Droits des femmes : 15 ans après Beijing
par Mme Rachel Mayanja, Sous-Secrétaire générale, Conseillère spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour la parité des sexes et la promotion de la femme
L’année 2010 sera déterminante pour l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes. La commémoration du 15ème anniversaire de la Déclaration et Programme d’action de Beijing est l’occasion idéale pour dresser le bilan des progrès réalisés, identifier les bonnes pratiques, tirer des leçons, faire le point sur les problèmes qui subsistent et les nouveaux défi s qui s’annoncent. C’est le moment d’aligner les actes sur les paroles, les réalisations sur les engagements.
Le Programme d’action de Beijing établit le cadre politique mondial de l’égalité entre les sexes, des droits fondamentaux des femmes et de l’émancipation des femmes et des filles. Depuis 1995, la Commission de la condition de la femme a affiné et développé le projet d’action en formulant des conclusions concertées sur un certain nombre d’axes prioritaires. De nombreuses parties prenantes (gouvernements, parlements, société civile, organes du système de l’ONU, secteur privé) ont travaillé à la concrétisation de ce projet et à l’obtention de gains réels et tangibles pour les femmes et les filles dans toutes les régions du monde.
Progrès et avancées
Des avancées notables ont été réalisées au bénéfi ce des femmes et des petites filles. A l’échelle mondiale, les femmes représentaient 39% de la population active totale hors secteur agricole en 2007, contre 35% en 1990. En 2008, la participation des femmes à la vie active est estimée à 52,6%. L’accès des filles à l’éducation s’est amélioré à tous les niveaux, notamment dans l’enseignement primair e. En 2007, il y avait 96 filles pour 100 garçons inscrits en cours préparatoire, contre 92 filles seulement en 1999. Dans certains pays, les femmes sont maintenant plus nombreuses que les hommes dans le secteur tertiaire. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a été ratifi ée par la quasi-totalité des pays du monde, 186 états étant parties au traité.
Les politiques de lutte contre le VIH/ sida mettent de plus en plus l’accent sur la prévention, le traitement et les soins à l’intention des femmes. Un nombre croissant d’états ont mis en place des cadres juridiques, politiques et institutionnels complets pour mieux lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles, et les services d’aide aux victimes de tels actes se sont multipliés. En novembre 2009, les femmes occupaient 18,8% des sièges dans les chambres basses (ou uniques) des parlements, contre 11,3% seulement en 1995. Vingt-cinq pays ont atteint ou dépassé le seuil des 30% de femmes au Parlement, ce qui représente une augmentation signifi cative (cinq pays seulement en 1995).
Au niveau national, les mécanismes mis en place (ministères et services exécutifs, commissions parlementaires, organes indépendants de conseil et de suivi, etc.) jouent un rôle clé dans la promotion de l’égalité des sexes. La stratégie d’intégration de la dimension de genre gagne du terrain dans tous les secteurs, appuyée par un éventail de plus en plus large d’outils, de programmes de renforcement des capacités et de formations. Le suivi et l’évaluation des efforts déployés ont également progressé.
Des problèmes récurrents
Malgré toutes ces avancées, le Programme d’action de Beijing n’est pas encore pleinement réalisé. Les progrès dans la vie des femmes, dans l’élimination de la discrimination et l’obtention de l’égalité sont très variables selon les pays et les régions. La réalisation des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) n’est pas acquise ; presqu’aucun progrès n’a été fait sur l’OMD 5 (amélioration de la santé maternelle). Chaque année, 536 000 femmes et jeunes filles décèdent en cours de grossesse ou en couches. Les femmes connaissent davantage la pauvreté que les hommes.
L’analphabétisme reste un handicap sérieux pour les femmes, qui représentent toujours près de deux tiers des 776 millions d’adultes illettrés dans le monde. Les écarts salariaux entre les sexes subsistent dans toutes les parties du monde. La crise économique et financière mondiale a créé de nouveaux obstacles à l’emploi des femmes et, d’après les estimations, le taux de chômage des femmes est supérieur à celui des hommes. Plus de femmes que d’hommes sont confi nées dans des emplois précaires et/ou non rémunérés Dans les conflits qui perdurent, les civils sont délibérément pris pour cible et des actes de violence sexuelle à l’égard des femmes sont perpétrés à grande échelle.
