L’expérience d’une grande coalition politique au Kenya - étape de transition pour la démocratie
par M. Raila Odinga Premier Ministre de la République du Kenya
Ceci est le compte rendu succinct de l’expérience de grande coalition au Kenya, expérience novatrice dans la pratique démocratique en Afrique. On s’efforcera ici de répondre à la question suivante : une grande coalition peut-elle contribuer au renforcement de la démocratie et faire reculer l’intolérance et l’exclusion ?
Le 28 février 2008, nous avons signé l’Accord sur les principes de partenariat au sein du gouvernement de coalition (Accord national). J’y ai souscrit au nom du Mouvement démocratique orange et le Président Mwai Kibaki y a souscrit au nom du Parti de l’unité nationale. Il s’agit des deux principaux partis et candidats à la présidence aux élections de 2007.
On s’accorde aujourd’hui à reconnaître que la violence postélectorale a été déclenchée par la manipulation des résultats de l’élection présidentielle par la Commission électorale du Kenya.
Grâce à l’Accord national, notre pays a pu éviter le pire. Pendant deux mois, avant la signature de cet accord, les Kenyans ont été plongés dans un conflit qui a vu s’affronter forces de sécurité, milices et militants des partis politiques et qui a fait plus de 1 300 morts. Des centaines de milliers de personnes ont été contraintes de se déplacer à l’intérieur du pays. Les atteintes aux biens ont été estimées à plusieurs milliards de shillings. L’activité économique s’est enrayée. Le danger d’une guerre civile était imminent. Notre jeune démocratie était menacée.
Les affrontements nés des élections présidentielles de 2007 ont mis en évidence des divisions profondes et anciennes au Kenya. Le Président Kibaki et moi-même avons compris que ces divisions devaient être surmontées pour éviter la désagrégation du Kenya.
Au titre de l’Accord national, nous nous sommes engagés à partager le pouvoir en tant que partenaires égaux. Nous nous sommes engagés en outre à renforcer la confiance mutuelle et la confiance dans la Constitution, les lois et les institutions que nous avons entrepris de réformer pour le bien de tous les Kenyans.
Nous avons compris que le Kenya avait implosé non seulement en raison de l’incapacité de la Commission électorale du pays à organiser des élections crédibles, libres et équitables, commission dont les échecs sont patents, mais aussi que les Kenyans se sont presque fait la guerre en raison des carences de nos institutions, trop faibles, de l’insuffisance de nos lois et du caractère non démocratique de notre Constitution.
Contrairement à ce qu’il advient lorsque le vainqueur emporte toute la mise, un gouvernement de grande coalition s’efforce d’impliquer tous les grands partis politiques, représentant des intérêts, des groupes sociaux et des territoires divers, dans la gouvernance et la prise de décision. Grâce à des consultations et à la volonté de compromis, les membres d’un gouvernement de grande coalition participent à la gouvernance par le consensus.
Pour renforcer la démocratie et faire reculer l’intolérance et l’exclusion, nous nous sommes engagés à reconstruire un pays fondé sur une vision commune, une vision d’un Kenya uni où nos concitoyens, hommes et femmes, jouissent de droits égaux en matière sociale, politique, économique et religieuse. On y porte une attention et un respect fondamentaux aux besoins élémentaires, aux droits de l’homme et à la dignité. Nos concitoyens jouissent de l’égalité devant la loi. L’état de droit et le constitutionnalisme ne sont pas seulement respectés et honorés, mais aussi pratiqués quotidiennement dans toutes nos activités. Nos concitoyens ont des chances égales d’accomplir leurs rêves et leurs objectifs en exploitant pleinement le potentiel qui leur est propre.
Les ressources sont utilisées et réparties équitablement dans l’intérêt de notre peuple mais aussi dans un souci de préservation et de respect de l’environnement afin de léguer un Kenya plus florissant aux générations futures. Un Kenya où les institutions et les individus servent les intérêts publics, avant de servir les intérêts individuels. Où la recherche de gains et d’avantages à court terme n’est pas autorisée à compromettre nos responsabilités à long terme en tant que peuple et en tant que nation.
