UNION INTERPARLEMENTAIRE PLACE DU PETIT-SACONNEX 1211 GENEVE 19NEVE 19 |
RAPPORT DE LA MISSION EN BOSNIE-HERZEGOVINE,
Publié à Genève le 22 août 199
1. Depuis qu'a éclaté le conflit dans l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, les conférences de l'Union interparlementaire ont régulièrement réaffirmé qu'il fallait prendre d'urgence des mesures pour mettre fin aux violences et pour rétablir la paix, le respect des droits de l'homme et la protection des minorités. Dans sa résolution du 17 avril 1993, la 89e Conférence interparlementaire a, en vertu de l'article 1, alinéa 2(b) de ses Statuts, demandé l'envoi d'une mission spéciale de l'Union interparlementaire dans l'ex-Yougoslavie pour y " tenir des consultations sur les droits de l'homme et pour appuyer les efforts de paix dans la région. " 2. Lors des Réunions interparlementaires statutaires suivantes, le Comité exécutif et le Conseil interparlementaire ont considéré les modalités d'envoi d'une telle mission. Une décision définitive à ce sujet a été prise à l'occasion de la 91e Conférence, tenue à Paris au mois de mars 1994. 3. Ainsi, le Conseil a décidé l'envoi d'une mission composée de trois parlementaires et qui concentrerait essentiellement son attention sur le conflit de Bosnie-Herzégovine. Il a été également convenu qu'il serait opportun que la mission s'informe des affrontements opposant Serbes et Croates dans la région de la Krajina, en Croatie. Le Conseil a confirmé que la mission recevrait un mandat élargi pour appuyer les efforts en faveur de la paix dans cette région et pour ce qui touche au respect des droits de l'homme; son rapport devrait émettre toutes les recommandations qu'elle jugerait nécessaires pour permettre aux Parlements de prendre les mesures les plus appropriées pour assurer la paix et le respect de la dignité humaine. Enfin, le Conseil a recommandé que la mission fasse de son mieux pour avoir des entretiens avec les principaux protagonistes du conflit et qu'à cet effet elle se rende à Sarajevo, Pale, Zagreb et Belgrade. 4. La mission s'est déroulée du 31 juillet au 8 août. A sa tête se trouvait M. le Sénateur Hipolito Solari YRIGOYEN (Argentine), et elle était composée de MM. Geir H. HAARDE (Islande) et Leo McLEAY (Australie). La délégation était accompagnée de M. Anders B. Johnsson, Secrétaire général adjoint de l'Union interparlementaire. Consciente de ce que le temps prévu pour sa visite était extrêmement limité, elle a d'emblée décidé de concentrer son attention sur les événements les plus récents en rapport avec les négociations de paix ainsi que sur la situation actuelle en matière de droits de l'homme dans les pays visités. 5. A la section II du présent rapport, on trouvera un exposé succinct traitant d'une part du contexte dans lequel s'inscrit l'intervention des Nations Unies par rapport au conflit en cours dans les territoires de l'ex-Yougoslavie, et d'autre part de la situation en matière de paix et de respect des droits de l'homme au moment où la mission s'apprêtait à partir. Seront ensuite décrits les travaux de la mission, et enfin, résumées, ses conclusions et recommandations. 6. En soumettant son rapport aux organes directeurs de l'Union, la délégation souhaite exprimer sa gratitude aux dirigeants des Parlements de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de la République fédérative de Yougoslavie, et, à travers eux, à leurs collègues parlementaires, pour leur coopération et pour l'accueil qu'ils lui ont ménagé. Elle tient de même à exprimer sa gratitude aux dirigeants politiques de Pale pour l'avoir reçue et s'être entretenus avec elle. En outre, la délégation rend un hommage particulier à la Force de protection des Nations Unies, notamment pour l'appui, logistique ou autre, qu'elle lui a fourni et faute duquel elle n'aurait pu mener ses travaux à bien.
7. Les affrontements graves en Croatie remontent au mois de juin 1991, époque à laquelle cette république et son voisin du nord, la Slovénie, proclamant leur indépendance, se sont détachés de la République socialiste fédérative de Yougoslavie; or, les Serbes vivant en Croatie, appuyés par l'Armée populaire yougoslave, se sont opposés à cette décision. A la suite de la reconnaissance internationale de ces deux nouveaux Etats indépendants, les Nations Unies se sont trouvées activement engagées par rapport à la situation en Yougoslavie: le Conseil de sécurité a, le 25 septembre 1991, adopté la résolution 713 aux termes de laquelle il se déclarait vivement préoccupé par les affrontements et lançait un appel à tous les Etats pour qu'ils appliquent immédiatement " l'embargo général et total à toutes les fournitures d'armes et d'équipements militaires à l'ex-Yougoslavie ". 8. Après des mois de négociations, au cours desquelles un accord de cessez-le-feu a également été conclu, le Conseil de sécurité a donné son approbation à la mise en place de la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) pour une première période de 12 mois. Ce mandat, reconduit plusieurs fois, couvre aujourd'hui la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, l'ex-République yougoslave de Macédoine et la République fédérative de Yougoslavie. Le quartier général de la FORPRONU, installé tout d'abord à Sarajevo, s'est transporté à Belgrade, puis à Zagreb. Il dispose également d'un bureau de liaison en Slovénie. 9. Le plan des Nations Unies pour la Croatie, tel que conçu initialement, comporte deux grands volets: (i) le retrait de l'Armée populaire yougoslave de l'ensemble du territoire croate, et la démilitarisation des Zones protégées des Nations Unies; (ii) la confirmation, à titre intérimaire, des fonctions des autorités et des forces de police locales, sous la supervision des Nations Unies, dans l'attente d'une solution politique globale à la crise. Ce plan a été ultérieurement élargi pour permettre à la FORPRONU de: (i) surveiller les " zones roses ", qui sont situées en dehors des Zones protégées, contrôlées par l'Armée populaire yougoslave et depuis lors largement peuplées de Serbes; (ii) contrôler l'entrée des civils dans les Zones protégées, et assurer les services de douane et d'immigration aux frontières internationales des Zones protégées; (iii) assurer la démilitarisation de la péninsule de Prevlaka, au voisinage de Dubrovnik. 10. Le 22 janvier 1993, l'armée croate a lancé une offensive en de multiples points dans le sud de la Zone protégée Sud et dans la " zone rose " qui jouxte celle-ci. Les Serbes y ont répondu en pénétrant de force dans de nombreux dépôts aménagés dans les Zones protégées et placés sous surveillance conjointe avec système à double clef, et en y reprenant possession des armes qui s'y trouvaient, matériels lourds compris. Le Conseil de sécurité a, le 25 janvier 1993, adopté la résolution 802, laquelle, notamment, appelait les forces armées croates à cesser immédiatement leurs activités hostiles à l'intérieur ou à proximité des Zones protégées et à s'en retirer, en même temps qu'elle demandait qu'il soit mis fin aux attaques contre le personnel de la FORPRONU et que soient rendues les armes lourdes saisies dans les entrepôts placés sous la garde de la FORPRONU, et qu'elle invitait toutes les parties de se conformer strictement aux modalités des accords de cessez-le-feu. A l'issue de plusieurs cycles de négociations, le Gouvernement croate et les autorités locales serbes ont signé un accord relatif à l'application de la résolution 802. 11. Enfin, le 17 décembre 1993, les représentants croates et les autorités locales serbes de Croatie ont signé une Trêve de Noèl engageant les deux parties à suspendre complètement les hostilités sur tous les fronts, du 23 décembre au 15 janvier 1994 à minuit. Ils sont également convenus de mettre en oeuvre certaines mesures de confiance et d'ouvrir, dès le début de la trêve, des négociations pour un cessez-le-feu " généralisé et durable ", assorti d'une véritable séparation des forces en présence. Par la suite, cette trêve a été prolongée au-delà du 15 janvier et, depuis lors, elle est en général respectée. 12. Entre-temps, les hostilités avaient éclaté en Bosnie-Herzégovine. Le 15 octobre 1991, après le départ de la majorité des députés serbes, l'Assemblée nationale a adopté une résolution par laquelle la République de Bosnie-Herzégovine était proclamée Etat souverain à l'intérieur de ses frontières existantes. Rejetant cette résolution, la région autonome serbe, autoproclamée, a fait savoir que seules les lois et la Constitution fédérales seraient en vigueur sur son territoire. Par la suite, à l'occasion d'un référendum qui a eu lieu le 29 mars et le 1er avril, ouvert à tous les groupes ethniques mais boycotté par les Serbes, 99,4 pour cent des votants, qui représentaient 63 pour cent de l'électorat, se sont prononcés pour l'indépendance totale. L'indépendance de la République a été proclamée immédiatement après. 