La discrimination n’a pas été éliminée du droit et l’application discriminatoire des lois empêche les femmes d’accéder à l’égalité des droits, des ressources et des chances. Des stéréotypes négatifs, fondés sur des croyances et attitudes sociétales réduisent leurs opportunités et leurs choix. Les femmes continuent à assumer la plus grande partie des travaux domestiques et des soins à la famille.
Cette répartition inégale des responsabilités a des conséquences négatives sur leurs opportunités en termes d’éducation et d’emploi et limite leur implication dans la vie publique.
La voie à suivre
L’égalité des sexes est un objectif à part entière mais c’est aussi un moyen de réaliser les objectifs de développement internationaux, notamment les OMD. Il est désormais reconnu que la prise en compte des aspects d’égalité entre les sexes est un facteur de réussite des politiques et des programmes, en particulier en matière d’éradication de la faim et de la malnutrition, de généralisation de l’enseignement primaire, de réduction de la mortalité infantile, de lutte contre le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose ainsi que de la protection de l’environnement.
En mars 2010, la Commission de la condition de la femme des Nations Unies réfléchira sur les avancées et les problèmes, sur les mesures qui fonctionnent et sur les secteurs qui requièrent une action supplémentaire. Elle s’attachera également à développer une approche d’égalité entre les sexes pour la réalisation complète des objectifs du millénaire pour le développement. En juillet 2010, la revue ministérielle annuelle du Conseil économique et social sera axée sur l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes. En septembre 2010, l’Assemblée générale tiendra une réunion de haut niveau sur le thème de l’accélération de la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement d’ici 2015. Nous commémorerons aussi le dixième anniversaire de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité. Toutes ces occasions permettront de manifester et de s’engager haut et fort en faveur de l’égalité des sexes afin de galvaniser les efforts de toutes les parties prenantes, de former des partenariats stratégiques et d’améliorer les processus participatifs pour obtenir des résultats tangibles pour les femmes. Il faut saisir ces opportunités aux niveaux national, régional et mondial pour donner une nouvelle dynamique à la promotion de l’égalité des sexes et à la garantie des droits fondamentaux des femmes.
LES PARLEMENTS APPELLENT L’ATTENTION SUR LA VIOLENCE ENVERS LES FEMMES
Répondant à l’appel de l’UIP, les parlements du monde ont célébré le 25 novembre dernier le 10ème anniversaire de la proclamation de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des fe mmes. Plus de 30 parlements et organes interparlementaires ont communiqué à l’UIP le compte rendu des événements qui se sont déroulés à cette occasion.
Des manife stations spéciales ont été organisées par les parlements des pays suivants : Afg hanistan, Albanie, Andorre, Autriche, Belarus, Canada, Chili, Chypre, Croatie, Émirats arabes unis, Équateur, Espagne, Ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande, Géorgie, Grèce, Liban, Maldives, Ouganda, Philippines, Roumanie, Rwanda, Serbie, Suède, Suisse, Thaïlande, Uruguay et Yémen, ainsi que par les associations parlementaires suivantes : Assemblée législative de l’Afrique de l’Est, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et Confédération parlementaire des Amériques.
Ces activités ont revêtu différentes formes et ont débouché sur des résultats tangibles. De nouvelles résolutions ont en effet été votées, des débats, des discours et des expositions ont été organisés dans les parlements. Les parlementaires ont participé à des groupes de travail, à des débats avec des femmes et des organisations de défense des droits civiques ; ils ont donné leur signature en soutien à la campagne de l’UNIFEM Dites non à la violence envers les femmes. Ces actions ont permis d’attirer l’attention sur la violence envers les femmes au plan national et ont contribué à mettre ce problème au premier plan des préoccupations politiques.
