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N°34
JUILLET 2009

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de la Revue

Le Monde des Parliaments
La crise économique et financière

La réponse à la crise mondiale de l'emploi : le travail décent

par M. Juan Somavia Directeur général de l’Organisation internationale du Travail

M. Juan SomaviaLa crise économique et financière mondiale est en train de se transformer en une crise sociale et de l'emploi. Tout le monde s'est laissé surprendre par la rapidité, la profondeur et l'ampleur de la crise, qui plonge des millions de travailleurs et de familles dans la précarité dans les pays à faible revenu, à revenu intermédiaire et élevé. Elle se caractérise par un recul de l'emploi, une précarité accrue des emplois de l'économie informelle, une baisse des salaires et la difficulté à trouver du travail, en particulier pour les jeunes. Qui plus est, les régimes de retraite reposant sur la constitution d'un capital par les particuliers ont été durement touchés.

La crise a été précédée de déséquilibres croissants dans le cadre de la mondialisation, notamment par une aggravation prolongée des inégalités de revenus dans les pays. De surcroît, elle s'est produite dans un contexte où la doctrine politique consistait à se fier outre-mesure à la capacité d'autorégulation des marchés, en sous-estimant le rôle de l'Etat et en ne se préoccupant pas suffisamment de la qualité de l'emploi, de l'environnement, des biens publics, de la protection sociale et du bien-être de la société.

C'est une récession sociale sans précédent qui nous attend. Des millions de personnes en tous points de la planète ont perdu leur emploi ces derniers mois et des emplois encore plus nombreux sont menacés. D'après les estimations de l'Organisation internationale du Travail (OIT), fin 2009, il y aura 50 millions de chômeurs de plus qu'en 2007. Nous continuons à suivre la situation de près, car ces chiffres pourraient être encore plus élevés. Le nombre de travailleurs pauvres aura gonflé de plus de 200 millions sur cette même période. L'emploi informel va augmenter dans nombre de pays. Il est probable par ailleurs que les moyennes des salaires vont diminuer. Les droits des travailleurs sont mis à rude épreuve, comme le montre la discrimination croissante, notamment à l'égard des travailleurs migrants.

Reprise lente de l'emploi

D'après plusieurs projections, le chômage va continuer à augmenter jusqu'à fin 2010, jusqu'à ce que la reprise s'accélère progressivement et que les entreprises recommencent doucement à fonctionner à plein régime. En outre, l'avenir étant particulièrement incertain, les projets d'investissement sont, et continueront d'être, différés. Il est très probable qu'il y ait un décalage de quatre à cinq ans, comme les crises précédentes l'ont largement montré, entre la reprise des indicateurs économiques et le retour de l'emploi aux niveaux antérieurs à la crise.

La plupart des prévisions tablent sur une reprise lente et longue qui devrait débuter à la mi-2010, à condition toutefois que des mesures efficaces soient prises pour stimuler l'activité économique - notamment des incitations budgétaires de grande envergure - et stabiliser un secteur financier qui ploie sous les créances douteuses.

Parallèlement, la main-d'oeuvre continue de croître. Chaque année, quelque 45 millions de personnes de par le monde, en particulier des jeunes à la recherche d'un premier emploi, font leur entrée sur le marché du travail. Les perspectives sont peu réjouissantes, en particulier pour ces nouveaux venus sur le marché de l'emploi.

Une crise de l'emploi de plusieurs années avec des risques d'instabilité

Tous ces éléments mis bout à bout font apparaître un tableau pour le moins inquiétant. Le monde doit s'attendre à une crise de l'emploi qui pourrait durer entre 6 et 8 ans, avec des conséquences préoccupantes pour la stabilité sociale et politique et la sécurité en général. On peut d'ores et déjà observer les premiers signes d'instabilité, qui se caractérisent par des tensions, voire des émeutes dans plusieurs pays. Et l'on sait que la pénurie de travail est l'une des causes majeures d'instabilité, simplement parce que le travail décent est à ce jour le besoin le plus fondamental de la population en matière de démocratie et que c'est en outre un élément indispensable de la sécurité économique.

