Le cas des femmes immigrées
Par Mme Sylvia Lopez-Ekra Coordinatrice des questions de genre Organisation internationale pour les migrations (OIM)La violence envers les femmes est aujourd’hui sans conteste l’une des formes les plus répandues, les plus systémiques et les plus généralisées de violation des droits de la personne dans le monde. Nous avons encore beaucoup à apprendre quant à la portée et à l’étendue de ce phénomène mais l’on sait d’ores et déjà, preuves à l’appui, que plus d’une femme sur deux subira, à un moment ou à un autre de sa vie, des actes de violence physique ou sexuelle.
Il existe malheureusement une catégorie de femmes qui est encore plus exposée à la violence sous de multiples formes : il s’agit des femmes immigrées qui sont aujourd’hui près de 105 millions dans le monde. Les statistiques de plusieurs pays européens montrent que les migrantes sont surreprésentées parmi les victimes de violences à caractère sexiste. Cela ne signifi e naturellement pas que toutes les femmes immigrées sont des victimes ni que les groupes de migrants ou les hommes qui en font partie soient particulièrement violents. La violence à l’égard des femmes est malheureusement un phénomène courant dans toutes les sociétés et dans toutes les régions du monde. Indépendamment de la culture, de la classe, de la religion et du lieu géographique, aucun groupe n’est épargné par ce fléau. Il est toutefois incontestable que les femmes immigrées sont exposées à cette violence d’une manière très particulière.
D’abord, leur vulnérabilité est double. Elles sont exposées à la violence en tant que femme, du fait des inégalités entre les sexes dans leur pays d’origine et de destination et, dans le même temps, elles sont exposées à des formes de violence qui sont particulières aux expatriés des deux sexes. Ces deux facteurs principaux se combinent en outre à d’autres facteurs de risque qui influent sur les formes de violence auxquelles les femmes sont confrontées. Entrent notamment en ligne de compte la situation économique et juridique, l’origine ethnique, le niveau d’éducation, la classe sociale, l’âge, l’orientation sexuelle, un éventuel handicap, la nationalité, la religion ou la culture. Pour que les mesures prises pour lutter contre la violence envers les migrantes aient une efficacité sur le long terme, il est indispensable de bien comprendre ces mécanismes et d’en tenir compte.
Cette question de l’appréhension de tous les éléments intervenant dans le problème de la violence à l’égard des migrantes était déjà clairement exposée en 2006 dans le rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la violence à l’égard des femmes. De fait, réussir à répertorier, en se gardant des stéréotypes, toutes les formes et manifestations de violence envers les migrantes constituera déjà une étape importante dans la lutte contre ce fléau.
Quand on évoque la violence envers les migrantes, on pense immédiatement au problème de la traite des femmes et des petites filles et de leur exploitation sexuelle ou économique. Ce type d’exploitation est très certainement l’une des formes de violence les plus terribles et les plus inacceptables et la communauté internationale ne doit pas relâcher ses efforts pour y mettre fin. Il est toutefois important de bien comprendre que la violence envers les migrantes est protéiforme et que d’autres types de violence méritent tout autant d’attention. Nous savons que les migrantes sont confrontées à des actes de violence physique, sexuelle et psychologique ou émotionnelle, dans leur famille ou leur groupe social; elles peuvent en outre subir des violences dans leur pays d’accueil et sont exposées à des violences perpétrées ou tolérées par les autorités du pays hôte.
Dans la cellule familiale, les problèmes les plus couramment répertoriés sont les cas de violence due au partenaire sexuel, et des pratiques préjudiciables traditionnelles dans certaines cultures, en particulier les mutilations sexuelles féminines, les mariages forcés et les crimes d’honneur. Le rôle de la migration en tant que facteur déclenchant ou aggravant de la violence familiale mérite davantage d’attention de la part des décideurs et des intervenants. La migration a une infl uence sur la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes. Elle entraîne souvent une renégociation du partage du pouvoir dans le ménage, ce qui est une source potentielle de violence conjugale dans les couples de migrants, notamment si l’homme a du mal à assumer le rôle de soutien de famille qui lui est culturellement attribué ou si la femme travaille hors du foyer.
La présence croissante de femmes immigrées sur le marché du travail peut certes avoir des conséquences positives en matière d’émancipation féminine mais elle est aussi à l’origine de nombreux cas d’exploitation économique. Dans un certain nombre de pays européens, le secteur des services domestiques est la principale source d’emploi de ces femmes. Or il s’agit traditionnellement d’un secteur peu réglementé et peu rémunéré, dans lequel les employé(e)s sont particulièrement exposé(e)s à l’exploitation et aux mauvais traitements.
Pour compléter ce tableau, il convient d’évoquer encore une autre forme de violence qui est particulièrement préoccupante et insuffi samment prise en compte : les actes de violence imputables aux États, perpétrés par leurs agents, en particulier par les policiers, les employés des services sociaux, les gardiens de prison, les agents des lieux de détention et des services de l’immigration. Ce type de violence n’a hélas rien d’anecdotique. Il arrive aussi que les États « tolèrent » les violences faites aux femmes, soit en raison de l’absence de législation adéquate soit parce que les lois existantes ne sont pas appliquées efficacement, les responsables de ces actes jouissant ainsi d’une impunité de fait.