BF
Toutes ces manifestations sont répertoriées sur la section de notre site web. Elles ont aussi été inscrites sur les listes des contributions à la Campagne du Secrétaire général des Nations Unies pour mettre fi n à la violence à l’égard des femmes sur le site web Dites NON – Tous UNiS
Briser le plafond de verre et favoriser la diversité dans la vie économique : l’expérience norvégienne
par M. Audun Lysbakken Ministre de l’enfance, de l’égalité et de l’intégration socialePour prospérer et se développer, les nations doivent impérativement tirer parti des capacités et compétences de l’ensemble des citoyens. Il est scientifiquement prouvé que l’accès des femmes et des filles à l’éducation, au monde du travail et à l’économie, parallèlement aux hommes et aux garçons, a un impact signifi catif sur le PIB, l’efficacité, l’innovation et l’avantage concurrentiel d’une nation. Les pays qui ne facilitent pas l’éducation et l’emploi des filles et des femmes sont moins bien placés dans les classements établis par les Nations Unies et le Forum économique mondial. Le droit à un travail rémunéré et à un salaire permettant de subvenir à ses besoins est, au même titre que la participation politique, un droit fondamental pour les deux sexes. La liberté, pour les hommes comme pour les femmes, d’avoir une carrière et une famille – et non d’être contraint de choisir l’un ou l’autre – est un élément fondamental de toute société moderne.
Pour accéder à un tel niveau de développement, pour promouvoir les familles et les enfants tout en favorisant la croissance de l’économie par l’emploi des talents et des capacités intellec tuelles, il faut que les gouvernements conçoivent des politiques intelligentes de mise en place de structures facilitatrices. Ces structures doivent permettre aux hommes et aux femmes de procéder librement à de vrais choix, comme celui de faire des enfants et de mener une carrière.
La Norvège, qui travaille à ce type de programmes et de structures depuis les années 1950, s’est employée à mettre en évidence les capacités des femmes et des jeunes filles sur le marché du travail, à favoriser leur entrée dans les conseils d’administration et à les encourager à postuler à des emplois de cadres supérieurs.
Voici cinq des plus importantes réformes structurelles d’application générale qui ont été initiées par le gouvernement et votées par le Parlement norvégien : la loi sur l’assurance nationale (1966), les dispositions relatives aux congés parentaux ou quota des pères (1993), la prise en charge totale des établissements d’accueil des jeunes enfants dans l’ensemble du pays (dont l’obtention a nécessité plus de 25 ans), la loi sur la flexibilité de la vie professionnelle avec de jeunes enfants (loi sur l’environnement au travail) et, naturellement, la loi sur l’égalité des sexes (1979). Toutes ces réformes ont été négociées dans le cadre d’une concertation entre gouvernement, associations des employeurs et associations des salariés avant de donner lieu à des textes législatifs discutés au Parlement. Ces réformes ont logiquement mené à l’amendement, maintenant célèbre, voté par le Parlement en 2003, sur la parité dans les entreprises, lequel prévoit un minimum de 40% de femmes dans les conseils d’administration de quatre types d’entreprises.
Toutefois, les mesures de discrimination positive visant à favoriser l’équilibre entre les sexes dans la vie économique et à tirer profit de tous les talents ne seraient d’aucune utilité si la société n’avait pas d’abord atteint un certain niveau d’égalité entre les sexes par le biais de telles réformes et la mise en place de structures appropriées.
En Norvège, la loi ne prévoit pas de mesures de discrimination positive (quotas) au niveau de l’emploi normal mais de telles mesures peuvent servir à atteindre la parité dans les postes électifs, au sein des conseils d’administration par exemple.
Des actions de ce genre peuvent aider une société à atteindre certains objectifs, notamment à recruter les personnes les plus qualifiées pour accomplir certaines tâches stratégiques et à redistribuer le pouvoir économique de manière à inclure des compétences diverses dans le processus de prise de décision. Pour trouver les personnes les plus compétentes, il faut nécessairement mener sa recherche auprès des deux moitiés de la population.
La volonté politique est partout un élément décisif pour la détermination d’objectifs et la mise au point des outils nécessaires pour les atteindre. La Norvège a mis en place un modèle dont elle peut être fière. Elle n’y serait cependant jamais parvenue sans un travail systématique à long terme en faveur de l’égalité, d’un changement des mentalités, de la culture et des traditions passant par le démontage des stéréotypes de la féminité, de la paternité, de la parentalité ou du rôle économique de l’homme (comprendre du mâle).
La Norvège se distingue en Europe tant par son taux de fécondité (1,96) que par le nombre de femmes siégeant dans les conseils d’administration de ses grandes entreprises (43%). Au bout du compte, l’égalité paie.
