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Union interparlementaire  
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MALAISIE
CAS N° MAL15 – ANWAR IBRAHIM

Résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil directeur
à sa 194ème session (Genève, 20 mars 2014)

Le Conseil directeur de l'Union interparlementaire,

se référant au cas de Dato Seri Anwar Ibrahim, membre en exercice du Parlement de Malaisie, et à la résolution qu’il a adoptée à sa 191ème session (octobre 2012),

rappelant ce qui suit : Vice-Premier Ministre de décembre 1993 à septembre 1998 et Ministre des finances de 1991 à 1998, M. Ibrahim a été démis de ses fonctions et arrêté en septembre 1998 et poursuivi pour corruption et sodomie; il a été reconnu coupable des deux chefs d’inculpation et condamné, en 1999 et 2000 respectivement, à une peine d’emprisonnement totale de 15 ans; le 2 septembre 2004, la Cour fédérale a annulé la condamnation dans l’affaire de sodomie et a ordonné la libération de M. Ibrahim alors que celui-ci avait déjà purgé sa peine dans l’affaire de corruption; rappelant aussi que l'UIP avait conclu que les motifs des poursuites engagées contre Anwar Ibrahim n'étaient pas de nature légale mais se fondaient sur une présomption de culpabilité,

considérant que M. Anwar Ibrahim a été réélu en août 2008 et mai 2013 et qu'il est depuis le dirigeant de fait du parti d'opposition Pakatan Rakyat (Alliance du peuple),

considérant ce qui suit : le 28 juin 2008, Mohammed Saiful Bukhari Azlan, ancien assistant d’Anwar Ibrahim, a porté plainte contre lui en l’accusant de l’avoir sodomisé de force dans un appartement privé d’un immeuble en copropriété; lorsqu’on a relevé qu’Anwar, qui avait 61 ans au moment du prétendu viol et souffrait beaucoup de son dos, n’était pas de taille à violer un jeune homme sain et vigoureux de 24 ans, la plainte a été requalifiée en rapports homosexuels obtenus par persuasion; Anwar a été arrêté le 16 juillet 2008 et libéré le lendemain; il a été formellement inculpé le 6 août 2008 en application de l'article 377B du Code pénal malaisien selon lequel "les relations sexuelles contre nature" sont passibles d’une peine maximale de 20 ans d’emprisonnement et de coups de fouet; il a plaidé non coupable,

rappelant ci-après les vices de procédure et autres faits intervenus avant et pendant l'enquête et le procès devant le tribunal de première instance :

  • M. Saiful a témoigné devant le tribunal qu'il n'avait été examiné qu’environ 52 heures après les faits allégués et le premier médecin consulté à l'hôpital Pusrawi (Pusat Rawatan Islam) a indiqué qu'il n'avait constaté aucune preuve de pénétration anale. Environ deux heures après, M. Saiful s'était rendu à l'hôpital de Kuala Lumpur, établissement public, où trois spécialistes avaient établi un rapport arrivant à la même conclusion;

  • le premier rapport d’information du plaignant à la police n’a pas été communiqué à l’avocat d’Anwar pendant des mois, ce qui lui laissait craindre une altération des preuves, notamment en ce qui concerne les échantillons d’ADN. De plus, il a été confirmé que Saiful s’était rendu au bureau et au domicile de M. Najib Tun Razak, alors Vice-Premier Ministre, quelques jours avant qu’il ne porte ces accusations, rencontre que M. Najib a commencé par nier. La veille du jour où il a porté plainte pour sodomie, Saiful a également rencontré en privé un officier de police de haut rang, Rodwan Yusof, dans un hôtel;

  • l’équipe du ministère public était pour l’essentiel la même que lors de la première affaire de sodomie. Le Procureur général, Abdul Gani Patail, dirigeait cette équipe. Accusé d’avoir fabriqué des preuves dans la première affaire, il avait fait l'objet d'une enquête des services anticorruption malaisiens;

  • les avocats d’Anwar Ibrahim n’ont pas eu accès aux échantillons d’ADN avant le procès et se sont vu également refuser l’accès aux déclarations du plaignant et des principaux témoins à charge, aux attestations des médecins qui avaient examiné Saiful et aux bandes originales du système de surveillance en circuit fermé de l’immeuble correspondant à l’heure des faits allégués, entre autres pièces à conviction;
rappelant que, le 9 janvier 2012, le juge de première instance a rendu un verdict d’acquittement d’Anwar Ibrahim, concluant qu’il n’y avait pas de preuves à l’appui du témoignage de Saiful car le tribunal "ne pouvait être certain à 100 pour cent que l'intégrité des échantillons d'ADN avait été préservée"; que, de ce fait, il ne restait que le témoignage de la victime présumée et, comme il s'agissait d'une infraction d’ordre sexuel, le tribunal répugnait à prononcer une condamnation uniquement fondée sur ce témoignage,

