Le rôle des parlements nationaux dans la lutte contre la faim
Par M. Olivier de Schutter, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentationPlus de 160 parlementaires, originaires de 45 pays, se sont réunis à Rome en novembre, à l’invitation de l’UIP et du Parlement italien, pour apporter leur contribution au Sommet alimentaire mondial. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, M. Olivier de Schutter, a dirigé un débat animé avec les parlementaires. Il les a exhortés à sortir de leur rôle d’observateurs et à devenir des participants actifs dans la lutte pour la sécurité alimentaire. Olivier De Schutter a été nommé Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mars 2008. Il est indépendant de tout gouvernement ou organisation et fait rapport au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale des Nations Unies.
On attribue souvent au prix Nobel d’économie Amartya Sen l’affirmation selon laquelle il n’y a pas de famine dans les démocraties. Bien qu’il s’agisse évidemment d’une simplification excessive, la pertinence de cette remarque élémentaire est incontestable : le problème de la faim n’est pas nécessairement un problème de disponibilité de nourriture mais, plus fréquemment, d’accès à la nourriture. Un milliard de personnes ont faim à l’heure actuelle. C’est un record historique, bien que l’on produise suffisamment d’aliments pour nourrir tout le monde. La crise des prix alimentaires de 2007-2008 s’est produite alors que les récoltes étaient exceptionnellement bonnes. Le problème de la faim est au fond un problème de pauvreté et d’inégalités. Les gens ont faim parce qu’ils sont pauvres et ne peuvent donc pas s’offrir les aliments que l’on trouve sur les marchés. La mise en responsabilité des dirigeants est donc essentielle : si les gouvernements faisaient les bons choix, mettaient en oeuvre des programmes sociaux et de politiques de commerce et d’investissement adéquates, on pourrait vaincre la faim.
D’où l’idée du droit à une alimentation adéquate comme droit de l’homme. La faim est considérée non comme un problème technique, mais politique. On refuse de la percevoir comme une catastrophe naturelle, mais, à juste titre, comme un phénomène provoqué par l’homme, le résultat de processus de développement faussés, qui auraient pu être différents, s’ils avaient été plus soigneusement maîtrisés.
Les parlements ont un rôle important à jouer dans cette responsabilisation accrue et, partant, dans la lutte contre la faim. Tout d’abord, ils peuvent faciliter l’adoption de stratégies nationales pour la concrétisation du droit à l’alimentation. Ces stratégies sont recommandées par les Directives volontaires à l’appui des efforts faits par les Etats Membres pour assurer la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate, dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, adoptées à l’unanimité par les Etats Membres de la FAO en 2004, et qui constituent le seul texte de nature intergouvernementale qui précise les mesures concrètes que devraient prendre les Etats pour mettre en oeuvre le droit à une alimentation adéquate. Les Stratégies pour la concrétisation du droit à une alimentation adéquate définissent les mesures à prendre, qui doit les prendre, dans quels délais précis et selon quel processus. Elles servent à s’assurer que les ressources appropriées seront mobilisées. Elles cherchent à améliorer la coordination entre les différents secteurs du gouvernement pour garantir que les nombreuses causes de la faim, ou de la malnutrition, qui sont interdépendantes, soient prises en compte. Elles renforcent également la responsabilisation. En répartissant les rôles et en définissant les responsabilités, elles permettent aussi aux organisations de la société civile, aux cours ou institutions nationales des droits de l’homme ou, de fait, aux parlements, d’examiner de plus près le comportement de différents organismes publics. Du fait de leur caractère participatif et inclusif, ces stratégies contribuent à la démocratisation et à l’autonomisation, notamment lorsqu’elles sont institutionnalisées par des lois-cadres comme au Brésil, au Guatemala, ou au Nicaragua. Elles limitent de ce fait le risque d’arbitraire ou de favoritisme dans la prise de décision et garantissent que les décisions sont prises à la lumière des véritables besoins, comme le demandent les bénéficiaires directs.
