Les retombées de la crise financière sur les droits de l'homme en Afrique
par Mme Sanji Mmasenono Monageng Juge à la Cour suprême du Swaziland et juge à la Cour pénale internationale
La crise économique et financière mondiale, la pire depuis la dépression des années 30, est partie des Etats-Unis avant de gagner l'Europe, l'Asie et le reste du monde et elle a des retombées graves sur la mise en pratique et le respect des droits de l'homme en Afrique. Il est intéressant de relever que la réponse trouvée par les gouvernements occidentaux pour faire reculer le spectre d'une récession régionale et mondiale et rétablir la stabilité et la confiance à l'égard du marché a consisté à élaborer des mesures de sauvetage destinées à soulager leur système financier défaillant. Ces opérations de renflouement ont été sans précédent. Tant aux Etats-Unis qu'en Europe, nous avons assisté à la mise en place d'un plan d'intervention gouvernementale, de nationalisation de grands établissements financiers, d'injection de montants astronomiques dans des établissements fragilisés et de re-réglementation du secteur financier d'une ampleur inédite. Le paradoxe est à son comble, ces réactions contredisant la politique néolibérale strictement imposée pendant des décennies aux pays en développement par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et un grand nombre de pays développés.
Mais quelles sont les retombées de cette crise sur l'Afrique, une région qui était déjà (avant la crise) la plus pauvre du monde? La crise a déjà commencé à se faire sentir dans un grand nombre d'Etats africains, qui voient leur marché boursier et leur monnaie s'effondrer, les flux de capitaux privés s'étioler et les grands projets d'investissements disparaître, la rentabilité future de l'Afrique étant remise en cause. Oxfam estime que les perturbations économiques de 2008 ont jeté 119 millions de personnes supplémentaires sous le seuil de la pauvreté, ce qui a incité Jacques Diouf, Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, à rappeler au monde que: « la crise financière mondiale ne devrait pas nous faire oublier la crise alimentaire. »
Un enfant sur cinq meurt toutes les trois secondes du sida, d'autres maladies évitables et de misère extrême. Dans la pratique, environ 20 % des enfants africains décèdent avant l'âge de cinq ans. »
Du point de vue des retombées de la crise financière sur les droits de l'homme en Afrique, quelques chiffres donnant à réfléchir à la situation des membres les plus vulnérables de notre société, à savoir les enfants, replacent le débat dans la perspective juste: un enfant sur cinq meurt toutes les trois secondes du SIDA, d'autres maladies évitables et de misère extrême. Dans la pratique, environ 20 % des enfants africains décèdent avant l'âge de cinq ans. Aujourd'hui, plus de 15 millions d'enfants ont déjà perdu leurs deux parents dans l'épidémie et 2 millions de ces enfants ont moins de 14 ans. De surcroît, la pénurie d'eau propre emporte des centaines de milliers de vies. 43 % des enfants de l'Afrique Sub-saharienne ne disposent pas de source d'eau potable sûre et accessible et 64 % vivent sans système d'évacuation des eaux usées. Par ailleurs, la malnutrition, les maladies telles que le paludisme, la pneumonie et la fièvre typhoïde tuent un nombre record de personnes.L'UNICEF estime qu'en Afrique sub-saharienne, la rougeole tue un enfant presque toutes les minutes, tandis qu'il n'en coûte qu'un dollar par enfant pour le vacciner efficacement contre cette maladie. 57 % seulement des enfants africains vont à l'école primaire et un sur trois de ces enfants arrête en cours de route. Comme si ces chiffres n'étaient pas assez désastreux, environ 120 000 enfants africains, dont certains n'ont pas plus de 7 ans, sont enrôlés dans des conflits armés. En Afrique, les enfants représentent la moitié des victimes civiles des guerres. Ces chiffres, pour sinistres qu'ils soient, sont loin de donner une idée du tourment de la faim que vivent les millions d'enfants africains qui grouillent sur le continent, condamnés au désespoir, ni la souffrance absurde de millions encore, pris dans le cercle vicieux de la maladie, de la guerre et de l'absence d'avenir. Les statistiques ne pourront jamais faire comprendre au lecteur que la misère des enfants est la pire forme de violence et d'abus des droits de l'homme, un scandale pour l'humanité entière. Mais l'histoire de millions d'Africains ne s'arrête pas là.
