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N°33
AVRIL 2009

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de la Revue

Le Monde des Parliaments
Interview de M. Teshome Toga

« Nos objectifs : la paix, la démocratie et le développement »

M. Teshome TogaM. Teshome Toga, Président de la Chambre des Représentants du peuple de l'Ethiopie, a accordé au Monde des Parlements un entretien dans lequel il livre ses réflexions sur la 120ème Assemblée de l'UIP, qui doit se tenir à Addis-Abeba du 5 au 10 avril 2009.

Q: Pourquoi l'Éthiopie a-t-elle décidé d'accueillir la 120ème Assemblée de l'UIP ?
M. Teshome Toga:
Pour deux raisons. Premièrement, l'année dernière ont eu lieu les célébrations du Millénaire éthiopien, et nous tenions à ce que l'UIP y soit associée. De plus, nous avions accepté de laisser à nos collègues sudafricains le soin d'organiser la 119ème Assemblée au Cap l'année dernière, et d'accueillir la 120ème Assemblée au mois d'avril de cette année. Deuxièmement, nous marquons cette année le 50ème anniversaire de l'adhésion du Parlement éthiopien à l'UIP, et nous avons estimé que le moment était parfaitement choisi pour organiser une Assemblée de l'UIP en Ethiopie.

Q : Selon vous, que peut apporter une Assemblée de l'UIP ?
T.T.:
L'Assemblée de l'UIP est la plus importante réunion de parlementaires dans le monde. Les instances au sein desquelles les parlementaires de tous les pays peuvent se retrouver sont importantes, car elles nous permettent de débattre de questions d'actualité et de rencontrer les membres d'autres parlements. L'établissement de réseaux et de liens entre les membres de parlements nationaux contribue à enrichir les relations bilatérales qui peuvent se nouer entre les pays. Les parlements sont les représentants du peuple, et il importe que les peuples qu'ils représentent entretiennent de bonnes relations.

Q : Pendant l'Assemblée d'Addis-Abeba, le débat général portera pour l'essentiel sur le rôle des parlements dans le renforcement de la paix, de la démocratie et du développement en temps de crise. Quelle est l'expérience de l'Éthiopie dans ce domaine?
T.T.:
Il y a 20 ans, notre pays était en proie à la guerre et à l'instabilité. Nous avons dû lutter pendant de longues années pour en finir avec les pratiques non démocratiques, l'instabilité et les conflits et arriver là où nous en sommes aujourd'hui. Dans le même temps, il nous a fallu abandonner un modèle économique centralisé au profit d'une économie de marché. La paix, la démocratie, la bonne gouvernance et le développement sont désormais nos principaux objectifs. Nous nous sommes dotés de stratégies visant à construire la paix par le biais de mécanismes institutionnels et de cadres juridiques adaptés, à instaurer une démocratie parlementaire pluraliste, à éliminer la pauvreté et à promouvoir le développement national. Les efforts déployés ces 15 dernières années commencent à porter leurs fruits, et le Parlement éthiopien joue un rôle de premier plan en la matière. Toutefois, pour mener à bien de telles politiques, il faut disposer de ressources considérables. Dans un contexte de crise comme celui que nous connaissons actuellement, les parlements ont un rôle à jouer, et le thème retenu pour le débat de l'Assemblée d'Addis-Abeba me paraît donc particulièrement opportun.

Q : Que fait l'Éthiopie pour promouvoir la démocratie, la bonne gouvernance et le développement ?
T.T.:
Le pays dispose d'un système administratif fortement décentralisé qui favorise la participation de tous les citoyens. Nous oeuvrons pour que la paix et la démocratie parlementaire pluraliste prennent racine dans notre pays et forment le socle d'une culture démocratique.

Q: L'Assemblée va également débattre des mesures à prendre pour promouvoir la nonprolifération et le désarmement nucléaires, et assurer l'entrée en vigueur du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires : quel peut être le rôle des parlements dans ce domaine ?
T.T.:
Cette question nous concerne tous. En notre qualité de parlementaires, nous avons plaidé en faveur de la non-prolifération nucléaire et de l'adoption du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, parceque les armes nucléaires sont des armes de destruction massive. Les avis divergent, et nombre de parlementaires des pays moins avancés ont le sentiment que l'on pratique dans ce domaine la politique du deux poids deux mesures. Il demeure que tous les gouvernements doivent signer le Traité. Les parlementaires doivent s'efforcer de convaincre les parlements nationaux qui ne l'ont pas encore fait de ratifier le Traité, afin d'en faciliter l'entrée en vigueur.