rappelant aussi que le Procureur général a interjeté appel de ce verdict, que la procédure d'appel s'est ouverte le 7 septembre 2012 et qu’un observateur de l'UIP, M. Mark Trowell, avocat de la Couronne, a assisté à la plupart des audiences en 2013 et 2014,

considérant que l'avocat de la défense a, dès l'ouverture des audiences, contesté l'intégrité du responsable du ministère public, Datuk Seri Mohd Shafee Abdullah, chargé de diriger l'accusation durant la procédure d'appel; que la défense a soumis trois requêtes en récusation, qui ont toutes été rejetées, la dernière le 5 mars 2014,

                   considérant que, le 28 février 2014, lors de la conférence préparatoire, le juge a décidé que les audiences quant au fond auraient lieu les 6 et 7 mars 2014 et que Me Karpal Singh a demandé un report de ces dates, en raison d’engagements préalables concernant d’autres procès; considérant qu’il avait été demandé à Me Karpal Singh de réserver la période du 7 au 10 avril, car on escomptait que les audiences auraient lieu à ces dates,

considérant les observations suivantes qu’a faites l’observateur de l'UIP dans son rapport daté du 15 mars 2014 à propos des audiences des 6 et 7 mars 2014 :

  • la Cour d'appel s'est réunie le 6 mars pour entendre l'appel quant au fond. Le collège était composé des juges Balia Yousof Wahi, Aziah Ali et Mohd Zawawi Mohd Salleh. Le dossier d'accusation contre Anwar Ibrahim reposait essentiellement sur l'analyse ADN. Les scientifiques du gouvernement affirmaient que les échantillons prélevés sur Mohd Saiful par des examinateurs médicaux à l'hôpital de Kuala Lumpur correspondaient à l'ADN d'Anwar. Ils soutenaient plus précisément que la comparaison avait été faite à partir d'ADN extrait de cellules spermatiques trouvées dans les échantillons prélevés dans la partie supérieure du rectum de Mohd Saiful, ce qui, selon eux, corroborait la thèse d'une pénétration anale. La défense contestait non seulement l'intégrité des échantillons prélevés, mais aussi l'analyse qui en avait été faite par les scientifiques du gouvernement. Les experts de la défense avaient conclu qu’au vu de l'analyse finale de l'ADN, il y avait eu contamination. Selon leur avis raisonné, i) il y avait des preuves de la présence d'ADN d'un tiers dans des échantillons recueillis dans la partie supérieure du rectum et cela n'avait pas été expliqué; cela signifiait que, soit Mohd Saiful avait fait l'objet d'une pénétration avec éjaculation de la part d’un autre homme, soit quelqu'un avait contaminé l'échantillon lors de sa manipulation; ii) l'analyse ADN ne correspondait pas à ce que l'on savait du traitement subi par les échantillons, à savoir qu'il y avait très peu d’indices d'une dégradation, voire aucun, alors que, contrairement aux instructions spécifiques données, les échantillons n’avaient pas été conservés comme il convient par le commissaire Pereria; iii) l'ADN censé avoir été extrait de cellules spermatiques avait survécu pendant plus de 96 heures entre le moment de l’éjaculation et celui de l'analyse, ce qui était hautement improbable selon leur expérience; et iv) le processus d'extraction différentielle (DEP), utilisé pour séparer les cellules spermatiques des autres cellules, n'était pas complet, ce qui ouvrait la possibilité que l'ADN censé correspondre à celui d'Anwar ne provienne pas de cellules spermatiques, mais d'autres cellules;

  • à l'appui de son appel, le ministère public a déclaré qu'il n'y avait pas de preuves d'altération. Les échantillons, affirmait-il, avaient toujours été sous la garde de la police et le commissaire Pereria avait simplement ouvert l'emballage principal, sans toucher les scellés des sacs contenant les échantillons. Muhd Shafee a en outre déclaré que le juge de première instance s'était fondé à tort sur le témoignage des experts étrangers qui avaient mis en doute l'analyse ADN et qu'il aurait dû se contenter des résultats fournis par les scientifiques du gouvernement. En réponse, Karpal Singh a contesté que Muhd Shafee puisse se fier à l'intégrité des échantillons, déclarant qu’il avait déjà été démontré dans la passé que le commissaire Pereria n’était pas un témoin crédible. Ce dernier avait totalement ignoré les instructions précises données par les examinateurs médicaux à propos de la préservation des échantillons et, ce faisant, il avait contrevenu aux instructions de la police;