Un premier pas pour les droits politiques des femmes au Koweït
Par Mme Masouma Al Mubarak Membre de l’Assemblée nationale du KoweïtConformément à la Constitution du Koweït de 1962, le processus démocratique s’est ouvert avec les élections de la première Assemblée nationale, en janvier 1963. La Loi électorale excluait les Koweïtiennes de la vie politique. L’article premier de la loi leur refusait en effet le droit de vote puisque les électeurs y étaient définis comme « tout homme koweïtien ». De ce fait, elles ne pouvaient se présenter aux élections législatives, l’article 2 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoyant que pour se porter candidat, il fallait remplir les conditions requises pour voter.
Les Koweïtiennes ont continué à être tenues à l’écart du processus politique jusqu’au 6 mai 2005, date à laquelle l’Assemblée nationale a adopté l’amendement à l’article premier de la Loi électorale autorisant les femmes à voter, à se porter candidates et à assumer des fonctions ministérielles. Ainsi, pour la première fois, le 14 juin 2005, une femme est devenue ministre et donc membre de droit du Parlement. Cette désignation a suscité chez les femmes koweïtiennes l’envie de briguer des sièges parlementaires, et elles ont donc participé pour la première fois aux élections législatives comme électrices et candidates en 2006. Si 29 femmes se sont portées candidates, en revanche, aucune n’a été élue, une situation qui s’est répétée lors des élections de 2008. L’inattendu s’est produit le 16 mai 2009 : quatre femmes ont été élues au scrutin direct. L’une d’entre elles est même arrivée en tête dans sa circonscription, une autre en deuxième place. Les deux dernières sont, quant à elles, arrivées en septième et dixième positions. Cette agréable surprise a levé la barrière psychologique et prouvé que les femmes bénéfi ciaient d’un large soutien populaire.
D’aucuns ont accueilli ce résultat avec un dépit manifeste, comme l’ont montré certains parlementaires opposés au principe de la participation des femmes à la vie politique en quittant la chambre durant la séance d’investiture et en exprimant oralement leur mécontentement à l’endroit de deux des femmes parlementaires qui ne portaient pas le voile, ainsi qu’à l’endroit de la femme ministre.
L’une des parlementaires n’a pas réussi à obtenir le soutien nécessaire pour se présenter à la vice-présidence de l’Assemblée et il en a été de même lorsqu’une autre a voulu se porter candidate pour représenter le Koweït au Parlement arabe. Les réactions négatives à l’encontre des femmes ont néanmoins commencé à se faire moins présentes, ou en tous cas moins visibles, bien qu’elles n’aient pas complètement disparu.
Les quatre femmes parlementaires ont réussi à intégrer les principales commissions parlementaires, la Commission des finances et de l’économie, la Commission des lois, la Commission de l’éducation, la Commission de la santé et la Commission des affaires étrangères. Il en va de même des commissions spécialisées telles que la Commission de l’environnement, la Commission relative aux personnes ayant des besoins particuliers et la Commission de la femme et des affaires familiales, où sont débattus les projets et propositions de lois sur les droits sociaux et civils des femmes et où les lois en vigueur sont réexaminées sous l’angle de la discrimination à l’égard des femmes.
Outre leur présence dans de nombreuses commissions parlementaires, les femmes participent avec enthousiasme au processus de contrôle en posant des questions aux ministres et en prenant part à l’examen de questions d’intérêt public. Elles participent aussi activement au processus législatif en présentant des propositions de loi, soi en leur nom propre, soit avec d’autres parlementaires, ainsi que des propositions sur différentes questions économiques, sociales, éducatives, sanitaires, ou autres.
En faisant leur entrée au Parlement, les Koweïtiennes ont véritablement triomphé de la pesanteur sociale qui les empêchait de jouir de leurs droits politiques depuis plus de quatre décennies. Il faut à présent qu’elles travaillent ensemble pour prouver qu’elles sont à la hauteur des fonctions législative et de contrôle, parce que leur travail est examiné à la loupe et parce que c’est ce qui déterminera l’idée que l’on se fera d’elles et des femmes qui leur succéderont au Parlement.
L’entrée de ces quatre femmes au Parlement constitue à la fois un grand progrès et un défi de taille, car elles doivent prouver que les femmes sont compétentes et capables.