Q: La troisième question à l'ordre du jour de l'Assemblée porte sur la liberté d'expression et le droit à l'information. Que peuvent faire les législateurs pour défendre ces deux piliers de la démocratie et aider ceux de leurs collègues dont les droits ne sont pas respectés ?
T.T.:
Il faut d'abord rappeler que la liberté d'expression et le droit à l'information sont des libertés fondamentales qui doivent être respectées par tous les pays et tous les gouvernements. Les parlementaires doivent s'employer à créer un environnement favorable et voter des lois adaptées, garantes de la protection de ces droits. Le Parlement éthiopien a récemment promulgué une loi relative aux médias et au droit à l'information. En notre qualité de législateurs, nous devons veiller à ce que les lois s'appliquent à tous les citoyens. Pour bâtir des institutions démocratiques, il faut s'assurer que tous les citoyens ont accès à ces deux piliers de la démocratie. À défaut, il sera impossible de faire respecter d'autres droits. Les Constitutions nationales contiennent toutes des dispositions garantissant le respect de ces libertés. Toutefois, dans la pratique, il est parfois difficile de les faire appliquer. Les parlementaires ont un rôle important à jouer en matière de contrôle et doivent s'assurer que ces droits sont respectés.

Q : Qu'en est-il des parlementaires dont les droits ne sont pas respectés ?
T.T.:
L'UIP se bat depuis longtemps pour aider les parlementaires dont les droits sont bafoués. Les parlements nationaux sont tenus de respecter les droits des parlementaires élus, de garantir leur participation au débat parlementaire et de protéger leur immunité. L'UIP offre un espace de dialogue au sein duquel nous pouvons exprimer notre solidarité et notre soutien envers ceux de nos collègues dont les droits ne sont pas respectés. Le Comité des droits de l'homme des parlementaires oeuvre sans relâche à la défense des droits des parlementaires. L'UIP doit continuer de s'exprimer sur cette question. Son action a été efficace, et j'encourage le Comité, qui compte parmi les instances les plus importantes de l'UIP, à poursuivre son travail dans ce domaine.

Q: Les délégués auront également la possibilité de participer à une réunion-débat sur le thème « Les adolescentes : les filles laissées pour compte ?». Pouvez-vous nous parler des problèmes que rencontrent les adolescentes éthiopiennes ?
T.T.:
Elles rencontrent plus ou moins les mêmes problèmes que les filles d'autres pays en développement. La perception traditionnelle du rôle de la femme a un impact très négatif sur le développement des adolescentes. Le problème tient essentiellement au fait que la culture traditionnelle impose aux filles de rester à la maison pour s'occuper des tâches ménagères. On considère généralement que les filles ne peuvent pas faire ce que font les garçons. Elles sont donc mariées très jeunes et doivent ensuite s'occuper de leur propre famille. Elles participent très peu au processus de développement, mais contribuent largement, par leur travail, aux revenus des ménages, sans que leur rôle en la matière soit reconnu. Ces 15 dernières années, nous avons compris que les adolescentes devaient être autonomisées, comme le prévoit la Constitution, qui pose le principe de l'égalité entre les hommes des femmes. Nous estimons que les adolescentes doivent se voir offrir les mêmes chances que les garçons, notamment en matière d'accès à l'éducation. En règle générale, elles dépendent financièrement de leur mari ou de leur famille, et il importe de les aider à acquérir une autonomie financière. Nous avons adopté une politique garante de la participation active des filles aux projets de développement des zones rurales et urbaines. Nous nous employons à faire en sorte que les adolescentes ne soient pas les laissées-pourcompte du processus de démocratisation et de développement et puissent aussi y prendre part.

Q: Vous avez parlé de la perception culturelle du rôle des femmes. Comment pensez-vous faire évoluer les mentalités ?
T.T.:
D'abord par l'éducation, pas seulement celle des filles, mais aussi celle des garçons et des adultes en général. Je veux parler d'éducation civique, domaine dans lequel les médias ont un rôle important à jouer. Pour lutter contre le VIH/sida ou les problèmes qui découlent de pratiques dangereuses, nous devons ouvrir un débat public, de sorte que tous les secteurs de la société puissent exprimer leur avis. Et nous devons faire en sorte que tous les membres de la société éthiopienne et l'ensemble des « gardiens » de la culture s'associent à ce processus, afin que nous puissions débattre de l'impact de certaines de nos traditions sur les adolescentes et sur la communauté en général. Les choses ont déjà beaucoup évolué. On n'obtient pas grand-chose en imposant des lois ou des politiques. Ce n'est qu'en privilégiant le dialogue et l'éducation et en nous appuyant sur des dispositions juridiques visant à protéger les femmes et les adolescentes que nous gagnerons l'opinion.

Q : La société éthiopienne est-elle prête à remettre en questions certaines pratiques traditionnelles ?
T.T.:
Nous avons déjà enregistré des progrès encourageants. La société éthiopienne s'ouvre petit à petit. Mais tout le monde n'en est pas au même stade. Si les jeunes sont conscients du problème, les personnes âgées, en revanche, auront besoin de plus de temps pour se faire à l'idée que certaines de nos traditions doivent être abandonnées. S'agissant du VIH/sida, les responsables traditionnels et religieux et d'autres personnalités influentes ont largement contribué à informer la population et à démystifier la maladie, et les choses évoluent peu à peu.