Vers un monde exempt d'armes nucléaires : ce que les Parlements peuvent faire
Par M. Sergio Duarte Haut Représentant des Nations Unies pour les affaires de désarmement
Un monde exempt d'armes nucléaires serait une immense avancée. Et ce n'est pas qu'une utopie. Cet objectif retient enfin toute l'attention qu'il mérite partout dans le monde et, qui plus est, dans les sphères dirigeantes. Le désarmement nucléaire n'est pas seulement un but noble, c'est un processus historique. Il se pourrait bien, au bout du compte, que le monde commence timidement à joindre les actes à la parole dans ce domaine.
Bien sûr, l'ONU poursuit cet objectif depuis qu'elle existe, sur la base des mandats spécifiques énoncés dans la Charte des Nations Unies, que l'Assemblée générale a précisés dans sa première résolution, en 1946, pour y inclure l'objectif d'éliminer toutes les « armes permettant des destructions massives ». Aujourd'hui, 189 Etats sont parties au Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui prévoit, entre autres objectifs, le désarmement nucléaire. Sans négliger les difficultés restant à surmonter, la réglementation internationale relative au désarmement et à la nonprolifération continue à susciter une large adhésion dans le monde entier.
Les abondantes manifestations de soutien au désarmement nucléaire viennent de sources étonnamment variées, tant gouvernementales que non gouvernementales. Ainsi, quatre anciens hommes d'Etat américains - George Shultz, William Perry, Henry Kissinger et Sam Nunn - ont fait beaucoup avancer la cause du désarmement nucléaire en publiant, en 2007 et en 2008, des articles de fond sur le sujet dans le Wall Street Journal. D'autres groupes de personnalités éminentes ont publié des textes du même type en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. De même, la Commission sur la prolifération des armes de destruction massive, présidée par Hans Blix, a formulé des propositions détaillées et la Commission internationale sur la nonprolifération et le désarmement nucléaires, créée à l'initiative de l'Australie et du Japon, devrait rendre prochainement des recommandations. Enfin, on trouve depuis longtemps déjà d'autres initiatives sur le désarmement dans les résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies.
Il ne s'agit là, bien entendu, que de quelques unes des initiatives de cet ordre. Constatant que la doctrine de la dissuasion nucléaire est « contagieuse », le Secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon a fait sa propre proposition en cinq points pour le désarmement nucléaire dans un discours essentiel qu'il a prononcé en octobre dernier à l'East-West Institute. Voici, en bref, la teneur de son propos :
- Il importe que tous les Etats parties au TNP, en particulier les Etats dotés d'armes nucléaires, remplissent leur obligation au titre du Traité d'entamer des négociations sur le désarmement, qu'elles soient axées sur une seule convention ou sur un ensemble d'instruments distincts et complémentaires. Le Secrétaire général appelle également de ses voeux des réductions importantes des arsenaux nucléaires de la Fédération de Russie et des Etats-Unis, qui sont les pays les plus richement dotés en la matière.
- Il faut que les membres permanents du Conseil de sécurité entament des discussions sur les dossiers récents concernant la sécurité dans le cadre du processus de désarmement nucléaire. Ils peuvent donner une garantie sans ambigüité aux Etats qui ne disposent pas d'armes nucléaires contre l'utilisation ou la menace d'utilisation de ces armes. Ils pourraient également envisager d'organiser un sommet sur le seul désarmement nucléaire, un sujet sur lequel le Conseil de sécurité ne s'est pas penché depuis des années.
- Le monde doit renforcer l' « état de droit » sur la question du désarmement. Il faut pour ce faire que le Traité sur l'interdiction complète des armes nucléaires entre en vigueur. De même, il importe d'ouvrir des négociations multilatérales en vue d'un traité sur les matières fissiles et il faut que les Etats dotés d'armes nucléaires adhèrent aux protocoles aux différents traités régionaux sur les zones exemptes d'armes nucléaires. Il importe en outre d'oeuvrer à la mise en place d'une zone de ce type au Moyen-Orient, conformément aux engagements pris lors des Conférences d'examen du TNP de 1995 et 2000 et soutenus de longue date par l'Assemblée générale des Nations Unies.
- Il importe aussi que les Etats dotés d'armes nucléaires publient une plus grande quantité d'informations sur la suite qu'ils donnent à leurs engagements en matière de désarmement, ce qui contribuera à une responsabilisation et une transparence accrues.
- Enfin, le monde doit rechercher des mesures complémentaires, au nombre desquelles l'élimination des autres armes de destruction massive, la mise en oeuvre de nouveaux efforts contre le terrorisme faisant usage d'armes de destruction massive, la réduction de la production et du commerce des armes classiques, ainsi que l'adoption de nouvelles interdictions en matière d'armement, notamment en ce qui concerne les missiles et les armes spatiales.
Les parlementaires peuvent aussi contribuer à inciter les gouvernements nationaux à agir de multiples façons, en les encourageant à lancer leurs propres initiatives en matière de désarmement, à accueillir des réunions, à financer des études, à promouvoir le dialogue diplomatique, à évoquer la question dans des discours officiels de haut-niveau, etc., etc.
Jayantha Dhanapala, ancien Secrétaire général adjoint aux affaires de désarmement à l'ONU, a parfaitement résumé cette idée en déclarant un jour devant un groupe interpartis de la Chambre des communes britannique que les parlements « contribuent à donner non seulement une vision au désarmement, mais aussi une colonne vertébrale, des muscles et des dents ».
Il avait entièrement raison : les parlements sont indispensables au désarmement.