Comme je l’ai indiqué plus haut, nous nous sommes engagés à accomplir cette vision par la transformation et la réforme de nos institutions, par l’élaboration d’une Constitution axée sur l’individu, par la révision et la transformation de nos lois pour les adapter aux besoins du peuple, par la prestation de services de qualité à la population, par la mise en oeuvre d’une politique nationale et de réformes en matière foncière, toujours à l’écoute de la population et en la servant avec un dévouement et une détermination sans faille.
A ce jour, le gouvernement de grande coalition a mis en place différents comités, commissions et groupes de travail pour piloter les réformes préconisées dans le cadre de l’Accord national. La Commission électorale indépendante de transition, la Commission indépendante de transition chargée du redécoupage électoral, le Comité d’experts, la Commission Vérité, Justice et Réconciliation, le Groupe de travail sur la réforme de la police et le Conseil de règlement des différends constitutionnels sont soit en place, soit sur le point d’être institués.
Une politique foncière nationale a également été approuvée par le Conseil des ministres. Cette politique vise à remédier à certains des problèmes les plus aigus auxquels sont confrontés des millions de Kenyans. Ce ne sont là que des exemples de ce que nous entreprenons dans notre gouvernement de grande coalition.
Ayant été activement impliqué dans le processus de démocratisation au Kenya durant la majeure partie de ma vie d’adulte, je crois que l’expérience d’une grande coalition est transitoire. Elle peut servir non seulement à stabiliser un pays et à y enraciner la démocratie mais aussi à assurer le constitutionnalisme et le respect des droits de l’homme et de l’état de droit, ce qui a pour effet de faire reculer l’intolérance et l’exclusion.
Je me suis engagé avec force auprès du peuple kenyan à faire aboutir ces réformes!
RECOMMANDATIONS DE L'UIP POUR PROMOUVOIR LA TOLERANCE EN POLITIQUE
Aux présidents de parlements- préserver l’impartialité dans l’exercice des fonctions de manière à assurer une égalité de traitement à tous les parlementaires, qu’ils appartiennent au parti au pouvoir ou à ceux de l’opposition,
- garantir le respect des règles parlementaires, par exemple, pour que tous les parlementaires aient un égal accès à la parole,
- faire en sorte que tous les parlementaires puissent recevoir, sur demande, des informations d’un service donné du Parlement,
- encourager l’utilisation d’un bureau ou d’autres structures d’encadrement du Parlement, au sein desquels tous les partis soient représentés.
Aux dirigeants de partis politiques
- mettre au point des procédures démocratiques internes qui permettent de débattre pleinement des questions polémiques, au lieu de s’en remettre aux ordres de la direction du parti,
- suivre des procédures appropriées pour les suspensions ou expulsions, notamment une procédure équitable et le droit pour les intéressés de se défendre,
- établir des codes de conduite prônant la tolérance en politique, et s’y tenir, en particulier en période électorale,
- créer des possibilités de dialogue et d’initiatives interpartis afin de donner l’exemple aux électeurs.
Aux parlementaires
- conduire l’action politique par le dialogue et la concertation et non par des moyens violents,
- donner l’exemple aux électeurs en agissant dans l’intérêt supérieur de la nation dans les négociations et débats, et en faisant preuve de respect pour les opinions d’autrui,
- promouvoir la tolérance dans les relations avec les citoyens et prêter attention aux opinions de l’électorat,
- conduire des campagnes électorales transparentes et conformes aux codes de conduite électorale.
A la société civile
- soutenir les campagnes d’éducation civique, en particulier celles qui visent les jeunes,
- travailler auprès des collectivités et autorités locales pour prévenir les discours de haine, offrir des cadres de dialogue entre les différents groupes et sensibiliser à l’intolérance et à la discrimination,
- promouvoir la participation à la vie politique sous toutes ses formes, à savoir voter, s’adresser aux représentants élus, participer à l’action des partis politiques, signer des pétitions et participer à des manifestations légales.