  • la présentation des arguments s'est conclue vers 16 heures, le deuxième jour des audiences. Les juges sont revenus pour annoncer leur décision à 16 h 57. L'atmosphère, durant cette heure d’attente était presque irréelle. Le silence s'est fait lorsque le juge Balia a commencé à présenter ses observations. Il a marmonné qu'il y avait diverses questions qui seraient traitées en détail dans les attendus écrits qui seraient publiés ultérieurement et qu'entre-temps il ferait un bref résumé des motifs de la décision. Il a déclaré que le juge de première instance avait commis une erreur de fait et de droit en acquittant Anwar et que, vu les preuves présentées, sa décision ne tenait pas. Selon lui, le juge n'avait pas statué de manière appropriée et n'avait pas donné suffisamment de poids aux preuves présentées. En particulier, le juge Balia a déclaré que le juge de première instance avait mal interprété les preuves liées aux échantillons en concluant qu'elles avaient été altérées et en en rejetant l'intégrité;

  • le juge Balia a alors abordé la question de la contamination des échantillons, mais n’a traité dans ses remarques d'aucune des quatre questions essentielles soulevées par la défense. Il a déclaré qu'il n’y avait "aucune raison pour l'éminent juge de première instance de s'écarter de ses premières conclusions concernant les constatations et l'expérience des experts de l'accusation". Il se référait là à la déclaration faite par le juge à la fin de la présentation du dossier de l'accusation. Il a ensuite déclaré que "… le juge a eu tort d'accorder du crédit aux experts de la défense, qui n'étaient rien de plus que des experts de salon";

  • il s’agissait là d’une analyse hâtive et superficielle, et l’on ne peut qu’escompter que la Cour accordera une attention particulière à ces questions essentielles dans les attendus écrits qui devraient être publiés ultérieurement. Le témoignage des experts de la défense était essentiel car, s’il avait été accepté, même partiellement, cela aurait suffi à jeter un doute raisonnable sur le dossier de l'accusation. Les juges n’auraient pas dû se contenter d’écarter par des remarques si désobligeantes le témoignage de ces experts, dont les compétences et l'expérience étaient reconnues;

  • pour conclure, le juge Balia a déclaré que l'appel du ministère public était fondé et qu’Anwar était donc coupable de sodomie selon les termes de l'accusation. Karpal Singh a indiqué qu'il lui faudrait du temps pour préparer sa plaidoirie en mitigation et il a demandé que l’audience de prononcé de la peine soit reportée au vendredi suivant. Il a précisé au juge Balia que le Roi devait ouvrir le parlement ce lundi et que, le mardi, en sa qualité de dirigeant de l'opposition, Anwar devrait présenter sa réponse. Muhd Shafee s'est opposé à cette demande, déclarant que l'audience devait se poursuivre immédiatement. Le juge Balia a répondu qu'il accorderait à Karpal Singh une heure pour préparer sa plaidoirie en mitigation, ce à quoi Karpal Singh a répondu qu'un tel délai était tout simplement "déraisonnable". Les juges sont revenus à 18 h 50. Il s'en est suivi un échange animé et houleux entre le juge Balia, Karpal Singh et Muhd Shafee. Karpal Singh voulait un ajournement, afin de pouvoir obtenir un rapport médical sur l’état du cœur et la tension artérielle d'Anwar. Il s'agissait là d'une demande raisonnable, vu la gravité des faits et le délai demandé n'était que d'une semaine, mais la réaction de la Cour a été bizarre. Le juge Balia s'est rallié à l'avis de Muhd Shafee qui pensait qu'il suffisait que Karpal Singh fasse un résumé de l'état de santé de son client, mais Karpal Singh a répondu en demandant comment il pouvait faire un résumé sans rapport médical,
considérant qu’à 18 h 46, le 7 mars 2014, le juge Balia a condamné Anwar Ibrahim à cinq ans d’emprisonnement et, à 18 h 55, a ordonné la suspension de la sentence en attendant l'appel et l’a libéré en fixant la caution à 10 000 RM,

considérant ce qui suit : Anwar Ibrahim devait se porter candidat lors des élections partielles du 23 mars 2014 à Kajang dans l’Etat de Selangor, comme suite à la démission d’un membre de l’Assemblée de l’Etat le 27 janvier 2014 (les Malaisiens peuvent siéger à la fois au Parlement d’un État et au Parlement fédéral), et les candidatures devaient être déposées avant le mardi 11 mars 2014 à 10 heures; le siège de Kajang est important pour Anwar dans la mesure où il représente un tremplin pour le poste de Premier Ministre de Selangor, l'Etat le plus riche de la Malaisie; en devenant Premier Ministre de Selangor, Anwar deviendrait l'administrateur d'un Etat qui dispose d'une infrastructure, de ressources et de capitaux importants, ce qui donnerait à l’opposition la base dont elle a besoin pour prendre le pouvoir au niveau national aux prochaines élections,

