VIH : divulguer ou non
Un des problèmes qui surgissent souvent lorsque l’on parle de VIH et de droit des individus est la confidentialité. En médecine, l’usage a toujours été de défendre l’idée selon laquelle la santé d’une personne est une question privée. Le médecin ne doit pas divulguer des informations personnelles. Le Serment d’Hippocrate que prononcent les médecins comprend un ensemble de principes déontologiques, parmi lesquels: « Quoi que je voie ou entende pendant l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a pas besoin d’être divulgué”.En matière de santé publique, la nécessité de s’appuyer sur des connaissances fi ables sur l’ampleur d’une maladie pour la combattre à l’échelle nationale pèse aussi dans la balance. Les autorités sanitaires ont besoin de faits et de chiffres précis pour élaborer des programmes nationaux de traitement et de soin. Dans le cas d’une épidémie, il est particulièrement important de savoir combien de personnes sont porteuses de la maladie afin que la riposte soit à la mesure du problème.
Le choix cornélien entre divulgation et confidentialité n’est pas nouveau pour la profession médicale. Partout, les pays ont développé leur propre tradition de droit et pratique dans ce domaine. Mais avec le VIH et le sida, les dilemmes semblent être particulièrement déchirants. Ils prennent parfois une tournure inattendue.
Une des raisons en est l’intrusion du droit pénal dans le scénario déjà complexe de divulgation du VIH, qui provient de l’issue de procès dans lesquels quelqu’un est accusé de transmettre volontairement le virus à un partenaire. Ces histoires, dans lesquelles une personne irresponsable inflige sa maladie à quelqu’un d’autre, et la condamne souvent ainsi à mort, sont chargées de souffrance, et aussi de difficultés juridiques.
Causer à autrui un préjudice physique est un délit normalement passible de poursuites au regard du droit pénal. Cependant, plusieurs pays et leur parlement, non satisfaits du droit en vigueur, ont adopté une législation pénale spécifique pour le sida.
On peut se demander quel mal il y a à cela. Mettre délibérément en danger la vie des autres témoigne d’un tel mépris de son prochain qu’une loi répressive est certainement une réponse appropriée. Les spécialistes des droits de l’homme ne sont pas d’accord, en tout cas pas en l’espèce. Tout d’abord, il y a un problème de preuve.
Imaginons un scénario typique : un homme, originaire d’un endroit reculé d’Afrique ou d’Asie, se rend à la ville (Johannesburg, Bangkok, ou ailleurs) pour trouver du travail. Il s’y installe et retourne chez lui de temps en temps lors de ses congés, pour rendre visite à sa famille. Il a peut-être de bonnes raisons de penser qu’il est porteur du VIH, mais ne s’est jamais fait tester. De fait, il est porteur du virus et le transmet à son épouse. Pour que l’épouse puisse avoir un recours dans le cadre de ces lois répressives, elle doit prouver que le contrevenant savait qu’il était porteur du virus au moment de la transmission. Si la femme souhaite traduire en justice le mari infidèle pour lui avoir transmis un virus mortel contre lequel il n’existe aucun traitement accessible (les antirétroviraux étant soit impossibles à obtenir, soit trop chers dans le village), elle doit prouver que son mari savait qu’il était infecté. Il pourra nier qu’il en avait connaissance et peut à son tour accuser sa femme d’avoir contracté le virus ailleurs et, pour faire bonne mesure, la battre pour sa prétendue infidélité. Dans des cas extrêmes, il peut la tuer.
Qui plus est, connaissant le contenu de la nouvelle loi sur le VIH, des hommes ou des femmes qui ont eu de nombreux partenaires et pensent avoir peut-être le VIH sont beaucoup moins enclins à aller se faire tester dans le centre le plus proche pour en avoir le coeur net. Ils sont bien plus protégés sur le plan juridique si leur état n’est pas connu, d’eux ou de quiconque. En d’autres termes, le droit pénal spécifique au VIH a un effet dissuasif énorme sur le dépistage volontaire et c’est un très gros obstacle pour l’épidémiologiste qui cherche des données fiables sur la prévalence.
De manière plus générale, les lois homophobes ont le même genre de résultats. L’homosexualité est interdite par la loi dans un nombre croissant de pays. Dans un pays d’Afrique de l’Est, une loi faisant de l’homosexualité un délit passible de peines de prison longues est examinée par le Parlement. Et le projet de loi ne s’en tient pas là; il contient une disposition qui prévoit jusqu’à trois ans de prison pour quiconque ne donnerait pas dans les 24 heures l’identité de tous les homosexuels qu’il connaît, ou défendrait les droits de l’homme des homosexuels.
Le projet de loi reflète l’atmosphère de peur qui règne dans des pays où l’épidémie a prélevé un lourd tribut sur la population. C’est une réponse à une certaine forme d’abandon, une perte d’espoir qui n’est que trop compréhensible. Et, à l’instar de lois similaires ailleurs, elle amènera les gens à se cacher encore plus. Déjà stigmatisés, ces groupes deviendront encore plus vulnérables aux formes de discrimination les plus abjectes.
Pris entre le marteau et l’enclume, la pression de l’opinion publique dans sa circonscription et le devoir de respecter les droits de l’homme de tous, le législateur n’est pas dans une position enviable.
Lors de la réunion mondiale de l’UIP sur le VIH/sida fin 2007, les parlementaires, reprenant à leur compte le thème de la Journée mondiale du sida - le leadership - ont annoncé leur intention de se battre et de jouer un rôle. Les droits de l’homme sont le thème de 2009. Le leadership est plus nécessaire que jamais.
JJ