PARLEMENT ET DEMOCRATIE AU VINGT-ET-UNIEME SIECLE : GUIDE DES BONNES PRATIQUES
1. Introduction
Le présent ouvrage est ambitieux : il vise à définir l'apport des parlements à la démocratie et à recenser les attributs distinctifs d'un parlement ou d'un organe législatif véritablement démocratique au 21ème siècle. Il se compose pour l'essentiel des communications adressées à l'Union interparlementaire (UIP) par ses parlements membres, qui décrivent les difficultés auxquelles ils doivent actuellement faire face et citent des exemples de leurs propres pratiques démocratiques, qu'ils souhaitent partager avec leurs homologues. C'est dire que cet ouvrage ne constitue pas un simple exercice académique, non plus qu'un manuel d'instructions, mais plutôt un recueil d'idées et de pratiques démocratiques prises "sur le vif", c'est-à-dire telles que promues et concrétisées par l'action des parlements eux-mêmes.
Le paradoxe démocratique
Les premières années du 21ème siècle ont été marquées par un étrange paradoxe. D'un côté, la démocratie, en tant qu'idéal et ensemble d'institutions et d'usages politiques, s'est imposée dans la plupart des pays. Comme le proclamait le document final du Sommet mondial des Nations Unies, tenu en 2005, "la démocratie est une valeur universelle [qui] n'est pas l'apanage d'un pays ou d'une région". D'autre part, les dernières années ont été marquées par un grand désenchantement devant les résultats de la démocratie dans la pratique, une déception partagée tant par les citoyens des 'vieilles' démocraties que par ceux des pays fraîchement venus à cette forme de gouvernement, dits 'émergents'. Il n'est pas impossible que ce désenchantement ait toujours été inhérent au projet démocratique, ce que le théoricien politique italien Norberto Bobbio a appelé ses 'espoirs déçus' ou 'l'écart entre les promesses et les résultats concrets'. Cet écart n'a jamais été aussi profond qu'à l'heure actuelle où les démocraties sont sommées d'affronter des forces sur lesquelles elles semblent avoir peu d'emprise, des forces qui compromettent leur sécurité, leurs économies, leur qualité de vie et le bien-être de leurs citoyens.
Or les parlements ont, aujourd'hui, un rôle essentiel à jouer face à ce paradoxe. Pilier de la démocratie, ils incarnent la volonté des peuples, portent l'espérance que la démocratie réponde réellement à leurs besoins et contribue à résoudre les plus urgents des problèmes auxquels ils sont confrontés dans leur vie quotidienne. Etant l'organe élu qui représente la société dans toute sa diversité, le parlement est plus que tout autre appelé à trouver un compromis entre des intérêts opposés et les espérances des divers groupes et collectivités, par des moyens démocratiques fondés sur le dialogue. Par ailleurs, il incombe au parlement en sa qualité d'organe législatif essentiel, d'adapter les lois aux besoins et circonstances en mutation rapide de la société. En tant qu'institution chargée de contrôler l'action du gouvernement, il lui appartient de veiller à ce que les gouvernements rendent des comptes aux peuples.
Or les parlements connaissent eux-mêmes une mutation profonde car il leur faut s'adapter aux défis d'un nouveau siècle. Depuis quelques années, beaucoup d'entre eux s'emploient à être plus à l'écoute des citoyens et à améliorer leurs méthodes de travail, bref, à mieux représenter leurs électeurs, à leur être plus accessibles et leur rendre des comptes, être ouverts et transparents dans leurs procédures, à mieux s'acquitter de leurs tâches essentielles de législateur et de leur droit de regard sur l'exécutif. Soucieux d'aider à orienter ces initiatives, le présent ouvrage s'efforce donc de présenter au lecteur une vision contemporaine de la contribution des parlements à la consolidation et au renforcement de la démocratie. Mais cet ouvrage entend être davantage qu'un simple constat ; il se veut également porteur d'une aspiration. Présentant ce que les parlements eux-mêmes considèrent comme de bons exemples de pratiques démocratiques, il dresse un tableau de ce que doit être un parlement véritablement démocratique, de ce qu'il convient de faire pour tendre vers cet idéal. Le choix du mot "Guide" traduit donc cette double volonté : témoigner des aspirations tout en se montrant descriptif.