N'oublions pas les problèmes qui ont précédé la crise : mondialisation déséquilibrée, absence de vraies perspectives pour tous, protection sociale insuffisante dans de trop nombreux pays, pauvreté massive, recul des classes moyennes lié à la stagnation des salaires, réchauffement climatique dû à des rejets excessifs de carbone dans l'atmosphère, mépris pour la dignité du travail, les biens publics et la solidarité mondiale.

Les politiques du passé n'ont pas permis d'éviter la présente crise, pas plus que les précédentes. Nous ne pouvons nous bercer de l'idée que nous allons y remédier avec des politiques inadaptées. Alors que nous étudions les politiques nécessaires pour nous remettre des coups terribles qui nous ont été infligés par la crise, nous ne devons pas perdre de vue les leçons du passé récent.

Depuis un certain temps déjà, l'OIT critique le modèle de mondialisation que la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation qualifiait en 2004 de « moralement inacceptable et politiquement précaire ».

Il faut des politiques pour rétablir l'équilibre entre la puissance publique, la dynamique des marchés et les entreprises privées, les aspirations de la société, les demandes des citoyens et les besoins élémentaires des familles et des collectivités.

Un Pacte mondial pour l'emploi

Dans l'immédiat, la proposition centrale de l'OIT est de sceller un Pacte mondial pour l'emploi, qui sera examiné lors de la Conférence mondiale du Travail, en juin 2009. Au nombre des propositions, figurent les mesures extraordinaires adoptées par nombre de gouvernements, celles qui ont été convenues par les dirigeants du G20 en avril et le processus en cours avec le Conseil des chefs de Secrétariat des organismes des Nations Unies, à l'appui du Pacte mondial pour l'emploi.

Le Pacte mondial pour l'emploi est la réponse à la crise à travers un travail décent. Il faut y voir la contribution de l'OIT à l'élaboration de politiques propres à atténuer les effets de la crise sur les familles de travailleurs et les entreprises, notamment dans les secteurs informel et rural, et contribuer à façonner une reprise productive et durable.

Une croissance équilibrée et bénéficiant d'un large soutien

L'objectif stratégique du Pacte mondial pour l'emploi est de mettre les questions relatives au marché de l'emploi, ainsi que la protection sociale et le respect des droits des travailleurs au coeur des mesures d'incitation et autres politiques nationales pertinentes pour contrer la crise. Le recours au dialogue social pour la définition et la mise en oeuvre des politiques est un élément fondamental pour qu'il y ait consensus. On n'a pas suffisamment insisté sur cette démarche - qui correspond pourtant à ce que les citoyens attendent des dirigeants politiques.

Les politiques doivent être axées sur l'emploi et la protection sociale. Il nous faut un moyen productif de sortir de la crise pour réduire effectivement le décalage entre la reprise de la croissance et la reprise de l'emploi. Ce serait là aussi un moyen de préparer le terrain pour un nouveau modèle de développement durable et une mondialisation juste. L'OIT appelle à une mondialisation qui offre des perspectives à tout le monde, une mondialisation fondée sur une croissance équilibrée avec des économies de marché qui fonctionnent bien, une mondialisation qui s'accompagne de justice sociale et qui soit durable du point de vue environnemental.

Il s'agit là d'un projet politique fondé sur le travail décent pour tous les travailleurs et travailleuses, un projet qui exige le soutien de tous : gouvernements, parlementaires, autorités locales et régionales, citoyens, organisations patronales et syndicales, société civile et institutions multilatérales.

Les politiques locales et leurs liens avec la politique mondiale sont au coeur de ce projet global. Les parlementaires sont comme une courroie de distribution. Ils ont un rôle central à jouer pour faire en sorte que les politiques appliquées aujourd'hui et les nouveaux systèmes de gouvernance qui verront inéluctablement le jour demain répondent au besoin profond que nous avons tous, d'un travail digne de ce nom.