Deuxièmement, les parlements ont un rôle dans l’analyse des budgets. Il leur incombe par exemple de faire en sorte que le développement agricole se voit accorder la priorité qu’il mérite dans les budgets publics. En 2009, l’Unité pour le droit à l’alimentation de la FAO a publié une brochure intitulée “Le travail budgétaire comme outil pour faire progresser le droit à l’alimentation”, qui expose concrètement ce qu’il faudrait faire pour que les bonnes intentions se traduisent dans la réalité. En application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les Etats doivent concrétiser progressivement le droit à l’alimentation « au maximum des ressources disponibles »; ils doivent se procurer l’argent nécessaire et dépenser les fonds recueillis, en mettant l’accent sur les besoins des segments les plus vulnérables de la population.
Troisièmement, les parlements devraient jouer leur rôle en matière de contrôle de l’action du gouvernement. Trop souvent, les plans de soutien aux agriculteurs laissent de côté les agriculteurs les plus modestes, qui vivent sur les terres les plus arides, loin des axes de communication. Les programmes sociaux ou les programmes d’aide alimentaire ont des problèmes qui leur sont propres. En l’absence de cibles précises, ils bénéficient parfois principalement aux personnes faciles d’accès, mieux informées ou à ceux qui vivent dans les centres urbains. Mais lorsque les bénéficiaires sont ciblés, le programme n’est pas toujours fondé sur une bonne cartographie de l’insécurité alimentaire, ce qui peut aboutir à l’imposition d’obstacles administratifs particulièrement difficiles à surmonter pour les pauvres et les analphabètes, ainsi qu’à un accroissement des coûts administratifs et des risques de corruption.
Marc Twain a écrit : « Quand vous n’avez pour seul outil qu’un marteau, tous vos problèmes ressemblent à des clous ». Quand vous n’avez pour seul outil que la technologie, la faim ressemble à un problème technique, du ressort des agronomes et des économistes. Mais les parlementaires nous fournissent d’autres outils, qui ont trait à la gouvernance, la responsabilisation et l’autonomisation. Ils peuvent améliorer la vie des gens et, à terme, éliminer définitivement la faim, en établissant le cadre juridique et institutionnel approprié, tout en prévoyant les budgets adéquats et en contrôlant le travail du gouvernement.
Pour en savoir plus sur le travail du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, vous pouvez consulter le site internet suivant : www.srfood.org ou www2.ohchr.org/english/issues/food/index.htm.
Le droit d’informer
Les parlementaires ne sont pas les seuls à être en danger lorsqu’ils exercent leur métier qui est d’informer les citoyens. Selon l’association Presse Emblème Campagne (PEC), plus de 110 journalistes ont été tués depuis janvier 2009. La liberté d’expression et le droit à l’information sont des éléments clés de la démocratie, selon l’UIP, qui a adopté une résolution lors de sa 120ème Assemblée à Addis-Abeba (Ethiopie), en avril 2009.Cette résolution encourage les parlements qui ne l’ont pas encore fait à adopter dès que possible une législation sur la liberté d’information, à adopter des lois qui assurent le respect du pluralisme intellectuel et à prendre les mesures législatives nécessaires pour que la diffusion et la transmission de matériel pornographique mettant en scène des enfants, par quelque support que ce soit, soient érigées en infractions pénales.
La résolution dénonce les restrictions, les violences et les assassinats dont les parlementaires font l’objet. Elle engage les parlements à prendre des mesures législatives pour protéger les journalistes et autres faiseurs d’opinion dans l’exercice de leur droit à la liberté d’expression.
Bien qu’étant conscients qu’il peut être nécessaire de restreindre la liberté d’expression et l’accès à l’information, en cas de guerre ou d’autre menace grave pour la sécurité publique, les auteurs de la résolution ont souligné que l’ampleur et la durée de ces restrictions doivent être strictement limitées. On s’y déclare préoccupé par la concentration capitalistique des médias qui se traduit par l’affaiblissement du droit d’exprimer des points de vue originaux ou ne relevant pas de la pensée majoritaire et de la possibilité de lutter contre les sanctions arbitraires prises par l’Etat à l’égard des médias, des agences de presse et de leur personnel.
LB