice; l’arrêt confirme la plupart des allégations invoquées par la source, en particulier que i) l’arrestation de M. Mythondeke est intervenue de nuit et sans présentation préalable de mandat, ii) la perquisition et la saisie des armes prétendument trouvées au domicile du député ont été réalisées en son absence et après son arrestation, iii) aucune preuve n’existait à l’appui des graves chefs d’accusation portés par le ministère public, pour lesquels ce dernier avait requis la peine de mort contre de M. Mythondeke et des membres de sa famille, iv) la Cour a procédé à la requalification de l’infraction lors du prononcé du jugement et M. Mythondeke, qui n’était pas poursuivi pour la nouvelle infraction, n’en a pas été avisé au préalable et n’a donc pas pu présenter ses moyens de défense sur ce chef d’accusation, v) la Cour ne s’est pas prononcée sur la régularité du recours à la flagrance, bien qu’elle ait considéré comme non établis tous les chefs d’accusation reprochés à M. Mythondeke et que l’accusation d’incitation à la haine retenue contre M. Mythondeke soit fondée sur des déclarations publiques antérieures n’ayant aucun caractère flagrant,
rappelant enfin que,dans les procédures pénales engagées contre des parlementaires, il n’y a pas de double degré de juridiction en vertu de l’article 98 du Code de l’organisation et de la compétence judiciaires et de l’Article 153 de la Constitution,
rappelant également que, lors de la mission du Comité en République démocratique du Congo, M. Mythondeke et son avocat avaient indiqué qu’ils envisageaient de former un recours en révision lorsqu’ils auraient obtenu une copie de l’arrêt motivé, qu’ils avaient assigné l’Etat congolais en indemnisation devant le Tribunal de grande instance de Goma pour les mauvais traitements et la destruction de propriété infligés à M. Mythondeke et sa famille lors de leur arrestation,
rappelant enfin que la République démocratique du Congo est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont les articles 9, 10 et 14 reconnaissent le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, ainsi que le droit à un procès équitable, en particulier le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction à un recours devant une juridiction supérieure,
considérant que, selon la source, M. Mythondeke a des craintes pour sa sécurité et celle de sa famille depuis sa sortie de prison; qu’il ferait l’objet de surveillance et d’intimidations de la part d’agents travaillant sous les ordres du général ayant ordonné son arrestation à Goma, qui a depuis été promu et muté à Kinshasa; que la situation sécuritaire de M. Mythondeke se serait considérablement dégradée entre juin 2013 et mars 2014, ce dernier faisant l’objet d’une surveillance rapprochée de plus en plus intense, étant suivi en permanence et ayant appris que son entourage était systématiquement interrogé sur ses faits et gestes; et que M. Mythondeke a exprimé des craintes pour sa vie et celle de sa famille,
prenant en compte que, dans sa lettre du 19 février 2014, le Président de l’Assemblée nationale a indiqué que les autorités congolaises étaient saisies pour que soient garanties sa sécurité et celle de sa famille à l’instar de tous les Congolais,
- relève avec une profonde préoccupation la dégradation de la situation sécuritaire de M. Mythondeke et appelle les autorités compétentes à prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour mettre fin à la surveillance et aux intimidations dont il fait l’objet afin de garantir sa sécurité et celle de sa famille; prie instamment les autorités parlementaires de l’informer des mesures prises dans ce sens par les autorités compétentes;
- constate que l’arrêt motivé de la Cour suprême confirme que M. Mythondeke a été victime de violations de ses droits fondamentaux lors de son arrestation; estime également que les infractions pour lesquelles M. Mythondeke était poursuivi n’ayant pas été établies, la Cour aurait dû en conséquence constater l’absence de flagrance et se déclarer incompétente à l’égard de M. Mythondeke dans le respect de son immunité parlementaire; relève enfin que ses droits de la défense ont été méconnus au cours de la procédure, dans la mesure où il a été condamné pour une infraction pour laquelle il n’a pas pu présenter ses moyens de défense;
- souligne à nouveau quel’existence d’une voie de recours constitue l’une des principales garanties d’un procès équitable et, en l’absence à l’heure actuelle de double degré de juridiction dans la procédure judiciaire applicable aux parlementaires en République démocratique du Congo, invite les autorités compétentes à faire droit à la demande de révision du procès de M. Mythondeke, ainsi qu’à son recours en indemnisation du préjudice subi du fait de la violation de ses droits fondamentaux; prie les autorités et la source de le tenir informé de l’issue de ces procédures;
- prie le Secrétaire général de communiquer la présente résolution aux autorités parlementaires et à la Ministre de la justice, ainsi qu’à la source et à toute tierce partie susceptible de fournir des informations pertinentes;
- prie le Comité de poursuivre l’examen de ce cas et de lui faire rapport en temps utile.
Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 130ème Assemblée et réunions connexes de l'Union interparlementaire" au format PDF (taille du fichier 881 Ko). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement. | |
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