13. Par de nombreuses résolutions et déclarations, le Conseil de sécurité a exhorté toutes les parties à conclure un cessez-le-feu et à rechercher une solution politique négociée, tandis qu'il exigeait, entre autres choses, que cesse immédiatement en Bosnie-Herzégovine toute ingérence extérieure, y compris de la part de l'Armée populaire yougoslave et des forces armées croates, et que soient désarmées et démantelées toutes les forces locales irrégulières. Le 30 mai 1992, il a infligé une large gamme de sanctions à la République fédérative de Yougoslavie en vue d'appuyer la recherche d'une solution pacifique au conflit. 14. A mesure que le conflit se propageait, le Conseil de sécurité a pris des mesures supplémentaires, dont l'extension de la mission de la FORPRONU en Bosnie-Herzégovine. La force de protection a été ainsi chargée principalement: (i) de prendre des dispositions pour assurer la sécurité de l'aéroport de Sarajevo; (ii) d'assurer la protection des convois humanitaires; (iii) de faire respecter l'interdiction de l'espace aérien de Bosnie-Herzégovine; (iv) d'assurer la garde des frontières; (v) de créer des zones de sécurité; (vi) de procéder à des frappes aériennes; (vii) de veiller à ce que toutes les armes lourdes soient retirées des parages immédiats de Sarajevo. 15. Informée de violations massives des droits de l'homme et du droit international humanitaire, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a créé, le 23 février 1993, l'Office du Rapporteur spécial chargé de la situation des droits de l'homme dans le territoire de l'ex-Yougoslavie. Dans son dernier rapport à la Commission des droits de l'homme, le Rapporteur spécial observait que la guerre se poursuivait sans relâche en Bosnie-Herzégovine et qu'elle s'accompagnait toujours de violations massives des droits de l'homme et du droit humanitaire. Des populations entières étaient encore terrorisées et harcelées, et cela surtout, encore que non exclusivement, dans les territoires que contrôlent les forces serbes de Bosnie et croates de Bosnie. Le Rapporteur spécial attirait l'attention sur les diverses souffrances qu'endurent certains groupes de personnes: terreur qu'accompagne la " purification ethnique ", détentions, déportations de populations, viols, attaques militaires contre des civils et perturbations occasionnées à l'aide humanitaire. 16. Concernant la situation en Croatie, le Rapporteur spécial relevait que les violations du droit humanitaire avaient considérablement diminué depuis son rapport précédent, remontant au mois de novembre 1993. Il notait toutefois qu'il se produit de graves violations des droits de l'homme et que certains groupes minoritaires font systématiquement l'objet de traitements discriminatoires et de pratiques arbitraires de la part des autorités. Son rapport était axé sur les moyens légaux de mettre fin aux violations des droits de l'homme, à la discrimination contre les Serbes, musulmans et autres groupes, aux expulsions illicites et forcées, sur la situation des réfugiés, sur la situation des médias et sur celle prévalant dans les Zones protégées des Nations Unies. 17. A propos de la République fédérative de Yougoslavie, le Rapporteur spécial a informé la Commission qu'il continuait à recevoir des rapports inquiétants sur les violations des droits de l'homme. Il estimait que la situation de certains groupes ethniques ou religieux demeurait une cause de vive préoccupation. Son rapport faisait avant tout le point de la situation en Serbie et traitait de questions relatives à la sécurité des personnes, à l'incitation publique à la discrimination et à la haine contre les minorités, à la liberté d'expression et à la situation des médias, à l'objection de conscience, et au refoulement des réfugiés, sans oublier l'enrôlement forcé. Ce document contenait en outre des chapitres consacrés spécifiquement à la situation au Kosovo (où, était-il indiqué, la détérioration de la situation en matière de droits de l'homme se poursuit), dans la région du Sandjak et en Voïvodine (on y a enregistré une amélioration), ainsi qu'au Monténégro. 18. D'emblée, la communauté internationale a tenté de trouver une solution aux conflits dans lesquels cette région du monde est plongée. Ces efforts ont été vigoureusement emmenés par les Nations Unies elles-mêmes ainsi que par la Conférence sur l'ex-Yougoslavie (celle-ci, réunie pour la première fois en août 1992, est présidée conjointement par un représentant du Secrétaire général des Nations Unies et par un représentant de la Présidence de l'Union européenne), avec le concours de plusieurs des principales puissances. 19. Pour la Croatie, ces efforts ont abouti à un accord: réunies en Norvège du 1er au 3 novembre 1993, les parties au conflit sont convenues de suivre une stratégie de poursuite des négociations en trois phases: (i) accord de cessez-le-feu; (ii) mesures de confiance d'ordre économique; (iii) négociation des problèmes politiques. A la suite de quoi les parties ont, le 29 mars 1994, négocié et signé un accord de cessez-le-feu. A l'époque où se déroulait la mission, la deuxième phase de ce processus n'était pas encore engagée. 20. Quant au conflit en Bosnie-Herzégovine, les musulmans bosniaques et les Croates de Bosnie ont eu, après de nombreux mois de combats, des entretiens à Vienne puis à Washington, qui ont finalement débouché d'une part sur la signature, le 1er mars 1994, d'un accord-cadre aux termes duquel a été créée une Fédération des régions de la République de Bosnie-Herzégovine à majorité bosniaque et croate; d'autre part sur une esquisse d'accord préliminaire relatif à une confédération entre la République de Croatie et ladite Fédération. Par la suite, les parties, réunies à Washington le 18 mars 1994, ont signé la Constitution de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (également appelée " Accord de Washington "). 21. Parallèlement, un " Groupe de contact " composé des Etats-Unis d'Amérique, de la Fédération russe, de la France, de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni s'est constitué dans le dessein d'obtenir de toutes les parties au conflit en Bosnie-Herzégovine qu'elles acceptent un règlement global du conflit. Le 6 juillet 1994, le Groupe de contact a présenté aux parties un projet de découpage qui attribuerait 51 pour cent du territoire à la Fédération croato-bosniaque et 49 pour cent aux Serbes de Bosnie (la carte correspondant à ce projet est reproduite à l'annexe I). 22. La veille du départ de la mission pour l'ex-Yougoslavie, le 30 juillet, les ministres des Affaires étrangères d'Allemagne, des Etats-Unis d'Amérique, de la Fédération de Russie, de la France, de la Grèce, du Royaume-Uni, ainsi que le Commissaire de l'Union européenne pour les Affaires extérieures et les deux co-Présidents de la Conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie, se sont rencontrés à Genève. En cette occasion, les ministres ont appris avec satisfaction que la délégation croato-bosniaque avait accepté la proposition du Groupe de contact, cependant qu'ils demandaient instamment au Gouvernement bosniaque de persister dans cette position et dans sa volonté d'aboutir à un règlement négocié du conflit. En même temps, ils ont exprimé leurs profonds regrets d'apprendre que la délégation serbe n'acceptait pas la proposition du Groupe de contact. Ils ont invité les dirigeants des Serbes de Bosnie à reconsidérer d'urgence leur réponse et à se rallier sans équivoque à la proposition. 23. En outre, les ministres sont convenus, entre autres choses: (i) de proposer au Conseil de sécurité l'extension des sanctions contre la République fédérative de Yougoslavie et le renforcement des sanctions actuelles; (ii) de préparer un projet de résolution relatif à la levée de ces sanctions, projet à soumettre au Conseil de sécurité dès que les Serbes de Bosnie adhéreraient à la proposition du Groupe de contact; (iii) de développer la coopération internationale avec les Etats voisins de manière que les sanctions soient appliquées strictement; (iv) de renforcer le régime administratif des Zones de sécurité, en vue de quoi ils ont aussi demandé l'achèvement de la planification pour que les sanctions soient appliquées strictement et que les zones d'exclusion soient étendues.
