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N°37
DECEMBRE 2009

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de la Revue

Le Monde des Parliaments
Réconsiliation

Les parlements consolident la paix

Par M. Anders B. Johnsson, Secrétaire général de l’UIP

M. Anders B. JohnssonC’est par une après-midi ensoleillée de mai 1993 que j’ai visité pour la première fois le Parlement cambodgien. Je voulais voir le lieu qui allait bientôt accueillir l’Assemblée que le peuple cambodgien était en train d’élire pour rédiger une nouvelle constitution. C’était la dernière étape d’un long processus visant à mettre fin à un conflit particulièrement violent et source d’intenses divisions. Le Cambodge avait absolument besoin de paix et de développement et, surtout, de réconciliation. Je ne m’attendais pas à ce que j’ai trouvé lorsque j’ai franchi le seuil.

Je me trouvais dans un vaste hall très peu meublé, juste quelques bureaux et fauteuils en très mauvais état. Il y avait une fuite dans le plafond, qui formait sur le sol de petites flaques d’eau stagnante infestée de moustiques. Il n’y avait pas de toilettes en état de fonctionnement, pas de matériel, pas de climatisation, pas de microphones, ni de fournitures de bureau. En fait, à part la magnifique façade, le bâtiment ressemblait à une école délabrée d’un district périphérique.

A l’époque, c’était l’APRONUC (Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge) qui pilotait la consolidation de la paix au Cambodge. Et, comme je l’ai rapidement découvert, en dépit du fait que la communauté internationale avait investi un milliard et demi de dollars dans l’APRONUC, aucun budget n’était prévu pour le Parlement. En fait, personne n’avait pris la peine de réfléchir à ce dont le Parlement et les 120 parlementaires auraient besoin, une fois élus, pour accomplir leur travail.

Dans les semaines et les mois qui ont suivi, l’UIP a fourni une première aide à l’Assemblée cambodgienne. Elle a contribué à la rénovation du bâtiment, à la réparation du toit, à la pose de nouvelles fenêtres et à la peinture des murs. Elle a acheté un système de son, plusieurs climatiseurs et du mobilier de base. Elle a organisé une formation interne de base pour le personnel. Elle a contribué à la mise sur pied d’une bibliothèque et d’un centre de documentation pour le Parlement et a donné des conseils juridiques et techniques à l’Assemblée constitutionnelle.

La morale de cette histoire est que l’on ne crée pas du jour au lendemain, comme par magie, des institutions parlementaires fortes. Il faut les accompagner, et elles ont besoin d’une aide et d’un engagement sur le long terme. Elles ont besoin de la solidarité de leurs pairs d’autres pays, qui peuvent leur offrir leur expérience et leurs compétences, et elles ont besoin d’un soutien financier.

Dans le cas de l’aide initiale de l’UIP au Cambodge, une grande partie des compétences a été fournie par les parlements de l’Australie, du Canada, de l’Inde, de la Namibie et des Philippines, alors que l’aide financière a été apportée par l’Agence suédoise de coopération internationale pour le développement (SIDA).

Que fait l’UIP ?

La mission de l’UIP est claire. Grâce à ses membres dans le monde entier, elle est dans une position idéale pour fournir le type de connaissances et de compétences en matière parlementaire correspondant aux besoins d’autres parlements.

L’UIP peut mobiliser cet appui. Elle est également sensible au mode de fonctionnement de l’institution parlementaire. Les parlements ne sont pas des gouvernements. Ils ont leur propre dynamique, qui exige des mesures adaptées.

L’UIP est aussi un porte-parole mondial pour les parlements. Beaucoup trop souvent, à l’instar de mon exemple cambodgien, la communauté internationale oublie que le Parlement est essentiel à la démocratie et a besoin d’aide. Il est important d’organiser des élections libres et régulières, mais il est tout aussi important, voire plus de fournir une aide à l’institution élue afin qu’elle puisse fonctionner efficacement et être à la hauteur des espoirs et des attentes placés en elle.

