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N°37
MARS 2010

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de la Revue

Le Monde des Parliaments
Interview de M. Chai Chidchob

« Le Parlement est un outil indispensable pour trouver une issue équitable aux conflits, y compris les conflits politiques »

M. Chai Chidchob Q: Quelle signification revêt, pour le Parlement thaïlandais, la tenue de l’Assemblée de l’UIP en Thaïlande ?
M. Chai Chidchob:
L’Assemblée de l’UIP qui se déroulera à Bangkok devrait rassembler plus de 1 200 participants et nous sommes en train de former du personnel chargé de rendre leur séjour plaisant. L’Assemblée nationale de Thaïlande offrira aussi à des étudiants des universités la possibilité de prendre part à cette rencontre en tant qu’agents de liaison intervenant auprès des équipes et des délégations. Le thème central de l’ordre du jour est: « Le Parlement au centre de la réconciliation politique et de la bonne gouvernance » Cette assemblée se penchera également sur des sujets tels que: « Coopération et responsabilité partagée dans la lutte mondiale contre la criminalité organisée, notamment le trafic de drogue, la vente illicite d’armes, la traite des êtres humains et le terrorisme transfrontière », « Le rôle des parlements dans le développement des coopérations sud-sud et triangulaires en vue d’accélérer la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement » et « La participation des jeunes au processus démocratique ». Les réunions-débats porteront sur des questions telles que les droits de l’enfant, les ressources hydriques, la survie des enfants et la santé maternelle, la détention et l’utilisation d’armes nucléaires et les changements climatiques. Son Altesse Royale le Prince Maha Vajiralongkorn présidera la cérémonie d’ouverture au nom de Sa Majesté le Roi. Quant à la Réunion des Femmes parlementaires, elle tiendra un séminaire portant sur le thème suivant : « La lutte contre la violence envers les femmes, en mettant l’accent plus particulièrement sur les femmes dans les lieux de détention et les prisons ». Elle s’ouvrira sur une allocution de Son Altesse Royale la Princesse Bajrakitiyabha. C’est la troisième fois que la Thaïlande a l’honneur de recevoir une Assemblée de l’UIP.

Q: A Bangkok, les débats porteront sur la question des parlements, de la réconciliation politique et de la bonne gouvernance. Comment envisagez-vous le rôle du Parlement dans le processus de réconciliation en Thaïlande et dans d’autres pays de la région ?
C.C.:
Les pays étant peuplés de millions d’individus, il est bien évident qu’ils peuvent être le théâtre de conflits suscités par des divergences d’intérêts, des affrontements politiques, etc. La participation populaire constitue l’un des fondements de la démocratie participative, qui crée un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Le Parlement, qui représente des millions d’individus unissant leurs forces entre autres pour résoudre ce type de conflits, revêt un rôle clé dans ce contexte. En tant qu’enceinte de représentation populaire, le Parlement est un outil indispensable pour trouver une issue équitable aux conflits, y compris les conflits politiques. La bonne gouvernance implique de demander des comptes à l’Exécutif et passe également par la prise en considération des questions de genre, ainsi que par le consensus, le sens des responsabilités, la transparence, l’efficacité, l’efficience et l’équité, conformément à l’état de droit. Dans le système parlementaire toutefois, il n’existe pas de ligne de démarcation claire entre le pouvoir législatif et l’exécutif. Le Parlement doit remplir sa fonction de contrôle de l’action menée par l’exécutif pour l’amener à rendre compte de ses actes et faire tout ce qui est en son pouvoir pour lutter contre la corruption. Il doit aussi se faire le porte-parole des minorités et éradiquer toutes les menaces pesant sur la société.

Q: Quels espoirs nourrissez-vous pour l’Assemblée de Bangkok du point de vue la lutte contre la criminalité organisée, du trafic de stupéfiants, de la vente illicite d’armes, de la traite des êtres humains et du terrorisme transfrontière ?
C.C.:
Au fil du temps, les Parlements membres de l’UIP ont pris conscience de la gravité croissante du phénomène de la criminalité organisée, en particulier le trafic de stupéfiants, la vente illicite d’armes, la traite des êtres humains, le terrorisme transfrontière et le blanchiment d’argent sale. Ces problèmes, qui sont tous liés, constituent une menace grave pour la paix et la stabilité internationales de notre planète et exigent l’action concertée de la communauté internationale. J’espère que les parlementaires qui prendront part à la 122ème Assemblée de l’UIP en Thaïlande se pencheront sur ces questions pour évaluer la situation actuelle, nous parler des progrès enregistrés dans leur pays et de la perspective d’avenir adoptée par les différents parlements. Cette rencontre pourrait déboucher sur des propositions d’initiatives parlementaires concrètes incitant les gouvernements à ratifier les conventions internationales de lutte contre la criminalité organisée. Il faudrait que les parlementaires examinent leur législation nationale sur le trafic de stupéfiants, la vente illicite d’armes, la traite des êtres humains, le terrorisme transfrontière et le blanchiment d’argent sale ou l’amendent. Il faudrait également qu’ils soutiennent la coopération internationale visant à élaborer des instruments juridiques internationaux empêchant les criminels de faire jouer les lacunes de la législation à leur avantage.