La tolérance en politique et le parlement
La vie politique s’accompagne de confrontations, ce qui est parfaitement normal. Les institutions de la démocratie, telles que les parlements, sont les structures qui rendent possible la confrontation des opinions. Le Parlement est destiné à contenir les tensions et à entretenir un équilibre entre des exigences contradictoires tenant à la diversité et à permettre à tous les secteurs de la société d’être représentés. La tolérance en politique est donc essentielle au fonctionnement des parlements et demande à être activement recherchée dans les faits.
Reconstruire la citoyenneté, tolérance politique et réconciliation nationale au Burundi : le rôle du Parlement
par M. Gervais Rufyikiri Président du Sénat du Burundi« S’il est un pays en Afrique qui pourrait faire preuve d’une grande cohésion de par une culture commune et une histoire commune, c’est bien le Burundi », constate un homme politique africain. Et pourtant, depuis son accession à l’indépendance, le Burundi, à l’image de la plupart des pays africains, a été confronté à de multiples crises socio-politiques. En effet, le Burundi a connu depuis les années 60, une série de conflits qui ont entraîné la perte de centaines de milliers de vies humaines, le départ en exil ou le déplacement intérieur d’autres centaines de milliers de citoyens, ainsi que des destructions matérielles très importantes. Le Parlement a lui aussi été affecté puisque nombreux députés ont été assassinés tandis que d’autres ont été contraints à l’exil.
Les phases les plus dures de ces conflits coïncident avec les massacres de 1972 et la guerre civile qui a suivi le renversement violent des institutions démocratiques, trois mois seulement après leur mise en place, en 1993. Il ne fait aucun doute qu’un des facteurs déterminants de ces conflits était l’intolérance politique et son corollaire, la lutte d’influence des classes politiques. Analysant la nature du conflit burundais, les parties en négociation à Arusha, en Tanzanie, l’ont défini comme « un conflit fondamentalement politique avec des dimensions ethniques extrêmement importantes ».
Pendant ces négociations, les Burundais ont accompli des progrès énormes dans la pratique du dialogue, de la concertation et de la tolérance. Des belligérants se sont engagés à surmonter leur hostilité pour bâtir ensemble le pays, en renonçant à la violence, aux confrontations et à l’exclusion. Le pays a ainsi recouvré progressivement la paix après plusieurs années de négociations qui ont abouti à l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation, signé en 2000, et aux différents accords de cessez-le-feu, particulièrement celui signé entre le Gouvernement de transition et le principal mouvement armé, le CNDD-FDD, en 2003. Au fil du temps, le Burundi a progressivement connu un climat de libertés publiques, notamment une liberté politique et une liberté d’expression que pourraient lui envier bien d’autres pays.
Le rôle dévolu au Parlement a été et reste crucial dans la reconstruction de la citoyennetébasée sur le principe de dialogue inclusif et de compromis, ainsi que sur l’édification de mécanismes d’inclusion et de tolérance politique. Outre son implication active dans les négociations de paix, le Parlement a voté des lois importantes comme instruments légalisant la tolérance politique, notamment celles qui accordaient une immunité provisoire de poursuite judiciaire aux membres des mouvements politiques armés signataires d’accords de cessez-le-feu.
La volonté des Burundais d’enterrer définitivement la hache de guerre est aussi traduite dans une série de dispositions constitutionnelles. La nouvelle Constitution votée par référendum et promulguée le 18 mars 2005 prévoit en effet « un ordre démocratique pluraliste et un Etat de droit », et réaffirme la « détermination inébranlable à mettre un terme aux causes profondes de l’état continu de laviolence ethnique et politique, de génocide et d’exclusion, d’effusion de sang, d’insécurité et d’instabilité politique, qui ont plongé le peuple dans la détresse et la souffrance ». En même temps, le pouvoir et le rôle du Parlement sont renforcés par la reconnaissance par la même Constitution d’un choix opéré cinq ans plus tôt, à titre transitoire, en faveur du bicamérisme dans lequel le Parlement est composé de deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat.