La question de l’impunité est particulièrement importante car il est impossible de lutter contre la violence faite aux femmes tant que les responsables de tels actes ne reçoivent pas un châtiment approprié et tant que les femmes qui en sont les victimes ne re çoivent pas de réparation adaptée. Dans le cas des immigrées, il s’agit d’un véritable défi car ces femmes se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu’elles recherchent un soutien ou une réparation. Les mêmes raisons qui les rendent particulièrement vulnérables à la violence les empêchent souvent de demander de l’aide. Les migrantes portent rarement plainte, parce qu’elles ont peur, manquent de confi ance, sont persuadées que les autorités ne pourront pas – ou ne voudront pas – les aider, parce qu’elles manquent d’éducation et de connaissances juridiques, ne maîtrisent pas la langue, ont honte, ont peur d’être rejetées par leur famille, ont peur d’attirer la honte sur leur communauté, etc. De plus, avoir son sort lié à celui d’un autre immigré, être dans une situation irrégulière, avoir affaire à des prestataires de services peu préparés à ce type de problèmes, souffrir d’isolement et ne pas avoir accès à des réseaux d’aide sociale sont autant de circonstances qui compliquent souvent leur cas. Pour toutes ces raisons, on peut craindre que les femmes immigrées, confrontées à tous ces obstacles, aient à subir des brutalités plus longtemps que les femmes autochtones et que, pour elles, les conséquences physiques et psychologiques soient encore plus graves.
L’Organisation internationale pour les migrations a fait de la lutte contre la violence envers les migrantes l’une de ses grandes priorités. C’est un problème qui mérite toute l’attention et tous les efforts que l’Organisation lui consacre, d’abord parce qu’il entre dans le cadre de la gestion des migrations mais aussi et surtout parce qu’il s’agit de la défense de droits fondamentaux. C’est pourquoi, en novembre dernier, lorsqu’un groupe de parlementaires, réuni à Paris à l’initiative de l’Union interparlementaire, est arrivé à la conclusion qu’il fallait aborder la lutte contre la violence à l’égard des migrantes comme un problème de violation des droits fondamentaux, insistant pour que cette approche soit privilégiée dans tous les cas, j’ai secrètement poussé un soupir de soulagement.
Mutilations génitales féminines Les hommes témoignent
Comment accélérer le processus d’abandon des mutilations génitales féminines (MGF) ? Notamment, en encourageant les hommes à s’engager activement aux côtés des femmes, estiment l’Union interparlementaire (UIP), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Comité inter-africain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants (CIAF), et l’Offi ce des droits humains (ODH) du Département de la sécurité, de la police et de l’environnement (DSPE).Pour la troisième fois, ces quatre partenaires ont uni leurs forces pour sensibiliser le public à cette question urgente. Cette année, ils ont organisé deux événements : une réunion-débat intitulée Les hommes s’engagent à l’Université de Genève - suivie par plus de 250 personnes - et une installation temporaire d’objets et de matériel concernant les MGF au Musée d’ethnographie de Genève (MEG).
L’objectif était d’explorer plus avant le rôle positif que peuvent jouer les hommes en faveur de l’abolition de cette pratique qui affecterait entre 100 et 140 millions de filles et de femmes dans le monde et qui menace chaque année trois millions de filles en Afrique, dans certains pays d’Asie et du Moyen-Orient et en Europe - au sein de certaines communautés migrantes. Parmi les intervenants figurait le médecin et parlementaire malien Oumar Mariko, qui a souligné la nécessité d’une volonté politique effective pour éradiquer cette pratique. La vidéo de l’UIP intitulée MGF : Les hommes s’engagent a été présentée au public. Elle a également été diffusée au Musée d’ethnographie et auprès des 75 membres actifs de l’Union européenne de radio-télévision - situés dans 56 pays d’Europe et pays limitrophes - et aux 43 membres associés dans d’autres régions du monde.
MGF : le cas du Mali
Selon le Dr. Mariko, le Mali n’a pas encore de loi contre les mutilations génitales, mais il y a longtemps que le débat sur l’excision a lieu. « Il existe un courant fort dans l’opinion contre la pratique, mais les dirigeants politiques, qui sont l’expression de tous les courants, pour ou contre l’excision, ne sont toujours pas parvenus à faire adopter une loi à l’Assemblée nationale. Le problème est posé et tout le monde en parle ».
Pour le médecin et parlementaire, par ailleurs ancien candidat à la Présidence du Mali qui avait inscrit l’abolition des mutilations génitales féminines dans son programme électoral, « il y a un mélange volontaire entre religion et tradition. D’un point de vue religieux, il est intéressant de constater que dans une région comme celle de Tombouctou, ville profondément religieuse, on ne pratique pas l’excision. Aujourd’hui la tradition n’est plus respectée par ceux-là même qui veulent la faire appliquer».