Q: Comment les législateurs peuvent-ils inciter les jeunes à prendre part au processus démocratique ?
C.C.:
Nous soutenons toutes les activités qui améliorent et développent la connaissance et la juste perception, chez les jeunes, de la politique et du gouvernement, ainsi que de la démocratie parlementaire dirigée par un monarque (monarchie constitutionnelle). Le Programme démocratique pour les jeunes nous a permis d’offrir aux jeunes la possibilité de s’engager dans le domaine politique et d’exprimer leur avis à ce sujet et à propos du Gouvernement thaïlandais, tout en affinant leur connaissance et leur expérience grâce à la constitution de réseaux démocratiques pour les jeunes destinés à mieux faire connaître la démocratie et à rendre possible la réalisation d’activités d’intérêt public pour la communauté, la société et le pays dans son ensemble. Nous avons adopté la Loi B.E. 2550, entrée en vigueur en 2008, dans le but de promouvoir le développement des enfants et des jeunes à l’échelle nationale en créant des Conseils des enfants et des jeunes à trois échelons : les districts, les provinces et la nation. Notre objectif est de mettre les enfants et les jeunes en condition de prendre part à la vie démocratique en faisant connaître aux parlementaires leur avis concernant le développement des enfants et des jeunes, pour que celui-ci puisse être pris en considération lors de l’élaboration de politiques et de plans en leur faveur.

Q: Pendant l’Assemblée, il sera beaucoup question de la Convention des droits de l’enfant. Que diriez-vous de la situation des droits de l’enfant en Thaïlande ?
C.C.:
La Convention des droits de l’enfant affirme un certain nombre de droits fondamentaux de l’enfant, notamment: 1) la survie, dont les soins médicaux de base, la paix, la sécurité et le développement; 2) une bonne éducation, à savoir un foyer aimant et une alimentation appropriée; la protection contre les abus, la négligence, la traite, le travail des enfants et autres formes d’exploitation; 3) la participation, qui passe par le droit d’exprimer son avis, d’être écouté et de prendre part aux décisions qui le concernent.
En Thaïlande, les enfants sont confrontés à des problèmes tels que la malnutrition, le manque d’éducation, la traite des êtres humains, le travail abusif, l’exploitation sexuelle, le VIH/sida, la violence, la toxicomanie ou les problèmes liés à la drogue en général, les droits limités dont jouissent les minorités, l’isolement, etc. Le Gouvernement thaïlandais, avec le concours de tous les secteurs concernés, a pris des mesures concrètes pour contribuer à résoudre ces problèmes.

Q: Quel a été le moment déterminant qui vous a convaincu que vous pouviez changer les choses par la voie parlementaire ?
C.C.:
Ce fut au cours des années 70, après avoir participé à des mouvements très importants en 68 et après avoir milité dans les mouvements écologiques et antinucléaires. Nous avons compris que si ces mouvements mobilisaient la société, les décisions étaient prises au niveau d’une majorité parlementaire. Une démocratie n’obtient des changements que s’il y a une majorité parlementaire capable de les réaliser. Intervenir au niveau institutionnel permet d’aboutir à ces changements. Mouvements sociaux et nouvelles majorités vont de pair. On peut changer le monde par l’action dans la société et par l’action au niveau institutionnel.

L.B.

La politique de couverture santé universelle en Thaïlande et le rôle des parlementaires dans la réalisation des OMD 4 et 5

Par Mme Tassana Boontong Vice-Présidente du Sénat thaïlandais

Mme Tassana BoontongLa Thaïlande fait partie des pays d’Asie du Sud-Est qui ont réformé leur système de santé durant la dernière décennie. La Thaïlande est un bon exemple de l’application des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) dans un pays à revenu intermédiaire. La Thaïlande a en effet réussi à atteindre la plupart des OMD avant l’échéance de 2015. Elle a même modifié les critères associés aux OMD de manière à éviter le risque de plafonnement des efforts, en adoptant des « OMD plus » pour mener le plus loin possible le développement du pays.