De par la composition de chacune des chambres, le Parlement constitue une référence de la démocratie, un espace de débats contradictoires ouverts au public aussi bien qu’aux médias. Les décisions y sont prises par consensus puisque certaines d’entre elles requièrent même une majorité qualifiée des deux tiers, des trois quarts, et même des quatre cinquièmes, alors qu’aucun parti ne détient deux tiers des sièges.
Quoique les deux chambres aient en commun la qualité d’être des assemblées législatives, le Sénat est doté par la Constitution d’une mission spécifique comme garant de la réconciliation. Il est ainsi chargé d’une mission générale de contrôle de l’application des dispositions constitutionnelles exigeant la représentativité ou l’équilibre dans la composition quelconque (ethnique, politique, genre ou région) dans toutes les structures et institutions de l’Etat, notamment l’administration publique et les corps de défense et de sécurité. C’est aussi en application de ce rôle de régulateur des équilibres et de garant de la tolérance politique que le Sénat se voit aussi confié le pouvoir d’approuver les nominations aux postes les plus importants de l’Etat.
En conclusion, si des progrès sont appréciables en matière de paix et de sécurité, c’est principalement parce que les Burundais ont tiré les leçons des dommages qui ont résulté de tant d’années d’intolérance et de confrontations. Le rôle joué par le Parlement, garant des intérêts les plus fondamentaux de la population, est primordial dans cette oeuvre de réconciliation, qui passe par la défense des droits de chacun et de tous, sans exclusion.
LE COURAGE EST MIS A L’EPREUVE LORSQUE L'ON EST DANS LA MINORITE.
LA TOLERANCE EST MISE A L'EPREUVE LORSQUE L'ON EST DANS LA MAJORITE.
A la Conférence parlementaire de Gaborone (Botswana) sur la démocratie en Afrique, l’UIP lance également une étude sur l’emprise des partis sur le mandat parlementaire pour permettre de mieux cerner la situation. Le pouvoirdes partis politiques de révoquer le mandat parlementaire et les conséquences de ce que l’on pourrait appeler “la dictature des partis” sont de véritables problèmes, qui appellent des débats et des mesures.L’organisation mondiale des parlements présente également une enquête mondiale d’opinion publique renfermant des questions qui s’articulent autour du thème général de la Journée 2009, à savoir la démocratie et la tolérance en politique.
Partout dans le monde, l’intolérance pose problème
Partout dans le monde, l’intolérance pose problème dans la vie politique. Elle se manifeste lorsque des dirigeants politiques refusent de ménager un espace aux partis et aux activités politiques de l’opposition, lorsque les partis politiques ne tolèrent pas les divergences de vues dans leurs rangs et, plus généralement, par un rejet pur et simple des autres points de vue. Cette année, l’UIP a retenu le thème “Démocratie et tolérance en politique” pour mettre en évidence combien il est important de créer une culture de la tolérance dans la société et dans la vie politique en particulier.Les ingrédients fondamentaux d’une culture de la tolérance : éducation, liberté d’expression et médias
L’éducation et la participation à la vie politique contribuent à cultiver la tolérance chez les citoyens. Les Etats peuvent contribuer à faire disparaître la discrimination et la haine en favorisant le dialogue avec les minorités et autres groupes vulnérables. Plus les citoyens ont d’occasions d’observer la tolérance et de la pratiquer, plus ils sont sensibles aux droits d’autrui et déterminés à faire preuve de tolérance et de respect pour ces droits. Les Etats peuvent contribuer à l’apprentissage de la démocratie et à la stabilité en associant les citoyens au processus démocratique et en défendant les libertés civiles de tous les groupes.Une société qui ne garantit pas la liberté d’expression est un frein à la tolérance en politique. Le dialogue ouvert et la diversité des opinions politiques participent de la culture de tolérance.