Le Dr. Mariko rappelle que « l’excision au Mali ne se pratiquait pas sur les bébés ou les fillettes, mais sur des adolescentes, entre 13 et 16 ans, qui au sortir de l’excision étaient mariées. La pratique n’avait pas lieu dans le village même, mais en dehors. Il y avait un couteau spécial pour l’excision, qui était béni par les esprits et donc tout un cérémonial. Au village, les parents ne savaient pas si leur fille allait revenir saine et sauve de cette cérémonie. Plusieurs chansons évoquent la douleur, l’anxiété et la peur des parents restés au village attendant de savoir dans quel état leur enfant allait revenir ».
L’excision n’était pas seulement l’ablation d’un organe, c’était une épreuve d’endurance, une cérémonie de passage. « Aujourd’hui ce n’est plus pareil, nous ne sommes plus dans le passé, mais dans le vestige de la tradition », affi rme le Dr. Mariko, qui ajoute qu’il s’agit aussi « d’une réaction contre la domination culturelle des pays très forts. Parce qu’on pense que c’est une question de mimétisme avec les pays nantis que de vouloir abolir l’excision. C’est une façon de nier notre vécu socioculturel, alors que dans la pratique, nous l’avons déjà nié, puisque ce vécu culturel est dépassé ».
Et le parlementaire malien de conclure : « On peut comprendre que le vote d’une loi fera des soubresauts mais il n’y aura pas de contestation majeure pour restaurer cette pratique. Si vous demandez aux femmes quelles sont leurs priorités, elles ne citent pas l’excision parmi leurs cinq priorités ».
L.B.
Le Président de l’UIP rencontre des dirigeants religieux et traditionnels sur les MGF
Lors de la 120ème Assemblée de l’UIP à Addis-Ababa, le Président de l’UIP, M. Theo-Ben Gurirab, par ailleurs Président de l’Assemblée nationale namibienne, accompagné par la Vice-Présidente du Comité exécutif de l’UIP, la parlementaire grecque Mme Elsa Papademetriou, a visité un centre du Comité inter-africain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants (CIAF). Ils ont échangé des vues avec des chefs religieux et traditionnels éthiopiens sur comment mettre fin aux mutilations génitales féminines.Le Président Gurirab et Mme Papademetriou ont également rencontré deux anciennes exciseuses qui ont décidé de déposer leurs couteaux et de bénéfi cier d’un programme de reconversion du CIAF, qui leur permet désormais de gérer un petit magasin dans les faubourgs de la capitale éthiopienne.
Les MGF sont une ancienne pratique qui date de l’époque antérieure à l’Islam et au Christianisme. Contrairement à une croyance populaire, elle n’est encouragée par aucune religion. Selon le Dr. Gemal El Serour de l’Université d’Al-Azhar en Egypte, “lorsque nous examinons la source première de la Charia, qui est le Coran, nous ne trouvons aucune mention des mutilations génitales féminines. Ni expressément, ni indirectement”.
Ces pratiques traditionnelles ne peuvent être éradiquée que si les gens sont bien informés, estime M. Negese Negewo, un chef traditionnel éthiopien. De plus, en Ethiopie, un comité d’intellectuels a décrété que l’excision était contraire à la doctrine de l’Eglise, a ajouté M. Agedew Redie, un représentant de l’Eglise orthodoxe éthiopienne.
Si les sources religieuses ne font pas mention de cette pratique, pourquoi les femmes continent-elle de l’appliquer ? Seulement pour complaire aux hommes ?
Pour Mme Abebech Alemneh Belay, Chargée de programme au CIAF, “c’est parce que les femmes subissent une pression sociale. Elles le font pour complaire aux hommes, mais la plupart du temps les hommes disent, indirectement, qu’ils ne sont pas vraiment satisfaits. Ils savent faire la différence entre les femmes excisées et celles qui ne le sont pas ».
Le Dr. Morissanda Kouyate, Directeur des opérations au CIAF, affi rme qu’aujourd’hui, les hommes acceptent d’épouser des jeunes filles qui ne sont pas excisées. « Si on leur présente les inconvénients et les répercussions, ils disent : ah, si c’est cela, je préfère protéger ma femme, je préfère protéger ma fille, et ils acceptent maintenant d’épouser des filles qui n’ont pas subi de MGF ». Il ajoute que dix-sept pays africains ont adopté une loi spécifique contre les MGF. Au niveau de l’Union Africaine, les chefs d’État ont adopté le Protocole de Maputo, qui réprouve pleinement les mutilations génitales féminines. « Le taux de prévalence, qui était de 100%, est en baisse partout ».
Le Président de l’UIP, M. Theo-Ben Gurirab, pense que les MGF « sont des pratiques locales et culturelles enracinées, on utilise la religion, les coutumes, on met dans la tête des femmes qu’elles doivent se conformer, suivre, faire ce que leur grand-mères et leur mères ont fait avant elles, et ce que continuent de faire leurs soeurs. En fin de compte, il s’agit de légiférer. Les Constitutions existent, mais nous devons adopter des lois spécifiques. Il nous faut des personnes qui ont non seulement une vision mais aussi le courage de les appliquer, de les imposer ».
L.B.