24. Les ministres ont conclu qu'en cas de refus persistant opposé
à la proposition du Groupe de contact, la décision,
en dernier ressort, du Conseil de sécurité de lever
l'embargo sur les armes pourrait se révéler inévitable.
Ils ont estimé que cela aurait des conséquences
sur la présence de la Force de protection des Nations Unies.
25. Les travaux de la mission ont débuté à Zagreb, le 1er août, par des entretiens avec des responsables de haut niveau de la FORPRONU, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et du Comité international de la Croix-Rouge, portant sur la situation en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. (On trouvera à l'annexe II la liste complète des personnes que la délégation a rencontrées dans le cadre de ses travaux.) Le lendemain, la délégation a rencontré le Vice-Ministre des affaires étrangères de Croatie ainsi que les représentants de trois des principaux partis politiques représentés au Sabor croate, en même temps qu'un parlementaire indépendant. (A son retour de Sarajevo, la délégation a rencontré à Zagreb les représentants de plusieurs autres partis. Voir le paragraphe suivant.) La délégation s'est également rendue à Karlovac, où elle s'est entretenue avec le préfet. Elle a de plus visité un point de contrôle des Nations Unies sur la ligne de démarcation de la Zone protégée des Nations Unies ainsi qu'un camp de réfugiées et de personnes déplacées. 26. Le 3 août, la mission a gagné Sarajevo, où elle a eu plusieurs entretiens avec des parlementaires de divers partis politiques. Elle a en outre rencontré un membre de la Présidence de la République de Bosnie-Herzégovine; elle a ensuite assisté à une séance d'information approfondie au siège de la FORPRONU. Le lendemain, elle est allée à Pale; là, elle a été reçue par le Vice-Président de la " République serbe de Bosnie-Herzégovine ", autoproclamée, et par le Président de l'" Assemblée " de cette entité, lequel était précédemment Président de l'Assemblée nationale de Bosnie-Herzégovine. Dans l'après-midi, la délégation est rentrée à Sarajevo, puis à Zagreb, où elle s'est entretenue avec les représentants de plusieurs partis politiques, d'opposition pour la plupart. 27. Le 5 août, la mission est partie pour Belgrade. La, elle a rencontré des représentants de haut niveau de la FORPRONU, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et de la Mission d'observation de l'Union européenne. Elle s'est aussi longuement entretenue avec le Ministre des affaires étrangères de la République fédérative de Yougoslavie. Le lendemain, elle a rencontré le chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge à Belgrade, après quoi elle a eu de longs entretiens avec des parlementaires appartenant à plusieurs des partis politiques représentés à l'Assemblée fédérale de Yougoslavie. Une fois ses travaux achevés, au 7 août, la délégation s'est rendue par voie de terre à Budapest, puis, de là, elle a regagné Genève. Le lendemain, ses membres se sont réunis pour préparer un projet de rapport. Elle a également rencontré des journalistes accrédités auprès du Bureau des Nations Unies de Genève. 28. Conformément au mandat qui lui avait été confié, la délégation a, lors de ses entretiens, abordé trois grandes questions: (i) les perspectives de paix dans les territoires occupés de Croatie; (ii) les perspectives de paix en Bosnie-Herzégovine; (iii) la situation prévalant dans le pays visité, notamment pour ce qui concerne les droits de l'homme. On trouvera résumé ci-dessous ce que les membres de la délégation ont retiré des vues exprimées sur ces sujets. (i) Perspectives de paix dans les territoires occupés de Croatie 29. Quasiment tous les parlementaires que la délégation a rencontrés ont déclaré que la guerre en Croatie était la conséquence de l'agression des Serbes, livrant une guerre de conquête typique. Il a été affirmé que l'armée populaire yougoslave avait occupé le territoire croate pour l'annexer dans le cadre d'une Grande Serbie. Les parlementaires ont constamment écarté avec fermeté les hypothèses selon lesquelles le conflit résulterait de la sécession de la Croatie, qui faisait partie précédemment de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, ou bien encore des craintes des Serbes de Croatie quant à leur sécurité. Les parlementaires ont également fait savoir qu'ils refusaient le principe même de l'existence d'une entité qui se nommerait " Krajina ", et que celle-ci ne serait jamais tolérée. 30. L'un des parlementaires voyait dans le conflit la conséquence de la répression qu'avait connue l'ex-Yougoslavie. Un autre parlementaire à rappelé qu'en Croatie les Serbes, tout comme les Juifs, avaient été victimes d'un génocide pendant la Seconde guerre mondiale. Avec l'éclatement de l'ex-fédération, ils craindraient de faire à nouveau l'objet d'une répression. Un autre parlementaire a souligné que maints autres pays, de même que la communauté internationale en général, n'avaient pas témoigné d'une attitude très responsable durant la crise et méritaient, en partie au moins, d'être blâmés. 31. Quant à résoudre le problème, tous les parlementaires ont exprimé l'opinion qu'une solution pacifique était nécessaire et qu'il faudrait mener des négociations à cet effet. Certains d'entre eux ont néanmoins fait remarquer que tout gouvernement est en droit de faire régner la loi et l'ordre sur l'ensemble du territoire de l'Etat dont il a charge, et ils ont semblé sous-entendre que, si les négociations échouaient, les territoires seraient repris par la force. L'un des parlementaires a déclaré que seule une solution pacifique était acceptable, et qu'on n'y parviendrait que par le dialogue et les concessions des deux côtés. 32. La plupart des parlementaires ont désapprouvé l'idée qu'une certaine forme d'autonomie puisse être accordée aux territoires occupés par les Serbes, plusieurs d'entre eux rejetant l'idée que cette partie de la Croatie pourrait jouir de quelconques droits particuliers. D'autres ont insisté sur le fait que toute solution doit se fonder sur l'actuelle Constitution croate. L'un d'eux, qui plaidait contre toute cession de territoire, a cependant estimé qu'il fallait davantage d'autonomie là où vivent des Serbes. Selon lui, notamment, la Constitution croate, bien qu'elle réponde à nombre de préoccupations des Serbes, n'est pas complètement satisfaisante de ce point de vue; il faut aussi laisser passer du temps pour que les tensions diminuent et que la confiance s'établisse, avant qu'on puisse trouver une solution définitive. Plusieurs parlementaires ont par ailleurs jugé qu'il convenait de modifier le mandat de la FORPRONU, faisant valoir, entre autres, que celle-ci devrait être déployée sur la frontière qui sépare la Croatie de la Bosnie-Herzégovine. 33. Le Vice-Ministre des affaires étrangères estime pour sa part que la guerre en Croatie résulte de l'agression serbe et que les territoires occupés étaient déjà en voie d'intégration dans la Grande Serbie. Les communications téléphoniques transitent par la Yougoslavie, la monnaie officielle y est le dinar yougoslave, et l'on y utilise des manuels scolaires yougoslaves. Il a relevé qu'avant l'agression quelque 120 000 Croates et 70 000 autres personnes vivaient dans les territoires occupés, qui comptent aujourd'hui 180 000 habitants, presque exclusivement des Serbes venus de Serbie et de Bosnie, qui occupent 25 pour cent du territoire de la Croatie alors qu'ils ne représentent que quatre pour cent de sa population. Cependant, dix pour cent de la population, en majorité croate, ont été déplacés. 34. Selon le Vice-Ministre des affaires étrangères, il faut, pour parvenir à trouver une solution au conflit, que la République fédérative de Yougoslavie et la Croatie reconnaissent mutuellement leurs frontières existantes. Cela résoudrait une partie substantielle du problème, le reste pouvant être réglé pacifiquement par la négociation. Le vice-ministre a réitéré les propositions faites précédemment par le Président relatives à l'octroi d'une autonomie politique à deux des parties des territoires occupés où, lors du recensement de 1991, les Serbes constituaient la majorité de la population. Il a de plus demandé que le mandat de la FORPRONU soit modifié de manière que celle-ci puisse faire respecter la paix. Il a pour finir déclaré que la Croatie, comme tout autre pays, devait défendre sa souveraineté et qu'elle ne saurait consentir à devenir une autre Chypre. (ii) Perspectives de paix en Bosnie-Herzégovine 35. La plupart des parlementaires ont affirmé leur soutien à l'Accord de Washington et à la récente proposition du Groupe de contact. Ils ont aussi dit reconnaître sans restrictions les frontières internationales de la Bosnie-Herzégovine. En revanche, l'un des parlementaires a déclaré que la proposition du Groupe de contact n'était pas équitable: ne comptant que pour 33 pour cent de la population, il n'était pas justifié que les Serbes se voient attribuer 49 pour cent du territoire. Un autre parlementaire a quant à lui rejeté purement et simplement cette proposition, car, selon lui, elle équivaudrait à récompenser les Serbes de leur agression. 