Multiple audiences
à qui le présent Guide est-il destiné ? D'abord, aux parlementaires soucieux de répondre aux défis du monde contemporain et d'ouvrir la voie à cet égard. Certes, chaque parlement a ses propres traditions et caractéristiques nationales, mais tous ont désormais pris l'habitude d'échanger leurs expériences et de s'inspirer de solutions appliquées ailleurs à des problèmes communs, après les avoir adaptées aux circonstances de leur pays. Le présent Guide a donc pour objet de faciliter ce processus d'apprentissage mutuel, sur une scène en mutation constante et rapide. On espère que chaque parlementaire qui le lira y trouvera au moins une bonne idée ou un exemple de bonne pratique, susceptible d'être utilement appliqué dans son pays.
Mais ce Guide est également proposé à tous les citoyens et militants soucieux d'améliorer les choses où qu'ils soient. Comment ignorer cette vérité : si les représentants parlementaires peuvent jouir à titre individuel du respect de leurs électeurs, les parlements en tant qu'institution et les hommes politiques en tant que groupe ne sont plus tenus en grande estime dans beaucoup de pays. L'image tendancieuse qu'en donnent souvent les médias en est partiellement responsable. "Les médias s'intéressent plus souvent aux sujets qui prêtent à controverse ou à des questions secondaires, comme les frais de mission", précise l'une des communications reçues. Il faut aussi dire que certains parlementaires nourrissent cette image négative en agissant comme une élite avant tout soucieuse de ses propres intérêts, davantage à l'écoute de secteurs puissants et de groupes de pression que de leurs propres électeurs. Or il ne tient qu'aux parlementaires eux-mêmes de rectifier cette image déplorable, mais là n'est pas le propos du présent Guide. Celui-ci a, en revanche, pour objet de donner une image plus exacte de ce qui se passe dans les parlements, de montrer les changements que beaucoup de ces institutions mettent en œuvre afin de devenir plus efficaces et plus démocratiques. En ce sens, le présent ouvrage peut contribuer à mieux informer les mouvements de réforme dans certains pays en donnant des exemples d'initiatives lancées ailleurs. Le changement pour le mieux est en partie le fruit d'un effort interne entrepris par les parlementaires eux-mêmes, et en partie le résultat de pressions externes exercées par la société dans son ensemble.
Nous espérons, enfin, que ce Guide trouvera quelque intérêt auprès des organisations internationales soucieuses de renforcer les parlements, ainsi qu'auprès des chercheurs et étudiants de la chose parlementaire. Pour le rendre aussi accessible que possible au plus grand nombre, nous l'avons rédigé en évitant le jargon technique. Il fallait aussi que l'ouvrage ne soit pas trop long mais qu'aucun aspect de cette question complexe ne soit laissé dans l'ombre. Aussi le lecteur, désireux d'approfondir, trouvera-t-il régulièrement des renvois à des sites Web. Le présent Guide lui propose donc, au-delà de son contenu, des chemins vers un corpus beaucoup plus large de connaissances et d'expériences impossibles à réunir dans un seul ouvrage. Une version électronique interactive du Guide sera aussi disponible sur le site Web de l'UIP.