considérant que, si la Cour fédérale confirme sa condamnation, Anwar Ibrahim ne pourra détenir de mandat parlementaire et ne pourra se représenter à des élections législatives que six ans après avoir purgé sa peine,

considérant aussi que, le 11 mars 2014, la High Court a prononcé une peine contre Karpal Singh, Président du DAP, après l'avoir reconnu coupable de sédition; que Karpal Singh a été condamné à une amende de 4 000 RM, ce qui, sous réserve de l'appel, invalide son mandat parlementaire,

ayant à l'esprit que la loi réprimant les actes homosexuels date de l'ère coloniale britannique en Inde et a été adoptée par les anciennes colonies britanniques, que Singapour a dépénalisé l’homosexualité en 2009 et que la High Court de Delhi, en annulant une condamnation en 2009 pour des actes entre adultes consentants, a ainsi, elle aussi dépénalisé de fait l’homosexualité,

considérant que, durant l'audition de la délégation malaisienne devant le Comité, le 18 mars 2014, pendant la 130ème Assemblée de l’UIP, la cheffe de la délégation a souligné que la question était maintenant entre les mains de la Cour fédérale, que les tribunaux malaisiens étaient totalement indépendants, que le calendrier des dernières audiences n'avait aucun lien avec la candidature d'Anwar Ibrahim aux élections dans l'Etat de Selangor, que l'affaire était en instance depuis 2012 et que les derniers ajournements étaient imputables aux requêtes en récusation du responsable du ministère public, M. Shafee, présentées par l'avocat de la défense; que, lorsqu'il lui a été demandé s'il était courant en Malaisie de poursuivre quelqu'un pour sodomie, la cheffe de la délégation a répondu qu'elle n'avait connaissance que du cas d'Anwar Ibrahim,

notant que le nouveau procès d'Anwar Ibrahim pour sodomie a suscité de nombreuses critiques, étant considéré comme une tentative de briser sa carrière politique,

  1. remercie la délégation malaisienne pour sa coopération et les informations qu’elle a fournies;

  2. est profondément préoccupé par la condamnation de M. Anwar Ibrahim, notamment par la précipitation avec laquelle ont été menées et organisées les dernières audiences, la facilité apparente avec laquelle les principaux arguments présentés par la défense ont été rejetés, notamment les préoccupations liées à l'intégrité de l'ADN, ainsi que par le fait que cette condamnation a été prononcée en vertu d’une loi qui, bien que rarement, voire jamais invoquée en Malaisie, a été appliquée deux fois à son égard;

  3. est également profondément préoccupé par le fait que cette condamnation, non seulement ôterait à Anwar Ibrahim toute perspective d'exercer son droit de se présenter à des élections dans un Etat, mais aussi l'éliminerait, si la sentence est confirmée, de la vie parlementaire pour plus de dix ans, ce qui priverait l'opposition de son principal dirigeant; considère que cet état de fait, qui a des conséquences immenses pour l'opposition politique en Malaisie, ne peut que donner des arguments à ceux qui jugent que les poursuites contre Anwar Ibrahim et son procès étaient partiaux et motivés par des préoccupations étrangères au droit, comme, selon lui, c’était déjà le cas dans la première affaire de sodomie et le procès de première instance sur la seconde accusation de sodomie;

  4. compte que la Cour fédérale prendra dûment en considération tous les arguments présentés en la matière, afin de faire en sorte que justice soit pleinement rendue et qu’elle soit perçue comme telle; attend avec impatience de recevoir, entre-temps, dès qu'ils seront disponibles, les attendus motivés de la Cour d'appel; considère que, vu les questions en jeu, il est essentiel que l'UIP suive de près la procédure devant la Cour fédérale; prie le Secrétaire général de prendre les dispositions voulues pour qu’un observateur assiste aux prochaines audiences;

  5. prie le Secrétaire général de communiquer le rapport de l'observateur du procès et la présente résolution aux autorités compétentes, à la source et à tout tiers susceptible de fournir des informations pertinentes;

  6. prie le Comité de poursuivre l'examen de ce cas et de lui faire rapport en temps utile.
Note : vous pouvez télécharger une version électronique du texte intégral de la brochure "Résultats de la 130ème Assemblée et réunions connexes de l'Union interparlementaire" au format PDF (taille du fichier 881 Ko). Cette version nécessite Adobe Acrobat Reader que vous pouvez télécharger gratuitement.Get Acrobat Reader

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