36. Selon un autre parlementaire, les Serbes devraient être punis, et la Serbie, démilitarisée pour une cinquantaine d'années. D'autres parlementaires ont estimé que n'importe quelle solution était préférable à la situation actuelle, intolérable à leurs yeux. 37. Concernant l'embargo sur les armes, nombre de parlementaires jugent que celui-ci confère un avantage injuste aux Serbes et ils forment l'espoir qu'il soit bientôt levé. Certains d'entre eux ont fait valoir que la levée de l'embargo ne se traduirait pas automatiquement par une intensification de la guerre, mais qu'il conférerait simplement à la Fédération croato-bosniaque une position plus favorable pour négocier et, partant, de meilleures possibilités de défendre ses intérêts. 38. Le Vice-Ministre des affaires étrangères a noté que la Croatie soutenait pleinement la proposition du Groupe de contact. La suggestion des Serbes de Bosnie qu'aient lieu des pourparlers supplémentaires pour apporter certaines modifications à la carte telle que proposée est parfaitement inacceptable. Il est selon lui impératif que les nouveaux Etats nés de l'ex-Yougoslavie se reconnaissent mutuellement et reconnaissent leurs frontières telles qu'admises par la communauté internationale. De manière générale, le vice-ministre s'est prononcé en faveur de la levée de l'embargo sur les armes, qui permettrait à la Fédération croato-bosniaque de se défendre. En revanche, il a élevé une mise en garde: la levée de l'embargo équivaudrait à un échec de la communauté internationale, pourrait entraîner le départ de la FORPRONU et mènerait à la guerre généralisée, qui, dès lors probablement, se propagerait. Les efforts actuels représentant à ses yeux la dernière chance de rétablir la paix, rien ne doit être épargné pour les soutenir. Le vice-ministre croit que, après tout ce qui s'est produit, les diverses communautés ethniques ne désirent plus cohabiter. La fédération croato-bosniaque y est parvenue. On pourrait envisager une sorte d'" union lâche " entre la Fédération et les Serbes de Bosnie. Le même principe devrait bénéficier aux deux côtés. Les Serbes veulent s'associer à la Yougoslavie, ce contre quoi il n'a pas d'objection, tandis que, similairement, la Fédération croato-bosniaque devrait être autorisée à s'associer à la Croatie. 39. La plupart des parlementaires ont estimé que, dans l'ensemble, la situation des droits de l'homme en Croatie, y compris pour ce qui touche à la protection des Serbes, est satisfaisante. Ils ont exprimé l'opinion que certaines défaillances pouvaient être imputables à l'agression serbe. Il a été fait remarquer que la Constitution de Croatie est conforme aux normes européennes de protection des minorités les plus exigeantes, et qu'elle stipule, en son article 15, que " les membres de toutes les nations et de toutes les minorités jouiront de droits égaux dans la République de Croatie ", de même que " leur seront garanties la liberté d'exprimer leur nationalité, la liberté d'utiliser leur langue et leur écriture, et leur autonomie culturelle. " La loi électorale prévoit l'élection de représentants des minorités, et certains des parlementaires ont souligné que la minorité serbe jouissait d'un droit de représentation au sein de tous les organes de l'Etat, eu égard à quoi on trouvait 13 Serbes au Sabor. Un parlementaire indépendant, membre d'une minorité, a relevé que les Serbes, concrètement, jouissaient de droits plus avancés que lui-même. 40. A propos de certaines questions soulevées par le Rapporteur spécial de la Commission des Nations Unies pour les droits de l'homme (discrimination, expulsions illégales et forcées de logements, situation des médias), il a été répondu que des progrès importants avaient été accomplis. Un parlementaire a souligné que la législation relative aux droits de l'homme et aux droits des minorités avait été élaborée avec le concours de spécialistes internationaux. 41. Aux dires de plusieurs parlementaires, les expulsions ne représentaient qu'un problème de moindre importance touchant seulement quelques centaines des 40 000 appartements de l'ex-Armée populaire yougoslave en Croatie, ces appartements ayant été attribués par l'ancienne armée après qu'eut été édicté, le 25 juillet 1991, un règlement prohibant leur attribution à des soldats de l'ex-Armée populaire yougoslave. On a répertorié 26 catégories de personnes (y compris les veuves de guerre et d'autres victimes de la guerre en Croatie) ayant qualité pour être logées dans ces appartements. L'un des parlementaires a affirmé qu'au cours des derniers mois on n'avait procédé à pratiquement aucune explusion. Récemment, quelques expulsions avaient été ordonnées par un tribunal compétent, mais, en raison des protestations des intéressés, il n'avait pas été possible d'y procéder. Un autre parlementaire a dit qu'il conviendrait de le faire avec beaucoup plus de rigueur qu'on en avait montré jusqu'alors. 42. Un parlementaire a déclaré que la discrimination et les problèmes en rapport avec la citoyenneté, dont il était fait mention dans le rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies, étaient eux aussi en recul. Il a relevé que la vie politique en Croatie s'améliorait et que la démocratie gagnait du terrain. Quant aux médias, ils jouiraient désormais de bien plus de liberté, bien que les partis d'opposition y vissent dans une radio et une télévision d'Etat un sérieux obstacle. Il a exprimé l'espoir que, grâce à une loi récemment votée qui dispose leur privatisation, on lèverait cet obstacle. 43. Plusieurs parlementaires ont abordé la question des droits de l'homme dans les territoires occupés. Selon eux, les Serbes y pratiquent la " purification ethnique ", en recourant à la terreur pour contraindre les Croates à en partir, ce qui fait de ces derniers des personnes déplacées. Un parlementaire indépendant a relevé que les Serbes eux-mêmes n'étaient pas épargnés par la terreur, et il a informé la délégation que, la veille, un Serbe avait été tué pour avoir refusé de rallier l'armée serbe de Bosnie. 44. Plusieurs parlementaires ont estimé que, s'agissant de résoudre le conflit, le Parlement devrait avoir davantage voix au chapitre. Ils se sont plaints d'être insuffisamment informés du détail des pourparlers en cours; plus précisément, le Parlement devrait être plus impliqué dans les décisions relatives au mandat de la FORPRONU. En même temps que certains de leurs collègues, ils ont exprimé leurs vives préoccupations à l'égard des conséquences sociales fâcheuses du conflit en Croatie. 45. Le Vice-Ministre des affaires étrangères a fait valoir que le respect des droits de l'homme jouait un rôle important dans la solution du conflit. Attachée à la défense et à l'avancement des droits de l'homme, la Croatie a adopté une législation garantissant aux minorités une protection particulière. Il a reconnu que sa mise en application rencontrait certaines difficultés, mais il a réitéré la détermination inflexible de son gouvernement d'en venir à bout. L'autonomie culturelle est offerte à tous les Serbes de Croatie, dont, a-t-il noté, la moitié vit en dehors des territoires occupés, parfaitement intégrée à la société. Le Vice-Ministre des affaires étrangères a fait remarquer qu'on trouvait au sein du Gouvernement croate un ministre chargé des minorités nationales, et que ce ministre était alors un Serbe. 