Aux premiers rangs de la lutte contre la myriade de problèmes pesant sur l'Afrique se trouvent des ONG et des organisations représentant la société civile, qui sont nombreuses à être liées à des ONG occidentales. Mais les nouvelles qui nous arrivent de cette partie du monde sont mauvaises. Une étude récemment menée par Price Waterhouse Coopers montre que la récession qui frappe le Royaume-Uni pourrait, par exemple, se solder par un déficit de 2,3 milliards de livres sterling dans le secteur des organisations charitables britanniques, ce qui aura des répercussions sur un grand nombre de bonnes causes en Afrique. En juin 2008, les gouvernements et les institutions réunis à Rome se sont engagés à verser 12,3 milliards de dollars pour lutter contre la pire crise alimentaire du monde. Depuis lors, un milliard de dollars seulement a été versé et $1,3 milliard supplémentaire, affecté par la CE aux paysans africains, pourrait ne jamais être débloqué, certains gouvernements européens ne s'estimant plus capables de tenir un tel engagement.
Il n'est guère surprenant d'apprendre qu'Amnesty International (AI), l'organisation mondiale de défense des droits de l'homme, a estimé que la crise économique mondiale exacerbe les abus des droits de l'homme. Dans son rapport annuel, AI affirme que le repli économique a détourné l'attention des abus et créé de nouveaux problèmes. La hausse des prix empêche désormais des millions d'Africains déjà pauvres de satisfaire à leurs besoin de base et les contestations en faveur d'une meilleure sécurité et d'un meilleur approvisionnement alimentaires se heurtent souvent à la répression.
On ne saurait trop donner raison à Mme Navi Pillay, Haut Commissaire aux droits de l'homme, d'avoir dit, le 20 février 2009 au Conseil des droits de l'homme, que les gouvernements et le secteur privé devraient tenir compte des droits de l'homme dans les mesures qu'ils mettent en place pour faire face à la crise économique et financière actuelle. Il est bien sûr important de répondre à la crise en cours par une évaluation complète de la performance du système financier, mais adopter la perspective des droits de l'homme contribuera à rendre les solutions plus durables à long terme. Il ne faut pas oublier que la lutte contre la pauvreté, la maladie, le conflit et les autres problèmes concernant les droits de l'homme n'équivaut pas à de la charité, mais relève plutôt de la justice, qui vise à protéger un droit fondamental, à savoir le droit à la dignité et à vivre une vie correcte, comme le mentionne la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
Mme Rama Yade, ex-Secrétaire d'Etat française aux Droits de l'homme :
« Défendre les droits de l'homme avec le souci de l'efficacité avant celui du spectacle »
A l'occasion de l'Assemblée de l'UIP qui s'est tenue à Addis-Abeba, le Secrétaire général de l'UIP, M. Anders B. Johnsson, et la délégation parlementaire française présente en Ethiopie ont rencontré celle qui était alors Secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme, Mme Rama Yade, pour un échange de vues sur le rôle des élus dans la défense des droits de la personne. Mme Yade a notamment fait part au Secrétaire général de l'UIP de sa profonde préoccupation concernant la situation des femmes en République démocratique du Congo.A l'issue de cette rencontre, Mme Rama Yade a répondu aux questions du Monde des Parlements. Pour elle, « les parlementaires sont les représentants souvent élus des citoyens et des sociétés civiles. Ils sont peut-être plus à même de parler au nom des populations. Venus de régions très différentes, ils sont aussi susceptibles de faire entendre la diversité des opinions ». Et d'ajouter que « les relations plus fluides qu'ils ont avec leurs collègues du monde entier leur permettent d'aborder des sujets difficiles comme la question des droits de l'homme de manière beaucoup plus simple que ne peuvent le faire les autorités exécutives ».
Comment conjuguer défense des droits de l'homme et impératifs diplomatiques ? « C'est tout l'art de la diplomatie ! », a répondu Mme Yade. « C'est un travail difficile qu'il faut faire avec intelligence, doigté et avec le souci de l'efficacité avant celui du spectacle. Cela suppose de temps en temps de la discrétion et beaucoup de détermination. Il faut suivre les causes de près, ne pas insulter ou agresser, car cela ne marche pas forcément, être dans une optique de dialogue, mais aussi, s'il le faut, de pression diplomatique ».
