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N°31
SEPTEMBRE 2008

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de la Revue

Le Monde des Parliaments
M. Jimmy Carter

" Il ne peut y avoir de processus électoral transparent et d'institutions démocratiques solides sans un réel engagement en faveur des droits de l'homme et des libertés fondamentales "

M. James Earl "Jimmy" Carter, Jr. M. James Earl «Jimmy» Carter Jr a été Président des Etats-Unis de 1977 à 1981 et a reçu le prix Nobel de la Paix en 2002. Avant son élection à la présidence des États-Unis, il a accompli deux mandats de sénateur de l'Etat de Géorgie et a été gouverneur de la Géorgie de 1971 à 1975. En sa qualité de Président des Etats-Unis, il a signé les Accords de Camp David, les accords relatifs au canal de Panama et le traité SALT II sur la limitation des armes stratégiques. M. Carter s'est attaché à faire avancer la cause des droits de l'homme. A la fin de son mandat présidentiel, il a créé, avec son épouse Rosalynn, le Centre Carter, organisation non gouvernementale à but non lucratif qui s'emploie à promouvoir les droits de l'homme et à atténuer les souffrances humaines. Il a parcouru le monde entier dans le cadre de négociations de paix, de missions d'observation électorale et de son combat pour la prévention et l'élimination des maladies dans les pays en développement.

Le 8 novembre 2007, l'Assemblée générale des Nations Unies est convenue de célébrer le 15 septembre de chaque année la Journée internationale de la démocratie. Dans sa résolution, l'Assemblée générale appelle les Etats Membres, les parlementaires, les organisations gouvernementales et non gouvernementales et les citoyens à marquer cette journée. Je salue les efforts déployés par l'UIP pour faire connaître du public la Journée internationale de la démocratie, qui est pour nous tous l'occasion de réfléchir ensemble aux problèmes qui font encore obstacle aux avancées démocratiques et au respect des droits de l'homme dans le monde.

Mes collègues du Centre Carter et moi-même oeuvrons depuis plus de 20 ans à la promotion de la démocratie et des droits de l'homme. Depuis 1989, nous avons pris part à 70 missions d'observation électorale dans 28 pays. Ces missions sont, selon nous, un instrument fondamental qui contribue à la reconnaissance de la légitimité des gouvernements élus démocratiquement. Tout récemment, nous avons suivi le déroulement des élections à l'Assemblée constituante du Népal. Ces élections marquaient un tournant décisif, dans la mesure où elles ont permis aux électeurs népalais de transformer la structure même de l'Etat népalais, en remplaçant un régime monarchique par une république. Elles ont ainsi mis fin à 12 années de guerre civile, et offert à de nombreux individus jusqu'alors marginalisés la possibilité de participer, à l'instar de tous les autres citoyens népalais, à la conduite des affaires publiques et au devenir de la société civile.

Toutes les missions d'observation électorale du Centre Carter s'effectuent conformément à la Déclaration de principes relative à l'observation internationale d'élections. Ce document, dont l'UIP est également signataire, marque une étape majeure dans l'élaboration des principes régissant le processus d'observation électorale. Il a été approuvé en 2005 aux Nations Unies par 22 organisations d'observation électorale du monde entier. On en dénombre aujourd'hui 32.

Le processus électoral s'inscrit dans le cadre d'ensemble des pratiques démocratiques

La Déclaration de principes est importante dans la mesure où elle définit des normes professionnelles cohérentes applicables à l'organisation des missions internationales d'observation électorale. Elle a de surcroît favorisé la création d'un «pôle de compétences » regroupant l'ensemble des organisations signataires. En travaillant ensemble, ces organisations peuvent s'attaquer de manière plus efficace aux multiples défis auxquels la démocratie et le processus électoral sont aujourd'hui confrontés. Toutes les organisations signataires conviennent que le processus électoral ne se résume pas seulement à l'organisation d'un scrutin, et s'inscrit dans le cadre d'ensemble des pratiques démocratiques.

