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N°29
AVRIL 2008

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de la Revue

Le Monde des Parliaments
Réconciliation

L'UIP engagée en faveur de la réconciliation

L'ancien président et lauréat du Prix Nobel de la Paix 1993 Nelson Mandela : l'homme clé de la réconciliation en Afrique du Sud. Le thème de la réconciliation est au coeur de l'engagement de l'UIP pour promouvoir la paix et la coopération grâce au dialogue politique. Il sera aussi mis en exergue lors de la 118ème Assemblée au Cap où les parlementaires auront l'occasion de mieux comprendre le processus de réconciliation en Afrique du Sud.

Ils pourront également prendre part à la réunion-débat avec des personnalités politiques éminentes qui confronteront leurs expériences respectives en matière de réconciliation et de consolidation de la paix. Réconciliation et administration de la justice sont aussi le thème de la contribution écrite d'une personnalité sud-africaine de premier plan, l'ancien juge Richard Goldstone. Dans un autre article, on analyse le cas complexe de la Sierra Leone et on évoque le programme d'assistance mis en place par l'UIP en faveur du parlement de ce pays pour promouvoir la réconciliation. Pour finir, deux articles abordent des aspects importants liés à la réconciliation : le premier est consacré à la visite du Président Casini au Moyen-Orient et le second à la part prise par l'UIP dans la nouvelle initiative de l'ONU connue sous le nom d'Alliance des civilisations.

Réconciliation et administration de la justice : Le rôle et la responsabilité des parlements

La nécessité d'une réconciliation intervient au moment où une nation tente de se remettre d'un passé de violations graves et systématiques des droits de l'homme. On pense à des États comme l'ex-Yougoslavie, le Rwanda ou l'Afrique du Sud. Or, chacun de ces pays a abordé la question de la réconciliation de manière sensiblement différente.

Dans le cas de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda, les faits concernant des génocides soigneusement planifiés, des crimes contre l'humanité et des actes de « nettoyage ethnique » ont été rigoureusement et minutieusement établis par les tribunaux pénaux adhoc des Nations Unies pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda (le TPIY et le TPIR). En Afrique du Sud, c'est par l'intermédiaire de la Commission vérité et réconciliation (la TRC) et des quelques poursuites pénales qui ont été lancées après l'abolition de l'apartheid que la vérité a été révélée.

Les enquêtes menées par le TPIY ont mis un terme aux démentis mensongers des responsables de l'armée serbo-bosniaque qui niaient qu'un massacre d'hommes et d'adolescents musulmans innocents avait été perpétré en 1995 à Srebrenica. Le fait qu'un génocide a eu lieu dans cette région a été plus récemment confirmé par la Cour internationale de justice de la Haye. Le TPIR a établi que les centaines de milliers de meurtres commis au milieu de l'année 1994 constituaient un génocide soigneusement orchestré et efficacement mis à exécution.

En Afrique du Sud, la TRC a mis un terme aux démentis officiels qui allaient fréquemment de pair avec les violations des droits de l'homme pendant la période de l'apartheid. Dans les trois cas de figure, il est essentiel d'établir la vérité si l'on veut envisager une réconciliation. Les horreurs du passé doivent être mises au jour. Les victimes de telles violences et de tels actes criminels exigent, à juste titre, que leurs souffrances soient formellement reconnues de manière crédible. C'est cette reconnaissance qui permet aux victimes d'accepter l'idée de construire une société nouvelle en collaborationavec les auteurs des crimes et leurs complices.

Il appartient aux parlements de faire en sorte que les victimes aient les moyens de revendiquer et de se réapproprier la dignité humaine dont elles ont été privées. Pour ce faire, il se peut que l'élaboration des législations suppose quelques sacrifices de la part de l'ancien régime au pouvoir et des personnes qui ont globalement tiré profit d'un système pervers. C'est pour cela que les parlements doivent veiller à ce que des programmes adaptés soient mis sur pied afin qu'il y ait réparation. À cette fin, par exemple, la Déclaration des droits sudafricaine énonce que : « Pour promouvoir l'égalité, des mesures législatives ou d'un autre type, conçues pour protéger ou soutenir des personnes, ou des catégories de personnes, défavorisées par une discrimination injuste, pourraient être prises ».

Si l'on veut que ces mesures correctives encouragent la progression vers la réconciliation, elles doivent être conçues et élaborées avec soin et ne sauraient en aucun cas être, ou être perçues, comme étant arbitraires ou injustes. Autrement dit, les textes législatifs doivent être conformes à la constitution et donc élaborés dans un souci d'équité et d'impartialité. Le respect de l'état de droit est fondamental si on veut que tous les citoyens participent à la nouvelle société, et si on entend donner aux victimes les moyens de retrouver leur dignité.