46. Certains représentants d'organisations internationales que la mission a rencontrés ont insisté sur les dégâts énormes qu'a causés le conflit. Actuellement, on comptait 97 000 réfugiés et personnes déplacées dans les Zones protégées des Nations Unies, cependant qu'il y avait, dans d'autres territoires de Croatie, 247 000 autres personnes déplacées auxquelles s'ajoutaient 268 000 réfugiés venus de Bosnie-Herzégovine. En l'absence de perspective de solution à court terme aux conflits, des frustrations sociales et des tensions se sont manifestées, susceptibles d'entraîner d'autres graves difficultés. Il faut voir un avertissement dans le fait que l'association des personnes déplacées a récemment bloqué l'accès aux Zones protégées des Nations Unies. Réunions en Bosnie-Herzégovine (i) Perspectives de paix en Bosnie-Herzégovine 47. Pour tous les politiciens avec lesquels la mission a eu affaire à Sarajevo, la guerre en Bosnie-Herzégovine constitue un acte d'agression de la part des Serbes et l'ex-Armée populaire yougoslave, qui tentent de créer une Grande Serbie. Ce n'est pas seulement vrai pour la Bosnie-Herzégovine, mais aussi pour la Croatie. L'hypothèse selon laquelle ce serait les déclarations d'indépendance de ces pays qui auraient causé la guerre a été refusée. 48. La plupart des personnes rencontrées ont manifesté leur soutien à la proposition du Groupe de contact. Il a été fait remarquer que celle-ci ne répondait pas pleinement aux préoccupations des communautés croate et bosniaque de Bosnie, en particulier pour les personnes qui devraient quitter les territoires attribués aux Serbes de Bosnie par le plan du Groupe de contact. La délégation s'est entendu dire que bien qu'il soit prévu de concéder 49 pour cent du territoire de la Bosnie-Herzégovine aux Serbes alors qu'ils ne représentaient que 42 pour cent de sa population, la paix, à l'évidence, ne pouvait être instaurée que par le compromis, ce à quoi la plupart des interlocuteurs de la mission étaient disposés. 49. Par contre, certains des parlementaires ont jugé la proposition du Groupe de contact absolument inacceptable. Elle équivaudrait à récompenser l'agresseur et se solderait par une division de la Bosnie-Herzégovine en deux Etats séparés. Ces mêmes parlementaires ont affirmé qu'on ne pouvait envisager la paix si l'existence de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant n'était pas reconnue, et son intégrité, garantie. Selon l'un des parlementaires, la proposition du Groupe de contact est gravement viciée parce qu'elle ne prévoit aucun mécanisme de contrôle de sa mise en application. Plusieurs parlementaires ont fait valoir qu'aucune paix n'était possible tant que tous les négociateurs et toutes les parties fonderaient leur argumentation sur la question des nationalités; ils ont exprimé l'espoir que des rôles plus importants à l'égard du processus de paix seraient distribués aux partis politiques de tous bords que n'anime pas le nationalisme. 50. La mission a été informée qu'à Sarajevo le Parlement avait accepté la proposition du Groupe de contact par 87 voix contre 17, et deux abstentions. Selon les sources, ceux qui avaient voté contre la proposition ne s'étaient pas en cela conformé à de quelconques directives de leur parti; en fait, il s'agissait le plus souvent d'élus du parti au pouvoir, lequel, selon le projet, perdrait son électorat puisque celui-ci serait dans l'avenir en zone serbe. 51. Plusieurs parlementaires ont fait savoir catégoriquement qu'ils ne sauraient accepter quelque lien que ce soit entre l'entité des Serbes de Bosnie et la République fédérative de Yougoslavie. L'idée d'une union entre l'entité croato-bosniaque et l'entité serbe ne leur plaisait guère, et ils ont insisté sur le fait que, sans considération de la forme que revêtirait l'Union, celle-ci devrait seule assurer certaines prérogatives de l'Etat telles les Affaires étrangères, l'émission d'une monnaie unique, les télécommunications, la gestion du réseau routier etc. 52. De même, maints parlementaires ont fait valoir que le conflit en Bosnie-Herzégovine s'inscrivait dans le cadre du conflit qui touchait en général les territoires de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie; on ne parviendrait véritablement à la paix que si toutes les questions contentieuses étaient réglées. Il a été suggéré que la reconnaissance mutuelle par les différents pays constituerait un aspect important de la solution. 53. Au sujet de la levée de l'embargo sur les armes, plusieurs parlementaires ont suggéré qu'elle serait importante en ce qu'elle permettrait à la Fédération croato-bosniaque de se défendre et qu'elle marquerait le soutien de la communauté internationale. L'un d'eux a souligné que la levée de l'embargo sur les armes équivaudrait à un aveu d'échec de la part de la communauté internationale et que la guerre s'intensifierait. Faute d'une levée de l'embargo, ont déclaré de nombreux parlementaires, la seule formule raisonnable serait de démilitariser l'ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine. 54. Certains des parlementaires ont suggéré que le Parlement devrait jouer un rôle plus important dans la recherche des moyens de mettre fin au conflit et d'une solution durable pour la Bosnie-Herzégovine; il conviendrait d'organiser des réunions auxquelles les parlementaires de tous les partis politiques représentés pourraient confronter leurs vues sur l'avenir du pays. 55. A Pale, les interlocuteurs de la mission ont tenu des propos diamétralement opposés. Ils se sont référés à l'histoire de la nation serbe et ont rappelé avec insistance les agressions dont elle avait souffert au cours du temps. Selon eux, la résolution d'indépendance adoptée le 15 octobre 1991 par le Parlement de Bosnie-Herzégovine était inconstitutionnelle, tout comme le référendum (boycotté par la population serbe de Bosnie) et la Déclaration d'indépendance qui y ont fait suite; c'est dans ces actes, contraires aux dispositifs constitutionnels en vigueur dans la République, qui impose, pour tout amendement à la Constitution, le consensus des trois communautés, qu'il convenait de voir la cause immédiate de la guerre. La Bosnie-Herzégovine n'avait jamais été un Etat multi-ethnique dans le sens où le présentaient les médias étrangers. Ils ont de même affirmé avoir toujours vécu en formant des communautés distinctes et séparées attachées à leurs particularismes ethniques, et cela tant à la campagne que dans les villes, cependant qu'eux, les Serbes, possédaient environ 64 pour cent des terres. 56. Ils avaient le sentiment que la paix pourrait être rétablie si toutes les parties au conflit faisaient preuve de bonne volonté. A ce propos, ils ont exprimé des doutes quant à la sincérité de la Fédération croato-bosniaque qui, selon eux, cherchait à continuer la guerre, l'objectif ultime des musulmans étant de forcer les Serbes de Bosnie-Herzégovine à gagner la Serbie. Ils ont souligné combien il était important d'instaurer la confiance entre les parties en même temps qu'une atmosphère propice à la paix. Dans cette optique, il faudrait obtenir un cessez-le-feu stable, assorti d'une cessation complète des hostilités. En outre, ils ont exprimé leur soutien à la conclusion d'un accord pour mettre fin aux actions des tireurs isolés. Ils ont aussi insisté sur le fait qu'il fallait respecter l'accord du 8 juin 1994 relatif à l'échange des quelque 500 prisonniers de guerre détenus encore par chaque côté. 57. Pour ce qui concerne une solution définitive, ils ont rejeté la proposition du Groupe de contact, déclarant que les Serbes préféraient mourir plutôt que d'accepter une proposition équivalant à leurs yeux à capituler. Bien que d'accord avec le principe d'une répartition à 49 et 51 pour cent du territoire, ils ont estimé que le projet d'entité serbe, dans son aspect topographique, était inacceptable en termes de ressources et de communications entre ses diverses parties. La proposition pourrait toutefois servir de plate-forme pour d'autres pourparlers entre les parties, avec l'aide d'un médiateur. 58. Précisément, ils ont suggéré que, contre plus de territoire pour la Fédération croato-bosniaque au centre-ouest de la Bosnie-Herzégovine, l'entité serbe en reçoive elle-même davantage à l'ouest du pays, autour de Sanski Host; que, au nord, il lui soit ménagé un corridor plus large pour relier ses deux parties; et que, à l'est de la Bosnie, les trois enclaves de Goradze, Zepa et Srebenica soient intégrées dans le territoire serbe, où elles bénéficieraient néanmoins d'un statut d'autonomie. 