La contribution parlementaire à la démocratie
Avant d'en venir à la contribution parlementaire proprement dite à la démocratie, il convient de cerner le concept de 'démocratie' lui-même. Succinctement, la démocratie est à la fois un idéal et un ensemble d'institutions et de pratiques. En tant qu'idéal, elle incarne deux principes très simples. Premièrement, que les membres de tout groupe ou toute association doivent pouvoir déterminer et contrôler les règles et politiques de cette association, en participant aux délibérations sur l'intérêt collectif. Deuxièmement, ce faisant, ils doivent se traiter entre eux et être traités comme des égaux. Des principes qui valent pour le plus petit groupe comme pour l'Etat le plus important. De leur application en pratique dépend le caractère démocratique de n'importe quelle association.
Au niveau de l'Etat moderne, ces principes démocratiques supposent l'existence d'un ensemble complexe d'institutions et d'usages, qui se mettent en place au fil du temps et se perpétuent. Des conditions qu'on peut résumer comme suit : un cadre garanti de droits citoyens; des institutions incarnant un gouvernement représentatif et qui rend des comptes; une collectivité de citoyens actifs ou société civile et un certain nombre d'institutions de médiation entre le gouvernement et les citoyens, les plus importantes étant les partis politiques et les médias. Certes, les parlements appartiennent manifestement à la seconde catégorie d'institutions, dites de gouvernement. Mais ils ont un rôle essentiel à jouer par rapport aux autres organes. C'est pourquoi ils sont au cœur de la démocratie.
Droits des citoyens
Le peuple ne peut peser sur les lois et politiques auxquelles il est soumis sans la garantie de droits fondamentaux : droit à la liberté d'expression, à la liberté d'association, droit d'élire des représentants dans des élections libres et régulières, etc. Ce cadre de droits est la garantie pour chacun de bénéficier de ce principe démocratique : un traitement égal et sans discrimination. Il peut arriver que l'on soit amené à protéger les droits de groupes vulnérables ou rejetés, même quand leur violation recueille un appui majoritaire.
Le respect de ces droits relève assurément de la responsabilité de tous les citoyens, mais il incombe au premier chef au parlement, détenteur du pouvoir législatif de veiller à ce que la formulation et le mode de protection desdits droits, dans la pratique, soient conformes aux normes internationales des droits de l'homme et qu'ils ne soient pas rognés par d'autres lois, notamment celles applicables aux résidents ne jouissant pas de tous les droits des citoyens. Désormais, la plupart des citoyens des pays en développement comme des pays développés considèrent les droits économiques et sociaux comme un élément important de leurs droits fondamentaux, civils et politiques. La protection efficace de tous ces droits et pour l'ensemble de la population est, aujourd'hui, l'une des principales tâches devant être assumées par les parlements à l'heure de la mondialisation et de l'érosion de la souveraineté nationale qui l'accompagne.
Les institutions d'un gouvernement représentatif et rendant des comptes
Le second pilier de la démocratie réside dans les institutions d'un gouvernement représentatif et rendant des comptes, institutions qui, ensemble, fixent les lois et les politiques de la société et garantissent l'Etat de droit. Dans le cadre de la séparation traditionnelle des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), le parlement en sa qualité d'organe librement élu occupe une place centrale. Il est l'institution incarnant la volonté du peuple, celle qui réalise dans la pratique le gouvernement du peuple par le peuple. Mandaté par le peuple, le parlement le représente vis-à-vis des autres pouvoirs et auprès des diverses organisations internationales ou des assemblées infranationales. Un parlement est démocratique lorsqu'il remplit réellement ce rôle de médiateur et qu'il représente le peuple dans toute sa diversité.
Mais cela ne suffit pas. Encore faut-il aussi qu'il s'acquitte efficacement des fonctions qui sont les siennes dans le respect de la séparation des pouvoirs. Les experts ne seront pas toujours d'accord sur la liste précise desdites fonctions, mais on peut parler de consensus sur les missions suivantes :
- Légiférer
- Voter les recettes fiscales et les dépenses, généralement dans le cadre du budget national
- Contrôler l'action, les politiques et les agents de l'Exécutif
- Ratifier les traités, ou en autoriser la ratification, et contrôler les instances créées par traité
- Débattre des questions d'importance nationale et internationale
- Entendre les doléances et corriger les abus
- Statuer sur les modifications de la Constitution
C'est en remplissant efficacement les fonctions ci-dessus que les parlements apportent leur pierre à la démocratie. Et l'efficacité ici ne concerne pas le seul mode de fonctionnement mais aussi la réponse apportée aux besoins de toutes les composantes de la société.