À cet égard, les parlements ont un rôle crucial, et bien souvent très difficile, à jouer. Tandis que les instances judiciaires doivent veiller à ce que les lois soient correctement élaborées et appliquées, ce sont les parlements, représentants de la volonté populaire, qui sont les mieux placés pour concrétiser la réconciliation. Celle-ci est le moteur de l'appareil législatif et le garant de l'état de droit.

Richard Goldstone, ancien juge sud-africain,

Photo UIP/H.Salgado a joué un rôle de premier plan dans son pays natal, l'Afrique du Sud, ainsi qu'au niveau mondial. Il a occupé la fonction de juge à la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud, qui était chargée d'interpréter la nouvelle constitution sud-africaine et de superviser la transition du pays vers la démocratie. Il avait auparavant été nommé Président de la Commission permanente d'enquête sur les actes de violence et d'intimidation, qu'on a ensuite appelée « Commission Goldstone ». Il a aussi été membre du groupe international d'experts institué par le gouvernement argentin en août 1997 pour suivre les enquêtes réalisées en vue d'éclaircir les activités nazies dans la république depuis 1938.

De 1994 à 1996, Goldstone a été Procureur en chef des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex- Yougoslavie et le Rwanda, créés par les Nations Unies.

Le cas complexe de la Sierra Leone

Électeurs attendant devant le bureau de vote lors de l'élection présidentielle de 2007. Dans un de ses discours, le Révérend Jesse Jackson a déclaré que « nos rêves doivent être plus forts que nos souvenirs … Nous devons être mus par nos rêves, et non poussés par nos souvenirs ». Dans de nombreux pays sortant d'un conflit, les massacres ont beau avoir cessé, des souvenirs inconciliables persistent. D'un côté, les auteurs des atrocités nient les faits, et de l'autre, les victimes insistent pour que la vérité soit établie. Ces réminiscences contradictoires divisent profondément les populations qui sortent d'un conflit et ralentissent incontestablement tout processus de réconciliation. Le cas de la Sierra Leone est encore plus complexe.

Dans ce pays, la dichotomie bourreauvictime est compliquée par le fait que de nombreux oppresseurs – des enfants soldats – ont aussi été des victimes. La réconciliation véritable ne peut s'opérer que dès lors qu'il y a un véritable consensus quant aux événements passés – à savoir ce qui s'est réellement produit - quant au présent – ce qui est fait pour y remédier - et quant à l'avenir.

De toutes les institutions étatiques, le parlement national est l'expression même de la volonté de la société civile. Un parlement qui assume son rôle de représentation efficacement est une condition essentielle à toute transition réussie d'un conflit à la paix, et à plus forte raison, lorsqu'on aspire à relever le défi énorme qu'est celui de la réconciliation. La fonction représentative du parlement est essentielle pour parvenir à un consensus, puis à une réconciliation.

Une des fonctions premières des parlements est de représenter et d'exprimer la volonté du peuple au niveau de l'État. Composé d'hommes et de femmes élus par le peuple et en contact direct avec lui, le parlement est par excellence l'institution à même d'agir et de s'exprimer en faveur des intérêts communs de toutes les couches de la société. Les parlementaires sont bien placés pour sensibiliser la société à tous types de questions, pour promouvoir les débats sur celles-ci, et pour relayer et expliquer au public les enjeux, forgeant ainsi un soutien et un consensus populaires pour l'action.

Si on néglige cette fonction essentielle du parlement, surtout dans les pays se relevant d'un conflit, on prend le risque d'assister à un retour de la violence. On peut donc avancer que l'échec de l'Accord de paix d'Abidjan de 1996 était dû en partie à l'absence de participation du Parlement de Sierra Leone aux négociations et, surtout, à sa mise en oeuvre. Est arrivé ce quidevait arriver : le pays a sombré à nouveau dans la violence et la barbarie.

Le Parlement sierra-léonais figure parmi les parlements africains de pays en situation d'après conflit que l'UIP aidera, au titre d'un projet sur deux ans, à mettre en place, suivre et évaluer des mécanismes de justice de transition - du type mécanismes Vérité et Réconciliation - et à renforcer les processus d'intégration politique.

Le Parlement accueillera en juin 2008 un séminaire régional sur ce thème. Par ailleurs, l'Union interparlementaire, en coopération avec d'autres partenaires dont les Nations Unies, met au point un vaste programme d'assistance à ce parlement.