L’expérience unique de la Thaïlande est porteuse d’enseignements en matière de santé maternelle et de bien-être de l’enfant. Depuis 2001, le processus de réforme du système de santé a amené de nombreux changements quant à la prestation des soins et à leur financement. Après de nombreuses années de débats et de tentatives timides pour réformer le système système d’accès universel aux soins aussi appelé système de couverture universelle, grâce au subventionnement des soins, sous le slogan « Tous soins pour 30 baht ». En 2001, pas moins de trois projets de couverture universelle étaient sur la table.

Le premier, fondé sur les études de Chunharus et al. (1998) et de Pitayarangsarit et al. (2000), reposait sur le coût unitaire d’un hôpital autonome. Ce projet était une alternative au modèle de gestion des hôpitaux publics dont il visait à améliorer l’efficacité et la réactivité suite à la crise économique de 1997. Selon les estimations, cette formule revenait à 782 baht par habitant, auxquels a été ajouté le coût de revient unitaire des centres de santé, soit 120 baht par habitant, soit en tout 900 baht par habitant.

Le deuxième projet, inspiré des travaux de Pannarunothai et al., se fondait sur le nombre de cas d’affection et de recours aux services de santé pour calculer le coût de revient des établissements de santé, aux différents échelons du système, conformément aux données provenant de deux enquêtes réalisées en 1996 (l’enquête nationale et l’enquête sur les prestations de santé). Ce coût avait été réévalué compte tenu de la situation démographique de 2001, de l’élargissement de la prise en charge, etc. Selon cette formule, en 2001, les ressources nécessaires pour financer la couverture universelle oscillaient entre 1 482 baht et 2 397 baht par habitant. Ce calcul reposait sur l’organisation du système de santé, y compris sur le mode de rémunération des prestataires.

Le troisième projet, celui du Ministère de la santé publique, avait trait au budget nécessaire pour financer la politique de couverture universelle. Il reposait sur une formule analogue à celle retenue pour le deuxième projet, à la différence que les calculs n’avaient pas été ajustés en fonction de l’étude la plus récente. En revanche, le Ministère de la santé a intégré dans le calcul les soins onéreux, les soins post-accident et soins d’urgence en se fondant sur le système de sécurité sociale.

En mars 2001, les trois propositions ont été examinées lors d’un atelier organisé par le Ministère de la santé publique, sous la Présidence du Premier ministre. A l’issue de l’atelier, il a été décidé d’utiliser comme base de calcul la somme de 1 202 baht par habitant, pour faire une première estimation budgétaire du coût de la politique de couverture universelle. Après une étude pilote de six mois menée dans plusieurs provinces, les pouvoirs publics ont retenu la formule « Tous soins pour 30 baht » qui consiste à faire payer une somme forfaitaire de 30 baht à tous les patients, quels que soient le service auquel ils s’adressent et le type de soins. Pour assurer le financement de cette politique, le Ministère a regroupé le budget des hôpitaux et autres établissements de santé et le budget de la sécurité sociale servant au remboursement des prestations médicales aux personnes à faible revenu et assurés volontaires, auxquels il a ajouté d’autres fonds.

Le « système des 30 baht » a été adopté et mis en oeuvre en 2001, alors qu’il n’y avait pas encore de loi sur le sujet. Ce choix a permis de disposer de temps pour débattre et élaborer la législation relative à la réforme du système de santé. A ce jour, les patients n’ont plus à débourser d’argent pour les soins. La politique de couverture universelle s’applique à plus de 45 millions de personnes - les personnes couvertes par leur employeur ou par des sociétés privées n’entrant pas dans ce nombre.

Les principaux objectifs et caractéristiques de la politique de couverture universelle sont les suivants : 1 ) couverture universelle, ce qui signifi e que quelles que soient leur situation socio-économique ou leurs convictions religieuses, tous les citoyens thaïlandais ont droit et doivent avoir un égal accès à des soins de qualité correspondant à leurs besoins; 2) règle unique, ce qui veut dire que tous les citoyens thaïlandais ont droit à des soins de même qualité, sans distinction; et 3) système durable, pérennité des politiques, du financement et des établissements de soins.