Une société civile active
Par 'société civile', nous entendons ici non seulement les organisations non gouvernementales (ONG) mais aussi le corps de citoyens actifs conjuguant leurs efforts de diverses façons afin de résoudre leurs problèmes communs et de promouvoir et défendre leurs intérêts. Ils ne peuvent y parvenir que s'ils sont indépendants du gouvernement, mais ils doivent aussi traiter continuellement avec ce dernier sur toutes les questions qui les concernent et sur les intérêts de ceux qu'ils représentent. Le rôle du citoyen dans une démocratie ne s'arrête pas à l'élection d'un gouvernement. Il faut entretenir un contact permanent avec ce dernier pour qu'il ne se coupe pas du peuple et de ses besoins. Un parlement démocratique, pour sa part, s'efforce de favoriser l'émergence d'une société civile dynamique et de rechercher avec elle des solutions aux problèmes du pays et améliorer la qualité et la pertinence des lois.
Partis politiques
Parmi les institutions de médiation entre le gouvernement et la société, les partis politiques revêtent une importance particulière pour le parlement. Le parlement ne représente pas seulement les citoyens en tant qu'individus ; par le biais des partis politiques, il les représente aussi lorsqu'ils s'organisent en groupe en vue de promouvoir une tendance politique générale. Les partis permettent de préciser les choix électoraux, mais aussi de garantir que ces choix soient pris en compte dans le travail parlementaire et dans le débat public. Certes, les partis politiques souffrent eux aussi d'une désaffection de l'opinion publique, mais ils restent indispensables au bon fonctionnement d'un parlement démocratique. Ayant, si on peut dire, un pied dans le système de gouvernement et l'autre dans la société civile, ils sont un trait d'union essentiel entre les deux.
Les médias
La seconde institution trait d'union, extrêmement importante pour le parlement et le travail parlementaire est celle des médias. Grâce à ce moyen de communication privilégié entre eux et le parlement, les citoyens se tiennent, en effet, informés des affaires publiques. Par leur travail d'investigation, les médias apparaissent depuis toujours comme un contre-poids face à toutes sortes d'abus. La manière dont ils s'acquittent de ces fonctions détermine en grande partie la qualité de la vie démocratique. Or ces fonctions sont de plus en plus compromises, que ce soit par la partialité de l'exécutif dans les systèmes de gouvernement contrôlés par lui, ou par de puissants intérêts économiques ailleurs. C'est la raison pour laquelle il incombe au parlement de soutenir la démocratie en fixant un cadre juridique approprié pour les médias, afin de garantir tant leur indépendance que leur diversité.
Ainsi le parlement apporte une contribution vitale à la démocratie à plusieurs niveaux à la fois. Au sein des institutions de gouvernement, il est l'organe représentatif par lequel s'exprime la volonté du peuple, dans lequel se manifeste sa diversité et qui permet de débattre et de régler les différends. Quand il fonctionne comme il se doit, le parlement incarne les prérogatives démocratiques entre toutes de discussion et de compromis. Il est le moyen de concrétiser l'intérêt collectif, un bien supérieur à la somme des intérêts individuels ou sectoriels. En outre, il ne peut y avoir de vie démocratique de qualité sans un parlement s'acquittant réellement de ses missions essentielles : travail législatif, contrôle du budget et contrôle de l'exécutif. Des missions qu'il accomplit en s'appuyant sur les associations de la société civile, en assumant la responsabilité qui est la sienne de protéger les droits démocratiques individuels des citoyens. Mais il ne peut le faire, en définitive, que s'il respecte lui-même les normes démocratiques en étant ouvert et accessible, en rendant compte aux électeurs sur son propre mode de fonctionnement.