De la même façon, lorsque les Nations Unies ont demandé en 2005 à l’UIP de travailler avec leur nouvelle Commission de consolidation de la paix, l’UIP a obtempéré de bonne grâce. Le but de cette initiative était d’aider à garantir l’inclusion des parlementaires dans les opérations de consolidation de la paix.

La réconciliation est nécessaire pour consolider la paix et la stabilité. Il faut aussi des institutions fortes. C’est le pays lui-même qui doit jouer un rôle moteur à tous les égards. Cela requiert un engagement considérable et, incontestablement, la participation du parlement.

Pendant ces premières années, la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies s’est concentrée sur le Burundi et le Sierra Leone. L’UIP a aidé les parlements de ces deux pays, et continue à le faire par le biais d’un programme d’appui élaboré conjointement, qui répond aux besoins de chaque partie.

Premiers enseignements tirés

L'Assemblée nationale cambodgienneLe travail qui a été accompli dans ces deux pays, comme dans beaucoup d’autres où l’UIP fournit une aide au Parlement, est riche d’enseignements. L’appui au Parlement doit être institutionnel. Il doit être défi ni en partenariat avec le Parlement et disposer d’un appui politique institutionnel. Tous les courants politiques représentés au Parlement doivent être consultés et impliqués.

Il faut impérativement encourager l’inclusivité au Parlement lorsque l’on recherche la paix et la réconciliation. Il est absurde d’élire un parlement qui représente les différentes couches et composantes de la société, puis d’empêcher certains des parlementaires de jouer un rôle important dans ses travaux. Au Parlement, l’opposition politique a ses droits, qui doivent être préservés ainsi que des responsabilités dont elle doit s’acquitter.

Ce que l’on entend par “inclusivité” peut varier d’un pays à l’autre. Dans certains pays, on désigne par là différentes minorités. De plus en plus, l’expression tend à signifier les jeunes et les personnes handicapées.

Cependant, dans tous les pays, le terme doit impliquer que les femmes participent à la prise de décision. Elles représentent au moins la moitié de la population et ont leur propre point de vue et leur contribution à offrir. Les pays qui ne les incluent pas dans leur parlement sont mal avisés.

Les parlements doivent toujours être attentifs aux droits de l’homme. La réconciliation signifie que l’on doit réparer les injustices passées. Outre le problème très controversé du sort à réserver aux coupables de violations des droits de l’homme, les parlements peuvent faire beaucoup pour contribuer à l’établissement de la vérité, accorder reconnaissance et compensation aux victimes et mettre en place des lois et des institutions (équilibre des pouvoirs) pour éviter l’éclatement d’un nouveau conflit.

De même, le Parlement lui-même dépend du respect des droits de l’homme. Sans liberté de parole et d’expression, le travail parlementaire devient vite un simulacre. Tout Parlement a intérêt à disposer de mécanismes opérationnels pour protéger ses membres contre des abus. Une attaque portée à l’un de ses membres est de fait une attaque contre l’institution elle-même.

Représenter le peuple au Parlement est un privilège accordé à une minorité. Plus encore, toutefois, c’est un service public. Les parlementaires sont des chefs de fi le et des modèles. On a de plus en plus recours à des codes de déontologie pour s’assurer que les parlementaires respectent les normes les plus élevées de probité.

Il est vrai que des pays sortant d’un conflit ont besoin d’un exécutif stable, mais cela ne devrait pas se faire aux dépends d’un parlement opérationnel. Tous les gouvernements sans exception doivent être comptables de leurs actes et c’est l’une des attributions les plus importantes du Parlement. Il est essentiel que le Parlement mette au point des mécanismes lui permettant d’assumer efficacement cette responsabilité.

En fait, de nombreux parlements doivent évaluer leur fonctionnement en tant qu’institution, et beaucoup le font. Les outils mis au point par l’UIP afin que les parlements évaluent leurs résultats et identifient les domaines à améliorer sont utilisés par un nombre croissant de parlements pour savoir quoi faire afin d’être plus représentatifs, accessibles, transparents, responsables et efficaces.

