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N°34
JUILLET 2009

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de la Revue

Le Monde des Parliaments
La crise économique et financière

Le multilatéralisme et le rôle du Fonds monétaire international dans la crise financière mondiale

Par M. Dominique Strauss-Kahn Directeur général du Fonds monétaire international

M. Dominique Strauss-Kahn Dans la situation actuelle, une coopération mondiale renforcée s'impose plus que jamais en matière de politiques macroéconomiques et financières. L'un des enseignements majeurs de la Grande Dépression est que l'absence de coopération et l'isolement peuvent aggraver les choses. L'effondrement sans précédent de l'activité mondiale dans les années 30 a en outre eu des conséquences sociales et politiques catastrophiques et a contribué à faire éclater une guerre qui a fait des dizaines de millions de morts et laissé un continent entier en ruines. Lorsque les grands dirigeants de la planète se sont réunis à Bretton Woods, en 1944, ils ont fait le voeu que les erreurs du passé ne se répètent jamais. Ils ont adopté le multilatéralisme et opté pour la coopération en matière de politiques économiques et financières.

Le FMI est né à Bretton Woods. Il a été façonné selon cet idéal multilatéral puis investi de la mission de superviser le système financier mondial et de servir de prêteur de dernier recours à ceux de ses membres ayant des difficultés de balance des paiements. Le FMI est au coeur même de la coordination des politiques macroéconomiques et financières.

Plus de 60 ans plus tard, même si les contours du système financier mondial n'ont plus rien à voir avec ce que les délégués de Bretton Woods avaient imaginé, le FMI demeure tout aussi central, mais il aura fallu en passer par la plus grave crise financière mondiale depuis la Grande Dépression pour s'en rendre compte.

Ces 18 derniers mois, une crise économique qui a débuté sur le marché de l'immobilier américain s'est répandue comme une traînée de poudre en tous points de la planète. A présent que les choses commencent à se tasser, il y a une ou deux leçons essentielles à retenir : premièrement, les liens entre l'économie réelle et le secteur financier sont profonds et complexes et, deuxièmement, l'économie mondiale est imbriquée à plus d'égards qu'on ne l'aurait cru. Il est évident en outre qu'une solution multilatérale est essentielle et que le FMI a un rôle central à jouer en l'espèce. Cette institution internationale est en effet particulièrement bien placée pour traiter les problèmes de financement et de liquidités à l'échelon mondial, et assurer une surveillance transparente, indépendante et impartiale.

Le FMI, un pompier efficace ?

Le FMI aide tout un éventail de pays à répondre à leurs besoins de financement, et d'autres devraient venir s'y ajouter avant la fin de l'année. Afin de l'aider à remplir efficacement sa mission de pompier dans cette crise, les dirigeants de la planète se sont engagés à tripler sa capacité de prêt, qui se montera à une somme jamais atteinte jusque-là : 750 milliards de dollars E.-U., et à doubler par ailleurs sa capacité de prêt à des conditions favorables au profit des pays à faible revenu. De son côté, le FMI s'adapte aux circonstances. Il a mis en place un ensemble de réformes novatrices. Il a, en premier lieu, décidé de multiplier par deux tous les plafonds d'accès aux prêts, y compris pour les pays à faible revenu.

Sachant qu'il vaut toujours mieux prévenir les incendies que les éteindre, le FMI a créé une ligne de crédit souple qui permet d'octroyer rapidement, par avance - et sans conditionnalité ex post - des sommes importantes aux pays pouvant faire état de bons résultats. D'une manière générale, le FMI accordera des moyens plus importants, notamment par anticipation, grâce à une large gamme de facilités.

Si las conditionnalité demeure importante, il importe néanmoins qu'elle soit plus ciblée et rationnelle, de manière à encourager les pays à contacter le FMI suffisamment tôt. Le FMI demeure déterminé à protéger les plus pauvres et les plus vulnérables par le biais de programmes de prêts, à des conditions favorables ou non. Nombre de programmes récents induisent une augmentation considérable des dépenses sociales.

Le FMI, un conseiller valable en matière de politiques ?

Dans le cadre de sa fonction de surveillance bilatérale et multilatérale, le FMI a aussi un rôle important de conseiller à jouer dans l'économie mondiale. Lorsque la crise est survenue, le FMI a été parmi les premiers à mettre en évidence les réponses à lui apporter, qui sont désormais largement éprouvées, en insistant en particulier sur deux points : l'opportunité d'une relance budgétaire et la nécessité de restructurer le système bancaire.

Dès janvier 2008, le FMI recommandait un assouplissement discrétionnaire des conditions pour les pays qui pouvaient se le permettre. Les pays ont fait de la relance budgétaire à hauteur de 2 % de leur PIB en 2009, ce qui cadre parfaitement avec les recommandations du Fonds. A noter également, le renforcement considérable de la coopération internationale. Les Etats prévoient de nouvelles politiques de relance relativement importantes pour 2010, quoique moindres qu'en 2009. Reste à savoir si cela sera suffisant.