Critères d'un parlement démocratique
On peut donc dire qu'un parlement démocratique doit être :
- Représentatif : à savoir représentant socialement et politiquement toute la diversité du peuple et assurant des chances et une protection égales à tous ses membres.
- transparent : ouvert à tous les citoyens par le truchement des différents médias et transparent dans la conduite des affaires.
- accessible : faisant participer les citoyens, notamment les associations et mouvements de la société civile, à son fonctionnement.
- Rendant des comptes : les parlementaires doivent rendre des comptes aux électeurs sur la manière dont ils s'acquittent de leur mandat et sur leur intégrité.
- Efficace : une bonne organisation conformément aux valeurs démocratiques, et l'accomplissement des fonctions législatives et de contrôle du parlement de manière à répondre aux besoins de toute la population.
Dans le tableau joint, ces valeurs et conditions démocratiques figurent dans les deux premières colonnes. La troisième définit les procédures et institutions qui permettraient d'appliquer ces valeurs. Certes, il y a des différences d'un parlement à l'autre, que ce soit en raison du système de gouvernement ou du contexte socio-économique. Il y a des états fédéraux et d'autres unitaires, des systèmes présidentiels et parlementaires, des parlements à une ou deux chambres. Mais il y a surtout des écarts abyssaux entre pays, non seulement en termes de taille mais aussi de niveau de développement économique et donc de ressources permettant aux parlements de s'acquitter de leur tâche. La diversité même et la créativité des pratiques évoquées dans le présent Guide confirme l'une des conclusions du document final du Sommet mondial des Nations Unies, tenu en 2005, selon laquelle "il n'existe cependant pas de modèle unique de démocratie". En même temps, les valeurs fondamentales énumérées dans cette liste de critères nous indiquent la direction à suivre et nous aident à mieux concevoir ce à quoi un parlement véritablement démocratique pourrait ressembler. Elles ont également inspiré l'ordonnancement et la teneur des différents chapitres du présent Guide.
Une version de cette liste a été envoyée aux parlements membres pour qu'ils fassent part de leurs commentaires et donnent des exemples de bonnes pratiques, ce qu'ils ont fait. Il faut rappeler, ici, qu'il ne s'agissait pas pour nous d'effectuer une enquête systématique, exigeant des réponses à chaque rubrique. Les parlements étaient au contraire libres de répondre de la façon qui leur convenait, donnant deux ou trois exemples de bonnes pratiques, qui leur semblaient mériter d'êtres partagés. Les résultats ne pouvaient être qu'inégaux. D'une part, les exemples de bonnes pratiques démocratiques fournis par le Guide ne seraient pas forcément les meilleurs ou les plus originaux de ceux que l'ont obtiendrait par le biais d'une enquête en bonne et due forme. Ils sont simplement ceux qui ont été retenus et communiqués par les parlements eux-mêmes, quoique, hélas, il n'ait pas été possible de les inclure tous. D'autre part, dans le souci de couvrir tous les aspects de la question, nous avons puisé dans les réponses faites par les parlements à des enquêtes précédentes de l'UIP ainsi que dans d'autres sources, dûment référencées.
Quelques précisions
Deux autres précisions nous semblent nécessaires. Les exemples de pratiques démocratiques figurant dans ce Guide se fondent sur les descriptions et les documents fournis par les parlements eux-mêmes. Or nous n'avons pas toujours été en mesure de vérifier leur succès sur le terrain ni même leur pérennité. Les citoyens ont-ils, par exemple, réellement saisi l'occasion nouvelle qui leur était offerte d'influer sur le travail législatif de leur parlement ou bien les pouvoirs de contrôle accrus conférés aux parlements ont-ils permis de mieux demander des comptes au gouvernement ? Il faudrait un long programme de recherche pour répondre à de telles questions et cela dépasserait le cadre du présent ouvrage. Reste que les exemples de bonnes pratiques éprouvées et validées par les parlements méritent d'être diffusés même s'ils n'ont pas tout à fait donné satisfaction ou s'ils ont engendré des problèmes qui n'avaient pas été exactement prévus au départ.