Processus législatif

Afin d’assurer la pérennité de la politique de couverture universelle, le gouvernement précédent avait élaboré un projet de loi qu’il avait soumis au Parlement pour examen. Cette loi prévoyait un programme de formation du personnel pour assurer la viabilité des établissements, qui ne pouvait être garantie qu’une fois le personnel suffi samment préparé et des ressources additionnelles prévues à cet effet. La Loi sur la sécurité sanitaire nationale a été adoptée par le Parlement en novembre 2002, pour régler la qualité des soins et les aspects financiers. Le Ministère de la santé publique est l’organe central de mise en oeuvre de la couverture universelle de santé.

En 2007, le Parlement a adopté la Loi sur la santé. Cette loi est la première à faire référence à la « santé » comme « un droit des citoyens ». La promotion et la protection de la santé des femmes y sont traitées dans un chapitre qui traite également de la santé des enfants, des personnes handicapées, des personnes âgées et des personnes socialement défavorisées. Ce chapitre atteste l’intérêt que les parlementaires portent à la santé maternelle et infantile et de leur rôle dans ce domaine. C’est en effet grâce à leur action que la Thaïlande a pu obtenir de si bons résultats au regard des OMD.

Les projets de couverture universelle se sont heurtés à plusieurs obstacles aux fils des ans, mais ils se sont maintenus à un bon rythme ces cinq dernières années. L’élaboration de la politique et les décisions dans ce domaine se sont faites sur un mode participatif, bien que n’incluant, dans un premier temps, que le personnel du Ministère de la santé.

La Loi sur la santé nationale (2007) encourage les acteurs d’autres domaines à participer. Cette loi prévoit la création d’une Commission nationale de la santé (CNS), se composant du Premier ministre, ou du Premier ministre adjoint délégué par le Premier ministre, à la présidence, du Ministre de la santé à la vice-présidence, de différents ministres, du Président du Conseil consultatif économique et social national, du Président de la Commission nationale des droits de l’homme, ainsi que de représentants des collectivités locales, d’organisations de professionnels de la santé, de commissions professionnelles, de personnes qualifi ées dans tout autre domaine que la santé et d’organisations à but non lucratif.

La réglementation actuelle prévoit des mesures d’accompagnement à l’établissement du lien mère-enfant et à l’allaitement durant les trois premiers mois de l’enfant. Un règlement adopté il y a 14 ans prévoit un congé maternité rémunéré de 90 jours dans la fonction publique. Ce règlement autorise en outre les femmes à prendre 150 jours de congé maternité supplémentaires sans solde. Grâce à ce texte, les femmes peuvent rester chez elles et s’occuper de leur bébé plus longtemps (le congé maternité était auparavant de deux mois).

Parlement et OMD plus

La Thaïlande s’est engagée à remplir une série d’objectifs ambitieux - les OMD plus - qui vont bien au-delà des OMD convenus au plan international. Le pays a d’ores et déjà atteint les objectifs concernant la santé maternelle et infantile, qui consistaient à réduire de deux-tiers les taux de mortalité entre 1990 et 2015. Ce taux étant peu élevé au départ, la Thaïlande a pu se fi xer des objectifs plus ambitieux, à savoir de réduire davantage la mortalité maternelle et la mortalité des enfants de moins de cinq ans dans certaines populations données, compte tenu des disparités persistantes entre les différentes régions et les différents groupes, et s’intéresser notamment aux groupes marginalisés et vulnérables. Les politiques et moyens mis en oeuvre pour combattre la pauvreté et améliorer les conditions sanitaires inférieures à la moyenne dans le Nord-Est du pays, ainsi que dans les zones montagneuses du Nord et dans les trois provinces les plus méridionales ont été renforcés.

Le rapport sur les OMD a eu un grand impact sur le programme de développement en Thaïlande, puisque sa validation par le Gouvernement a permis de faire des OMD plus une politique gouvernementale. S’agissant de la disparité sanitaire, le Ministre de la santé publique a été le premier à se mobiliser. Pour continuer à suivre les progrès accomplis au regard des OMD, le gouvernement travaille avec l’équipe des Nations Unies dans le pays avec laquelle il commande des études sur l’amélioration de la santé maternelle et la décentralisation des services sociaux au profi t des administrations locales.

Il est à noter que le projet de renforcement du lien mère-enfant est non seulement soutenu par le programme mis en place par le Gouvernement pour renforcer la santé maternelle et le bien-être de l’enfant, mais qu’il bénéfi cie aussi de l’adhésion pleine et entière de la famille royale.