Une grande partie du travail des programmes de renforcement des institutions législatives est axé sur l’appui aux parlementaires. L’appui à l’institution est tout aussi important, à savoir renforcement des capacités du personnel du Parlement, meilleure adéquation des services parlementaires aux besoins et amélioration de l’environnement de travail. C’est parfois très décourageant pour les parlementaires de ne pas avoir de bureau, de salle de réunion pour les commissions, de lieu pour dialoguer avec les électeurs, de possibilité de faire des recherches ni de transport, et cela leur donne un sentiment d’impuissance.

Un programme en plein développement

Comme pour le Cambodge, la liste des besoins est presque infinie. Il est facile de comprendre pourquoi. Les pays qui reçoivent une assistance ont généralement souffert des ravages de la guerre et des conflits. Ce sont tous des pays en développement et la plupart d’entre eux n’ont jamais eu de bonnes institutions parlementaires.

Il est trop facile de prétendre qu’il est plus important de nourrir le peuple et de mettre en place un système de santé, d’éducation et autres services que d’investir dans le Parlement. Mais c’est un choix vain car les deux sont essentiels; ne pas investir dans le Parlement sape en fin de compte les fondements du développement démocratique dans le pays.

Il y a peu, le Président de l’UIP, M. Theo-Ben Gurirab, s’est exprimé devant l’Assemblée générale des Nations Unies sur le travail de la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies. Un parlement pleinement représentatif qui dispose des pouvoirs nécessaires pour légiférer et tenir le gouvernement responsable de ses actes est, à de nombreux égards, le meilleur antidote au conflit, at-il déclaré.

Le Parlement, creuset des différentes composantes de la société, joue un rôle déterminant dans le processus de réconciliation nationale, tolérance politique et consolidation de la paix après conflit. C’est précisément au Parlement que sont débattus les intérêts concurrents et parfois opposés de la société et que sont forgés des accords sur la politique publique et les priorités nationales.

Malgré les progrès évidents réalisés ces 20 dernières années, de nombreux parlementaires de pays en développement, et notamment ceux des pays se trouvant dans une phase d’après-conflit continuent à faire face à des problèmes écrasants. Ils sont loin d’avoir les capacités et les ressources nécessaires pour fonctionner de manière efficace et promouvoir la démocratie.

Les parlements ont besoin d’un appui concret et durable pour devenir sur le long terme des institutions plus crédibles, qui peuvent contribuer à façonner un consensus et servent de forum pour un débat ouvert et franc, des institutions qui peuvent aussi contribuer à effacer les cicatrices des conflits et à éviter le danger d’un retour à l’instabilité et à la discorde.

Le vrai défi

La 122ème Assemblée de l’UIP à Bangkok a pour thème principal le Parlement au centre de la réconciliation politique et de la bonne gouvernance. Elle constitue une bonne occasion de tirer des enseignements des expériences de parlements comme ceux du Cambodge, du Burundi et de la Sierra Leone.

Jusqu’où sont ils allés dans la réconciliation politique et la bonne gouvernance ? Quels enseignements ont-ils tirés ? Quelles sont les principales difficultés auxquelles ils sont confrontés à l’heure actuelle et que peuvent faire les autres parlements et l’UIP pour les aider ?

Les inégalités criantes, l’extrême pauvreté et des institutions faibles sont souvent les causes profondes des conflits modernes. Dire que la consolidation de la paix requiert un parlement qui représente tous les secteurs de la société, soit ouvert et accessible au peuple et responsable devant lui, travaille en toute transparence et est efficace pour légiférer et contrôler l’action du gouvernement, est un truisme.

Le véritable défi est de faire de cette évidence une réalité pour le peuple du Cambodge, du Burundi, de la Sierra Leone et de bien d’autres pays.

M. Anders B. Johnsson réélu Secrétaire général de l’UIP

Le 21 octobre, l’Union interparlementaire (UIP) a réélu l’actuel Secrétaire général, M. Anders B. Johnsson, pour un nouveau mandat de quatre ans (2010-2014). Ce sera le quatrième mandat de M. Johnsson, élu Secrétaire général de l’UIP en 1998. Lors de ces dix dernières années, M. Johnsson a contribué au développement de l’organisation mondiale des parlements et de ses activités pour promouvoir la paix, la démocratie et le développement, notamment dans les pays en développement et dans ceux qui ont connu des conflits. Pendant la même période, l’UIP a développé une interface parlementaire importante avec les Nations Unies et a contribué à un examen parlementaire plus rigoureux des travaux des organisations multilatérales et en particulier de l’ONU. M. Johnsson a dédié sa vie professionnelle à la coopération internationale. Il a travaillé pendant de nombreuses années aux Nations Unies avant de rejoindre l’UIP dans les années 90.