Les médias jouent un rôle important dans l’édification d’une culture de tolérance. Les Etats ont la responsabilité de permettre à des médias pluriels de voir le jour et de présenter des points de vue divers et critiques. Le fait d’encourager la diversité des idées et des croyances chez les citoyens et au sein des institutions contribue à créer un environnement équitable et non discriminatoire qui enrichit la vie politique.
L’immunité parlementaire et la liberté d’expression
La liberté d’expression est l’outil de travail des parlementaires, sans lequel ils ne peuvent représenter leurs électeurs. Les parlementaires ont besoin d’un certain degré de protection pour accomplir leur travail, surtout en ce qui concerne leur liberté d’expression. C’est pourquoi ils bénéficient généralement d’une immunité de poursuites et autres procédures pour les suffrages qu’ils émettent et les propos qu’ils tiennent dans l’enceinte du Parlement, ainsi que pour les actes qu’ils accomplissent dans le cadre de leur fonction parlementaire. L’immunité parlementaire protège l’intégrité et l’efficacité de l’institution parlementaire. Toutefois, cette immunité n’est pas un privilège personnel et n’a pas pour objet de mettre les parlementaires au-dessus de la loi. Elle les protège des poursuites et accusations motivées par des considérations politiques. L’immunité parlementaire est indispensable pour permettre aux parlementaires de s’exprimer librement selon leur conscience, sans craindre d’être harcelés, réprimés ou de faire l’objet d’autres mesures de représailles.Emprise des partis politiques sur le mandat parlementaire
La liberté de conscience et d’expression des parlementaires est souvent limitée dans les faits par les partis politiques, qui cherchent à exercer une emprise sur leurs membres. Si en théorie les parlementaires ont d’une manière générale un mandat de représentation libre, diverses règles et pratiques ont été mises en place pour faire en sorte qu’ils suivent la “ligne du parti”. Lorsque les partis ont une emprise sur les conditions du mandat ou de l’affiliation politique des parlementaires, ils peuvent les empêcher de remplir leur mandat et mettre en péril l’ensemble du processus démocratique.Droits et devoirs de l’opposition
La liberté d’expression des parlementaires est souvent mise en cause. Cette situation concerne presque exclusivement les parlementaires siégeant dans l’opposition. Elle est particulièrement préoccupante parce que l’opposition parlementaire est une composante indispensable de la démocratie. Les partis d’opposition et partis minoritaires jouent un rôle essentiel lorsqu’il s’agit de demander des comptes au gouvernement et de proposer des alternatives politiques au public. C’est pourquoi l’opposition a des droits et devoirs qui lui permettent de contribuer efficacement au processus démocratique.
Accords post-électoraux de partage du pouvoir : la panacée face à l’exclusion et à l’intolérance politiques
Par Mme Thokozani Khupe, membre du Parlement de la République du Zimbabwe et Vice-Première Ministre du gouvernement du ZimbabweLe gouvernement de la République du Zimbabwe oeuvre actuellement au relèvement de l’économie nationale et au rétablissement des valeurs et principes démocratiques consacrés dans l’Accord politique signé le 15 septembre 2008. Le pays traverse une période de transition dont l’objectif premier est de construire des institutions démocratiques ouvrant la voie vers une nouvelle ère sociopolitique où la participation et la tolérance politique seront des valeurs reconnues dont pourront bénéficier tous les citoyens zimbabwéens.