Les parlements : défenseurs des femmes et des filles
par Mme Ann M. Veneman Directrice générale de l’UNICEFIl y a moins d’un an, l’opinion publique mondiale a été choquée d’apprendre qu’un tribunal saoudien avait décidé que le mariage d’une petite fille de huit ans avec un homme quatre fois plus âgé qu’elle avait force de loi. Il est tout simplement révoltant qu’un tribunal puisse juger légal, quels que soient les éléments du dossier ou le cadre juridique applicable, le mariage d’une enfant. Une telle décision constitue une violation manifeste des droits de cette enfant et va à l’encontre des normes internationalement acceptées en matière de droits de l’homme.
Le tollé provoqué dans le monde entier par cette décision a conduit à son annulation. Mais cette affaire rappelle de façon claire et dérangeante qu’aujourd’hui, quinze ans après la première conférence mondiale sur les femmes, il reste encore fort à faire pour mieux protéger les femmes et les fillettes du monde entier.
M’étant rendue dans près de 70 pays durant ces cinq années passées à l’UNICEF, j’ai entendu des histoires bouleversantes et vu les souffrances endurées par nombre de femmes et de jeunes filles en différents endroits de la planète. Trop de filles sont encore victimes de violence, de mauvais traitements, de discrimination, d’exploitation sexuelle, d’excision et de mariages précoces.
Leur souffrance appelle une mobilisation. Les choses doivent changer. Les femmes et les filles méritent d’être protégées par des lois et de voir ces lois appliquées pour que cessent la discrimination et les mauvais traitements. A cet égard, les instances parlementaires ont un rôle crucial à jouer. Elles ont réglé certains des grands problèmes auxquels les femmes devaient faire face, mais il y a encore beaucoup à faire.
Plus de la moitié des 130 millions de jeunes illettrés dans le monde sont des filles. De même, les filles sont surreprésentées parmi les victimes de sévices physiques, sexuels et moraux et d’exploitation économique. Elles sont plus exposées que les garçons à la traite et aux disparitions et sont, trop souvent, les victimes de la barbarie dans les conflits armés.
Malheureusement, le drame ne s’arrête pas là. Les mariages précoces empêchent les filles d’avoir accès à l’éducation et les conduisent à avoir des enfants trop tôt - ce qui accroît considérablement leur vulnérabilité aux pathologies, infections et handicaps. La mortalité maternelle touche lourdement les jeunes filles de 15 à 19 ans, chez qui la grossesse et l’accouchement font 70 000 morts chaque année dans le monde.
Les filles sont aussi victimes de discrimination et de violence là où elles devraient normalement être protégées - chez elles, à l’école et dans leur communauté. Ceux-là même qui sont censés les protéger et défendre leurs droits sont souvent leurs bourreaux et certaines sociétés continuent à accepter cette situation au nom de la culture, de la tradition, des croyances et des normes sociales. Il est temps que cela change.
Il faut que toutes les parties concernées redoublent d’efforts pour faire bouger les choses. A cet égard, l’action des parlements est cruciale. Les parlementaires peuvent en effet être des vecteurs de progrès et améliorer considérablement la vie des femmes et des fillettes.
Pour ce faire, les parlementaires pourraient agir sur quatre plans. Premièrement, consacrer davantage de moyens à l’éducation des filles. C’est en effet le meilleur moyen de mettre fi n à la discrimination et de rompre le cycle de pauvreté qui se perpétue de génération en génération.
Il s’agit donc de trouver des moyens pour améliorer l’éducation primaire, de faire en sorte que les filles soient plus nombreuses à entrer dans le secondaire et d’élargir l’accès à l’éducation à toutes les filles, quelle que soit leurs origines sociales, économiques ou ethniques, en s’intéressant en particulier aux filles vivant dans des groupes marginalisés.
Deuxièmement, il faut des mesures concrètes pour mettre fi n aux violences faites aux filles chez elles, à l’école et dans leur communauté. Il faut encourager les forces de l’ordre, les personnels de santé et les responsables locaux à prendre des mesures pour protéger les femmes et les filles de toutes les formes de violence et de discrimination, et accompagner les victimes. Il faut poursuivre les auteurs de ces actes et mettre un terme à l’impunité. Le débat public et une politique de tolérance zéro sont essentiels pour faire cesser la violence, y compris lorsqu’elle est commise au nom de la culture ou de la religion.