Pour une paix durable en Afrique

Séminaire de l'UIP sur la réconciliation en Ouganda.Reconstruire en vue d’une paix durable, tel est l’objectif de tout pays ayant été confronté aux affres d’un conflit. La réalisation de cet objectif requiert l’élaboration d’une stratégie inclusive de réconciliation nationale impliquant tous les acteurs de la société. Le but étant d’éviter de faire une « paix des vainqueurs » qui serait propice à de nouveaux conflits.

Le Parlement, en tant qu’institution rassemblant toutes les sensibilités de la société, est le lieu où se prennent d’importantes décisions. A cet effet, il a le profil idéal pour jouer ce rôle capital de fédérateur d’énergies nouvelles afin d’impulser le processus de réconciliation national dans la perspective d’une paix équitable et durable. Lancé en 2008, à l’intention des pays africains anglophones en période d’après-conflit, le projet de l’UIP s’inscrit dans cette logique qui fait du Parlement l’élément moteur de toute stratégie devant induire la coexistence pacifique de toutes les communautés.

Le projet vise à fournir aux parlementaires l’expertise et les connaissances requises pour leur contribution optimale à ce processus.

Plusieurs séminaires nationaux ont été organisés an Kenya (17-19 novembre 2008), en Sierra Leone (29-30 avril 2009), au Rwanda (13-14 juillet 2009) et en Ouganda (26-28 octobre 2009). L’approche visée est de faire l’état des lieux de la mise en oeuvre des mécanismes existants de réconciliation nationale, et d’explorer les possibilités d’une contribution du Parlement. Les parlementaires ont apprécié cette initiative qui souligne leur rôle de premier plan dans ce processus.

Les participants aux séminaires ont recommandé des réformes de leur parlement afin de le rendre plus performant dans l’exécution de sa mission en matière de réconciliation nationale telles que l’implication de l’opposition dans les activités du parlement, la promotion du partenariat entre hommes et femmes au sein du Parlement et son implication dans la promotion et le respect des droits civils, politiques et socio-économiques. D’autres réformes institutionnelles, administratives et politiques ont été suggérées, notamment : le partenariat entre le Parlement et la société civile, l’action parlementaire dans la responsabilisation des jeunes, et la promotion de la culture de l’éthique.

Recommandations en fonctions des spécificités nationales

La spécificité des conflits et des pays a donné lieu à des recommandations particulières.

Le conflit au Kenya ayant pris la forme d’un affrontement ethnique, il a été suggéré de veiller à la mise en place des partis politiques plutôt mus par des intérêts nationaux que régionaux ou ethniques. L’UIP fournira un appui direct pour que les parlementaires soient directement impliqués et de manière unie dans la promotion d’un message de réconciliation et de tolérance dans leurs circonscriptions.

En Sierra Leone, la lutte contre la corruption et l’élaboration du code de l’éthique et du code de l’opposition sont parmi les principales préoccupations débattues.

Quant au Rwanda, l’accent a été mis sur la vulgarisation des lois sur la réconciliation nationale et les droits de l’homme, la sensibilisation et la mobilisation de la population à propos de ces lois.

Enfin en Ouganda, les participants ont exprimé la nécessité d’organiser une conférence nationale sur la réconciliation, d’intégrer des enfants soldats démobilisés dans des programmes scolaires, d’instituer une journée nationale pour la paix et de nommer un deuxième vice-président issu de l’opposition.

Toutes ces recommandations sont incorporées dans des plans d’action dont certains points sont déjà mis en oeuvre, et d’autres le seront dans les prochains jours. L’UIP assiste de manière directe dans la mise en oeuvre de plusieurs de ces recommandations.

AA