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M. Pascal Lamy |
Les parlementaires continuent de s’intéresser de près aux négociations qui se
poursuivent au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour parvenir à
conclure le cycle de Doha dans les délais. Un spécialiste du dossier nous donne
son point de vue.
« La mondialisation économique a sorti la politique commerciale du domaine des
experts pour la mettre au cœur du politique »
Q : Les parlementaires peuvent-ils jouer un rôle pour aider les citoyens qui les
ont élus ainsi que les groupes de pression, à mieux comprendre les activités et
l’importance de l’OMC ?
P. L. : Le rôle des parlementaires est évidemment essentiel dans la définition,
la mise en œuvre et l’explication des politiques publiques. Les parlementaires
sont régulièrement interpellés par les préoccupations de citoyens face à la
mondialisation, qu'il s'agisse des services publics, de l'environnement, des
clauses sociales dans les échanges, de la sécurité alimentaire ou de la
diversité culturelle. Bref, la mondialisation économique a sorti la politique
commerciale du domaine des experts pour la mettre au cœur du politique. Or,
c’est au sein des parlements que se débattent et s’élaborent les préférences
collectives d’une société. La politique commerciale est le reflet de ces
préférences. L’intervention et l’implication des parlementaires est donc non
seulement indispensable, mais surtout légitime si l’on veut une politique
commerciale démocratique. Leur action se situe à tous niveaux, de la définition
de la politique commerciale au contrôle des autorités publiques qui agissent au
nom des différents Etats à l’Organisation mondiale du commerce. Ils ont donc un
rôle de premier plan à jouer dans l’information des citoyens sur le
fonctionnement du système commercial global et l’importance de l’OMC qui réunit
tous les Etats autour de la même table pour fixer les règles du jeu.
Q : Comment les élus des peuples peuvent-ils être davantage associés aux
décisions prises par l’OMC qui ont un impact direct sur la vie des citoyens ?
P.L. : Si nous souhaitons poursuivre dans la voie d'une ouverture des échanges
encadrée par des règles, nous ne pourrons le faire qu'avec l'assentiment de
l'opinion publique. Il nous faut donc un débat public auquel participent les
parlementaires. Des parlementaires de nombreux pays se sont réunis en
"Conférence parlementaire sur l'OMC" lors de la dernière conférence
ministérielle de l'OMC à Cancun. C'est une initiative que je ne peux
qu'encourager. Un dialogue interparlementaire sur les principaux sujets discutés
à l'OMC ne pourrait qu'être bénéfique. Il devrait accroître la qualité des
décisions ainsi que la légitimité du système commercial multilatéral auprès du
public, en assurant que les choix des sociétés et les préférences collectives
soient pris en compte dans le processus de l'OMC. La Commission européenne a par
ailleurs pris l'habitude d'intégrer des membres du Parlement européen dans la
délégation officielle de l'Union européenne lors des conférences ministérielles
de l'OMC. Nous l'avons fait à Doha, à Cancún et nous continuerons de le faire.
C’est également dans cet esprit que j’ai insisté pour que la future Constitution
de l’Union européenne renforce le rôle du Parlement européen dans la définition
de la politique commerciale commune qui défend les intérêts des 15 - et bientôt
des 25 – Etats membres de l’UE à l'OMC. Mon expérience est que plus de
démocratie parlementaire ne peut que renforcer les positions des négociateurs.
C'est en tous cas mon sentiment dans le cas de l'UE.
Q : Les pourparlers de Cancún ont échoué. Comment voyez-vous la suite des
événements concernant les négociations du cycle de Doha et voyez-vous un rôle
pour les parlements ?
P.L. : Prétendre que Cancún n'était qu'un incident mineur serait une grave
erreur. Cancún a été un choc politique qui, à mon sens, devrait conduire tous
les membres de l'OMC à revoir leurs positions dans la négociation commerciale.
Pour ce qui concerne l'Union européenne, nous avons lancé un débat, en premier
lieu avec le Parlement européen et avec les gouvernements des Etats membres de
l'Union européenne, afin de vérifier si le socle sur lequel nous avons bâti
notre politique commerciale depuis plusieurs décennies reste, ou non, inchangé.
Je présume que d'autres membres de l'OMC feront de même et auront besoin
également de la contribution de leurs représentants élus. Au-delà, je crois
qu’il serait également utile que les élus des différents pays se rencontrent
pour discuter entre eux de la façon de sortir de cette impasse et de construire
des ponts entre les positions divergentes. Il y a un grand nombre de questions
sur lesquelles les négociateurs ont besoin d'orientation. Pour ma part, j'en ai
identifié quatre auxquelles les membres de l'OMC devraient trouver des réponses
convaincantes afin de pouvoir progresser, et sur lesquelles les parlementaires
auront certainement quelque chose à dire. La première question porte sur le rôle
de l'OMC : doit-il être limité à l'ouverture des marchés, ou faut-il accompagner
cette ouverture par la construction de règles - règles qui rendent à la fois
cette ouverture réelle et assurent son articulation avec d'autres valeurs de nos
sociétés ? Deuxièmement, quelle importance attachons-nous au système
multilatéral par rapport à des initiatives bilatérales ou régionales. En
troisième lieu, il faut examiner quelle est la contribution réelle de
l’ouverture des échanges au développement, et si telle contribution se mesure
par le degré d'exonération ou exclusion des disciplines multilatérales pour les
pays pauvres. Enfin, il faut analyser comment réformer le mode de fonctionnement
de l'OMC pour lui donner la capacité de fonctionner d'une manière efficace à 148
membres. Je crois qu'il y a là le matériau pour plusieurs conférences
parlementaires sur l'OMC !
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