Troisièmement, l’établissement de partenariats entre la société civile, le secteur privé et les pouvoirs publics serait utile pour permettre aux jeunes filles de passer plus facilement de l’école au monde du travail. Il importe de renforcer la capacité des adolescentes à se prendre en charge dans la vie pour qu’elles puissent participer à la vie publique, notamment à la vie économique de leur pays.
Quatrièmement, il faut promouvoir l’égalité des droits en matière de propriété, foncière notamment, pour faire disparaître la discrimination au sein du foyer. Pour que la réforme du droit change la vie des femmes et des filles, il faut défendre les lois nationales fondées sur l’égalité, contre le droit coutumier patriarcal et les pratiques traditionnelles. La réforme du droit national en matière de propriété et de succession est l’un des moyens les plus directs de renforcer l’accès des femmes à la propriété foncière et immobilière.
Il faudra du temps pour que tout un chacun, homme ou femme, puisse être un citoyen actif et en bonne santé. Dans certains cas, il faudra réformer des pratiques, des comportements et des croyances profondément enracinés et modifi er des lois établies de longue date, mais le changement est possible et plus le monde tardera à l’opérer, plus longtemps dureront la discrimination et les atteintes aux droits des femmes et des jeunes filles.
Forts de leur position de prescripteurs et de leur infl uence sur les règles et les pratiques, les parlements ont un rôle indispensable à jouer pour bâtir un monde plus radieux, plus prospère, un monde meilleur pour toutes les femmes et toutes les filles. Les femmes et les filles ne seront pas les seules à en profiter, leurs communautés et leurs pays ont aussi beaucoup à y gagner.
Un défi pour la mise en oeuvre des droits des femmes et le développement
par SAR la Princesse Bajrakitiyabha de ThaïlandeLa violence envers les femmes nous concerne tous car elle constitue une menace grave pour la sécurité humaine. Il s’agit de violations des droits fondamentaux des femmes, qui ont pour cadre tant la sphère privée que publique et se manifestent sous bien des formes : violence conjugale, viol, sévices sexuels, prostitution, traite, crimes haineux, pornographie, viol comme arme de guerre n’en sont que quelques exemples. Certaines formes de violence envers les femmes revêtent une dimension transfrontière, ce qui rend la lutte contre ces violences particulièrement diffi cile. Dans chaque contexte national, la communauté et la société dans leur ensemble contribuent souvent de façon signifi cative au problème en prenant la violence contre les femmes comme un fait acquis et en l’excusant.
Il existe bien sûr un terrain commun favorisant la violence envers les femmes, comme le montre l’ensemble de principes sous-tendant les normes et les dispositions internationales élaborées au cours de ces trente dernières années pour tenir compte des aspects communs de ce problème, mais nous ne devrions pas oublier pour autant que certains aspects importants refl ètent le contexte local unique de chaque société ou de chaque pays, fruit de sa tradition, de sa foi, de sa culture et de sa trajectoire économique. Je voudrais donc, dans le cadre de cet article, présenter une partie du travail de sensibilisation auquel il m’a été donné de participer en Thaïlande, assortie de mes observations concernant les facteurs essentiels pour la réussite.
L’expérience thaïlandaise
La lutte contre la violence à l’encontre des femmes exige une grande variété de réponses s’appliquant tant au secteur formel qu’informel. La Thaïlande consacre depuis longtemps des efforts à améliorer le cadre offert par la justice pénale, mais une telle optique ne peut rencontrer qu’un succès très limité tant que ces interventions n’interviennent pas dans un contexte de nature à permettre un suivi pendant la phase de mise en oeuvre. Bien que la Thaïlande ait la chance de disposer de robustes réseaux d’organisations non gouvernementales (ONG) et de groupes de la société civile, qui n’ont eu de cesse d’offrir aux victimes aide d’urgence et conseils, ce type de démarche de nature charitable exige un soutien plus général de la société.