59. Quant à la formule constitutionnelle de la future Bosnie-Herzégovine, ils ont affirmé que les diverses communautés ne désiraient plus cohabiter, les Serbes souhaitant ne vivre qu'avec d'autres Serbes. Aussi n'existerait-il selon eux que trois possibilités: (i) création d'un Etat serbe indépendant constitué de diverses parties du territoire de l'ex-Bosnie-Herzégovine; (ii) union de ces mêmes parties avec la Serbie; (iii) union de ces mêmes parties avec les zones de Croatie que contrôlent les Serbes. (ii) Situation en Bosnie-Herzégovine 60. Peu de parlementaires ont abordé la question de la situation en Bosnie-Herzégovine. A Sarajevo, les parlementaires ont insisté sur l'importance d'un strict respect des droits de l'homme, tout en estimant que c'était là chose difficile à réaliser en temps de guerre. Ils ont rappelé que les Serbes de Bosnie pratiquaient la " purification ethnique " et dit que, dans le pays, chaque famille comptait parmi ses membres au moins un réfugié ou une personne déplacée au cause du conflit. Ils ont affirmé qu'il ne saurait y avoir de paix durable si toutes ces personnes ne pouvaient retourner à leur lieu d'origine reprendre possession de leurs biens. Ils ont fait savoir qu'ils désiraient préserver le principe de société multi-ethnique et fait remarquer que des 160 parlementaires participant actuellement aux travaux du Parlement, 95 étaient bosniaques, 48, croates et 11, serbes (dont le Président de l'Assemblée), tandis que six appartenaient à d'autres groupes ethniques. 61. A Pale, les interlocuteurs de la mission ont souvent soutenu des points de vue différents. Pour eux, au moins 80 pour cent de la soi-disant " purification ethnique " n'avait jamais eu lieu mais était le produit d'une campagne de propagande contre les Serbes, la population s'étant tout simplement enfuie. Ils ont également exprimé le sentiment que les Serbes n'accepteraient jamais de cohabiter avec les Croates et les musulmans et qu'ils doutaient de leur sincérité lorsque ceux-ci prônaient une société multi-ethnique. C'est pourquoi ils ne pouvaient pleinement souscrire au droit des réfugiés et des personnes déplacées à regagner leur lieu d'origine, sauf peut-être pour quelques-uns d'entre eux. Ils ont par contre suggéré que les droits de propriété soient garantis de manière que les familles des différentes communautés puissent procéder à des échanges, ce qui, a-t-on dit, se produisait déjà par endroits à l'échelon local. 62. A la requête du Comité de l'Union interparlementaire pour les droits de l'homme des parlementaires, la mission, alors qu'elle se trouvait à Pale, a aussi évoqué le cas de l'un des députés du Parlement de Sarajevo qui a été arrêté à Zepec, le 30 juin 1993, par les Forces de défense croates de Bosnie (HVO) et remis aux forces serbes le lendemain. Il est depuis lors retenu captif et a été visité par le Comité international de la Croix-Rouge. Depuis le début de l'année, le CICR ignore où il se trouve. La délégation s'est entendu répondre par ses interlocuteurs que de graves présomptions, y compris des présomptions de trahison, pesaient sur le parlementaire en question, en raison de quoi il devrait être jugé conformément à la loi. Il pourrait toutefois bénéficier de l'amnistie dans le cadre de l'accord d'échange de prisonniers conclu le 8 juin dernier, et être relâché dès que la Fédération croato-bosniaque accepterait de libérer tous les prisonniers de guerre, conformément aux engagements. La mission produira sur cette affaire un rapport séparé à l'intention du Comité pour les droits de l'homme des parlementaires. 63. Plusieurs représentants des organisations internationales présentes dans l'ex-Yougoslavie ont déclaré que toutes les parties au conflit avaient commis de graves violations des droits de l'homme. Certains des interlocuteurs de la délégation ont constaté au cours des 12 derniers mois une amélioration de la situation en matière de droits de l'homme, bien qu'on soit toujours confronté à maints problèmes graves. Il y a en Bosnie-Herzégovine plus de 2,7 millions de personnes déplacées, dont la survie dépend de l'aide humanitaire des Nations Unies. Le manque d'aide financière internationale, qui a récemment mené à une réduction drastique des programmes d'aide, suscite des préoccupations. 64. Selon ces représentants la " purification ethnique " continue, surtout dans la région de Banja Luka. On s'inquiète aussi de la pratique consistant à utiliser comme main-d'oeuvre pour accomplir des travaux sur la ligne de front des civils de sexe masculin appartenant à un groupe ethnique opposé. Bien que cela contrevienne au droit humanitaire international, les lois et réglementations nationales ont légalisé cette pratique. De plus, les parties ne respectent pas leurs engagements de libérer les prisonniers de guerre. Réunions en République fédérative de Yougoslavie (i) Perspectives de paix dans les territoires occupés de Croatie 65. Tous les interlocuteurs de la mission ont déclaré que la Constitution de la République fédérative de Yougoslavie démontre la volonté et l'attachement du pays à résoudre pacifiquement les conflits. Ils ont ajouté que la République fédérale n'avait aucune revendication territoriale envers les pays voisins, récents ou non, et qu'elle était prête à soutenir tout accord conclu par les parties aux conflits. 66. Il a été presque unanimement affirmé que c'est la manière illégale dont la Croatie et la Bosnie-Herzégovine ont fait sécession de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie qui, couplée à l'ingérence extérieure, a été à l'origine de la guerre. Avant la guerre, les Serbes étaient considérés au sein de ces deux républiques, comme une nation constituée. Ce droit a été contesté tant par les Croates que par les musulmans, ce qui a porté les Serbes à craindre pour leur sécurité et leur survie. 67. L'un des parlementaires à relevé que dans un tel contexte les Serbes vivant en Croatie devraient avoir le droit de posséder un territoire qui leur est propre. Ils étaient maintenant au bénéfice d'une formule provisoire, sous la protection des Nations Unies. La solution du conflit passait par la négociation politique. Les deux parties du pays devraient être administrées séparément, tandis qu'elles coopéreraient dans les domaines d'intérêt commun. 68. Le Ministre des affaires étrangères a noté qu'on était déjà convenu d'une stratégie pour instaurer la paix dans les territoires occupés. Les Nations Unies continueraient de protéger certaines zones jusqu'à ce qu'un accord définitif soit conclu. Un cessez-le-feu était en vigueur et il était prévu que démarrent des négociations relatives à la normalisation de la vie économique. Ce n'est qu'en tout dernier lieu, en phase finale, qu'on négocierait un accord politique définitif. 69. A ce propos, il a été suggéré qu'il convenait de laisser passer beaucoup de temps pour réussir à sortir de l'impasse. Il était important que la confiance s'établisse et que le développement économique se mette en place. La décision du Gouvernement croate de remplacer l'actuelle monnaie par la Kuna, qui n'avait été utilisée que pendant la Seconde guerre mondiale, du temps du régime fasciste, n'était pas faite pour étayer la confiance. Quant au développement économique, une éventuelle intégration de la Croatie dans l'Union européenne pourrait être utile. Un référendum pourrait alors être organisé pour établir si les Serbes de Croatie préféraient demeurer dans une Croatie unie et membre de l'Union européenne, où s'ils voulaient au contraire former une nation distincte en dehors de l'Union. On a par ailleurs avancé l'idée que la reconnaissance mutuelle par la Croatie et la République fédérative de Yougoslavie contribuerait beaucoup à réduire les tensions et favoriserait la confiance. (ii) Perspectives de paix en Bosnie-Herzégovine 70. Plusieurs des parlementaires ont fait mention de la proposition du Groupe de contact, qu'ils soutiennent. Ils ont néanmoins fait valoir que les Serbes de Bosnie nourrissaient légitimement certaines inquiétudes à l'égard de l'aspect topographique du projet. Ils ont exprimé l'espoir que des négociations, sous une forme ou une autre, auraient lieu afin de procéder à des aménagements mineurs de la proposition, de préférence avant le référendum annoncé par l'" Assemblée " de Pale pour la fin du mois d'août. A propos de ce référendum, ils craignaient que la population serbe fût mal informée des détails de la proposition et ne fût par conséquent pas en mesure de prendre sa décision en toute connaissance de cause. 71. Ils ont par ailleurs abordé la question des garanties constitutionnelles escomptées par les Serbes de Bosnie mais qui, bien qu'elles leur eussent été communiquées verbalement par l'un des membres du Groupe de contact, n'avaient pas été consignées par écrit. Ces garanties s'appuient sur des garanties internationales, notamment pour les frontières du territoire serbe et le droit des Serbes de Bosnie à former une confédération avec la République fédérative de Yougoslavie, tout comme la Fédération croato-bosniaque s'est vu reconnaître le droit de former une confédération avec la Croatie. Ils ont estimé que ces garanties étaient raisonnables, et que si elles étaient consignées par écrit, on ferait un grand pas en avant s'agissant d'amener les Serbes de Bosnie à changer d'avis et accepter la proposition du Groupe de contact. 