Pourquoi rouvrir de vieilles blessures ? Nombre de pays africains qui sortent d'un conflit sont confrontés à la pauvreté et à des problèmes gigantesques qui appellent des interventions immédiates et efficaces. Aussi ces pays peuvent-ils répugner à se lancer dans une exploration approfondie du passé, certains estimant même qu'une attitude contraire tendrait à rouvrir des blessures anciennes qui se seraient refermées avec le temps.
Pourtant, l'expérience a montré que ce travail de mémoire est le meilleur moyen d'éviter que les crimes passés ne se reproduisent. Les processus de réconciliation qui ont le mieux réussi sont ceux au cours desquels les autorités nationales ont, non sans risque et en dépit des obstacles rencontrés, tenté en toute bonne foi d'affronter les exactions passées.
C'est précisément pour débattre de ces questions que des parlementaires africains se sont réunis à Bujumbura du 7 au 9 novembre 2005 à l'occasion du Séminaire régional sur le rôle que jouent les parlements dans les processus de réconciliation nationale en Afrique.
L'histoire douloureuse du pays hôte, le Burundi, résume à elle seule toutes les souffrances qu'engendrent les conflits. Aujourd'hui, le pays est à la croisée des chemins. Les élections présidentielles et législatives de 2005 ont radicalement changé le paysage politique. Des progrès considérables ont été réalisés dans la consolidation de la paix, bien que les combats se poursuivent dans certaines zones du pays. Le nouveaugouvernement s'est engagé à faire toute la lumière sur les évènementspassés, et des discussions relatives à la mise en place d'une commission Vérité et Réconciliation sont en cours.
Les décisions difficiles que les Burundais vont devoir prendre ont servi de point de départ au débat sur l'usage des mécanismes de justice transitionnelle dans le cadre du processus de réconciliation, qu'il s'agisse de commissions de vérité, de procès, de programmes d'indemnisation des victimes ou de réformes institutionnelles. Les parlementaires africains occupent une position idéale pour engager le débat national sur les mécanismes qui répondent le mieux aux besoins du processus de réconciliation dans leurs pays respectifs.
Les participants au séminaire ont estimé que les commissions de vérité et de réconciliation pouvaient effectivement apporter une contribution essentielle au processus de réconciliation, mais ont souligné que rien ne garantit le succès d'une telle démarche. De nombreuses questions demeurent sans réponse, notamment en ce qui le moment auquel la création de ces commissions peut être envisagée. Ces commissions vont-elles unir ou diviser la nation ? Les anciens dirigeants nationaux pourraient-ils aller jusqu'à saper tout le processus, notamment en menaçant ceux qui décident de dire la vérité ? Les gouvernements successeurs utiliseront-t-ils la commission pour satisfaire leur désir de vengeance ? Quel type de vérité recherche-t-on ? Sur quelle période la commission devrait-elle concentrer ses travaux ? Comment les autorités nationales peuvent-elles faire en sorte que la création d'une commission de vérité et de réconciliation soit une entreprise fédératrice bénéficiant de l'appui de tous ?
L'octroi d'indemnisations aux victimes suppose de définir au préalable la nature de ces indemnisations et de s'assurer qu'elles sont à la mesure du préjudice subi. En cas de violations des droits de l'homme à grande échelle, comment l'Etat peut-il accorder réparation à toutes les victimes, et comment peut-il trouver les ressources nécessaires ?
Quant à la possibilité de poursuivre les auteurs des crimes passés, l'ampleur des exactions commises est telle dans certains cas que le système judiciaire est souvent dans l'incapacité de rendre la justice. Au Rwanda, le recours aux tribunaux gacaca a précisément pour but de combler ces carences et présente de surcroît l'avantage d'associer la société civile à l'administration de la justice à l'échelle communautaire. La quête de justice soulève une autre question fondamentale : dans quel cadre la justice doit-elle être rendue ? Un appareil judiciaire proche de ceux qu'il doit servir semble préférable a priori. Cependant, le système judiciaire est bien souvent très affaibli et ne peut assumer ses fonctions. En pareil cas, la Court pénale internationale ou une juridiction hybride intégrant des composantes nationales et internationales pourrait constituer une solution de remplacement.