A cet égard, une dernière remarque s'impose. La démocratie, en pratique, implique souvent un arbitrage entre des normes et valeurs concurrentes qui ne peuvent toutes avoir la priorité en même temps. Ainsi les parlements sont censés faciliter le programme législatif d'un gouvernement tout en le contrôlant et en l'améliorant; l'immunité parlementaire est destinée à protéger les parlementaires de l'arbitraire de l'exécutif mais peut également soustraire à la sanction des agissements criminels; le droit d'initiative donné aux parlementaires, à titre individuel, peut désorganiser le calendrier parlementaire et la conduite des activités; les systèmes électoraux fondés sur les circonscriptions peuvent rapprocher les représentants de leurs électeurs, mais ils aboutissent aussi à des parlements collectivement non représentatifs à maints égards. Et il y a bien d'autres arbitrages à faire. En tout cas, ce travail de compromis existe comme le prouvent les réponses des parlements et nous y reviendrons à plusieurs reprises dans le Guide.
Ces précautions prises, on peut dire que les exemples de bonnes pratiques fournis dans le Guide donnent une bonne idée de ce que doit être un parlement démocratique. Ils montrent que les parlements du monde entier s'efforcent de relever les défis de notre époque. Ils le font essentiellement en améliorant leurs procédures permanentes et en étant plus à l'écoute des citoyens. Parfois, un parlement se met exceptionnellement en avant en réglant une crise nationale ou en se montrant à la hauteur d'un moment important de l'histoire nationale, ce qui redore plus que toute autre manifestation son blason aux yeux du peuple. Ainsi le Parlement ukrainien, dans sa réponse en vue du Guide, rappelle le rôle central qu'il a joué dans le règlement de la crise nationale consécutive à l'élection présidentielle truquée de la fin 2004. Le Parlement turc souligne, quant à lui, l'action qu'il a menée à la veille de la guerre en Iraq en 2003, refusant d'autoriser des troupes étrangères à traverser le territoire et d'envoyer sa propre armée à l'étranger comme le souhaitait la majorité au pouvoir. De tels moments ne peuvent être prévus ni faire l'objet de lois. Ils rappellent simplement, quelles que soient les procédures démocratiques, que si un parlement se montre à la hauteur de la situation et 'parle pour le pays' à une heure grave, il est assuré de l'estime durable du peuple.
Figure 1.1 : Critères : La contribution parlementaire à la démocratie
Objectifs ou valeurs de base. Un Parlement qui soit : |
Exigences |
Moyens procéduraux et institutionnels utiles à la réalisation de ces objectifs ou valeurs |
Représentatif |
Un parlement élu qui soit sociologiquement et politiquement représentatif, et résolument attaché à l'égalité des chances pour ses membres pour qu'ils puissent s'acquitter dûment de leur mandat |
Système et processus électoraux libres et réguliers; moyens d'assurer la représentation de/par tous les secteurs de la société afin de refléter la diversité nationale et ses composantes hommes/femmes, par exemple par le biais de procédures spéciales garantissant la représentation des groupes marginalisés ou exclus Procédures.
Politiques et procédures assurant l'égalité des chances; horaires et conditions de travail non discriminatoires; moyens linguistiques au service de tous les parlementaires
Organisations et systèmes de partis ouverts, démocratiques et indépendants.
Mécanismes garantissant les droits de l'opposition politique et autres groupements politiques et permettant à tous les parlementaires d'exercer leurs mandats librement et à l'abri de toute influence ou pression indue.