72. Tous les interlocuteurs de la mission ont exprimé l'opinion que les sanctions infligées à la République fédérative de Yougoslavie étaient injustifiées. Selon eux, la Yougoslavie a systématiquement coopéré avec la communauté internationale pour tenter de résoudre le conflit pacifiquement, et elle a exercé des pressions considérables sur les Serbes de Bosnie pour qu'ils acceptent les diverses propositions de paix qui ont été faites. Sa récente décision de couper tout lien économique ou politique avec eux offre un exemple de plus de sa position, et l'espoir a été exprimé que les sanctions pourraient être désormais levées, au moins progressivement. Cela contribuerait grandement à gagner le soutien populaire à la politique du gouvernement, et donc à promouvoir la paix. 73. Pour sa part, le Ministre des affaires étrangères a exprimé l'espoir que les sanctions yougoslaves contre les Serbes de Bosnie seraient de courte durée et que les dirigeants serbes de Bosnie-Herzégovine accepteraient bientôt la proposition du Groupe de contact. Il a en même temps réaffirmé la détermination du Gouvernement yougoslave à faire respecter cet embargo. Lorsqu'on lui a demandé s'il accepterait que des observateurs internationaux en surveillent l'application, il a répondu par la négative. D'une part la présence d'observateurs étrangers ne serait pas comprise et acceptée de la population; d'autre part elle ne serait pas justifiée vu que la communauté internationale dispose abondamment d'autres moyens, notamment électroniques, de le faire. (iii) Situation dans la République fédérative de Yougoslavie 74. Plusieurs des interlocuteurs de la délégation ont parlé de la question des droits de l'homme en République fédérative de Yougoslavie. L'un des parlementaires a relevé que le pays était habité par des Serbes, des Monténégrins et quelque 20 groupes ethniques. Il s'est référé à la protection que la Constitution assure aux minorités, ainsi qu'aux droits, qu'elle leur garantit, de préserver, d'exprimer et de développer leur héritage ethnique, linguistique, culturel ou autre, de même que d'utiliser leurs symboles nationaux, et cela conformément au droit international. Selon un autre parlementaire, les aspirations politiques des différents individus et entités sont présentés dans les médias internationaux sous le jour des droits de l'homme. Certains de ces individus ou entités impliqués dans ces luttes recourant à des méthodes terroristes qui menacent la sécurité de l'Etat, il convient de mettre fin à ces méthodes. Cela ne relève pas des droits de l'homme. 75. La plupart de ceux avec qui la mission a eu affaire ont affirmé que si le strict respect des droits de l'homme se heurtait à quelques difficultés, c'était dû aux sanctions infligées à la République fédérative. La situation s'améliorerait dès que celles-ci seraient levées. 76. Certains des représentants des organisations internationales avec qui la délégation s'est entretenue au cours de sa mission, de même que certains parlementaires tant à Zagreb qu'à Sarajevo, ont évoqué les violations des droits contre les Albanais du Kosovo et les musulmans du Sandjak. Au dire d'un parlementaire de Belgrade, les Albanais du Kosovo tentent de se séparer de la République fédérative et de créer un Etat distinct, ce qui est inconstitutionnel. Quant aux droits de l'homme pour ce qui les concerne, ils sont respectés. Les Albanais pourraient même être au bénéfice d'une autonomie, mais eux-mêmes ne le désirent pas. Quant à la population musulmane du Sandjak, son insatisfaction à l'égard de la guerre en Bosnie-Herzégovine est compréhensible, mais sa situation devrait s'améliorer une fois la guerre terminée. En tout état de cause, a-t-il affirmé, les droits de l'homme sont parfaitement respectés au Sandjak.
77. Les membres de la délégation de l'Union interparlementaire condamnent unanimement la guerre qui a ravagé certains des territoires de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, notamment la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, et qui continue d'y sévir. En cette fin de XXe siècle, aucun argument ne peut justifier un conflit armé qui dure désormais depuis trois ans, a fait plus de cent mille victimes, davantage encore de blessés, et fait cinq millions et demi de réfugiés et de personnes déplacées. La " purification ethnique ", les viols systématisés, les actions indiscriminées des tireurs isolés, les tirs d'artillerie et les bombardements ont causé tant de souffrance humaine qu'il faudra des années, voire des générations, pour s'en remettre. 78. La délégation est restée frappée du fait que pratiquement tous ceux qu'elle a rencontrés avaient des opinions bien arrêtées quant aux causes du conflit et à ceux qui en portaient la responsabilité. La délégation a eu le sentiment que la majorité de ses interlocuteurs, plutôt que de se tourner vers l'avenir, accordaient plus d'attention aux causes historiques ou aux erreurs et injustices de jadis. La délégation estime que, pour essentiel qu'il soit de bien comprendre l'histoire afin d'éviter de répéter les erreurs d'autrefois, les constantes références au passé n'aideront pas à résoudre le conflit; pas plus que la dangereuse notion de responsabilité collective pour des actes, voire pour des crimes, commis par des individus appartenant à l'un ou l'autre des groupes ethniques. Elle forme donc le vu que les politiciens et les dirigeants politiques se concentrent davantage sur l'avenir de la région et de son peuple, et soient plus disposés, sinon à oublier, du moins à pardonner des injustices qui appartiennent désormais à l'histoire. 79. Ayant écouté les opinions de tous ses interlocuteurs, la délégation estime qu'aucune des parties au conflit est complètement innocente et qu'aucune n'est complètement coupable. Aux yeux de la délégation, toutes les parties au conflit partagent la responsabilité du désastre, encore qu'à des degrés divers. Elle estime en outre que nombre de pays qui ne sont pas directement impliqués dans le conflit, ainsi que la communauté internationale en général, portent dans une certaine mesure la responsabilité de ce qui est arrivé. 80. Les membres de la mission ont retiré de leurs entretiens l'impression que nombre de leurs interlocuteurs escomptaient peut-être encore quelque chose de l'option militaire, et que, par conséquent, ils ne déployaient pas tous les efforts en faveur de négociations politiques menant à un règlement pacifique du conflit. Cela pourrait être dû en partie au fait que chaque côté semble parfaitement convaincu de la justesse de sa cause. 81. Pour sa part, la délégation s'en tient au refus de l'option militaire. La guerre ne peut apporter qu'encore plus de misères et de destructions, elle ne peut offrir de solution durable au conflit. Pour des raisons identiques, la délégation ne discerne aucun avantage décisif dans la levée de l'embargo sur les armes, qui, selon elle, n'occasionnerait qu'une recrudescence de la guerre et davantage de souffrances humaines. On court en outre le risque, si cette mesure était décidée, que la population civile se trouve privée de la sécurité que lui assurent actuellement la Force de protection des Nations Unies, l'aide humanitaire et diverses organisations, qui devraient peut-être quitter les théâtres d'opération. Quant à l'argument selon lequel l'embargo sur les armes prive les Croates de Bosnie et les musulmans des moyens élémentaires de se défendre, la délégation relève que, dans une certaine mesure, un équilibre des forces en présence serait déjà en voie de réalisation. 82. La délégation a la conviction que plus de tolérance et de compréhension entre les parties et les communautés doivent jouer un rôle primordial dans la recherche d'une solution durable au conflit. La seule façon de parvenir à un règlement global et durable du conflit, c'est de poursuivre systématiquement les efforts pour créer peu à peu la confiance et faire en sorte qu'aient lieu des négociations politiques dans un esprit de conciliation. 