Les principes d’intégration et de tolérance politiques me tiennent particulièrement à coeur dans la mesure où ils influent directement sur la situation des femmes africaines. Je trahirais la confiance que m’ont témoignée des millions de Zimbabwéennes si je n’exprimais pas ici leurs préoccupations et leurs inquiétudes, leurs craintes et leurs espoirs. Notre histoire récente montre que l’exclusion politique touche avant tout les femmes. Les recherches ont également montré que ce sont les femmes qui souffrent le plus de l’intolérance politique. À cet égard, toute solution proposée en réponse à l’exclusion et à l’intolérance politiques doit tenir compte des problèmes des personnes qui en sont les premières victimes. Il est regrettable que les gouvernements d’ouverture mis en place à ce jour n’aient été ouverts qu’aux seuls partis politiques et non aux femmes.
Les gouvernements inclusifs sont actuellement très en vogue en Afrique, comme en témoigne l’histoire récente du Zimbabwe et du Kenya. Ces gouvernements sont désormais considérés comme de véritables mécanismes de règlement des litiges électoraux. Pourtant, si la formation de « gouvernements de compromis » favorise la cessation temporaire des hostilités, rien ne permet d’affirmer qu’elle constitue uneréponse aux problèmes liés à l’intolérance politique qui sévit dans nombre des pays de notre sous-région. On peut même se demander si les conditions à l’origine de ces problèmes peuvent être évitées.
La multiplication phénoménale des gouvernements inclusifs observée ces deux dernières années en Afrique est préoccupante. Certes, ces gouvernements n’ont intrinsèquement rien de critiquable. En revanche, ils sont éminemment contestables dès lors que leur seule raison d’être est de permettre à des dirigeants en exercice de conserver le pouvoir sous une forme ou une autre, y compris lorsque les électeurs en ont décidé autrement.
Dans le contexte africain, les gouvernements inclusifs résultent de dispositions transitoires répondant principalement au souci de compromis d’anciens belligérants conscients qu’ils ne peuvent pas laisser le conflit s’intensifier et doivent trouver une issue à une situation de blocage qui ne peut faire que des perdants. Il est toutefois regrettable que ces gouvernements de compromis soient la conséquence d’un manquement au principe du transfert du pouvoir. Les gouvernements en place refusent parfois de reconnaître leur défaite électorale et déclenchent ainsi des crises politiques qui débouchent sur des accords de compromis. Certains dirigeants africains ont délibérément ignoré la volonté des électeurs et fomenté le trouble dans leur propre pays, en sachant pertinemmentque les organisations régionales recommanderaient la mise en place de gouvernements inclusifs, et qu’ils pourraient ainsi rester au pouvoir.
Ces pratiques regrettables doivent être condamnées, et nous ne devons pas les laisser gagner du terrain. Elles ne constituent en aucune manière une solution à l’exclusion politique ou à l’intolérance politique. Je n’ai rien contre les arrangements où les alliances politiques, les gouvernements d’unité nationale ou les solutions négociées, mais je suis en revanche opposée à tout ce qui constitue une perversion de la volonté du peuple, tout comme je refuse que l’on foule aux pieds les constitutions nationales pour conserver le pouvoir par tous les moyens.
Face à l’exclusion et à l’intolérance politiques, la meilleure solution consiste à bâtir de véritables démocraties fondées sur le respect absolu de la volonté du peuple, telle qu’elle s’exprime au travers d’élections libres et régulières. Les gouvernements nationaux ne sont crédibles que dans la mesure où ils respectent les principes énoncés dans la Constitution, sont capables de préparer, de gérer et d’organiser des élections, respectent le verdict des urnes et renoncent au pouvoir en cas de défaite. Le gouvernement inclusif du Zimbabwe, dont je fais partie, n’est rien de plus qu’un mécanisme de transition qui doit permettre aux citoyens zimbabwéens d’élire dans les plus brefs délais le gouvernement de leur choix. Le respect de la volonté du peuple est la seule réponse possible à l’exclusion et à l’intolérance politiques.