Par ailleurs, le FMI a fait remarquer très tôt que pour une reprise rapide de l'économie, il fallait que les banques se débarrassent de leurs actifs toxiques, faute de quoi les efforts visant à relancer la demande seraient vains. Sur ce plan, le constat est mitigé - si les mesures prises vont dans le bon sens, elles ont tendance à être lentes et parcellaires, malgré un mieux ces derniers temps.

Le FMI, une institution légitime pour tirer la sonnette d'alarme ?

On a reproché au FMI notamment de ne pas avoir su prévoir la crise. C'est en partie justifié. Le FMI a bien donné l'alerte mais peut-être pas assez vigoureusement, ou pas assez clairement, et qui plus est, les décideurs n'en ont pas tenu compte. Il n'en reste pas moins que l'Institution a su prouver son utilité une fois que la crise à éclaté. Elle a su prévoir ce qui allait se passer, en matière tant d'activité économique que de crédit.

Tourné vers l'avenir, le FMI est en train d'améliorer sensiblement son système d'alerte précoce. Ces nouveaux dispositifs se doivent d'être solides, transparents, fiables et impartiaux. Il ne faut pas craindre, le cas échéant, de dénoncer nommément les responsables. Le principe consiste à observer de près les risques systémiques d'où qu'ils viennent, à mieux intégrer l'activité des secteurs macroéconomique et financier et à mieux contrôler les répercussions des politiques choisies et les liens transnationaux.

Le FMI, une institution mondiale légitime ?

Pour que la réforme de ses instruments et de ses mécanismes de surveillance fonctionne, le FMI a besoin d'une légitimité mondiale. Il faut que sa voix soit respectée en tous points de la planète. C'est pourquoi il importe que le FMI réforme sa structure de gouvernance pour donner plus de poids aux marchés émergents et aux pays à faible revenu. La prochaine phase de la réforme des quotas devrait s'achever début 2011.

En somme, un multilatéralisme vigoureux est indispensable pour venir à bout de la crise actuelle et prévenir d'autres crises. La mondialisation se poursuivant, l'imbrication des pays et des activités va continuer à s'accentuer. Lorsque la crise s'est produite, l'utilité de la coopération est devenue patente, avec des politiques mondiales de relance budgétaire et une action concertée des banques centrales pour assurer la liquidité de l'économie. A l'opposé, l'absence de coopération, que révèle la tentation de protéger les systèmes bancaires nationaux au détriment de ceux des pays voisins, d'isoler des actifs et de privilégier le marché national du crédit, aurait un coût.

Les pays semblent de plus en plus enclins à apporter une réponse concertée aux problèmes, ce qui augure bien de l'avenir. C'est un pas en avant et le FMI entend y prendre part. Mais le fond du problème n'est pas de savoir si le FMI remplit bien son rôle ou pas, mais de veiller à la bonne santé de l'économie mondiale et au bienêtre des sept milliards de personnes qui peuplent la planète.

VERBATIM

par M. Supachai Panitchpakdi Secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à la Conférence parlementaire de l'UIP sur la crise économique mondiale Genève, les 7 et 8 mai 2009

(…) Ces dernières années, la CNUCED a lancé des signaux d'alarme, même si bien peu de gens dans le monde auraient pu prévoir à quel moment exact la crise allait éclater. La CNUCED a été au nombre des très rares institutions à tirer régulièrement la sonnette d'alarme, particulièrement dans les trois ou quatre domaines que je souhaite mentionner ici. Tout d'abord, la CNUCED a attiré l'attention de la communauté internationale sur le fait que lorsque la crise asiatique a éclaté, dans les années 90, l'un des principaux problèmes qu'elle révélait était celui des déséquilibres, qui concernaient à l'époque les comptes courants et la balance des paiements. Cette fois-ci, les déséquilibres se manifestent dans les déficits budgétaires, les déficits des comptes courants, le déficit de financement, car une partie du monde continue à consommer tandis que l'autre continue à économiser. La CNUCED a toujours affirmé que les énormes déséquilibres qui augmentent chaque année doivent être enrayés. On nous a pourtant toujours donné tort. Le deuxième point concerne la dichotomie flagrante entre l'absence de réglementation financière (particulièrement à l'échelon international) et la discipline stricte imposée dans tous les domaines relevant du commerce et du marché des produits de base. (…) Le troisième signe avant-coureur concernait le fait que l'une des causes principales de la crise financière asiatique était la déréglementation hâtive, qui a entraîné une libéralisation totale du marché financier sans réellement préparer les marchés à faire preuve de davantage de maturité et à avoir la sagesse, les intervenants et les institutions requises pour assurer leur équilibre (…).

Voir également notre page web sur "Conférence parlementaire sur la crise économique mondiale"