Liberté d'expression et d'association garanties des droits et immunités parlementaires, en particulier des présidents et autres membres du Bureau
Politiques et procédures assurant l'égalité des chances; horaires et conditions de travail non discriminatoires; moyens linguistiques au service de tous les parlementaires. |
Transparent |
Un parlement ouvert à la nation et transparent dans la conduite de ses activités |
Débats ouverts au public; information préalable du public sur les dossiers dont le parlement est saisi; documentation disponible dans les langues appropriées; mise à disposition d'outils de communication conviviaux, faisant appel à des supports divers comme l'Internet; le Parlement doit être doté d'un service de relations publiques qui lui soit propre
Législation sur la liberté de l'information/l'accès à l'information |
Accessible |
Participation du public (société civile, mouvement associatif, etc.) aux travaux du Parlement |
Moyens divers permettant aux électeurs d'avoir accès à leurs élus
Modes efficaces de participation du public au travail pré-législatif; droit de consultation ouverte pour les parties intéressées; droit de pétition; procédures systématiques de doléances
Possibilité de lobbying, dans les limites des dispositions légales régissant la transparence |
Responsable |
Parlementaires comptables de leur action et de l'intégrité de leur conduite devant les électeurs |
Sanction électorale efficace et processus de suivi; procédures de communication d'informations aux électeurs; normes et code de conduite ayant force exécutoire
Rémunération adéquate pour les parlementaires; déclaration de leurs intérêts et revenus extérieurs; plafonnement imposé des dépenses électorales et transparence en matière de financement des campagnes électorales |
Efficace |
|
|
A tous les niveaux |
Organisation efficace des travaux parlementaires conformément aux normes et valeurs démocratiques |
Mécanismes et ressources propres à garantir l'indépendance et l'autonomie du Parlement, notamment la maîtrise par le Parlement de son budget
Corps de personnel qualifié et neutre, distinct de la fonction publique générale
Services de documentation neutres pour les parlementaires; organe parlementaire chargé d'organiser les débats; procédures efficaces de planification et programmation des travaux parlementaires; systèmes d'évaluation des résultats des travaux parlementaires; enquêtes d'opinion auprès de groupes cibles sur l'appréciation qu'ils portent sur le travail parlementaire |
a) par rapport au niveau national : |
Exercice réel par le Parlement de ses fonctions législatives et de contrôle, et rôle de forum national d'examen des questions d'intérêt commun |
Procédures systématiques de suivi de l'action du pouvoir exécutif; commissions parlementaires dotées de prérogatives et moyens suffisants; responsabilité devant le Parlement des instances et commissions publiques non gouvernementales
Mécanismes assurant la participation efficace du Parlement au processus budgétaire national à toutes ses étapes, y compris l'audit ultérieur des comptes publics
Capacité à traiter les grandes questions de société; à servir de médiateur en cas de tension et à prévenir les conflits violents; à mettre en place des institutions publiques au service de la population tout entière
S'agissant des parlements compétents pour approuver les nominations des hauts responsables publics et/ou qui s'acquittent de fonctions judiciaires : mécanismes pour assurer un processus régulier et neutre |
b) par rapport au niveau international : |
Participation active du Parlement aux dossiers internationaux |
Procédures de suivi par le Parlement des négociations internationales, de contrôle des prises de position gouvernementales et de contribution à ces négociations; mécanismes permettant le passage au crible parlementaire des activités des organisations internationales, ainsi que la participation à leurs débats; mécanismes garantissant le respect par l'Etat des normes internationales et de l'état de droit; coopération interparlementaire et diplomatie parlementaire |
c) par rapport au niveau local : |
Coopération avec les assemblées régionales et locales |
Mécanismes d'échange entre les présidents des parlements et assemblées nationaux et régionaux sur les questions de politique nationale, pour la prise en compte des réalités et besoins locaux dans les décisions prises au niveau national |
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