Le gouvernement inclusif du Zimbabwe a été formé à l’issue de graves crises humanitaires et politiques. L’Accord politique de 2008, conclu au terme de négociations qui ont duré plus d’un an, lui tient lieu de certificat de naissance. Si toutes les parties à l’Accord se sont engagées à en respecter les dispositions en y apposant leur paraphe, son application concrète pose néanmoins un certain nombre de difficultés. De fait, la plupart des gouvernements inclusifs rencontrent des problèmes aussi sérieux que nombreux dans la mise en oeuvre des accords à l’origine de leur formation. Dans le cas du Zimbabwe, on peut citer entre autres le manque de respect des principes et valeurs consacrés dans l’Accord politique de septembre 2008, le souci qu’ont certains de protéger leurs « plates-bandes politiques » en excluant constamment les autres signataires de l’accord et la question du droit à une couverture médiatique impartiale.
L’actuel gouvernement inclusif n’est pas le premier de l’histoire du Zimbabwe. Après son accession à l’indépendance, le pays a été dirigé par un gouvernement de coalition composé de représentants des principaux partis politiques. Très vite, des accusations de tentative d’assassinat ont été portées de part et d’autre, et le gouvernement n’y a pas survécu très longtemps. Les gouvernements inclusifs se heurteront toujours à des difficultés : les partis politiques et leurs dirigeants aspirent avant tout au pouvoir, et il y a inévitablement des luttes de pouvoir dès lors qu’aucun parti ne détient clairement le pouvoir.
Tous ces problèmes, bien qu’épineux, trouveront sûrement une solution. Je suis pour ma part convaincue que la plupart des membres de l’actuel gouvernement sont déterminés, comme moi, à veiller au strict respect des dispositions de l’Accord. En cas de problème, nous n’hésiterons pas à faire appel à nos voisins et amis africains afin qu’ils nous viennent en aide.
La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) est un des garants de la mise en oeuvre de l’accord à l’origine de la formation du gouvernement du Zimbabwe, et doit à ce titre en suivre l’application. Si les parties à l’Accord ont convenu de créer un comité conjoint de suivi et d’exécution chargé de veiller à ce que les parties à l’Accord puissent en assurer la mise en oeuvre, la SADC ne peut pour autant se retirer du processus; elle n’a pas encore achevé sa mission. Elle doit rester fidèle à son engagement en faveur des principes démocratiques, car nous savons tous, pour en avoir été témoins, quelles peuvent être les conséquences tragiques d’une violation de ces principes.
Le moment est venu pour la SADC de s’exprimer clairement en faveur du respect des principes démocratiques. Si le principe de non ingérence dans les affaires des Etats conserve toute son importance, la SADC doit néanmoins défendre le principe et la pratique qui veulent que seuls les dirigeants élus démocratiquement puissent siéger en son sein. La façon dont nous gérons les dossiers régionaux doit s’inspirer des valeurs défendues dans nos pays respectifs. La consultation, l’argumentation politique et l’importance des élections démocratiques sont autant de principes qui doivent être respectés si nous voulons éviter la formation de gouvernements de coalition et les problèmes qu’ils soulèvent.
Le Gouvernement zimbabwéen, bien que de formation récente, a déjà engagé des réformes démocratiques, un plan de stabilisation économique, un programme de relèvement national et des réformes constitutionnelles. Une fois que toutes ces initiatives auront abouti, le Zimbabwe deviendra à n’en pas douter une démocratie que beaucoup dans la région nous envieront. Je ne doute pas que notre gouvernement viendra à bout de toutes les difficultés auxquelles il se heurte actuellement. L’adoption d’une constitution qui tire sa légitimité du peuple et la mise en place d’un gouvernement élu démocratiquement seront garants du plein respect des principes de tolérance et d’intégration politiques.
La formation de gouvernements inclusifs n’est pas une mauvaise solution face à certaines situations politiques, mais c’est très certainement une réponse contestable à l’exclusion et à l’intolérance politiques. J’en appelle à la communauté régionale et internationale afin qu’elles nous aident à faire du Zimbabwe une nation démocratique et prospère.