Depuis l'adoption de la Déclaration de principes, nombre des organisations nationales et internationales partenaires du Centre Carter ont montré, au travers de leur action, qu'elles prenaient conscience de manière grandissante de cette réalité, et se sont engagées d'un commun accord dans le sens d'une approche plus intégrée de la promotion de la démocratie et de l'assistance électorale. Cette démarche repose sur le constat selon lequel il ne peut y avoir de processus électoral transparent et d'institutions démocratiques solides sans un réel engagement en faveur des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

" Le succès d'une élection repose, selon nous, non seulement sur l'exercice du droit de tous les citoyens de voter ou d'être élus, mais aussi sur le respect de leurs droits en général. "

Dans le domaine de l'observation électorale, l'action du Centre Carter et d'organisations partenaires comme luUIP et bien d'autres, qui s'emploient à bâtir ensemble un large consensus autour des critères relatifs aux élections démocratiques, est révélatrice de cette évolution. Tous ces efforts s'appuient sur la Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières, document phare adopté par le Conseil de l'Union interparlementaire en 1994, et sur le travail d'autres organisations impartiales et dignes de foi du monde entier.

Concrètement, notre but est de faire en sorte que les libertés et les droits fondamentaux de la personne humaine, tels qu'ils sont consacrés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et les traités ultérieurs, redeviennent les seuls critères au regard desquels on pourra évaluer le caractère véritablement démocratique d'une élection. Le succès d'une élection repose, selon nous, non seulement sur l'exercice du droit de tous les citoyens de voter ou d'être élus, mais aussi sur le respect de leurs droits en général, et en particulier du droit de participer à la prise des décisions relatives à la conduite des affaires publiques; de se déplacer librement dans leur pays; d'exprimer leurs opinions avant et après une élection ; de s'associer et de se rassembler; de se prévaloir de moyens de recours efficaces en cas de violation de leurs droits et libertés; d'avoir un gouvernement transparent et comptable de son action, agissant dans le respect de la règle de droit.

En évaluant le processus électoral au regard des libertés et droits fondamentaux, nous devrions pouvoir mieux aider les pays dans lesquels sont déployés nos missions d'observation à se doter de gouvernements justes et représentatifs, tenant leur légitimité démocratique des électeurs eux-mêmes. Certes, il reste encore beaucoup à faire. Les graves actes de violence et d'intimidation et les nombreuses infractions aux droits de l'homme observés lors d'élections récentes nous ont profondément préoccupés. En outre, certains signes semblent indiquer que l'action d'organisations internationales d'observation électorale dont le sérieux n'est plus à prouver se heurtent à une opposition grandissante, et que les tentatives d'affaiblissement des engagements pris en faveur du respect des bonnes pratiques démocratiques se multiplient.

Les élections tenues en 2000 et en 2004 dans mon propre pays se sont déroulées elles aussi dans des conditions difficiles. A la suite de ces élections, j'ai travaillé avec d'autres responsables politiques américains, parmi lesquels l'ancien Président Gerald Ford et l'ancien Secrétaire d'Etat James Baker, à l'élaboration de recommandations visant à modifier et à améliorer le système électoral américain. Si certains progrès ont été accomplis depuis, il reste encore un long chemin à parcourir.

Kazanevsky (Ukraine) Ainsi, aux Etats-Unis, il est toujours très difficile pour des organisations internationales de suivre le déroulement du processus électoral. Le taux de participation aux élections est faible et n'était que de 64 % lors du scrutin de 2004. Les montants investis dans les campagnes électorales ne sont pratiquement soumis à aucune restriction. Les candidats à l'investiture doivent réunir des centaines de millions de dollars s'ils veulent être pris au sérieux. L'accès aux médias n'est pas équitable, et il n'existe pas de commission électorale centrale chargée de l'administration du processus électoral à l'échelle nationale.

Ces exemples montrent que toutes les nations du monde doivent apprendre à organiser des élections démocratiques transparentes, régulières et libres, dans des conditions de sécurité satisfaisantes, conformément aux obligations que leur impose le droit international. Il faut pour cela que les responsables politiques s'engagent à respecter les règles du processus démocratique et à bâtir des institutions démocratiques solides et dynamiques. Ils doivent respecter les droits de l'homme et prendre toutes les mesures voulues pour honorer leurs obligations internationales en matière électorale. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons conserver à la démocratie tout son sens. J'espère très sincèrement que vous vous joindrez à moi pour célébrer la Journée internationale de la démocratie en 2008, et pendant encore de nombreuses années.