83. Concernant le conflit en Croatie, la délégation approuve l'actuelle formule par laquelle les Nations Unies assurent une protection dans les territoires occupés et incitent les parties au conflit à coopérer en matière économique et sociale. Elle encourage de même toutes les mesures susceptibles d'intégrer la Croatie dans l'Europe, en particulier dans le Conseil de l'Europe et dans l'Union européenne. Elle estime qu'au fil du temps, il devrait être possible de parvenir à une solution politique définitive, qui, selon la délégation, devrait ménager aux Serbes une certaine forme d'autonomie dans certaines régions de Croatie. Parallèlement, elle encourage les Gouvernements de la Croatie et de la République fédérative de Yougoslavie à reconnaître mutuellement les frontières de leurs Etats telles que tracées à l'époque de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. 84. Au sujet du conflit en Bosnie-Herzégovine, la délégation a pris note de la proposition du Groupe de contact, qui est pour l'heure la seule proposition concrète et qui a été acceptée par toutes les parties, à une exception près, qu'elles soient concernées directement ou indirectement par le conflit. La mission espère vivement que les Serbes de Bosnie l'accepteront eux aussi. Elle ne nourrit pas l'illusion que ce plan apportera une solution définitive au conflit, mais elle estimé qu'il devrait déboucher sur une cessation effective des hostilités, et donc permettre aux peuples de Bosnie-Herzégovine de s'atteler ensemble à la recherche de solutions plus durables. 85. La délégation approuve le principe d'Etats multi-ethniques en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, comme ailleurs du reste, et elle espère que tout sera fait pour qu'il s'exprime mieux dans les faits. Elle s'en tient fermement à l'avis que ni l'un ni l'autre de ces Etats ne doit être actuellement divisé, et elle appuie les propositions de "confédération", concept qui demeure toutefois à préciser. Elle considère à ce propos que la communauté des Serbes de Bosnie devrait jouir de droits égaux à ceux qu'on a donnés à la Fédération croato-bosniaque pour conclure des accords de confédération avec les Etats voisins. La mission encourage en outre les autorités de la Bosnie-Herzégovine et de la République fédérative de Yougoslavie à reconnaître mutuellement leurs frontières telles qu'elles étaient du temps de l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie. 86. Quant aux sanctions économiques infligées à la République fédérative de Yougoslavie, la délégation est préoccupée de leurs effets néfastes pour la population du pays. Outre les privations économiques qu'elles impliquent, elles pourraient attiser l'extrémisme et occasionner d'autres violations des droits de l'homme. La délégation recommande la levée progressive de ces sanctions en fonction des progrès accomplis sur la voie de la cessation des hostilités dans la région. 87. La délégation est vivement impressionnée par l'action de la Force de protection des Nations Unies, opération de maintien de la paix la plus complexe de ce genre qui ait jamais été organisée par les Nations Unies, ainsi que par celle des organisations internationales d'aide humanitaire et de protection. Elle déplore les attaques contre le personnel des Nations Unies, qui, à ce jour, ont coûté la vie à plus de 100 soldat et fait bien trop de blessés. Elle exhorte toutes les parties au conflit à respecter le personnel des Nations Unies ainsi que le personnel des organisations humanitaires, et à renoncer à entraver l'acheminement de l'aide humanitaire. De même, elle demande instamment à la communauté internationale de mettre à la disposition des Nations Unies toutes les ressources nécessaires, y compris en finançant une aide humanitaire suffisante. 88. Pour ce qui concerne la recherche d'une solution définitive au conflit, tant en Croatie qu'en Bosnie-Herzégovine, la délégation est convaincue de l'effet bénéfique potentiel de mesures de confiance, qui serviraient à réduire les tensions, renforcer la démocratie dans tous les pays concernés, assurer le respect des droits de l'homme et promouvoir le développement économique. 89. En particulier, la délégation recommande de conclure des accords de cessez-le-feu effectifs et durables, de même que des accords pour mettre fin aux actions insensées des tireurs isolés. L'application de ces accords devrait être vérifiée par des observateurs militaires au sol dépêchés par la communauté internationale. 90. La délégation recommande aussi que, dans tous les pays concernés, la communauté internationale contribue au renforcement des institutions représentatives. Notamment, elle encourage l'envoi de délégations de parlementaires en vue de partager les expériences avec les parlementaires de la région. Elle recommande par ailleurs l'octroi d'une assistance technique, particulièrement pour ce qui a trait à l'organisation des partis politiques et aux procédures électorales, ainsi que le rôle, la structure et le fonctionnement des parlements nationaux. Elle suggère que le programme de coopération technique de l'Union interparlementaire pourrait être utile à cet égard, au cas où les parlements concernés le désireraient. 91. En matière de respect des droits de l'homme, la délégation estime que l'adoption des indispensables lois et réglementations ne constitue qu'une première étape. Tout aussi importants sont les mécanismes mis en place pour en assurer l'application. L'Office de l'Ombudsman (médiateur) ou les diverses institutions nationales qui oeuvrent pour la promotion et la protection des droits de l'homme sont autant d'instruments de valeur qui, toutefois, doivent eux aussi disposer de mécanismes d'applications appropriés. La délégation espère que les discussions qui auront lieu prochainement à ce sujet lors de la 92e Conférence interparlementaire (Copenhague, septembre 1994) aideront à s'orienter et à élaborer des modèles spécifiques. 92. La délégation souscrit aux vues de l'Union interparlementaire, pour laquelle démocratie, respect des droits de l'homme et développement économique sont directement liés. L'avènement de la liberté politique, de la participation populaire, du respect des droits de l'homme, de la justice et de l'égalité est indispensable à la croissance économique et au développement durables, capables à leur tour de favoriser paix et stabilité. La délégation recommande donc que les parties au conflit entament des négociations sur la coopération économique, en envisageant la possibilité d'une union douanière; et que la communauté internationale appuie financièrement la reconstruction économique des pays concernés. 93. Enfin, la délégation a la conviction que le contact et le dialogue directs entre les représentants élus des peuples des trois pays sont un moyen de choix pour amener une meilleure compréhension et une confiance accrue entre les parties. Elle juge également indispensable que tous les partis politiques participent à ce dialogue. Elle relève que les Réunions interparlementaires statutaires de l'Union ainsi que ses Réunions interparlementaires spécialisées, comme celle consacrée à la Sécurité et à la coopération en Méditerranée, offriraient l'occasion de tels contacts. La mission admet toutefois que les partis politiques nationaux ne pourraient probablement pas être tous représentés dans les délégations parlementaires assistant à ces réunions. Enfin, les contacts spontanés ayant une portée limitée, il conviendrait de favoriser des rencontres plus substantielles. 94. C'est pourquoi la délégation recommande que l'Union interparlementaire s'efforce d'organiser une réunion de parlementaires de tous les partis politiques qui oeuvrent en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et en République fédérative de Yougoslavie. Dans un premier temps, les discussions pourraient essentiellement avoir pour objet l'élaboration de mesures de confiance portant sur les communications, la réunion des familles et la normalisation générale de la vie quotidienne. En temps opportun, on pourrait prévoir d'aborder des problèmes politiques plus difficiles.
95. La délégation est consciente du fait que, pour
organiser une telle réunion, il faudra surmonter toutes
sortes de difficultés, et que celle-ci devra se dérouler
sous l'égide d'une présidence neutre. Mais elle
considère qu'une telle démarche consistant à
organiser des réunions de parlementaires serait tout-à-fait
conforme à ses traditions et que l'accord dans ce sens
de toutes les parties représenterait un progrès
notable. Les membres de la délégation sont prêts
à aider l'Union interparlementaire dans cette tâche
si ses organes directeurs le désirent.
Croatie
Bosnie-Herzégovine
République fédérative de Yougoslavie
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