A cet égard, les campagnes de sensibilisation prenant la forme d’un mouvement social peuvent être considérées comme une solution intermédiaire venant compléter les efforts réalisés par le secteur public et le secteur privé. C’est l’une des grandes leçons que j’ai apprises dans mon travail auprès des différents partenaires impliqués dans la défense des droits des femmes, tout particulièrement dans le domaine de l’administration de la justice. Dans cet article, je voudrais partager certaines des expériences que j’ai réalisées dans le cadre de mon travail pour le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM). En 2008, je me suis engagée aux côtés d’UNIFEM en tant qu’Ambassadrice de bonne volonté chargée de promouvoir la campagne «Dites non à la violence contre les femmes» en Thaïlande. Grâce à la mobilisation de partenaires clés et au recours à différents supports de communication, cette campagne a permis de recueillir plus de trois millions de signatures en faveur de l’élimination de la violence envers les femmes.
Cette campagne a réussi à sensibiliser la société dans son ensemble grâce à l’engagement et au sens du partenariat dont ont fait preuve les grandes parties prenantes au projet, qui allaient d’institutions gouvernementales au secteur privé, en passant par les ONG. La campagne a aussi tiré profit de la grande clarté des objectifs qui lui avaient été fi xés, notamment la participation de groupes cibles depuis longtemps exclus de telles démarches. Je parle des garçons et des hommes et je pense à un excellent exemple, à savoir celui du projet lancé en étroite collaboration avec UNIFEM, dans le cadre duquel notre objectif consiste à donner la priorité à la prévention de la violence à l’encontre des femmes chez les enfants d’âge scolaire.
Nous souhaitons inciter les enfants d’âge scolaire à remettre en cause les normes et les valeurs qui excusent la pratique de la violence contre les femmes et les filles. Nous donnons aux garçons et aux filles toute liberté pour concevoir leurs propres activités, ce qui contribue à instaurer un climat d’ouverture et d’empathie dans les écoles. Grâce à ce type d’activités créées par les jeunes et à l’examen des programmes scolaires, les jeunes ont été sensibilisés au problème et à la nécessité de faire évoluer les idées, les mentalités, les valeurs et les comportements qui alimentent la violence sexiste.
Principales difficultés et orientation future
L’une des observations que je souhaite formuler à ce stade est que la violence à l’égard des femmes commence tout juste à être abordée de façon très générale par le biais de l’optique adoptée dans les écoles que je viens de présenter. Nous continuons à nous heurter à des diffi cultés considérables, car la violence envers les femmes n’intervient pas dans un vide, mais en raison d’un certain nombre de facteurs. L’un des obstacles majeurs auxquels nous sommes confrontés concerne la vision, profondément enracinée dans les normes et le système de valeurs de la société, de l’élément masculin comme dominant physiquement et psychologiquement. Cette vision, dont les implications sont profondes, n’est pas étrangère au déséquilibre existant entre les sexes, lui-même à la base d’une large part des violences faites aux femmes.
Il est donc particulièrement encourageant de constater que des initiatives ont récemment été prises pour lutter contre ce phénomène à l’échelon mondial. Des exemples positifs peuvent être cités, notamment les initiatives mettant les hommes et les garçons en première ligne de la lutte contre la violence sexiste en alimentant une culture de tolérance et de respect pour les femmes. Je suis persuadée que la participation de dirigeants masculins est la direction à prendre. Le Réseau des dirigeants masculins, récemment créé à l’initiative du Secrétaire général de l’ONU, constitue un bel exemple de ce nouvel élan. Forte du soutien de groupes de partenaires renouvelés et élargis, et animée d’un élan nouveau, je suis persuadée que la communauté internationale sera en mesure d’atteindre l’objectif consistant à protéger les droits des femmes et à promouvoir leur développement. Nous devons créer un nouvel environnement permettant aux dirigeants hommes et femmes de collaborer pour que la prédominance accordée aux hommes dans notre société soit remplacée par la prise en compte des besoins des deux sexes.
Enfin, je suis convaincue que la réussite à long terme de notre lutte contre la violence envers les femmes dépendra de notre aptitude à nous ouvrir au monde extérieur et à créer des liens avec un vaste éventail de mouvements sociaux, parmi lesquels les groupes défendant l’autonomisation et la sécurité humaine. Pour que nous puissions trouver des solutions durables à un problème aussi profondément enraciné et aussi généralisé que la violence envers les femmes, il nous faudra puiser dans une sagesse suffi samment profonde pour permettre à nos efforts de porter leurs fruits. Après tout, nous sommes tous concernés.