M. Antonio Maria Costa, Directeur exécutif de l'ONUDC
« La crise financière va entraîner une recrudescence de la traite des êtres humains »
Lors de la 120ème Assemblée de l'UIP, qui a eu lieu à Addis-Abeba, l'UIP et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ont lancé un guide pratique à l'intention des parlementaires intitulé: Combattre la traite des personnes. Lors d'une conférence de presse organisée par l'UIP, M. Antonio Maria Costa, Directeur exécutif de l'ONUDC, a expliqué que : « la traite des êtres humains constitue une violation des droits de l'homme qui s'apparente à un crime contre l'individu et l'Etat et doit être reconnu et puni par la législation ».La traite des êtres humains constitue un réel danger en temps de crise économique. Les gens désespérés sont prêts à tout vendre, y compris leur corps, leurs organes, voire leurs congénères, a-t-il ajouté. M. Costa a aussi indiqué que, dans le monde, des millions de personnes, en majorité des femmes et des enfants, sont prisonniers de cette forme moderne d'esclavage. « Ce crime exploite chaque année des millions de victimes dans un secteur de production illégale de biens et de services qui va de l'esclavage sexuel au travail forcé et pèse des milliards de dollars ». La traite des êtres humains augmente, tout particulièrement dans une poignée de pays, et la crise financière ne devrait faire qu'aggraver les choses.
« Nous sommes inquiets de ce que la crise économique pourrait élargir le groupe des victimes potentielles et faire augmenter la demande de biens et de services bon marché. Dans le monde, presque 20 % de toutes les victimes de la traite sont des enfants. Toutefois, dans certaines parties de l'Afrique et de la région du Mékong, les enfants son majoritaires et représentent jusqu'à 100 % des victimes dans certaines zones de l'Afrique occidentale, a-t-il précisé.
Nombreux sont les systèmes judiciaires qui ne reconnaissent pas la gravité de ce crime. Pour la période 2007-2008, deux pays sur cinq couverts par le rapport de l'ONUDC sur la traite n'avaient enregistré aucune condamnation. « Soit ces pays sont aveugles, soit ils sont mal équipés pour faire face, soit les deux. Certains pays, dont quelques grands pays, ne nous informent même pas du problème qu'ils rencontrent. Il se peut qu'ils soient trop désorganisés pour recueillir l'information ou peu désireux de la communiquer, peut-être parce qu'ils sont mal à l'aise », a déclaré le Directeur exécutif de l'ONUDC.
Le public fait souvent l'amalgame entre prostitution et traite des personnes. M. Costa a mentionné la remarque faite par un dirigeant politique: « Nos filles sont belles, c'est pour cela qu'on nous les prend! » « Ce type de banalisation montre que les gens, y compris des personnalités politiques de tout premier plan, ne comprennent pas les enjeux. »
Le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, tout particulièrement les femmes et les enfants, qualifie la traite des êtres humains de crime lorsqu'elle passe par le recrutement, le transport, le transfert et l'hébergement ou l'accueil de personnes par le recours à la force ou à d'autres formes de contraintes et à la fraude. Il y a traite lorsque des personnes sont contraintes de se soumettre à certaines activités au bénéfice d'un tiers.
La volonté politique de mettre un terme à cette forme moderne d'esclavage existet- elle? Le Directeur exécutif de l'ONUDC affirme que cette volonté politique augmente grâce à la pression des médias. Lorsqu'on lui demande pourquoi ce crime reste trop fréquemment impuni, il répond que: « la culture y est pour beaucoup. Nous voyons l'importance des modèles culturels, qu'il s'agisse de discrimination ou d'exploitation sexuelle. Les femmes ont tendance à être traitées comme des objets. Nous devons faire évoluer les mentalités ». Pour M. Costa, « les burkas et les mannequins des pays occidentaux qui exposent le corps de la femme comme s'il s'agissait d'un objet montrent que les femmes ne sont pas respectées ».
M. Costa attend beaucoup de l'UIP et des parlementaires car, comme il l'a dit : « le chaînon manquant dans la lutte contre la traite est la législation nationale. Les parlements et les parlementaires sont bien placés pour enrayer la traite des êtres humains en faisant oeuvre de sensibilisation et en jugulant l'exploitation. Nous disposons d'une législation internationale, mais il nous faut des lois à l'échelon national. 132 pays environ ont adopté des lois. La prochaine étape consiste à les mettre en oeuvre, raison pour laquelle j'en appelle aux gouvernements pour qu'ils appliquent les décisions prises par leur parlement ».